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Très intéressante nécrologie d'Yves Courrière écrite par l'inévitable Benjamin Stora dans le Monde d'hier. Intéressante par ce qu'elle révèle des contradictions de l'idéologie dominante - dont Stora est une incarnation parfaite - relative à l'oubli dont la société française aurait fait preuve à l'égard de son passé colonial et de la la guerre d'Algérie notamment. De ce prétendu oubli, de cette scotomisation (dirait Lacan), fondés sur le refus d'affronter la pourriture coloniale (Birnbaum), Stora et quelques autres ont fait un élément essentiel de leur "oeuvre" afin, bien sûr, de pouvoir se présenter avantageusement en parangons de la mémoire et de l'histoire outragées. Or que nous dit Stora dans son article ? Eh bien que les quatre volumes sur la guerre d'Algérie, publiés par Courrière à partir de la fin des années soixante (1968 si mes souvenirs de l'article sont bons), ont rencontré un succès éditorial massif à l'époque et que l'enquête du grand reporter, fondée notamment sur des entretiens avec les principaux protagonistes de cette guerre a ouvert la voie aux historiens et qu'en outre en n'occultant rien des turpitudes des uns et des autres, le pauvre Courrière s'était mis à dos à la fois les soldats perdus de l'OAS, dont certains l'avaient menacé de mort, et les nouvelles autorités algériennes, lesquellles lui avaient interdit tout séjour sur leur sol. Six ans seulement après la fin de la guerre commencait donc à paraître une enquête monumentale en quatre volumes, vendues à des dizaines de milliers d'exemplaires, ce qui paraît contradictoire avec cette thèse sans cesse rabachée de l'oubli et de la dénégation. Si je fais appel à mes souvenirs d'enfant, il se trouve que je me rappelle très bien des livres de Courrière - je suppose que certains des titres des volumes m'impressionnaient beaucoup tels Le Temps des léopards ou Les Fils de la Toussaint - parce que mes parents et mes grand-parents paternels (pourtant très "Algérie française") les lisaient. Alors ? Quel oubli, quelle gangrène ? Je me rappelle aussi qu'à la bibliothèque municipale, on pouvait trouver aussi à la même époque les récits de Massu et Bigeard sur la Bataille d'Alger. Je ne l'ai pas oublié non plus parce que, dans ces livres, certaines photographies de massacres et de supplices infligés (égorgements, amputations du nez) aux musulmans par le FLN m'avaient marqué. J'ai donc l'impression que contrairement à ce que disent la quasi-totalité des historiens bien pensants, les années 1970 ne furent pas, en France, des années d'oubli mais bien au contraire au contraire un temps béni où un débat contradictoire sur la guerre était encore possible et que c'est bel et bien notre époque qui, du fait d'une histoire inféodée au politiquement correct, organise systématiquement l'oubli et le déni (des abominations du FLN notamment). Récemment, chez un bouquiniste parisien, j'ai trouvé par hasard le témoignage passionnant du Bacahaga Boualem (céki ce mec ?), ancien vice-président de l'Assemblée nationale, et partisan de l'Algérie française, publié aux éditions France-Empire à la fin des années 60. J'ai commencé à le lire et l'on y trouve une relation honnête des turpitudes coloniales de la France. Mais ce qui est insupportable pour les idéologues de notre temps, et c'est pourquoi ce livre ne sera jamais réédité, c'est que ces mémoires rendent grâce aussi aux aspects positifs de la colonisation et témoignent d'un attachement inféfectible à la France (je crois même qu' un des fils du Bachaga a épousé la fille d'un des chefs de l'OAS). Tout cela aujourd'hui est oublié, tû, par ceux-la même qui ne cessent de gémir sur le prétendu déni français. Eh bien non Messieurs, les années 70 furent un âge d'or en ceci qu'elle permettaient encore une libre expression des différents récits (songeons au débat télévisé incroyable, à l'aune de l'hystérie post-coloniale qui règne aujourd'hui, entre le colonel Trinquier et Saadi à une heure de grande écoute). Rendez-nous France Empire !
Cher Petit Détour , je suis entièrement d'accord avec vous. Il y a d'ailleurs eu à l'époque bien d'autres livre parlant objectivement de la colonisation et de la guerre d'Algérie. Jamais il n'y a eu d'oubli orchestré comme veulent nous le faire croire ceux qui organisent aujourd'hui l'oubli orchestré des aspects positifs de cette colonisation et le silence sur les aspects négatifs de l'actuelle contre-colonisation, cela afin de justifier celle-ci. Au reste, je me souviens d'une interview de B.S, il y a quelques années, évoquant l'abondance des livres sur le sujet mais, mais qui, se désolait l'historien, ne trouvaient aucun écho dans l'opinion. Et pour cause ! leur objectivité les rendaient insupportables au politiquement correct qui se mettait en place.
Toutefois c'est surtout le cinéma qui est mis en accusation. Et l'on compare souvent avec le cinéma américain et les nombreux films sur la guerre du Vietnam. Ce que l'on omet de dire, c'est que le cinéma américain, contrairement au nôtre, a laissé s'exprimer tous les points de vue sur cette guerre , depuis le plus favorable avec les " Bérets Verts " réalisé et joué par J. Wayne, jusqu'au plus défavorable, en passant par ceux à l'esprit quasiment revanchard de la série des " Rambos" ou par " Le voyage au bout de l'enfer" dans lequel les Vietnamiens ne sont guère présentés comme des gens particulièrement "sympas", c'est le moins que l'on puisse dire !
De plus on omet également de souligner que les Américains ont une industrie cinématographique sans commune mesure avec la nôtre et qu'ils sont depuis toujours des spécialistes, ce que nous ne sommes pas.
J'ai bien connu Yves Courrière en Algérie. C'était un homme infiniment charmant.
Chère Cassandre, s'agissant du cinéma, je note tout de même que le film Avoir vingt ans dans les Aurès est sorti en 1972, que le film Elise ou la vraie vie est sorti en 1970 et que le débat entre Trinquier et Saadi, suite à l'interdiction du film de Pontecorvo, a eu lieu à la télévision en 1970. Cela relativise largement la thèse de l'oubli cinématographique et télévisuel.
Utilisateur anonyme
16 mai 2012, 11:22   Re : Stora sur Yves Courrière
"Chère Cassandre, s'agissant du cinéma, je note tout de même que le film Avoir vingt ans dans les Aurès est sorti en 1972, que le film Elise ou la vraie vie est sorti en 1970 et que le débat entre Trinquier et Saadi, suite à l'interdiction du film de Pontecorvo, a eu lieu à la télévision en 1970. Cela relativise largement la thèse de l'oubli cinématographique et télévisuel. " Cela allait sans dire, cher Petit Détour, mais cela va mieux en le disant et même en le répétant. Faut-il aussi parler de la pièce de Guyotat qui connut un grand succès auprès de l'intelligentsia germanopratine où l'on voit je ne sais plus qui (des fellaghas ?) péter en rigolant au visage d'un officier français agonisant ?
Chère Cassandre, un lien intéressant sur la "Guerre d'Algérie à l'écran", qui fait une recension systématique de tous les films et documentaires qui ont paru, avant, pendant et après, sur la question. L'oubli était effarant : [www.fabriquedesens.fr]
Quant à Courrière, ses quatre volumes publiés entre 1968 et 1972 se sont vendus à un million d'exemplaires.
Quelle amnésie !
Cher Petit-Détour, merci de nous éclairer sur cette période sur laquelle un grand nombre de personnes de ma propre génération — le désastre ayant précédé notre entrée au collège et au lycée — n'ont presque rien appris qui ne fût toujours à la décharge des pays colonisateurs, au sein d'une histoire perpétuellement mâtinée de bien-pensance ; cette histoire complexe, où cohabitent les points de vue, semble ne pouvoir être aujourd'hui que l'objet d'une nostalgie. C'est un grand plaisir de vous lire, plaisir dont vous nous avez un peu sevrés ces temps-ci.
Et avant ces films il y avait eu Le Petit soldat de Godard, dès 1960, et l'Insoumis d'Alain Cavalier avec Delon en 1964 (film en noir et blanc aux images et à l'atmosphère très émouvantes), sans parler des "Centurions", toujours avec Delon, et Antony Quinn en 1964.

La somme de Courrière sur la Guerre d'Algérie passait entre toutes les mains; j'avais une amie gauchiste en 1975 qui en avait fait ses livres de chevet. Courrière, Soljenitsine et le film "Le Chagrin et la Pitié" qui je crois sortit à la même époque (à vérifier) marquèrent le tournant d'une ère historique au milieu de la deuxième moitié du siècle: l'histoire tournait la page. Jamais personne ne se doutait à cette époque que ces sujets pourraient quarante ans plus tard redevenir tabou, sacrés, inénarrables, controversés, "sensibles" et que sais-je. La pensée n'était pas encore gangrenée par la peur de la pensée; l'histoire allait son train; ses pages se tournaient naturellement et sans à-coup.

images de l'Insoumis
Utilisateur anonyme
17 mai 2012, 09:26   Re : Stora sur Yves Courrière
N'oublions pas non plus le beau Muriel, d'Alain Resnais, sorti en 1963.
Parcourir des yeux la liste interminable établie dans "la fabrique du sens", tout en sachant que cette liste n'est sans doute pas complète, fait prendre conscience d'un fait massif relatif à l'idéologie dominante qui produit ces discours "de pouvoir". Plus ces discours sont répétitifs (c'est le cas des discours sur les prétendus silence, tabou, omerta, etc. à propos de l'Algérie - événements et guerre -, alors que, dans la réalité des choses, nous avons été submergés d'images, de films, de livres, etc. les relatant et les interprétant et cela, dès 1954 - mais très peu d'images ou de livres sur l'Algérie réelle, celle de la tyrannie FLN depuis 1962), plus ils sont mensongers ; ou ils ne sont rabâchés que faire accéder les discoureurs au trône de la Vertu historique et au rang prestigieux de sermonneurs de la vergogne du peuple.

Le film de Chahine (ca. 1958) sur Djamila Bouhired est le film le plus ridicule (par son manichéisme étroit) et le plus sinistre (par la Bêtise qui s'en dégage) que j'aie jamais vu. Le film est en noir et blanc, c'est tout dire : tout blanc pour ce qui est de l'ALN, du FLN, des poseurs de bombe et de leurs complices français, tout noir pour le reste. Si ce film avait défendu le point de vue inverse, il aurait été étiqueté "raciste". Parvenus au pouvoir en 1981, les socialistes ont fait de Chahine le messie d'un ordre tiers mondisé nouveau. Ou bien ils n'ont pas vu ses films, ou bien ils partagent la haine viscérale que Chahine a longtemps vouée à la France, à l'Europe, à "l'Occident", avant de faire (très légère) amende honorable pour arracher crédits, subventions, capitaux...
Un chercheur a montré (je crois qu'il s'agit d'un chercheur américain, hélas je n'ai pas noté la référence) qu'il était paru en français un plus grand nombre d'ouvrages traitant de la guerre d'Algérie et de la période historique qui l'a encadrée, que de livres sur la deuxième Guerre mondiale ! Les ouvrages (du roman biographique à l'étude historiographique en passant par le "témoignage") parus en France sur la guerre d'Algérie se comptent par milliers !

Autre film qui fit un certain bruit à l'époque de la sortie des ouvrages de Courrière : La Question.
J'ai fait sauter sans m'en rendre compte, la fin d'une phrase d'un de mes messages précédents qui du coup n'avait plus grand sens. Il fallait donc lire : "les Américains sont depuis toujours des spécialistes des films de guerre, ce que nous ne sommes pas."
Merci cher Bily.
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