Le site du parti de l'In-nocence
Pour commenter et débattre des éditoriaux rejoignez le forum public ou le forum réservé aux adhérents

Éditorial n° 18, 24 novembre 2002

Entretien avec Marc du Saune (IV)
Télévision (suite). Thierry Ardisson. Élisabeth Lévy.
Tout le monde en parle, tout le monde le sait.
(Fragments de médiologie enfantine)

 

Marc du Saune : Renaud Camus, lors de notre précédent entretien, nous avons parlé de la télévision, et de personnalités très diverses que nous y avions vues l'un et l'autre. Mais entre temps, c'est surtout vous qu'on y a vu...

Renaud Camus : N'exagérons pas... J'y ai fait deux apparitions, l'une et l'autre à l'invitation de Thierry Ardisson. L'une était sur une chaîne câblée. Les deux ont été considérablement coupées au montage.

Marc du Saune : Quelle impression en gardez-vous ?

Renaud Camus : Une impression d'exaspération, de colère, d'affolement, d'accablement, de presque totale impuissance - associée pourtant à un reste de conviction désolée qu'il n'y a pas, au moins dans un premier temps, d'autre voie que celle-là ; qu'il faut continuer à accepter les rares invitations qui me sont faites, à moins qu'il soit évident, d'emblée, qu'elles n'ont d'autre dessein que d'achever de me perdre, ce qui est le cas le plus fréquent, et qu'elles ne vont me laisser aucune chance de me débattre et de sauver ce qui peut l'être.

Marc du Saune : Ce qui est également le cas le plus fréquent ?

Renaud Camus : Ce qui est structurellement le cas normal, oui. Quiconque ne se situe pas dans le périmètre admis, institué, de la bonne pensée idéologique ne fait l'objet d'invitations médiatiques qu'à une seule fin : qu'il aggrave son cas. Il ne faut se faire aucune illusion là-dessus. Dans mon entourage et au sein du parti, cette conviction-là est générale. Cependant les opinions sont divisées sur la conduite à tenir en conséquence. Les uns, et ils sont la majorité, estiment qu'il ne faut avoir strictement rien à faire avec ce système, puisqu'il n'a, par essence, d'autre fonction que de nous nuire : on ne peut que s'y trouver compromis, souillé, humilié, blessé, ridiculisé - il est là pour cela. Les autres ne sont pas loin d'être du même avis, mais plus pessimistes encore, peut-être, ils estiment qu'il n'y a pas moyen de faire l'économie de ces souillures, de ces blessures, de ces compromissions peut-être, de ces humiliations en tout cas et de ces ridicules, si l'on veut tâcher d'attirer un peu, un tout petit peu, d'attention sur des idées, sur un projet, un programme, une initiative quelconque ou un livre - bref si l'on veut essayer de faire quelque chose, au lieu de se résigner au pire.

Marc du Saune : Vous penchez plutôt vers la deuxième opinion ?

Renaud Camus : Apparemment, puisque, sans rien faire pour provoquer les invitations, j'ai tendance à les accepter lorsqu'elles me paraissent me laisser la moindre chance de placer une idée ou deux, d'attirer l'attention de quelques dizaines de curieux sur un livre ou sur un site internet.

Marc du Saune : C'était le cas des invitations de Thierry Ardisson ?

Renaud Camus : A l'origine il n'y en avait qu'une, pour l'émission "Rive Droite Rive Gauche", sur la chaîne cablée Paris-Première. Je n'avais aucune raison de soupçonner qu'Ardisson me fût particulièrement hostile. Et d'autre part l'émission devait comporter deux entretiens, l'un avec Ardisson lui-même, l'autre avec Élisabeth Lévy, laquelle est pour moi est presque une amie, et en tout cas se montre depuis plusieurs mois relativement bienveillante à mon égard, même si nous avons bien sûr nos petites divergences, en particulier sur l'ex-Yougoslavie.

Marc du Saune : Ces deux entretiens ont été enregistrés ?

Renaud Camus : Oui, lundi dernier, le 18 novembre. Mais un seul a été diffusé le lendemain : celui qu'a mené avec moi Thierry Ardisson. L'autre a été jeté à la poubelle.

Marc du Saune : Pour quelle raison ?

Renaud Camus : Plusieurs interprétations ont circulé. A Élisabeth Lévy, sans doute pour s'excuser auprès d'elle de l'avoir fait courir au diable-vauvert et perdre une après-midi pour rien, on a dit que le problème était purement technique, que le temps avait manqué pour la double diffusion prévue.

Le président de Fayard, lui - officiellement j'étais invité à l'occasion de la sortie chez Fayard de mon journal pour 1999, Retour à Canossa -, est pour sa part convaincu que toute l'opération était un piège depuis le début, qu'Élisabeth Lévy, à son insu, avait été utilisée comme un leurre pour m'attirer, et qu'Ardisson n'avait jamais eu la moindre intention de diffuser l'entretien qu'elle allait mener avec moi. J'étais un peu sceptique quant à cette interprétation, car je voyais mal quel intérêt Ardisson aurait eu à m'attirer. Après tout, le moins qu'on puisse dire est que je ne suis pas une star des médias. Je ne fais pas monter les taux d'audience. D'un autre côté, s'il y avait une chance de se débarrasser de moi une bonne fois...

Une dame du milieu médiatique, que je ne puis nommer crainte de la compromettre, estimait pour sa part, sur la relation qui lui avait été faite par des témoins de l'enregistrement, que c'était pas embarras professionnel qu'Ardisson n'avait pas voulu diffuser l'entretien mené avec moi par Élisabeth Lévy, parce que cet entretien était très supérieur à celui qu'il avait mené lui-même. Et de fait Élisabeth Lévy connaissait mieux le dossier, ses questions à elle étaient beaucoup plus précises, et notre échange, quoique moins agressif, était plus serré.

Quant à Thierry Ardisson lui-même, l'explication qu'il m'a donnée lorsqu'il m'a téléphoné mercredi dernier, le 20 novembre, le lendemain de la diffusion tronquée, était exactement le contraire de la précédente : s'il n'avait pas diffusé mon entretien avec Élisabeth Lévy, c'est que cet entretien était mauvais, d'un point de vue professionnel, tout simplement, inutilisable. Élisabeth Lévy, d'après Ardisson, y était terriblement verbeuse, comme c'est sa pente selon lui : elle se noyait dans des considérations qui n'avaient rien à voir avec le sujet, il ne pouvait pas imposer ça à son public...

Marc du Saune : Et votre opinion à vous ?

Renaud Camus : Au début je n'en avais pas, mais après la diffusion, samedi dernier, le 23 novembre, de la deuxième émission, celle d'Antenne 2, "Tout le monde en parle", j'aurais tendance à penser que mon entretien avec Élisabeth Lévy n'a pas été diffusé parce qu'il m'était trop favorable. Par exemple, la première phrase d'Élisabeth Lévy était pour dire qu'à son avis je n'étais ni raciste ni antisémite. Et comme c'était exactement l'inverse qu'il s'agissait de démontrer...

Marc du Saune : Quel intérêt aurait Ardisson a démontrer l'inverse ?

Renaud Camus : Je n'en ai pas la moindre idée. Son émission est en perte de vitesse, même son archi-rival Marc-Olivier Fogiel est passé devant lui selon l'audimat. Une bonne petite exécution publique, c'est toujours excellent pour les taux d'audience. Et peut-être Ardisson a-t-il besoin de donner des gages et encore des gages au pouvoir central médiatico-bien-pensant, à "Edwy", comme dit naïvement Lindenberg, au complexe militaro-industriel de la pensée, à la société des Amis du Désastre, qui l'a toujours regardé avec un peu de suspicion, à cause de son monarchisme affiché ou de sa manie des origines ("Bernard Kouchner, vous êtes né dans une famille juive... " - on voyait bien que Kouchner n'en demandait pas tant). Je croyais bêtement Ardisson plutôt neutre, à mon égard. J'ai mis longtemps à comprendre qu'il était en fait très hostile. Son obstination à citer Bernard-Henri Lévy comme si c'était la loi et les prophètes, à mon sujet, aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Au fond le point de vue d'Ardisson sur tout cela, c'est celui de Bernard-Henri Lévy. Il n'est pas allé y voir de plus près, il n'en sait pas plus et pas moins - et c'est tout de même en savoir très peu. Ce qui ressortait le plus nettement de la confrontation des deux entretiens de Paris-Première, celui d'Élisabeth Lévy et le sien, c'est que lui connaissait très mal toute cette affaire, la mienne. Il est seulement convaincu que je suis un antisémite bon teint, un type qu'il a tout intérêt à dénoncer comme tel, ça fera toujours bon effet dans son tableau. Ça ne va pas beaucoup plus loin. Et comme d'évidence il ne lit pas les livres, qu'il ne connaît que par ses assistants, il est difficile de le ramener aux textes. Toute tentative pour désigner des livres, des sites internet, des lieux où le public pourrait se renseigner plus avant, en disposant de tous les éléments contradictoires, tout cela est impitoyablement coupé : ainsi la mention de mon propre site, ou celle du parti de l'In-nocence. On ne va pas me laisser faire de la propagande, tout de même !

Marc du Saune : Mais vous parliez d'une conversation avec lui, avec Ardisson, mercredi dernier?

Renaud Camus : Une conversation téléphonique, oui. J'avais reçu non sans surprise, le matin de ce jour-là, le lendemain, donc, de la diffusion tronquée de l'émission de Paris-Première, une invitation pour une deuxième émission d'Ardisson, beaucoup plus regardée, "Tout le monde en parle". J'avais fait demander par le service de presse de Fayard des renseignements sur les circonstances prévues pour l'enregistrement, et j'avais appris que je devais me trouver confronté à Jean-François Kahn, à Daniel Lindenberg et à Dieudonné. Pour moi il n'en était pas question un seul instant, et je me préparais donc à refuser l'invitation. Lindenberg, j'aurais pu en faire mon affaire, à la rigueur. Mais Jean-François Kahn, Dieudonné, ceux-là n'auraient fait de moi qu'une bouchée. Ce sont des professionnels de ce genre de situation, doté d'un bagout à toute épreuve. Je ne me fais aucune illusion sur mes capacités dans ce domaine. Les membres du parti de l'In-nocence doivent bien savoir, hélas, et dans l'ensemble ils le savent, que leur actuel président, pris dans un échange intellectuel ou politique avec un Dieudonné, aura immanquablement le dessous. J'espère que rapidement paraîtra parmi nous un porte-parole plus doué et plus coriace que je ne le suis. Pour l'instant c'est à moi que vont les (rares) invitations, je suis bien obligé d'assumer ma fonction - mais tout de même pas au point d'aller volontairement à un désastre assuré.
Ardisson m'a donc téléphoné pour me convaincre d'accepter sa nouvelle invitation, qu'il a présentée à plusieurs reprises comme une "réparation" pour l'incident de la veille, à savoir la non-diffusion de mon entretien avec Élisabeth Lévy, assortie de diverses coupures, dont nous aurons peut-être l'occasion de reparler, dans mon entretien avec lui. Il m'a donné l'assurance que je ne serai pas confronté à Kahn ou à Dieudonné. Sur ce point il a tenu parole. En revanche il s'est bien gardé de me prévenir qu'il me réservait un joli chien de sa chienne en la personne d'Élie Semoun. Cela dit, j'aurais très bien pu m'en aller au moment où j'ai constaté que Semoun était là. Je ne l'ai pas fait.

Marc du Saune : Oui, je dois dire que je suis un peu étonné que vous n'ayez pas pris davantage de précautions, alors que notre précédent entretien montre bien que vous vous faisiez peu d'illusions sur la possibilité d'exprimer à la télévision d'autres opinions que celles de vos chers Amis du Désastre - d'autres vues que catastrophiles, en somme.

Renaud Camus : Vous avez raison. J'avais beau me faire peu d'illusions, je sous-estimais tout de même un élément essentiel, capital, le plus important peut-être : le montage, la possibilité pour un animateur-producteur de monter ses émissions, c'est-à-dire, en somme, de couper tout ce qui ne lui convient pas, tout ce qui n'est pas conforme à l'image préalable qu'il a de son invité et qu'il entend imposer à son public, et tout ce qui le montre lui-même en situation difficile. Le comique est qu'Ardisson m'avait parlé de cette possibilité de supprimer certains passages au montage, mais comme d'un élément en ma faveur, qui devait me rassurer, et sur lequel il insistait pour me convaincre d'accepter son invitation : je ne devais pas avoir peur de bafouiller, de chercher mes mots, d'hésiter avant de répondre - on pouvait toujours couper cela au montage. En fait il utilise cette possibilité uniquement en sa faveur. Et il n'y a rien d'étonnant à cela. Je l'ai appris à mes dépens : le pouvoir, c'est le montage.

Marc du Saune : L'enregistrement de cette émission "Tout le monde en parle" a eu lieu jeudi soir, n'est-ce pas, le 21 novembre. Est-ce que beaucoup de choses ont été coupées lors de la diffusion samedi soir, le 23 ?

Renaud Camus : Énormément. Énormément. Les principes qui ont présidé au montage étaient simples : monter en épingle tout ce qui pouvait me desservir, et tous les coups que j'avais encaissés ; faire disparaître au contraire tous les coups que j'avais pu marquer. Vous connaissez ces situations de semi-pannes informatiques où la souris n'obéit plus, où le curseur réagit aux pulsions mais n'en fait qu'à sa tête, allant toujours au-dessus ou au-dessous du point qu'on voudrait atteindre, et jamais sur lui. C'est exactement l'impression, effroyablement frustrante, qu'on éprouve dans de telles circonstances. On s'exprime, on s'exprime, mais ce qui ressort à l'autre bout de l'expression, comme cela ne dépend pas de vous, n'a que très peu de chose à voir avec la pulsion donnée par vous. Souvent c'en est même tout le contraire. Non seulement le maître du montage peut vous empêcher de dire ce que vous voulez dire, il peut aussi vous faire dire, ou au moins exprimer, ce que vous ne vouliez pas dire, le contraire de ce que vous ressentez. Ardisson a déclaré par exemple que dans mon journal j'évoquais la déchéance de ma mère. J'ai très vivement protesté, d'autant que je craignais que ma mère ne regarde l'émission. J'ai dit que je n'avais jamais employé ce terme-là, et que je parlais des maux de l'âge, sans doute, à son propos mais aussi au mien. Tout cela a été supprimé, sans couture visible, de sorte que je suis celui qui entend parler en souriant de la déchéance de sa mère, et enchaîne comme si de rien n'était. Mais cela, même si c'est pour moi le plus désagréable, ce n'est peut-être pas le plus grave, car il n'est pas faux que dans mon journal j'évoque le grand-âge de ma mère, et les misères qu'il entraîne.

Marc du Saune : Vous parliez de coups encaissés par vous, à quoi faisiez-vous allusion ?

Renaud Camus : Eh bien, par exemple, au moment où Ardisson est passé au parti de l'In-nocence, après s'être longuement attardé sur l'"affaire Camus". En entendant parler du parti, Élie Semoun, qui jusqu'alors s'était montré presque neutre, prudent, a eu ce commentaire, que le public a beaucoup applaudi : "Ah mais alors la première histoire, ce n'était pas un hasard". Avec mon esprit de l'escalier, je vois très bien à présent ce que j'aurais pu répondre : par exemple qu'entre la "première histoire" et la fondation du parti, il y avait en commun, en effet, le goût du risque, le souci de vérité, ou l'hostilité au communautarisme. Mais sur le moment il faut bien reconnaître que je suis resté coi, surpris par cette attaque inattendue, et que pourtant j'aurais dû attendre.

Marc du Saune : Et parmi les coups marqués, au contraire, ceux qui ont disparu au montage ?

Renaud Camus : Eh bien par exemple Ardisson a déclaré qu'avec l'"affaire Camus" je m'étais mis tout le monde à dos. J'ai dit que ce n'était pas tout à fait exact, que je m'étais attiré sans doute une majorité d'adversaires, mais que j'avais eu aussi, et que j'ai encore, des défenseurs, des soutiens ou des partisans : j'ai cité Alain Finkielkraut, j'ai cité aussi Élisabeth Lévy, en précisant que son intervention sur Paris-Première, quelques jours plus tôt, s'ouvraient sur ces mots : "Renaud Camus, selon moi, n'est ni raciste ni antisémite ". Et j'ai ajouté, à l'adresse d'Ardisson : "Mais cette intervention, vous l'avez fait disparaître". Or cet échange-là entre lui et moi, il l'a aussi fait disparaître. Cela c'est une loi constante : il n'y a rien que les censeurs détestent plus que les allusions à leur censure. Il est esssentiel pour eux qu'elle ne se voie pas, qu'il n'en soit jamais parlé. Dans le même esprit ils avaient estimé, il y a deux ans, que laisser en blanc les passages supprimés, dans la deuxième édition de La Campagne de France, c'était de la provocation.

Marc du Saune : Autres exemples ?

Renaud Camus : Il y en aurait une bonne dizaine, nous n'avons ni le temps ni l'espace de les énumérertous. Le principe quant aux suppressions a été toujours le même : faire disparaître tout ce qui pouvait rendre le débat plus complexe, tout ce qui aurait pu introduire un doute dans l'esprit du télespectateur moyen sur la culpabilité de l'accusé, sur la monstruosité de ses positions et de ses thèses. Je me souviens qu'Ardisson a eu un mot très malheureux alors que nous parlions, que j'essayais de parler, qu'il essayait de me faire parler, mais pas dans le même sens, de mes réserves sur l'immigration, sur la nécessité de plus d'immigration : il a dit que je devais bien savoir pourtant que l'industrie avait besoin de "chair fraîche". J'ai réagi très vivement à cette expression, que dans ce contexte je trouvais scandaleuse et répugnante. Et Ardisson a paru un peu démonté. J'ai dit que jadis les colonisateurs se donnaient au moins le mal d'aller dans les pays lointains pour y exploiter les populations, et qu'à présent on ne s'infligeait même plus cet effort, qu'on faisait de la colonisation sur place, à la maison, en important de la "chair fraîche", comme il le disait lui-même de façon très révélatrice ; et que je trouvais abject qu'on déclare cyniquement qu'il fallait faire venir toujours plus d'immigrés pour payer nos retraites, comme si les immigrés étaient du matériel humain, de la "chair fraîche", qu'il fallait importer en quantité toujours plus grande pour subvenir à nos besoins à nous. Là Ardisson était nettement sur la défensive, et là bien sûr il a coupé, comme chaque fois qu'il n'a pas le beau rôle ou qu'il se laisse prendre en flagrant délit d'infériorité dans la joute verbale, ou d'ignorance. Dans l'autre émission, celle de Paris-Première, il avait fait une allusion filandreuse et tout à fait déplacée à la loi Gayssot, en prétendant s'étonner qu'on ne me l'ait pas appliquée. J'ai répondu que personne ne m'avait jamais accusé sérieusement de révisionnisme ou de négationnisme, et donc que la loi Gayssot n'avait rien à voir dans cette affaire. Il s'est obstiné, et il a déclaré que mes remarques sur le "Panorama" de France-Culture tombaient sous le coup de la loi Gayssot, ce qui était absurde. Bref il était évident qu'il ne savait pas ce que c'est que la loi Gayssot. Élisabeth Lévy, dans la deuxième partie de cette émission Rive Droite Rive Gauche, ne s'est pas gênée pour le lui faire remarquer. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles cette deuxième partie a été supprimée. Un animateur qui se respecte sait tout, il n'est jamais pris en défaut.

Marc du Saune : C'est ça, selon vous, le grand principe du montage ?

Renaud Camus : C'est ça, combiné avec la nécessité que le méchant soit vraiment méchant, vraiment noir, que sa noirceur ne soit tempérée par rien. Toujours dans la foulée de l'expression d'Ardisson sur la "chair fraîche", qui m'avait beaucoup choqué, j'ai beaucoup insisté sur la nécessité d'une aide très accrue aux pays pauvres ou en voie de développement.

Marc du Saune : Ça il l'a laissé.

Renaud Camus : Il en a laissé une toute petite partie, sans doute parce qu'il ne pouvait pas faire autrement. Je croyais être parvenu à placer un petit développement sur le droit des peuples, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, à avoir un État quand ils le souhaitaient. J'ai cité le peuple kurde, et dis mon attachement au droit des Kurdes à l'indépendance. J'ai parlé du Tibet. J'ai parlé de l'ex-Yougoslavie. J'ai dit que la France était toujours très prompte à soutenir en paroles le droit des individus mais beaucoup moins à se compromettre en faveur du droit des peuples, qui était indissolublement lié au précédent, mais qui impliquait, pour être défendu, plus de risque et plus de courage. Tout cela a bien entendu été coupé. Ça ne correspondait pas à l'image qu'il s'agissait de donner de moi. En plus ce petit discours avait déclenché quelques applaudissements, je crois bien. Ou bien, comme il se situait tout à fait à la fin de l'enregistrement, il m'avait valu de sortir, à ma relative surprise, sous des applaudissements assez fournis. Peut-être le public estimait-il que je ne m'étais pas trop mal battu, dans des circonstances si nettement défavorables. Au montage les applaudissements ont été recouverts sous une musique tonitruante. Car il n'y a pas seulement l'art du coupé-collé invisible au profane ; il y a aussi celui, complémentaire, du plan suggestif, du cadrage incident sur la mine narquoise de l'interlocuteur, de la musique bien placée pour couvrir ce que par extraordinaire on ne pourrait pas effacer...

Marc du Saune : Je dois dire que ce qui m'étonne surtout, c'est que vous ayez l'air de découvrir tout cela...

Renaud Camus : Tout le monde le sait ?

Marc du Saune : Franchement il m'arrive de me demander s'il faut bien un tiret, à in-nocent...


Propos recueillis par Marc du Saune

 

Note du Webmaster

"Montage ne veut pas dire censure. Il suffit d'être courageux."

Thierry Ardisson Le Monde (supplément télévison)
édition du dimanche 8 décembre 2002