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Éditorial n° 25, dimanche 23 février 2003

Entretien avec Marc du Saune (VI)
L'Irak et la guerre

 

Marc du Saune : Renaud Camus, sur la question de l'Irak et de la guerre en Irak, qui paraît chaque jour se rapprocher davantage, le silence de votre parti est …. je ne dirais pas tonitruant, car vous n'êtes peut-être pas tout à fait assez nombreux pour produire un silence tonitruant, mais soutenu, très soutenu…

Renaud Camus : Que voulez-vous, il faut bien qu'il y ait quelque avantage à n'être pas un parti de masse, ni précisément aux portes du pouvoir, à première vue… Le sort du monde ne dépend pas de nos prises de position, pour le moment. Nous ne sommes pas contraints par des pressions extérieures à avoir un avis sur tout.

M. du S. : Vous me décevez un peu. Est-ce que vous n'êtes pas un parti "généraliste", officiellement ? Est-ce que la question de l'Irak n'est pas la plus importante qui se pose au monde, en ce moment ?

R. C. : Une des plus importantes, vous avez raison. Aussi bien allons-nous devoir prendre position, c'est vrai.

M. du S. : Pourquoi ne l'avez-vous pas fait jusqu'à présent? Les adhérents sont partagés ? Vous avez peur de provoquer une scission ?

R. C. : Ah, ça, il est probable que les adhérents sont assez partagés en effet. Mais il est très possible de leur soumettre la question, surtout à présent que nous disposons d'un forum qui leur est réservé, lequel devrait beaucoup faciliter les échanges, et permettre de préciser les débats. En attendant je ne puis que vous donner mon sentiment à moi, à titre personnel. Et ce sentiment même est très partagé, comme celui du parti.

M. du S. : Il va bien falloir pourtant vous décider. Une guerre, on ne peut être que pour ou contre, il me semble.

R. C. : De la façon dont celle-ci se présente, je ne suis pas très pour. Mais je ne suis pas non plus très contre. Comme je suis même moins contre que je ne suis pour, je suppose que je suis plutôt pour…

M. du S. : Drôle de raisonnement… Je vous vois mal l'exposer dans un meeting de masse. Que vous ne soyez pas très pour, je n'ai pas de mal à le comprendre, pour ma part. Mais pourquoi n'êtes-vous pas très contre ?

R. C. : Écoutez, j'étais absolument accablé, il y a douze ans, et stupéfié, que la guerre du Golfe ne soit pas menée jusqu'à son terme, et que les Alliés n'aillent pas jusqu'à Bagdad pour y renverser Saddam Hussein. A l'époque cela m'a paru une erreur majeure, inexplicable, et je continue de penser que c'en était une. Achever ce qu'ils n'ont pas achevé alors, il semble que ce soit cette fois l'objectif des Américains - un de leurs objectifs, peut-être, mais il n'est pas négligeable. Le régime de Saddam Hussein est un régime effroyable. Saddam lui-même est un tyran sanguinaire, la torture est largement pratiquée en Irak, la détention arbitraire y est la règle, la délation y est encouragée et même obligatoire, la terreur règne : s'il y a une chance pour que ce régime et cet homme soient renversés, je ne pourrais que m'en réjouir. C'est quelque chose que je souhaite ardemment, et cela depuis des années. Et si, comme il semble, c'est une chose qui ne peut survenir qu'à l'occasion d'un guerre, cette guerre ne m'inspire pas d'horreur.

M. du S. : Est-ce que toutes les guerres ne vous inspirent pas d'horreur ?

R. C. : Non, pas du tout. Absolument pas. Je ne crois pas du tout que "la guerre soit toujours la pire solution", comme on nous le répète à satiété ces jours-ci - entre parenthèses une formule assez curieuse dans la bouche d'un héritier prétendu du gaullisme. La guerre de 1939, la guerre en 1940, c'était la plus juste des guerres ! Et s'il y a quelque chose à reprocher à ceux qui l'ont déclenchée ou soutenue contre Hitler et le nazisme, c'est de ne l'avoir pas déclenchée plus tôt, pour ceux d'entre eux qui en avait les moyens. Tout ce qu'il y aura à reprocher à ceux qui renverseront Saddam Hussein et son régime, c'est de ne pas les avoir renversés plus tôt ! Ils auraient épargné douze ans d'abomination au peuple irakien.

M. du S. : Ceux qui renverseront Saddam et son régime, comme vous paraissez l'espérer, il me semble qu'il y aura surtout à leur reprocher, s'il leur faut une guerre pour y parvenir, de faire des dizaines et peut-être des centaines de milliers de morts !

R. C. : Je veux croire qu'ils sauront l'éviter, qu'ils en auront la volonté et la possibilité, que la guerre sera brève, et qu'elle fera le moins de victimes possible.

M. du S. : Vous voulez croire… Vous voulez croire… Vous en parlez à votre aise ! Ce n'est pas vous qui serez sous les bombes !

R. C. : Ce n'est pas vous qui vivez dans l'Irak de Saddam Hussein ! Qu'est-ce qui vous dit que les Irakiens ne préfèrent pas quelques jours ou quelques semaines de guerre à dix, vingt ou trente années supplémentaires de tyrannie ? Les Français de l'Occupation n'étaient certainement pas enchantés de recevoir les bombes lancées par les Anglo-Américains sur leurs villes, ils n'en considèrent pas moins les Alliés comme leurs libérateurs. Et ils ont été bien contents de les voir débarquer !

M. du S. : Les Français de l'Occupation vivaient sous la botte d'un occupant étranger ! Ce n'est pas le cas des Irakiens d'aujourd'hui.

R. C. : Vous surestimez peut-être un peu le sentiment national irakien ! Les Irakiens chiites vivent sous la botte de la minorité sunnite, et quant aux Kurdes, l'Irak n'est pour eux rien d'autre qu'une prison. Les Kurdes sont un peuple parfaitement constitué, avec sa langue, son histoire sa culture et son territoire traditionnel de résidence : il a autant de droit que n'importe quel autre peuple à l'existence d'un État à lui.

M. du S. : Mais personne ne parle de donner aux Kurdes un État !

R. C. : Eh bien c'est grand dommage. Ce serait un but de guerre parfaitement honorable, autant que le renversement de Saddam Hussein.

M. du S. : Les Américains ne l'envisagent pas du tout. Au contraire ils ne cessent de prodiguer à leurs alliés turcs des garanties selon lesquelles il n'y aura par d'État kurde.

R. C. : Je sais. Et les Turcs réclament pour leur armée le droit de pénétrer au Kurdistan irakien, sans doute pour y exercer la même oppression que sur le territoire kurde de Turquie, et en tout cas pour empêcher qu'une autonomie voire une indépendance des Kurdes d'Irak ne fasse tache d'huile en Anatolie. C'est un des nombreux éléments qui me font penser que cette guerre est mal engagée, et qu'on peut pas y être favorable sans réserve, dans les conditions où elle se présente. Mais encore une fois , on ne peut pas y être opposé. On ne peut pas être opposé à une intervention qui a de très sérieuses chances de renverser un régime comme celui de Saddam Hussein, et de faire avancer la libération du peuple kurde.

M. du S. : Les régimes comme celui de Saddam Hussein, il y en a beaucoup dans le monde ! Vous recommanderiez qu'on leur fasse la guerre à tous ?

R. C. : Je n'étais pas du tout hostile, dans les années récentes, aux idées kouchnériennes sur le "droit d'intervention", dont il me semble qu'on ne parle plus beaucoup. Je me rends bien compte qu'on ne peut pas intervenir en même temps partout où ce serait nécessaire ou souhaitable, mais si l'occasion se présente d'une intervention qui pourrait, sans trop de pertes humaines et de dégâts collatéraux, libérer les Irakiens de leur tyran et une partie des Kurdes de leurs oppresseurs, je ne me sens pas le droit d'y être opposé.

M. du S. : Mais le nombre de pertes en vies humaines, et l'étendue des dégâts collatéraux, comme vous dites, personne ne peut les évaluer à l'avance ! Il est très possible qu'ils soient énormes!

R. C. : J'ai tendance à penser qu'ils ne le seraient pas, mais vous avez raison, je peux me tromper, sur ce point comme sur bien d'autres. Comme d'habitude il ne s'agit pas de choisir entre un mal et un bien, ce qui est toujours assez facile, en l'occurrence entre la guerre et la paix. Il s'agit de choisir entre deux maux, entre deux nocences, entre une guerre qui a des chances d'être rapide et de faire assez peu de victimes, mais qui est effrayante comme toutes les guerres, d'une part, et d'autre part la prolongation indéfinie de l'asservissement de tout un peuple, et même de deux, assortie de très graves menaces sur la paix du monde et sur la sécurité des voisins immédiats de l'Irak, à commencer par Israël.

M. du S. : En somme vous voulez faire la guerre pour protéger la paix ?

R. C. : Ce ne serait pas la première fois qu'il en irait ainsi; pas la première fois qu'il aurait fallu agir de la sorte : et souvent on ne l'a pas fait, et l'on s'en est mordu les doigts.

M. du S. : Eh bien ! Je crois qu'il est essentiel en effet que les membres de votre parti se prononcent, et le plus vite possible. Et permettez-moi de vous le dire, j'espère qu'ils auront, sur les moyens de sauvegarder la paix, des vues plus pacifiques que les vôtres…

 

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