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La mort apprivoisée

Envoyé par Quentin Dolet 
25 mars 2008, 21:34   La mort apprivoisée
J'ignorais totalement le nom de cet écrivain belge jusqu'à hier, où j'ai entendu sa voix humble et profonde dans une émission de France Culture. Les thèmes qu'il aborde ne sont pas à proprement parler politiques, mais j'espère le faire découvrir à ceux qui comme moi ignoraient son oeuvre, et pourraient la juger digne d'intérêt.

En outre, c'est un Belge!

La mort apprivoisée
INTERVIEW DE HENRY BAUCHAU


L’auteur de ‘La Déchirure’ ou d’‘Antigone’ crée l’événement de cette rentrée 2008. A quatre-vingt-quinze ans, Henry Bauchau signe Le Boulevard périphérique, une réflexion sur la mort et l’espoir qui le propulse sur le devant de la scène littéraire. Un honneur tardif mais sans complaisance, amplement mérité, à la force du talent.

Il y a ceux dont le nom fait la fortune, jusqu’à reléguer dans l’ombre les secrets de leur plume. Henry Bauchau n’est pas exactement de ces astres cathodiques, mais pour les courageux, les amoureux, la lumière de son talent ne tarde jamais à percer. L’écrivain belge est prodigue, son oeuvre abondante. Bauchau, dramaturge, poète, romancier, semble investi de mots. Psychanalyste, il se nourrit des maux de ses semblables. Les stigmates de l’invasion allemande du plat pays ont forcé son trait, son goût de la tragédie grecque habite ses textes, du sujet à l’anecdote, sa sensibilité habille les hommes et les femmes qu’il raconte de chair et d’os.
Humaniste, Bauchau ? Au regard de l’oeuvre, le titre ne semble pas usurpé. Après cinquante ans passés au service des belles lettres et plus de trente livres à son actif, on aurait pu attendre de l’auteur quelques mémoires ou autres évocations de près d’un siècle de contemplation du genre humain. Pied de nez à la vieillesse - ce naufrage -, Bauchau signe un roman d’une extraordinaire modernité, où la mort, ombre portée, tragédie errante, ne vient pas écraser la vie d’un poids assassin, mais éveille les consciences.

A quatre-vingt-quinze ans, l’écriture est toujours un divertissement, un acte de vie. ”L'art est une voie rude et risquée mais on y vit de façon ardente et dans une jeunesse de perceptions et sentiments que je n'ai plus, quant à moi, dans la vie courante” écrivait-il dans ‘Le Présent d’incertitude’. ‘Le Boulevard périphérique’ est le passage pénible de son humble demeure à l’activité frénétique de Paris, la route vers la mort en suspens de sa belle-fille et le chemin d’où surgissent les souvenirs sporadiques du passé. Un texte chorale, généreux et poignant, qu’il faudra classer au rayon des humanités et de la grande littérature. Une belle occasion de saisir par le bout le fil continu d’un carnet dont chaque publication est une note, un addenda. Henry Bauchau feuillette avec nous ce nouveau chapitre. Un point d’orgue, mais sûrement pas un point final.



Paule, la belle-fille qui se meurt d’un cancer, Stéphane, l’alpiniste-résistant, mais aussi Shadow, le nazi dont les confessions glacent le sang... Convoquez-vous des personnes qui ont marqué votre vie ?

Oui, à part Shadow, un personnage fictif, je convoque des personnes qui ont marqué le cours ma vie, mais je garde vis-à-vis d'eux la liberté du romancier. Je veux dire que je ne me limite pas à ce que j'ai vécu, j'y ajoute aussi une part d'imaginaire devenue en moi aussi vivante que le vécu.

La relation du narrateur à la mort tient lieu de fil conducteur au roman. Selon vous, peut-on jamais accepter l’idée de la mort que l’on porte en soi ?

Il n'y a pas seulement une relation du narrateur à la mort, mais aussi une relation à l'espérance et à la liberté. Capturé par Shadow, Stéphane lui échappe en plongeant dans sa propre faiblesse, dans l'étang, alors qu'il ne sait pas nager. Pendant la plus grande partie de la vie, si on se sait mortel, on vit comme si on était immortel. Le grand âge, la maladie, le danger nous font éprouver notre condition mortelle.

Vous abordez dans le roman le passage de la vérité de l’Histoire au mythe...

L'Histoire ce sont des faits racontés en général après coup à l'aide de témoignages ou de documents. Le mythe sur les traces à demi effacées de l'Histoire les mêle à l'imagination et cherche à leur donner un sens plus profond.

Dans quelle mesure l’histoire personnelle de Shadow, le SS, justifie-t-elle le comportement de ce personnage presque mythologique ?

L'histoire personnelle de Shadow, alors qu’il est encore un enfant puis un jeune homme, ne justifie pas son comportement d’adulte. Cependant, elle aide à comprendre son évolution, particulièrement dans sa lutte avec son père. Lorsque cette image paternelle disparaît, alors il ne reste plus de loi. Il est vrai que Shadow est un monstre presque mythologique, mais la haine n'est pas sa seule caractéristique. Selon son bon plaisir, il fait le mal et parfois le bien. Il ne respecte que ceux qui font partie de ce qu'il appelle une “fraternité inconnue”, sans doute celle du courage. Il tue Stéphane mais, peu à peu, il l'aime et reconnaît qu'il a atteint une liberté supérieure à la sienne.

Un bref instant, “son Antigone” prend le narrateur par la main. Quelle est la fonction de cette figure théâtrale centrale de votre oeuvre dans ce roman ?

“Mon Antigone intérieure me prend par la main”… C'est une réaction du narrateur ou, si vous voulez, de l'auteur à un personnage de son oeuvre avec lequel il a vécu de nombreuses années. L'image d'Antigone correspond au courage, plus au courage quotidien qu'à ce qu'on appelle l'héroïsme. Pour moi, le théâtre est une manière de voir la tragédie en face plutôt que la mort…

Vous avez repris la maxime du Général de Gaulle : “La vieillesse est un naufrage”. L’écriture est-elle votre radeau ?

Cela n'est vrai qu'en partie. Nous vivons dans le grand âge avec la diminution de nos forces et de notre indépendance. Mais si on continue à se livrer à une activité qui nous importe, elle devient, comme vous le dites, “un radeau” qui nous permet de continuer à vivre dans l'essentiel.
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