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Y a-t-il encore une discipline sérieuse nommée "histoire" ?

Envoyé par Marcel Meyer 
Peut-être serait-il temps de paraphraser le titre de l'excellent essai de Raymond Boudon (Y a-t-il encore une sociologie) à propos de ce qui apparaît de plus en plus nettement comme une dérive historiographique.

Dans un bon numéro du Figaro Littéraire, on peut lire quelques critiques édifiantes d'ouvrages historiques récents.

Il y a tout d'abord le compte-rendu du dernier livre écrit par Jean-Clément Martin, titulaire actuel de la chaire d'histoire de la Révolution française à la Sorbonne et dont il fut question ici il y a quelque jours à propos de sa réaction à la publication du Livre noir de la Révolution française : La révolte brisée. Femmes dans la Révolution et l'Empire. Ce désopilant travail est une relecture de la Révolution à la lumière de la gender history importée des universités américaines dans lesquelles les femmes - et par ailleurs les noirs - font régner l'ordre bien-pensant.

Puis on trouve un article sur un ouvrage de Sophie Wahnich (agrégée en histoire, après avoir enseigné à l’université d’Aix-en-Provence puis de Dijon et soutenu une thèse portant sur la notion d’étranger dans le discours de la Révolution française, est entrée au CNRS en 1995 dans la section science politique) : La Longue Patience du peuple. 1792. Naissance de la République. Ce livre ambitionne de marquer une "coupure salutaire avec l'histoire refroidie prônée par François Furet et ses partisans", de déconstruire en somme la déconstruction radicale et définitive de l'historiographie marxiste de la Révolution à laquelle Furet s'est livré. Florilège : « Ce peuple de la vox populi (…) a été acculé au renouvellement de gestes cruels, quand toutes ses demandes de droit étaient tendues vers une nouvelle révolution de velours. » et « J'ai voulu décrire un peuple “machine désirante” de droit ou encore un peuple “désir machinant le droit”. »

Tout cela serait simplement grotesque si, en même temps, n'apparaissait l'entreprise de réhabilitation de la Terreur par Badiou et Zizek dénoncée ici par Zarka. Il y a donc une cohérence globale dans cette dérive.

Pendant ce temps, la revue L'Histoire, qui fut excellente, devient une feuille de chou bien-pensante. Très influencée par Pierre Assouline, la rédaction fait l'apologie du relativisme historique, du grand apport civilisationnel des barbares de l'époque des grandes invsions ou raille bien sûr l'identité gauloise de la France (même si on apprend au détout d'une phrase qu'au début du XIXe siècle, quelque chose comme 80% de la population française descend en droite ligne des Gaulois !). Exemple : dans un article-charge contre Wikipédia, on lit une attaque en règle contre le principe de neutralité revendiqué par l'encyclopédie en ligne, au motif que l’histoire se devrait d’être une "construction idéologique" ! Cela nous amène des perles comme celle-ci : présenter toutes les thèses sur un thème donné sans en privilégier aucune serait "un principe valable pour les sciences dites « exactes », mais qui n’a aucune validité en histoire, discipline où tous les points de vue ne se valent pas." On a beau retourner cette phrase dans tous les sens, elle n’en devient pas moins absurde : en physique nucléaire, tous les points de vue se valent ? En réalité, ce qu’Assouline, Jeanneney et autres ne pardonnent pas à Wikipédia, c’est qu’elle est ce qu’ils ne sont plus et que beaucoup de gens qui refusent l'endoctinement bien-pensant recherchent : la mise à disposition de faits, y compris ceux qu’ils jugent sans importance, anecdotiques et non hiérarchisés, plutôt que des discours idéologiques ; autrement dit, de quoi se forger éventuellement une opinion et non la description de ce qu’il convient de penser.
Utilisateur anonyme
27 mars 2008, 20:41   Re : Y a-t-il encore une discipline sérieuse nommée "histoire" ?
"machine désirante” de droit ou encore un peuple “désir machinant le droit”."

Pour se consoler on peut se dire qu'au moins, elle a lu Deleuze...
Monsieur Meyer, nier l'importance des noirs dans la Révolution française, c'est être raciste, j'vois pas d'aut'chose.

Quant à L'Histoire, après 25 ans de lecture ininterrompue, je m'en suis désabonné le jour (le mois plus exactement) où ces jeunes femmes (car, parcourez l'ours : il n'y a plus que des femmes, dans cette rédaction. Ce dont je ne tire d'ailleurs aucun enseignement particulier, je m'empresse de le préciser avec qu'on se mêle de me sectionner les joyeuses) ont produit un numéro "Spécial" intitulé Ces femmes qui ont pris le pouvoir, et sur la couverture duquel, auprès d'Élizabeth 1ère d'Angleterre, Margaret Thatcher, Golda Meir et une ou deux autres figurait... Ségolène Royal, alors que la campagne présidentielle n'était même pas encore officiellement ouverte.
Utilisateur anonyme
27 mars 2008, 22:04   Re : Y a-t-il encore une discipline sérieuse nommée "histoire" ?
Je viens à l'instant d'apprendre que, dans un cours optionnel, à l'Université, intitulé "Histoire du racisme", Vitruve était qualifié de "proto-raciste" à cause de ce qu'il a écrit sur le climat et César accusé d'avoir commis un "génocide"... La haine pour l'Antiquité gréco-romaine ne connait plus de limites. C'est une des tendances les plus marquées du moment.
27 mars 2008, 22:46   Vitruve
Bien cher Orimont,


Je ne sais si on peut qualifier Vitruve de proto-raciste, mais il est bien connu que ses développements sur le climat et l'influence qu'il a sur les personnes souffrent de certaines faiblesses. Pour parler plus clairement, Vitruve aurait sans doute mieux fait de ne s'intéresser qu'à l'architecture.

Parodiant le "De Signis", je vous dirai : ego quo nomine appellem nescio ; rem vobis proponam, vos eam suo non nominis pondere penditote.


Voici un extrait de Vitruve sur le thème, et sa traduction :

Non minus sonus vocis (07) in generibus gentium dispares et varias habet qualitates; ideo quod terminatio orientis et occidentis circa terrae librationem, qua dividitur pars superior et inferior mundi, habere videtur libratam naturali modo circumitionem, quam etiam mathematici horizonta dicunt. Igitur quoniam id habemus certum animo sustinentes, a labro, quod est in regione septentrionali, linea traiecta ad id quod est super meridianum axem, ab eoque altera obliqua in altitudinem ad summum cardinem, qui est post stellas septentrionum, sine dubitatione animadvertemus ex eo, esse schema trigoni mundo, uti organi, quam σαμβύκην Graeci dicunt (08).

Itaque quod est spatium proximum imo cardini ab axis linea in meridianis finibus, sub eo loco quae sunt nationes, propter brevitatem altitudinis ad mundum, sonitum vocis faciunt tenuem et acutissimum, uti in organo chorda qui est proxima angulo : secundum eam autem reliquae ad mediam Graeciam remissiores efficiunt in nationibus sonorum scansiones, item a medio in ordinem crescendo ad extremos septentriones, sub altitudines caeli, nationum spiritus sonitibus gravioribus a natura rerum exprimuntur. Ita videtur mundi conceptio tota propter inclinationem consonantissime per solis temperaturam ad harmoniam esse composita.

Igitur quae nationes sunt inter axis meridiani cardinem ac septentrionalis medio positae, uti in diagrammate musico,mediae vocis habet sonitum in sermone : quaeque progredientibus ad septentrionem sunt nationes, quod altiores habent distantias ad mundum, spiritus vocis habentes humore repulsos ad hypatas et proslambanomenon, a natura rerum sonitu graviore coguntur uti : eadem ratione e medio progredientibus ad meridiem gentes paranetarum netarumque acutissimam sonitus vocis perficiunt tenuitatem.

5. Il n'y a pas moins de différence, de diversité dans le son de la voix des différents peuples de la terre, selon l'inclinaison de la ligne qui, bornant à l'orient et à l'occident la vue tout autour du globe, qu'elle divise en deux hémisphères, l'un supérieur, l'autre inférieur, semble former un cercle naturel que les mathématiciens appellent horizon. Une fois cette vérité reconnue, supposons que du bord de l'horizon, qui est vers le septentrion, on tire une ligne jusqu'au centre de l'axe du méridien, et que de ce point on trace obliquement une autre ligne qui s'élève jusqu'au pôle qui est derrière la constellation de l'Ourse, nul doute que ces lignes ne forment sur le globe une figure triangulaire semblable à l'instrument appelé par les Grecs sambyce.

6. Il suit de là que les peuples qui habitent l'espace le plus rapproché de la partie inférieure du triangle, c'est-à-dire sous l'équateur, ont, à cause du peu d'élévation du pôle, un son de voix plus grêle, plus aigu, comme les cordes qui, dans l'instrument, sont les plus voisines de l'angle. En suivant la progression, les peuples qui habitent le milieu de la Grèce, ont dans le son de la voix moins d'élévation; et si, partant de ce point, nous nous étendons, en parcourant la ligne, jusqu'aux extrémités septentrionales, à la partie la plus élevée du pôle, nous trouverons les nations faisant entendre naturellement des sons de voix plus graves. Il semble que le monde ait été, suivant son inclinaison, formé dans une proportion harmonique parfaitement en rapport avec la température que donne le soleil.

Les nations qui habitent le milieu entre l'équateur et le pôle ont, en parlant, un son de voix semblable aux tons qui occupent le milieu dans le diagramme. Celles qui avancent vers le septentrion, parce que le pôle est plus élevé pour elles, et que l'humidité remplit les conduits de la voix, font entendre naturellement et nécessairement des sons plus graves, comme l'hypate et la proslambanomenos. Voilà pourquoi aussi les peuples qui s'étendent de la région moyenne vers le midi ont, dans la voix, le timbre grêle et aigu des paranetes et des netes.
27 mars 2008, 23:03   Gaius Tullius
Je présume, parlant de César, que l'ouvrage se réfère au livre 6:34 des "Commentarii de bello Gallico".


Le passage :

Dimittit ad finitimas civitates nuntios Caesar : omnes ad se vocat spe praedae ad diripiendos Eburones, ut potius in silvis Gallorum vita quam legionarius miles periclitetur, simul ut magna multitudine circumfusa pro tali facinore stirps ac nomen civitatis tollatur


Correspond en effet à la définition moderne du génocide :

César envoie des messagers aux peuples proches créant chez eux l’espoir du butin et les appelle tous à piller les Eburons. Il préférait exposer aux dangers de cette guerre de forêts la vie des Gaulois plutôt que celle des légionnaires, et il voulait aussi qu’en punition d’un si grand forfait cette multitude anéantisse la race des Eburons et leur nom.
Utilisateur anonyme
27 mars 2008, 23:20   Re : Vitruve
Cher jmarc,

Vous avez magistralement déniché les passages litigieux mis en avant dans ce cours, cette "histoire du racisme." Il me semble toutefois qu'aller déterrer chez Vitruve ou César les passages que vous signalez pour les livrer en pâture à des étudiants que n'encombrent guère les bagages de connaissances sur l'Antiquité est une entreprise mal intentionnée qui participe à cette insupportable et monomaniaque repentance dont la prochaine cible, si ce n'est déjà le cas, sera l'invention de l'écriture, ou plutôt l'alphabet occidental.
28 mars 2008, 08:32   Vitruve et César
En fait, pour Vitruve, c'est facile, la partie de son oeuvre relative au climat étant justement célèbre pour ses approximations (contrairement à la partie architecturale).

Pour César, le passage sur la guerre contre les Eburons est aussi assez célèbre, César s'étendant sur ses démélés avec Ambiorix (pour les Eburons et autres Nerviens, voir Aline).

En fait, le vrai problème est qu'on applique à des faits et mentalités d'il y a deux mille ans les raisonnements de maintenant. Les génocides "à la César", il y en eut des milliers, et dans toutes les civilisations. Je citerai simplement le génocide perpétré par Shaka Zulu en Afrique australe au XIXème siècle (on l'appelait, avec une assez juste raison, le "Naopléon Zoulou").
» pour les Eburons et autres Nerviens, voir Aline.

Mince, je n'aurais pas cru cela d'elle...
Utilisateur anonyme
28 mars 2008, 15:00   Re : Y a-t-il encore une discipline sérieuse nommée "histoire" ?
"En fait, le vrai problème est qu'on applique à des faits et mentalités d'il y a deux mille ans les raisonnements de maintenant." C'est un peu ce qu'on a toujours fait avec l'histoire. Quant aux "raisonnements de maintenant", ils ne se donnent, pour certains professeurs d'histoire, qu'une seule et unique ambition : montrer, démontrer, prouver par a+b que tout le mal fait sur terre, non seulement est imputable à la civilisation occidentale mais qu'il est inscrit potentiellement, dès les premiers balbutiements de celle-ci.



"Je citerai simplement le génocide perpétré par Shaka Zulu en Afrique australe au XIXème siècle (on l'appelait, avec une assez juste raison, le "Naopléon Zoulou")."

Vous citerez, vous, jmarc, cet épisode, mais quelque chose me dit qu'il aura peu de chance d'être jamais présenté dans ce cours d'"histoire du racisme" ou bien, viendrait-il tout de même à être porté à la connaissance des étudiants, on n'épiloguerait pas longtemps dessus, préférant vite rappeler les connotations péjoratives que le mot "zoulou" a pris dans la langue française : ce serait ça le vrai crime.
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