Le site du parti de l'In-nocence

Une accablante faillite intellectuelle

Envoyé par Gérard Rogemi 
Trouvé sur le site Desouche un article trés intéressant de Paul Fabra. A lire.
[www.lesechos.fr]

PAUL FABRA
Une accablante faillite intellectuelle
[ 14/03/08 ]

Une année ou presque s'est écoulée depuis l'apparition des signes avant-coureurs de l'abcès des crédits « subprime ». De proche en proche, les marchés financiers, par nature inséparables du capitalisme réel (l'économie tout entière est un vaste réseau d'échanges), sont frappés de paralysie. Un nombre croissant de reconnaissances de dettes sous toutes leurs formes (et elles sont innombrables) ont cessé d'avoir un prix. Elles sont invendables. On ne peut imaginer déni plus radical de l'économie de marché. D'où la menace d'effondrement qui a fait perdre à la Fed son sang-froid. On vient derechef de le constater.

Mais des idées fausses sur la gestion des entreprises en général et des établissements financiers en particulier continuent à être « pensées » comme intangibles et « créatrices de richesses ». Aussi longtemps qu'il en sera ainsi, la crise développera inexorablement ses effets.

On nous avait décrit un monde promis à la prédominance absolue et bienvenue de l'économie privée soumise à la seule discipline de la concurrence « mondiale ». Sur la pointe des pieds et sans perdre pour autant (jusqu'à ce jour) ses illusions, le monde réel est en train d'emprunter un autre chemin. Sa destination est encore indécise, mais une chose est sûre. Il ressemblera de moins en moins aux rêves inspirés par la tour de Babel, celle où l'on parlait tous la même langue et où on travaillait tous pour un marché supposé globalisé. Les banques les plus profondément immergées dans ce culte de la globalisation et du profit maximal seront les premières à être forcées de s'en dégager. Elles sont en train de franchir le premier pas sous l'empire d'une nécessité imprévue par nos augures. Elles doivent impérativement se recapitaliser alors qu'elles avaient organisé systématiquement, avec l'encouragement des autorités, leur « décapitalisation ».

On aurait tort de voir dans la nationalisation de la banque britannique Northern Rock un cas isolé. D'abord, le motif qui a poussé Gordon Brown à faire ce qu'il aurait abominé de faire quelques semaines auparavant n'a rien d'exceptionnel. Vu l'absence d'empressement des autres établissements pour reprendre leur confrère en faillite, le choix était entre la disparition de la cinquième banque du Royaume-Uni impliquant le non-remboursement des gros et moyens déposants ou bien la reprise par l'Etat. Inutile de se demander de quel côté a penché la préférence des gros clients, ceux-là mêmes qui ne juraient hier que par le capitalisme privé pur, animé par l'efficace axiome schumpetérien de la « destruction créatrice ».

Ensuite la solution elle-même. On en a déjà sous les yeux toute une palette de variantes (1). En vertu de l'accord dit de « Bâle 2 », les grandes banques ne se voient plus imposer de normes prudentielles pour faire face à leurs risques. D'un régime il est vrai passablement absurde, on est passé depuis l'année dernière à un autre franchement scandaleux et qui dénote la soumission au lobby bancaire des autorités monétaires. Depuis l'année dernière, les banques centrales et les Trésors publics réunis au sein des comités organisés par la Banque des règlements internationaux de Bâle ont délégué... aux banques elles-mêmes le soin de déterminer l'ampleur des risques auxquels elles s'exposent (au vu de leurs « modèles », rendus depuis lors célèbres par... la Société Générale !) et l'importance de la couverture en capital exigée par ces risques.

Conséquence : au moment où allait éclater le fiasco du « subprime », les Citibank et autres banques « dynamiques », américaines et européennes, étaient en train de réduire la part des fonds propres (déjà ramenée à la portion congrue) dans le financement de leurs opérations les plus risquées. L'ironie de l'histoire veut que, pour certaines banques américaines (en attendant le tour des européennes), la planche de salut soit tendue par des fonds souverains. En forçant un peu le trait (cette hardiesse apparaîtra demain bien timide !), on serait tenté d'écrire que les Etats occidentaux n'auront pas besoin de nationaliser leurs banques : les Etats arabes et la République populaire de Chine se chargeront de le faire à leur place, et plus discrètement s'il vous plaît.

Mais, contrairement à ce qui vient d'être dit ici, le remède au capitalisme financier à effet de levier (lourdement endetté) ne se trouve-il donc pas précisément dans ces nouveaux acteurs de la mondialisation que sont les fonds souverains ? La vraie question n'est pas là. Il est difficile d'imaginer que les Etats se feront la même idée de leurs placements que s'en font les « investment banks ». Ils n'ont pas mandat de jouer au casino. Le fonds chinois a pris soin de se constituer en commençant par une émission d'obligations offerte aux épargnants du pays (le produit en a été ensuite converti en devises détenues par la Banque Populaire de Chine). A terme, c'est l'idée même que le gain attendu est proportionnel au risque - un principe de base de la finance « moderne » - qui sera remise en question. D'un point de vue strictement économique, ce principe procède d'une confusion entre innovation et hardiesse d'une part, et risque d'autre part. En réalité, le meilleur projet d'investissement est celui qui, en dépit des préjugés ambiants, a le plus de chances de réussir.

Une faillite intellectuelle majeure est en train d'éclater au grand jour. Elle a malheureusement pour origine une initiative la Commission européenne. Celle-ci a fait des économies européennes les cobayes d'une réforme comptable radicale. Cette réforme ultrasophistiquée a pour fondement deux idées coupées de la réalité économique. La première est qu'à la faveur de la mondialisation il existe potentiellement un marché pour toutes créances (désignées à l'envers par les anglophones qui préfèrent parler de marché de la « debt »), illusion qui est à la base de la notion de « fair value ». On a oublié la discipline du cash (pas de profit ou de perte enregistrée en dehors d'une transaction effective). Elle revient au galop. La deuxième idée est rarement mentionnée. Elle pourrait bien dans un avenir proche engendrer une crise de confiance au regard de laquelle celle qui a été déclenchée par les crédits « subprime », déjà vitriolée, apparaîtra presque bénigne. Les nouvelles normes comptables entérinent, systématisent, instituent la confusion la plus néfaste introduite par la prétendue science financière. Ces normes contribuent à faire passer pour fonds propres des ressources en réalité empruntées.
Les Echos 2008
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter