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Le missionnaire, par Franck Nouchi

Envoyé par Gérard Rogemi 
Bel hommage à notre champion!

Le missionnaire, par Franck Nouchi
LE MONDE 2 | 01.02.08

A la radio, à la télévision, dans les journaux ou dans ses livres, Alain Finkielkraut semble habité par le sens de sa mission. Parfois imprécateur, mais toujours avec une honnêteté sans faille.

C'était samedi dernier, sur France Culture. Alain Finkielkraut recevait Edouard Balladur et Hubert Védrine. L'effondrement de l'URSS et la chute du Mur n'ont pas été le signal de la fin de l'histoire mais le signal de la fin d'un monde, avait précisé d'emblée l'animateur à l'adresse de ses deux invités. La conversation allait bon train, on discutait pour l'essentiel autour de l'ouvrage de l'ancien premier ministre intitulé Pour une Union occidentale entre l'Europe et les Etats-Unis (Fayard). Tout le monde étant d'accord sur à peu près tout, Alain Finkielkraut décida d'aborder un sujet d'actualité : la récente visite à Paris du colonel Kadhafi. Il n'y avait, dit-il, qu'une seule question à lui poser, une seule, et personne, pas un journaliste, pas un responsable politique ne l'a fait : reconnaissez-vous que les infirmières bulgares étaient innocentes ? En guise de réponse, sur un ton assez sec, Hubert Védrine lui asséna : "Vous êtes resté un missionnaire." Réplique immédiate de l'intéressé : "Je parle simplement de l'innocence des infirmières. Je suis un missionnaire de ça. Je défends l'objectivité quand elle est menacée."


Hubert Védrine n'a pas tort : Alain Finkielkraut est un missionnaire, on pourrait même dire l'un des plus nécessaires missionnaires de notre République. Ici, il faut bien sûr prendre ce mot dans son sens voltairien ("Nous sommes [Diderot et moi] des missionnaires laïques", écrivait Voltaire à Catherine II en 1773) et non pas religieux. A la radio, à la télévision, dans les journaux, dans ses livres, partout Finkielkraut semble habité, possédé par le sens de sa mission. Livres en main, citations en étendard (une référence constante : Hannah Arendt), sans cesse il traque les contradictions, décèle les incohérences. Mais toujours, toujours, il respecte le point de vue de l'autre, l'étudie, le malaxe pour mieux ensuite le pourfendre ou l'approuver. Peu importe qu'on soit ou non d'accord avec lui, ses questions et ses points de vue sont toujours stimulants.

Comme tout bon missionnaire, il a ses obsessions. Péguy, qui disait "La République une et indivisible, notre royaume de France" ; la civilisation occidentale : "Les amis de l'humanité souffrante ont beau voir dans l'islam la religion des pauvres, les attaques du 11-Septembre ne visaient pas seulement la grande métropole du capitalisme mondial, mais les juifs et les croisés , c'est-à-dire la civilisation occidentale tout entière" ; la démocratie : "Ce qui nous éloigne aussi de l'idée républicaine, c'est que nous vivons à l'ère du social. La société est tout. La société a barre sur tout. Nulle institution n'est censée la transcender. Nul sanctuaire ne doit échapper à son empire. Et toute résistance est dénoncée comme un outrage à la démocratie." L'enseignement, l'éducation, la langue française sont d'autres chevaux de bataille.

Parfois, c'est dans sa nature, le missionnaire se fait imprécateur. Et cela donne (dans Libération) : "La démocratie est sortie de son lit et elle envahit des espaces où elle n'a rien à faire, notamment l'éducation ou la culture." Réac, vigie, pourfendeur du bling-bling en tout genre, on peut tout dire de cet amoureux des mots et des idées à condition toutefois de lui reconnaître un mérite immense : jamais il ne prend ses auditeurs pour des imbéciles.


La source ici
Après avoir lu cet article, on est en droit de se demander si l'hommage rendu à Finkielkraut ("missionnaire", "imprécateur"...) est du lard ou du cochon. M. Nouchi ne voit que l'écume, il cache la pensée.
N'êtes-vous pas un peu sévère, cher JGL ? Comparez le contenu et le ton de cet article à ce que Le Monde écrivait d'Alain Finkielkraut il y a un an ou deux. Certes, Nouchi n'approuve ni n'expose sa pensée mais peut-on demander tout de go à ce journal de redevenir ce qu'il fut jadis ?
Sévère ? Je ne sais pas. J'espère que non. Je pense que réduire la pensée de Finkielkraut à quelques prises de position publiques (ce n'est pas le contenu de ses positions qui importe, selon moi, ni même la forme qu'il leur donne, mais le fait qu'AF s'efforce toujours de revenir au réel, aux faits, aux choses, malgré les discours tout faits), assez rares à dire vrai (après tout, c'est lui qui est invité sur les plateaux de télévision ou dans les studios de radio, il ne sollicite pas d'invitation), ou la réduire à une amplification des thèses d'Arendt, oubliant Péguy, Heidegger, les romanciers de l'Europe centrale et sa propre pensée, c'est le rabaisser. Si ses prises de position étaient allées dans le "bon" sens - celui du Monde -, il aurait été couvert de lauriers; on l'aurait dit vigilant ou "engagé", et non pas qualifié de "missionnaire" ou "d'imprécateur". L'émission qu'il anime le samedi matin est l'une des rares que l'on écoute sans ennui et sans le sentiment de déroger : ce que j'admire le plus chez lui, c'est le soin avec lequel il lit les livres de ses invités - ce que les journalistes ne font pas. Ce dont je suis persuadé (peut-être à tort), ayant longtemps lu Le Monde quotidiennement, c'est qu'il n'y a pas d'article gratuit dans ce journal : tout est pesé ou calculé, rien ne doit être laissé sans but à atteindre. Malgré toutes les campagnes calomnieuses dont il est la cible, AF conserve du crédit, même chez les lecteurs du Monde, à gauche et parmi les "enseignants". Plutôt que de l'attaquer de front, on le rabaisse ou on limite la portée de sa pensée. "Imprécateur", c'est Savonarole ou les gardiens du dogme. "Missionnaire laïque", c'est Combe ou les civilisateurs par la colonisation.
Je pense que Marcel Meyer a raison. Il ne s'agit certes pas d'un "bon" article, comme portrait de Finkielkraut il est une mauvaise plaisanterie, mais sa publication dans Le Monde, ne fût-ce que Le Monde 2 a quelque chose de stupéfiant — car il a beau faire et vouloir, il présente un personnage très attachant et digne d'admiration.
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