Les gesticulations républicaines de l'Appel du 14 février
Par Anne-Marie Le Pourhiet
Mercredi 20 février 2008
Voir cet article sur son site d'origine : [
www.marianne2.fr];
Que Nicolas Sarkozy penche vers le multiculturalisme anglo-saxon, qu'il n'ait jamais compris grand-chose à la République et se soit borné, dans certains de ses discours de campagne, à réciter ce que d'autres lui avaient dicté, nous l'avions aperçu et dénoncé dès avant son élection . Il n'arrive donc aujourd'hui que ce qui était prévisible et l'on peut simplement s'étonner de la tardiveté de la prise de conscience.
Il n'existe cependant pas de pire réaction que celle qui consiste à répondre à la gesticulation par une agitation aussi décousue. L'appel du 14 février « pour une vigilance républicaine », diffusé par Marianne, en témoigne : tant par son casting précipité que par son contenu bricolé, il rate son but et se révèle finalement contre-productif.
Le contenu, tout d'abord, articulé autour de quatre « convictions et valeurs » est pour le moins approximatif :
L'attachement à « un principe républicain » non défini semble, en premier lieu, s'y résumer fâcheusement au refus d'un « pouvoir personnel confinant à la monarchie élective ». Réduire la République à sa forme, c'est-à-dire au contraire de la monarchie, est d'abord singulièrement appauvrissant car la res publica est bien évidemment autre chose que cela. Mais l'argument est surtout mal choisi sous la Vème République que tous les constitutionnalistes, à la suite de Maurice Duverger, se sont accordés à qualifier de « monarchie républicaine ». Gaullistes et mitterrandistes soudains réunis pour dénoncer le pouvoir personnel d'un président de la République… Hypocrisie que cela ! La critique est d'autant plus mal fondée qu'hélas, trois fois hélas, l'exercice du pouvoir par Nicolas Sarkozy n'a rien de monarchique. La monarchie suppose majesté, autorité et respectabilité, qualités dont est totalement dépourvu le président actuel, qui se comporte de façon brouillonne et vulgaire, suscitant l'irrévérence et la désobéissance de ses ministres quand ce ne sont pas les insultes des citoyens. On n'imagine pas la reine d'Angleterre déclarer : « Entre Philippe et moi c'est sérieux ! ». Au lieu d'un monarque absolu, nous sommes en réalité gouvernés par un impuissant bouffon. En tout état de cause, nous n'avons aucune dictature à redouter de la part d'un homme qui vient d'abandonner encore des pans énormes de notre souveraineté à l'Europe et qui s'est précipité à Berlin le soir même de son intronisation. Si nous cherchons une dictature, regardons du côté des eurocrates.
L'attachement aux « fondamentaux d'une laïcité ferme et tolérante » ne veut pas dire grand-chose et l'oxymore utilisé révèle simplement une indétermination que n'aurait pas reniée François Bayrou lorsqu'en 2004, il s'est abstenu de voter la loi prohibant les insignes religieux à l'école. C'est ferme comme de la guimauve. On peut aussi s'interroger sur la seule dénonciation de la menace sur la laïcité, qui n'a jusqu'à présent fait l'objet que de discours présidentiels, sans aucune annonce de réforme, tandis que l'Appel du 14 février reste étonnamment muet sur le projet déclaré de Nicolas Sarkozy de réviser le préambule de la Constitution pour généraliser les quotas ethniques et sexuels. L'égalité devant la loi ne serait-elle pas aussi un principe républicain ?
L'attachement « à l'indépendance de la presse et au pluralisme de l'information » serait tout de même plus crédible si l'on trouvait, parmi les signataires de l'appel, quelque auteur d'un projet ou d'une proposition de loi tendant à abroger l'article 26 de la loi de 1881 sur la presse instaurant le délit d'offense au chef de l'Etat, autrement plus menaçant pour la liberté que le faux et l'usage de faux. Mais il n'en est malheureusement rien et l'on rencontre plutôt dans la liste des parlementaires et anciens ministres qui n'ont pas hésité à voter ou défendre les lois liberticides réprimant les propos dits « sexistes, homophobes et handiphobes », les injures à l'hymne et au drapeau ainsi que la négation du génocide arménien. Quand la « tyrannie des minorités » et le clientélisme communautaire entraient en jeu, certains de nos prétendus grands républicains n'ont pas hésité à écraser notre liberté d'expression et à remplacer le pluralisme par une pensée unique politiquement correcte et juridiquement obligatoire.
L'attachement « aux grandes options qui ont guidé, depuis cinquante ans, au-delà des clivages partisans, une politique étrangère digne, attachée à la défense du droit des peuples, soucieuse de préserver l'indépendance nationale et de construire une Europe propre à relever les défis du XXIème siècle » est un bel exemple de langue de bois parfaitement creuse, mais s'explique sans doute par le caractère fort hétéroclite du casting réuni. On voit mal comment des personnes qui ont préconisé la ratification du Traité constitutionnel et de celui de Lisbonne pourraient prétendre partager la « valeur » d'indépendance nationale avec ceux qui se sont farouchement opposés à ces transferts de souveraineté. L'étude nominative des récents scrutins sur la révision constitutionnelle et la ratification du Traité de Lisbonne montre aussi que les signataires de l'appel du 14 février n'ont pas du tout la même conception de la démocratie et du respect du peuple français ! Quant à construire « une Europe propre à relever les défis du XXIème siècle », cela ne veut rigoureusement rien dire et ne mange donc pas de pain.
Un casting surprenant
On voit mal, dans ces conditions, en quoi peut consister « l'engagement » des signataires de l'appel « à défendre, séparément ou ensemble, des impératifs » si peu consistants et donc si peu engageants. Il est vrai qu'avec une sélection de personnalités aussi hétéroclites, on ne risquait pas de développer un grandiose dénominateur commun.
Le casting de l'appel est, en effet, pour le moins surprenant. La présence de Pierre Lefranc et de Noël Mamère côte-à-côte dans une pétition en a déjà scandalisé plus d'un. Si la conviction et les valeurs républicaines du premier ne font aucun doute, celles du second laissent, en revanche, sceptique. Piétiner les lois de la République et provoquer ses valeurs en célébrant le mariage de deux personnes du même sexe, de surcroît convaincues d'escroquerie, a de quoi faire douter de la morale républicaine de l'intéressé et de son aptitude à porter l'écharpe tricolore. En matière de bouffonnerie, Nicolas Sarkozy peut encore prendre des leçons à Bègles.
Mais au-delà de cette cocasserie, il est tout de même permis de s'interroger sur la crédibilité des leçons de républicanisme administrées tant par Dominique de Villepin que par Ségolène Royal et François Bayrou, dont la réunion ressemble davantage à une solidarité de recalés du suffrage qu'à une démarche positive. Un Premier ministre « dirige l'action du gouvernement » et c'est dans celui de Dominique de Villepin que Nicolas Sarkozy a pu préparer efficacement son élection. Or, on n'a jamais entendu le premier se désolidariser des initiatives anti-républicaines du second. Bien au contraire, c'est en Conseil des ministres que fût désigné le « préfet musulman » souhaité par le ministre de l'Intérieur de l'époque, c'est auprès de Dominique de Villepin que fût déjà nommé un ministre délégué dont l'origine ethnique primait de toute évidence sur la compétence, c'est aussi sous son gouvernement que l'on vit fleurir dans les halls des Facultés de droit des affiches vantant « une police aux couleurs de la République », lesquelles n'étaient plus bleu-blanc-rouge mais black-blanc-beur, en contradiction flagrante avec l'article 1er de la Constitution ! C'est avec le contreseing de Dominique de Villepin qu'ont été promulguées les trois lois constitutionnelles du 23 février 2007 dont l'inspiration républicaine laisse pour le moins à désirer.
François Bayrou est un aussi farouche partisan de la très anti-républicaine Charte sur les langues minoritaires et régionales, parfaitement contraire à notre Constitution, tandis que le site du Perroquet libéré nous renseigne régulièrement sur la « monarchie élective » et le communautarisme qui sévissent à la mairie de Paris. On n'ironisera pas sur l'accusation monarchique de Mme Royal mais on n'a rien vu, lors de sa campagne présidentielle, qui ressemble à du franc républicanisme. La compassion, la charité, la quasi-guérison des handicapés par la madone et le fameux « Aimez vous les uns les autres » ne révélaient pas vraiment une laïcité bien comprise.
Bref, n'en déplaise aux éditorialistes de Marianne, on n'a pas été convaincu par le contenu de l'appel ni par la sincérité d'un certain nombre de ses signataires. Avec la meilleure volonté du monde on ne parvient pas à y voir « la radicale nouveauté d'une position que l'on pourrait presque qualifier de culturelle ». L'alliance du pot de fer et du pot de terre n'est pas une nouveauté, c'est un éternel échec.
par Anne-Marie Le Pourhiet
Professeur de droit public