On m'envoie cette première recension des “Cahiers de l'In-nocence”. L'auteur ne m'en voudra pas, j'espère, de la reproduire ici.
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intinerarium.com]
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Politique de l’In-nocence : la contre-idéologie de Renaud Camus
jan28 by Maxime Roffay
En octobre 2002, l’écrivain Renaud Camus fonde le parti de l’In-nocence, « constitué autour des valeurs de civisme, de civilité, d’urbanité, de respect de la parole et d’In-nocence »1. Autant dire un véritable OPNI (Objet Politique Non-Identifié). Le concept bizarroïde d’In-nocence dissone radicalement avec le langage simplificateur de la sphère médiatique-politique. Renaud Camus le définit négativement comme « la non-nocence, la renonciation ou le refus de la nuisance, l’engagement ou l’aspiration à ne pas nuire »2. Mais ne nous y trompons pas. Cette définition n’a rien à voir avec les aspirations pacifistes de la gauche ou des démocrates-chrétiens. Ce qui motive Renaud Camus n’a rien de doucereux ni de gentillet : c’est une révolte face à l’emprise de l’idéologie dominante.
Dix ans après sa fondation, ce projet fou demeure plein de vitalité. En témoigne la récente publication du premier numéro des Cahiers de l’In-nocence (éd. David Reinharc, janvier 2012), placé sous le thème de « la dissidence ». Parmi les contributeurs les plus célèbres, on compte (outre Camus) le philosophe Robert Redeker, l’écrivain Richard Millet, le criminologue Xavier Raufer. Cette publication permet d’éclairer le positionnement du Parti, qui opte pour un ton résolument pessimiste et ne manquera pas d’offusquer la bien-pensance. Dans sa préface, Camus précise le type de public auquel il s’adresse (p. 19) : ceux « dont les circuits cognitifs ne sont pas assez sophistiqués pour être amenés à voir, à percevoir et à comprendre l’inverse de ce qu’ils captent ou appréhendent », ceux qui, « lorsqu’on leur montre du noir, tout en leur répétant, lourdes menaces à l’appui, que c’est du blanc, s’obstinent à ne voir que du noir, ou plutôt ne peuvent s’en empêcher ». La « dissidence » consiste ainsi, non dans un acte volontairement héroïque, mais dans la persistance de l’intelligence à percevoir le réel comme tel, malgré l’insistance des discours officiels qui tentent (avec un déplorable succès) d’en imposer une interprétation inversée.
Les thèmes abordés (plus ou moins brillamment) au long du Cahier (l’immigration de masse, la dé-culturation, l’échec du système scolaire, l’insécurité liée à l’incivilité et à la violence ordinaire) se placent sous l’égide de l’écart insupportable entre l’idéologie actuelle et les phénomènes du réel, vécus dans leur brute factualité. Une idéologie qui se diffuse largement à travers les instances médiatiques, mais qui ne trouve pas de nom clairement défini, sinon celui d’« antiracisme dogmatique », dont le caractère dogmatique importe finalement beaucoup plus que celui d’antiracisme. Une idéologie conduisant les citoyens à dire et à penser l’exacte inverse de ce qu’ils éprouvent, ressentent et devinent dans leur chair, relativement aux événements concrets auxquels ils se trouvent confrontés. Le système idéologique auquel s’affronte l’In-nocence est comparé à celui des régimes communistes, sous le règne desquels le citoyen est tenu de considérer la misère et l’oppression dont il est victime comme « le bien suprême ». Le Parti de l’In-nocence se fonde ainsi sur un cri exprimé face à la négation des évidences, ou face à cette dénégation à laquelle nous serions sommés de participer corps et âme. Cri de révolte, face à cet empêchement de voir ce qui est comme cela est, et non comme les idéologues veulent que cela (ne) soit (pas).
Effectivement, le credo du parti de l’In-nocence ne prétend à aucune sophistication. Contre les sophismes de la novlangue médiatique (la langue de la com’), il faut réaffirmer la catastrophe ambiante de l’éloignement du monde et du travail de sape qui poursuit son œuvre : sape de la civilisation occidentale, par le sape de ses assises culturelles. Le constat des « in-nocents » n’est vraiment pas réjouissant : tout part à veau l’eau, tout se délite, nous sommes embarqués vers le non-monde (l’im-monde). A ces considérations dramatiques, le Cahier ajoute une belle lettre d’Emmanuel Carrère (ami et fidèle lecteur de Renaud Camus) « contre le parti de l’In-nocence » (p. 169-174). Sur un ton des plus amicaux et de sa meilleure plume, Carrère donne les raisons de son refus qui, pour ne pas relever du dogmatisme ambiant, ne sont pas dénuées de finesse . Son argument principal : « nous sommes plus de six milliards (ou sept ?) sur terre, ce qui est évidemment beaucoup trop, ce qui ne va faire qu’empirer et rend […] la vie nécessairement moins douce, les voisins plus nombreux, plus bruyants, plus nocifs ; mais à part espérer qu’un cataclysme décime les trois quarts de la planète (et faire partie du quart qu’il reste), qu’y faire sinon se pousser pour faire de la place ? » L’intérêt de l’argument est qu’il fait jouer l’évidence contre l’évidence. Carrère se dit en ce sens « encore plus pessimiste » que Camus, admettant que « tout en espérant que la situation qui me permet de mener une vie confortable durera encore un peu, je ne crois pas pour la défendre avoir le droit pour moi, mais plutôt contre ». En publiant cette lettre, Camus accepte de mettre en tension les positions de son Parti avec un tout autre point de vue. Ce qui manifeste le souci d’une grande honnêteté intellectuelle.
En résumé, je recommande chaudement la lecture de ce Cahier très prometteur, aux tonalités clairement dissidentes dans le paysage intellectuel contemporain, et dont les conceptions donnent beaucoup à penser.
© Maxime Roffay, pour Itinerarium
1 Cette présentation est mise en exergue sur la page d’accueil du site : [
www.in-nocence.org].
2 Extrait de l’Abécédaire de l’in-nocence, éditions David Reinharc, 2010.