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Le Texte est-il déterminant ?

Envoyé par Rémi Pellet 
26 octobre 2012, 10:24   Le Texte est-il déterminant ?
En 2006 est paru l'ouvrage d'Elie Barnavi et Anthony Rowley, Tuez-les tous ! La guerre de religion à travers l'histoire, VIIè-XXIè siècle, Perrin

Cet ouvrage a fait l'objet d'analyses contradictoires de MM. Brague, Gauchet et Sfeir, dans la revue Le Débat, numéro 150, mai-août 2008, pp. 30-72

Dans la revue, un des contributeurs, l'excellent et érudit Rémi Brague, souligne, comme il l'a fait dans plusieurs de ses propres ouvrages, que le Coran ne peut être comparé à la Bible parce que la violence ne se retrouve pas "à part égale dans tous les Livres sacrés. On cherchera en vain dans le Nouveau Testament des équivalents des formules du Coran" que Brague rappelle dans son article et dont il conclut que "les récits sur le Prophète contiennent tout ce qu'il faut pour légitimer la violence".

Pour Brague, le Coran "présente deux particularités :

a) il contient des ordres de combattre qui restent "ouverts". Peut-être initialement donnés dans des circonstances singulières, ils sont formulés d'une manière suffisamment vague pour que l'on puisse les faire porter sur des ennemis toujours à redéfinir. Ainsi, "ceux qui répandent le trouble (fasâd) sur la terre" (V, 35/32)
b) pour les musulmans croyants, le Coran n'a pas été inspiré, mais dicté par Dieu même à son Envoyé, qui l'a transmis tel quel. L'interprétation ne peut donc qu'éclairer le sens des mots, et non remonter de la lettre à l'intention de l'auteur"

Par ailleurs, la Bible contient le principe de la séparation entre Dieu et César de sorte que la laïcité est justifiée, d'une certaine façon, par le christianisme, tandis que l'Islam n'accepte pas la distinction entre le spirituel et le temporel parce qu'elle est niée dans le Coran.

Le point de vue de Brague est en quelque sorte le vade-mecum de bon nombre de ceux qui refusent le processus d'islamisation des sociétés européennes et le multiculturalisme qui consiste en fait à mettre sur le même plan l'héritage judéo-chrétien et les règles de vie musulmanes.

À l'objection selon laquelle l'Ancien Testament comprend de nombreux appels au meurtre, le même vade-mecum répond habituellement par plusieurs arguments simples :
- l'Ancien Testament n'est qu'un récit à interpréter ce qui le distingue du Coran (cf. supra) ;
- pour les chrétiens, le Nouveau Testament a, d'une certaine façon, "abrogé" la violence de l'Ancien Testament ;
- concernant les juifs, leur prétention ne porte que sur leur terre d'origine, de sorte que leur "Texte" ne leur a jamais servi à justifier la conquête d'autres territoires, contrairement au Coran qui justifie le djihad. Bernard Lewis a développé cet argument mais je n'arrive pas à le retrouver dans ses ouvrages.

Dans son article en réponse à celui de Brague, Elie Barnavi (ancien ambassadeur d'Israel en France et historien de métier, spécialiste du XVIè siècle européen, sa thèse ayant porté sur Le parti de Dieu : étude sociale et politique des chefs de la ligue parisienne 1585-1594. Publications de la Sorbonne, 1980) fait valoir les arguments suivants :

1° "la laïcité ne provient pas d'une "séparation chrétienne entre Dieu et César", mais d'une séparation entre Dieu et César imposée aux chrétiens par les circonstances de leur venue au monde"
2° "L'irénisme de principe du Nouveau Testament n'a pas empêché les chrétiens d'y trouver des justifications aux pires exactions, pas plus que l'extrême violence de la Bible et du Coran d'autoriser des lectures iréniques du judaïsme et de l'islam. Voilà pourquoi j'ai affirmé, et je maintiens, que la traduction politique des textes sacrés est une affaire de choix, dicté par les aléas de l'époque (...) l'application de la loi est laissée à l'interprétation des générations, autrement dit à la politique : je ne sache pas que dans les cercles les plus fanatiques de l'ultra-orthodoxie juive on veuille renouer avec les saines pratiques de la mise à morte de la magicienne ou de la lapidation de la femme adultère, règles données pour permanentes pourtant. (...)"
3° "Le fondamentalisme révolutionnaire islamiste ne relève pas d'une quelconque "essence" de la religion musulmane, mais bien d'une "situation historique" particulière" (...) ce que j'appelle le "fondamentalisme révolutionnaire" est, en effet, un phénomène de la modernité, né en réaction à la montée en force l'Etat moderne, qui, lui, est "laïque" non pas comme évoquant une séparation radicale des ordres, mais dans son acception première, chrétienne si l'on veut : la délimitation d'un domaine réservé à l'action des hommes et donc distinct du domaine de Dieu. Aussi n'est-ce pas par hasard si c'est au XVIè siècle, le siècle de Machiavel et de Bodin, que les guerres de Religion ont ensanglanté l'Occident. Et ce n'est pas pas un hasard (...) si le fondamentalisme révolutionnaire fait son apparition au moment où l'Etat moderne met à mal l'Oumma, la communauté islamique"
4° "D'après Gauchet, selon que la promesse d'un monde parfait est projetée dans un futur débarrassé de Dieu ou, au contraire, dans un passé idéalisé sous la forme d'un paradis perdu à retrouver, le projet politique et les conditions de sa mise en application sont de nature radicalement différente. Je ne le pense pas. L'exemple de la Ligue radicale en France ou, dans le monde protestant, celui des différents "chevaliers de l'Apocalypse" décrits par Norman Cohn montrent à mon sens qu'un projet d'essence religieuse peut parfaitement déboucher sur une société totale qui répond assez bien aux critères identifiés par Hannah Arendt dans Origines du totalitarisme. "
5° Si "l'absence d'une autorité religieuse centrale reconnue ne rend le projet révolutionnaire que plus dangereux (..) inversement, l'existence d'une telle autorité dans l'Eglise catholique n'a pas empêché "mes" ligueurs jusqu'au-boutistes de mettre en accusation le pape, voire la Vierge de Chartres elle-même lorsqu'ils les ont jugés rétifs à leur projet politico-religieux"
Si la question est bien "Le Texte est-il déterminant", le maintien, la persistance de son usage dans les pratiques politiques et les stratégies de pouvoir des adeptes des religions qu'il fonde témoignent à l'évidence que c'est bien le cas. Il faut prendre à la lettre la parole de ceux qui ne connaissent du texte que la lettre: lorsqu'ils disent que le Coran est l'alpha et l'oméga, et qu'ils agissent en conséquence, quelles seraient nos raisons de douter que dans leur action, le texte est déterminant ?

Le point aveugle de l'Occident: la dérive du sens, l'esprit recouvrant la lettre, et l'impossibilité constitutive de poser, de concevoir et d'identifier la superposition exacte entre l'acte et la parole qui l'annonce, le commente, l'explicite, le justifie et le fonde (cf. Mohammed Merah qui énonce je te tue en tuant sa victime).
Utilisateur anonyme
26 octobre 2012, 11:27   Re : Le Texte est-il déterminant ?
L'argument de Barnavi selon lequel l'islam serait au seuil de la sécularisation et que sa violence aurait beaucoup plus à voir avec celle de la Renaissance européenne qu'avec celle du Moyen Age est intéressant. Il faudrait toutefois, pour l'admettre, constater une discontinuité dans la violence musulmane, un changement profond entre hier et aujourd'hui, en quantité et en qualité et un large mouvement "protestant" à l'intérieur de l'islam, lequel accélèrerait le transfert du sacré de Dieu à l'Etat de droit. Sur toutes ces évolutions, on peut être plus que sceptique pour user d'un euphémisme.
Citation
L'argument de Barnavi selon lequel l'islam serait au seuil de la sécularisation et que sa violence aurait beaucoup plus à voir avec celle de la Renaissance européenne qu'avec celle du Moyen Age est intéressant

Barnavi est vraiment décevant car le retour de manivelle de la religion dans les pays musulmans est formidable. Après l'échec complet du socialisme et de la laicité dans ces pays le raz-de-marée de la ferveur religieuse est d'une force considérable et ne peut pas être sous-estimé.

C'est aussi une question identitaire. La crainte d'être avalé par la civilisation occidentale est profonde et explique en grande partie le succès des islamistes dans les différentes élections.

Quand on voit que les immigrés tunisiens vivant en France ont voté majoritairement pour les partis religieux on en est abasourdi.
Réponse à M. Francis Marche :

La question qui est posée est, me semble-t-il, plutôt celle-ci : est-ce que le Texte n'autorise qu'une lecture et donc détermine-t-il une seule pratique ?

Barnavi constate que d'un texte irénique, des chrétiens ont fait une lecture qui justifiait le "totalitarisme".

A l'inverse, d'un texte "violent" (le Coran), peut-on espérer une pratique différente (de celle de Merha, dans l'exemple que vous citez) ? Barnavi le pense. Pour lui, d'une certaine manière, c'est le lecteur qui fait le texte.

Les juristes connaissent bien ce problème : pour l'école dite de la "théorie réaliste de l'interprétation" (Michel Troper) l'interprète du texte en est en quelque sorte l'auteur ce qui signifie qu'il y a autant de "textes" que d'interprètes.
Réponse à M. Fabrice Jakubowicz :

Je n'ai pas cité bien sûr toute l'argumentation de Barnavi, laquelle est d'ailleurs incomplète parce que Barnavi ne faisait que répondre aux objections de ses critiques.

Pour répondre à vos propres arguments il me semble qu'il faut se tourner vers Lewis qui montre bien que l'Islam, à un certain moment de l'Histoire, a été moins "violent", plus "tolérant" que les Etats chrétiens. Ces faits autorisent, pour certains, l'espoir que le Coran ne détermine pas une seule pratique.

Lewis essaie d'expliquer par ailleurs les raisons pour lesquelles l'Islam a en quelque sorte régressé tandis que la civilisation chrétienne se "libéralisait". Ces raisons ne tiennent pas seulement dans le fait que le texte du Coran serait "univoque", n'autoriserait qu'une seule "politique".
Utilisateur anonyme
26 octobre 2012, 12:12   Re : Le Texte est-il déterminant ?
Quelles sont alors ces raisons invoquées par Lewis, cher Rémi Pellet ?

Une chose tout de même. Les In-nocents dans le sillage du Maître s'interrogent souvent sur le moment précis où un mot s'est mis à mentir, à dire tout à fait autre chose et même parfois le contraire de ce qu'il signifiait précédemment : culture, école (de-la-réussite-pour-tous), diversité etc. Il serait bon de se livrer à cet exercice au sujet de la fameuse "tolérance musulmane", quand ce concept est-il apparu ? Sous la plume de qui et en quel sens ? Y a-t-il un mot en arabe qui désigne ce concept, une littérature à ce sujet ? Bref, d'où vient ce mythe ?
Il faudrait savoir ce qu'il entend par "totalitarisme chrétien " qui me semble sensiblement plus ouvert que le totalitarisme musulman. De plus, ce fameux islam des lumières n'a pu exister -- si toutefois il a existé ce dont je doute puisque les musulmans "éclairés" eux-mêmes ont été persécutés par ... l'islam et donc ne pouvaient lui devoir leurs lumière -- que tant que les populations non musulmanes sont restées majoritaires dans le monde arabo-islamique, c'est-à-dire , en gros, jusqu'au 14ème siècle. Au fur et à mesure que les musulmans sont devenus supérieurs en nombre et que l'islam a donc pu s'établir solidement, les lumières se sont éteintes, apportant la confirmation qu'elles ne devaient rien ou pas grand chose à la religion du croissant. Autement dit tout le long de l'histoire de l'islam on trouve cette constante déjà présente dans le Coran et la vie de Mahomet : se montrer conciliant tant qu'on est faible et impitoyable dès qu'on est le plu fort.
Ah j'ai trouvé le passage que je cherchais chez Lewis (cf. mon premier message) :

"on peut trouver un certain nombre de points communs entre la doctrine musulmane du djihad et la conception rabbinique de la milhemet mitsva ou milhemet hava, avec cette différence importante cependant que la notion juive ne s'applique qu'à un seul pays, tandis que le djihad islamique a une portée universelle".
Bernard Lewis, Juifs en terre d'Islam, Flammarion, 1989, p. 37

Je n'ai pas le temps de répondre maintenant à Cassandre et à M. Jakubowicz mais j'essaierai de le faire ce soir ou demain.
"quand ce concept est-il apparu ? Sous la plume de qui et en quel sens ? Y a-t-il un mot en arabe qui désigne ce concept, une littérature à ce sujet ? Bref, d'où vient ce mythe ?"

Le concept vient me semble -t-il quand le trotsko-islamologue Bruno Etienne, longtemps à peu près le seul à avoir le droit de donner son avis sur l'islam,dans les médias, a sorti de derrière les fagots, au début des années 90, le prétendu âge d'or d'Al Andalous en Espagne que le grand arabisant espagnol Serafin Fanjul a totalement démystifié dans deux ouvrages récents qui n'ont, bien entendu, jamais été traduits en français : en l'an 2000 "Al-Ándalus contra España : la forja del mito "(Al-Ándalus contre l'Espagne. La création d'un mythe) et en 2004 "Al-Ándalus contra España : La quimera de Al-Ándalus (« La chimère d’Al-Andalus »).


Il faut rappeler s'agissant du christianisme qu'il a fallu attendre que le texte des Evangiles, qui n'existaient qu'en latin , soient traduits en français pour que les fidèles aient accès directement au texte sans passer par le filtre ou l'interprétation de l'Eglise. Rien de tel avec l'islam.

Quant à l'opinion de Barnavi, homme au demeurant très respectable, elle est contredite par la plupart des grands connaisseurs de l'islam, de Renan à Lévi-Strauss en passant par Jacques Ellul, lequel fut un des tout premiers à attirer inlassablement l'attention de l'occident sur la menace islamique.
Voici le texte d'une interview de lui datant de 89, relativement court, mais il faut surtout lire la remraquable préface qu'il a écrite en 91 au livre de Bat yé' Or : Les chrétiens d'orient entre jihad et dhimitude", trop longue pour être postée ici :

« ... je dirais "oui", aisément, au bouddhisme, au brahmanisme, à l’animisme..., mais l’islam, c’est autre chose. C’est la seule religion au monde qui prétende imposer par la violence sa foi au monde entier.

Je sais qu’aussitôt on me répondra : "Le christianisme aussi !"

Et l’on citera les croisades, les conquistadors, les Saxons de Charlemagne, etc. Eh bien il y a une différence radicale.

Lorsque les chrétiens agissaient par la violence et convertissaient par force, ils allaient à l’inverse de toute la Bible, et particulièrement des Evangiles. Ils faisaient le contraire des commandements de Jésus, alors que lorsque les musulmans conquièrent par la guerre des peuples qu’ils contraignent à l’Islam sous peine de mort, ils obéissent à l’ordre de Mahomet.

Le djihad est la première obligation du croyant. Et le monde entier doit entrer, par tous les moyens, dans la communauté islamique.

Je sais que l’on objectera : "Mais ce ne sont que les 'intégristes' qui veulent cette guerre."

Malheureusement, au cours de l’histoire complexe de l’Islam, ce sont toujours les "intégristes", c’est-à-dire les fidèles à la lettre du Coran, qui l’ont emporté sur les courants modérés, sur les mystiques, etc.

Déclarer sérieusement qu’en France l’adhésion de "certains musulmans" à l’intégrisme est le résultat d’une crise d’identité est une désastreuse interprétation.

L'intégrisme en Iran, en Syrie, au Soudan, en Arabie Saoudite, maintenant en Algérie est-il une réaction à une crise d’identité ?

Non, l’intégrisme est seulement le réveil de la conscience religieuse musulmane chez des hommes qui sont musulmans mais devenus plus ou moins "tièdes".

Maintenant, le réveil farouche et orthodoxe est un phénomène mondial. Il faut vivre dans la lune pour croire que l’on pourra "intégrer" des musulmans pacifiques et non conquérants. Il faut oublier ce qu’est la rémanence du sentiment religieux (ce que je ne puis développer ici). Il faut oublier la référence obligée au Coran. Il faut oublier que jamais pour un musulman l’Etat ne peut être laïque et la société sécularisée: c’est impensable.

Il faut enfin oublier comment s’est faite l’expansion de l’Islam du VIe au IXe siècle. Une étude des historiens arabes des VIIe et IXe siècles, que l’on commence à connaître, est très instructive : elle apprend que l’islam s’est répandu en trois étapes dans les pays chrétiens d’Afrique du Nord et de l’Empire byzantin. Dans une première étape, une infiltration pacifique de groupes arabes isolés, s’installant en paix. Puis une sorte d’acclimatation religieuse: on faisait pacifiquement admettre la validité de la religion coranique. Et ce qui est ici particulièrement instructif, c’est que ce sont les chrétiens qui ouvraient les bras à la religion soeur, sur le fondement du monothéisme et de la religion du Livre, et enfin lorsque l’opinion publique était bien accoutumée, alors arrivait l’armée qui installait le pouvoir islamique — et qui aussitôt éliminait les Eglises chrétiennes en employant la violence pour convertir.

Nous commençons à assister à ce processus en France (les autres pays européens se défendent mieux). Mais c’est du rêve éveillé que de présenter un programme de fédération islamique en France, pour mieux intégrer les musulmans. Ce sera au contraire le début de l’intégration des Français dans l’islam.

La seule mesure juridique valable, c’est de passer avec tous les immigrés un contrat comportant : la reconnaissance de la laïcité du pouvoir, la promesse de ne jamais recourir au djihad (en particulier sous forme individuelle — terrorisme, etc.), le renoncement à la diffusion de l’islam en France. Et si un immigré, beur ou pas, désobéit à ces trois principes, alors, qu’il soit immédiatement rapatrié dans son pays. »

Jacques Ellul

Article paru dans l'hebdomadaire protestant "Réforme" le 15 juillet 1989. Jacques Ellul, juriste, historien, théologien, sociologue, est décédé en 1994. De son vivant, il a publié plus de 600 articles et 48 livres, traduits dans une douzaine de langues, dont plus de la moitié en anglais. De 1953 à 1970 il fut un membre du Conseil National de l'Eglise Protestante Réformée de France. Professeur d'Histoire et de Sociologie des Institutions, à l'Université de Bordeaux, son oeuvre inclut des études sur les institutions médiévales d'Europe, l'effet de la technologie moderne sur la société contemporaine, ainsi que la théologie morale. Jacques Ellul fut reconnu par des cercles académiques américains comme l'un des plus importants penseurs contemporains.
Utilisateur anonyme
26 octobre 2012, 17:52   Re : Le Texte est-il déterminant ?
Merci chère Cassandre pour ces précisions et ce texte de Jacques Ellul, très instructif comme toujours. Il serait bon de décoloniser les esprits au sujet de l'âge d'or d'Al-Andalus avec des faits précis que l'on pourrait opposer à la complaisance du récit officiel.
Pour lui, d'une certaine manière, c'est le lecteur qui fait le texte.

C'est ce point aveugle-là que je voulais évoquer: Nietzsche dans ses dossiers sur "le cas Wagner" l'aborde, par la bande: la vérité, en Occident, se doit d'apparaître, et pour apparaître, comme l'homme invisible, elle se doit d'être vêtue. La parole nue ne dit rien, le fait brut ne parle pas. Le décrochage vers la barbarie (Adolf Hitler et ses amis), l'étranger de l'occident, va nu, sa parole est nue. Qu'est-ce qu'une parole nue ? celle qui demeure étrangère à la scolastique (nourrie de méthodologie rabbinique) qui "fait dire au texte", qui s'autorise à faire du texte une parole habillée, travestie, à dévêtir et à éplucher jusqu'au dénuement du sens. Le sens cru est indicible. Le sens est sans coïncidence possible à l'action qu'il énonce et proclame fonder. C'est cette vision défaillante de la barbarie qu'entretient, pour son malheur, le civilisé.

Le Coran suffit à la vérité, il va nu, sans harde, dépouillé. Le civilisé, y compris le civilisé moderne, on a pu le constater il y a soixante-dix ans, n'avait pas conçu que la parole nue de Mein Kampf énonçait sans voile un programme exécutoire. L'on pensait, parce que l'on était civilisé, que ce livre était "matière à interprétation", qu'il donnait à lire et non à agir, qu'il y avait en lui à boire et à manger. Or point du tout. Le barbare, ou le barbarisé (le programme hitlérien), annonce dans ce que l'on prend pour son délire, ce qu'il s'apprête à faire, l'accomplissement du programme qu'il nous dit, et ce programme, il l'accomplit comme il nous en a prévenu. Le barbare fait montre d'une incontestable honnêteté intellectuelle: le Coran nous annonce, nous explicite, nous énonce, notre fin. Et nous croyons bon de, scolastiquement, dissoudre, relativiser, cette sentence, la dé-littéraliser, quand la crudité de la parole et la crudité de l'acte ne font qu'un. Et quand c'est cette unicité même qui définit la barbarie.
Cher Francis vous avez d'autant plus raison que l'interprétation du Coran est canoniquement fixée une fois pour toutes par les docteurs de la loi musulmans et que depuis le treizième siècle il est sacrilège de vouloir faire évoluer cette interprétation.
D'accord, là aussi, avec Francis Marche.

De plus, dans la phrase « L'irénisme de principe du Nouveau Testament n'a pas empêché les chrétiens d'y trouver des justifications aux pires exactions, pas plus que l'extrême violence de la Bible et du Coran d'autoriser des lectures iréniques du judaïsme et de l'islam » opère des parallèles hâtifs et simplificateurs.

Il serait par exemple intéressant que soit précisé ce que sont au juste ces "pires exactions" commises par les chrétiens qu'ils auraient justifiées par le texte du Nouveau Testament, et par quoi dans ce texte ils l'auraient été, parce que si l'on nous sort, comme d'habitude, l'Inquisition et les croisades, c'est-à-dire des procès et une tentative un brin violente, certes, mais avortée (et puis comment faire autrement sans se résigner), de rouvrir une bonne fois les lieux saints au pèlerinage, il faudra trouver plus convaincant. Et s'il y a bien eu en effet des lectures iréniques de l'Ancien Testament, ce qui n'est pas si difficile que ça, et aussi du Coran, ce qui l'est davantage, on sait ce qu'il en est de l'influence que ces dernières ont eue.
Réponse à Francis Marche :

Je n'adhère pas spontanément à la théorie réaliste de l'interprétation mais l'exemple que vous donnez dessert, je crois, votre argumentation.

Vous comparez le Coran à Mein Kampf. Or ces textes n'ont pas eu la même "interprétation" pratique :

- Mein Kampf a conduit les juifs aux chambres à gaz : les deux ont été produits sinon par mais au moins dans une société chrétienne où l'anti-judaisme a été longtemps virulent (cf. infra ma réponse à M. Meyer) ;

- le Coran a fait des juifs comme des chrétiens des dhimmi (Cassandre le rappelle dans son message), sujets dans un système comparable à l'apartheid nous disent Brague et Renaud Camus : voir ici : [www.renaud-camus.org]

Entre la rouelle du Moyen âge, les pogroms et au bout les fours crématoires, d'une part, le statut d'humilié permanent en compagnie des chrétiens d'autre part, le choix est vite fait.

Sans recourir à ce critère de vérité qu'est l'expérience historique de l'interprétation des textes, on n'explique pas, je crois, que les juifs se soient défiés au moins autant d'une certaine Europe chrétienne que d'un Islam "de tolérance".

Réponse à Cassandre :

1° Vous dites que la nature véritable de l'Espagne andalouse a été dissimulée : un mythe a été incontestablement créé mais on trouve aujourd'hui de très nombreuses publications scientifiques et "vulgarisatrices" qui le combattent.

2° Ce mythe a été développé dans le milieu "trotskiste" : c'est tout à fait exact. Mais pourquoi ce mythe a-t-il pris ?

Parce que bon nombre d'intellectuels trotskistes ou qui le furent et qui ont nourri le mythe étaient juifs : c'est par exemple le cas d'Edgard Morin et de Daniel Bensaïd.

Morin descend lui-même de juifs andalous expulsés après la Reconquête. Il l'explique très bien dans son livre sur l'Europe. (Si vous permettez que je me cite encore pour gagner du temps : [www.renaud-camus.org] )

Assurément l'Andalousie arabe était un apartheid et non un multiculturalisme égalitaire (cf. ma réponse à F. Marche) : mais au moins les juifs avaient le droit de résider sur le territoire espagnol, droit qu'ils ont perdu avec la Reconquête. Pour un juif, valait-il mieux être un dhimmi ou ... rien ?

Dans plusieurs de ses ouvrages, critiquables certes sur certains points mais dont le caractère scientifique ne me paraît pas discutable, Bernard Lewis insiste sur le fait que la domination musulmane a pu être vécue comme une libération par les juifs et mêmes certains chrétiens :

"Pour beaucoup d'adeptes des Eglises orientales, l'avènement de l'Islam et le transfert du pouvoir politique des mains des chrétiens à celles des musulmans se traduisent par une amélioration de leur condition et une plus grande liberté de culte" (Juifs en terre d'Islam, précité, p. 34)

Concernant les juifs : "Pour eux, la conquête musulmane ne signifia qu'un changement de maîtres qui, presque partout, se traduisit par une amélioration de leur situation" (idem p. 33)

3° Vous dites Cassandre que "depuis le treizième siècle il est sacrilège de vouloir faire évoluer cette interprétation." :

Lewis dit lui pourtant qu'il y avait bien interprétation des textes et qu'elle ne fut pas toujours la plus sévère.

La corporation des juristes musulmans semble avoir interprété le Coran de façon "libérale" et "il ne fait pas de doute que c'est plutôt l'attitude prônée par les juristes qui l'emporta dans la réalité. Dans le traitement des dhimmi, comme dans bien d'autres domaines, les autorités et l'administration musulmanes n'ont pas toujours montré le zèle farouche qu'attendaient d'elles leurs conseillers et autres censeurs religieux" (idem p. 31)

Réponse à Marcel Meyer :

Vous me direz que l'antisémitisme nazi était païen et n'est pas imputable à la Bible et que les fours crématoires n'étaient pas l'aboutissement nécessaire de la rouelle. Certes, certes.

Mais est-ce que l'anti-judaïsme chrétien a existé ? a-t-il été parfois ou souvent virulent ? trouvait-il une justification dans les Ecritures ? In fine, est-ce que l'anti-judaïsme chrétien n'a pas joué un terreau favorable à l'anti-sémitisme nazi ?

J'ai sur mon bureau les deux livres de Jules Isaac : Genèse de l'anti-sémitisme et Jésus et Israël.

Les textes chrétiens anti-judaïques que ces ouvrages citent n'ont pas été inventés. Isaac dit qu'ils sont "l'enseignement du mépris". Cet enseignement n'a-t-il pas pu nourrir un peu au moins l'anti-sémitisme ?

Pour un juif, à un certain moment, valait-il mieux vivre en Pologne ou en terre musulmane ?
Entre la rouelle du Moyen âge, les pogroms et au bout les fours crématoires, d'une part, le statut d'humilié permanent en compagnie des chrétiens d'autre part, le choix est vite fait.

D’après nos historiens, la rouelle vient précisément de l’islam, où juifs et — naturellement — chrétiens doivent porter des signes distinctifs infamants puisque, pour l’islam, ils sont coupables d’être juifs ou chrétiens. La technologie discriminatoire était, pour des raisons évidentes, beaucoup plus poussée en islam que dans le christianisme. Et malheureusement, une mauvaise idée n’est jamais perdue, n’est-ce pas.
Citation
Francis Marche
Pour lui, d'une certaine manière, c'est le lecteur qui fait le texte.

C'est ce point aveugle-là que je voulais évoquer: Nietzsche dans ses dossiers sur "le cas Wagner" l'aborde, par la bande: la vérité, en Occident, se doit d'apparaître, et pour apparaître, comme l'homme invisible, elle se doit d'être vêtue. La parole nue ne dit rien, le fait brut ne parle pas. Le décrochage vers la barbarie (Adolf Hitler et ses amis), l'étranger de l'occident, va nu, sa parole est nue. Qu'est-ce qu'une parole nue ? celle qui demeure étrangère à la scolastique (nourrie de méthodologie rabbinique) qui "fait dire au texte", qui s'autorise à faire du texte une parole habillée, travestie, à dévêtir et à éplucher jusqu'au dénuement du sens. Le sens cru est indicible. Le sens est sans coïncidence possible à l'action qu'il énonce et proclame fonder. C'est cette vision défaillante de la barbarie qu'entretient, pour son malheur, le civilisé.

Le Coran suffit à la vérité, il va nu, sans harde, dépouillé. Le civilisé, y compris le civilisé moderne, on a pu le constater il y a soixante-dix ans, n'avait pas conçu que la parole nue de Mein Kampf énonçait sans voile un programme exécutoire. L'on pensait, parce que l'on était civilisé, que ce livre était "matière à interprétation", qu'il donnait à lire et non à agir, qu'il y avait en lui à boire et à manger. Or point du tout. Le barbare, ou le barbarisé (le programme hitlérien), annonce dans ce que l'on prend pour son délire, ce qu'il s'apprête à faire, l'accomplissement du programme qu'il nous dit, et ce programme, il l'accomplit comme il nous en a prévenu. Le barbare fait montre d'une incontestable honnêteté intellectuelle: le Coran nous annonce, nous explicite, nous énonce, notre fin. Et nous croyons bon de, scolastiquement, dissoudre, relativiser, cette sentence, la dé-littéraliser, quand la crudité de la parole et la crudité de l'acte ne font qu'un. Et quand c'est cette unicité même qui définit la barbarie.

La relation au Coran n'existe que dans le réel tel que défini par Lacan. Un espace psychique et social où règne la littéralité intégrale, où la parole la plus nue circule et revient toujours au même faute de ne jamais pouvoir passer par les filtres structurant et donc potentiellement libérateurs de la symbolisation et de l'humour. La répétition, mode d'expression privilégié du récitant et de l'artiste en terre d'islam, achève de maintenir le monde musulman dans la psychose (pas la peur: la pathologie mentale).
L'anti-judaïsme chrétien (le terme me semble en cette occurrence préférable à "antisémitisme") a certes existé mais il ne me semble guère avoir de lien direct avec l'extermination par les nazis. L'ambition des chrétiens était de convertir les juifs au christianisme, pas de les tuer, ce à quoi n'incitent nullement les textes sacrés chrétiens, contrairement à ceux de l'islam. L'ambition des nazis était d'exterminer les Juifs en tant que race, convertis ou non*. Et les chrétiens fidèles à leurs idéaux ont eux aussi été pourchassés et le christianisme assez largement combattu par les nazis.

Cela dit il me semble un peu réducteur de n'analyser la question qui nous occupe (l'hypothèse d'un triomphe durable d'une version "irénique" de l'islam) qu'en fonction du sort des juifs (ou des Juifs).

Et puis il y a ceci : imaginons un instant que Barnavi ait raison, que l'islam vive quelque chose de comparable au XVIe siècle européen et que dans deux ou trois siècles il s'apaise de façon durable en un islam des lumières, tolérant et paisible. Eh bien entre temps nous serons morts, vous et moi en tant qu'individus et nous en tant que société, en tant que civilisation.



* Je simplifie légèrement car dans les cas limites d'appartenance à la "race" juive, la pratique religieuse pouvait faire pencher la balance.
"Entre la rouelle du Moyen âge, les pogroms et au bout les fours crématoires, d'une part, le statut d'humilié permanent en compagnie des chrétiens d'autre part, le choix est vite fait."
Voilà, cher Rémi pellet, un bien étrange raisonnement. Comme dirait pierre Dac ou monsieur de la Palice, ce n'est pas parce qu'un évènement n'existe pas encore qu'il n'aura pas lieu. Or on nous le répète assez, en général pour excuser son arrièration, que l'islam est plus jeune de six siècles que le christianisme. Par conséquent si l'occident chrétien, malgré -- et non à cause du -- le christianisme et la renaissance, a pu dégénérer jusqu'au nazisme et aux chambres à gaz, pourquoi l'islam , compte tenu de la bien plus grande virulence de ses textes et de ses pratiques discriminatoires contre les juifs, ne connaîtrait-il pas le même chemin au cours des siècles à venir ? Pourquoi le sien devrait-il être meilleur? Je pense, au contraire, que ce qui sauve, pour le moment, les juifs , c'est leur capacité à se défendre.
Non, les juifs n'ont pas été, globalement, mieux traités par les sectateurs d'Allah que par ceux du Christ. Maïmonide lui-même se plaignait que jamais les premiers n'avaien tété aussi maltraités que sous l'islam. Pourquoi d'ailleurs, puisque l'on félicite toujours les musulmans du Moyen-âge de leur tolérance envers les gens dits " du livre", n'a-t-on jamais félicité les juifs d'avoir "toléré" les chrétiens en Europe ? Si la question apparaît saugrenue à beaucoup c'est que, en effet, les chrétiens étant chez eux, il allait tout simplement de soi qu'ils fussent tolérés ! A plus forte raison cela devrait-il être aussi considéré comme la moindre des choses pour les musulmans qui se sont installés par la force en Espagne et autres pays pays judéo-chrétiens ! Il n'y a donc pas lieu de leur tresser des louanges pour une tolérance de surcroît toute relative. Si certains sont à féliciter ce sont plutôt les chrétiens d'Espagne pour avoir supporter l'intrus musulman huit siècles chez eux.
Réponse à Chatterton :

La rouelle aurait été inventée par les musulmans. Soit. Mais prétendrez-vous que les juifs ont été qualifiés de peuple déicide par les musulmans avant que les chrétiens ne reprennent cette mauvaise idée ?...

Réponse à M. Comolli :

Je sais que fait partie du vademecum anti-bien-pensance l'idée, certainement exacte, selon laquelle les écoles coraniques apprennent à apprendre par coeur sans exercice critique, tandis que les écoles juives apprennent à couper les cheveux de Moïse en quatre dans le sens de la longueur. Mais j'ai cru comprendre que la morale chrétienne des bons pères pouvait avoir quelques effets névrotiques....

La psychiatrisation de l'adversaire politique est une pratique que les staliniens athées ont perfectionné avec un certain succès pendant un demi-siècle, je l'admets aussi.

Réponse à Marcel Meyer :

Vous dites "L'ambition des chrétiens était de convertir les juifs au christianisme, pas de les tuer, ce à quoi n'incitent nullement les textes sacrés chrétiens, contrairement à ceux de l'islam. "

Or :
1° l'Islam admet très facilement la conversion des chrétiens et des juifs, cela lui est même parfois reproché au motif qu'il s'agit d'une foi peu exigeante...

2° Si l'Islam incite à tuer les juifs comment expliquer que les pays musulmans aient accepté, sous un statut de dhimmi et donc sans les massacrer, les juifs qui étaient expulsés des pays chrétiens ?...

3° Vous dites que les chrétiens n'avaient pas l'ambition de tuer les juifs mais de les convertir.

Or, c'est bien en terre chrétienne que les plus grands massacres de juifs ont eu lieu. L'anti-judaisme n'aurait joué aucun rôle dans l'anti-sémitisme... ? Par ailleurs, j'avais souvenir que l'Eglise, plutôt que de chercher la conversion des juifs, souhaitait conserver les juifs en tant que représentants du peuple déicide, "témoins" de la passion du Christ.

Vous dites "il me semble un peu réducteur de n'analyser la question qui nous occupe (l'hypothèse d'un triomphe durable d'une version "irénique" de l'islam) qu'en fonction du sort des juifs (ou des Juifs)."

Le sort des juifs est quand même un bon indice du degré de tolérance d'une société. Au demeurant, les chrétiens ont eux aussi un statut de dhimmi dans les sociétés musulmanes, ils n'ont pas été systématiquement massacrés.

Et pendant la colonisation les musulmans étaient soumis à un statut d'"indigènes" qui ressemblait beaucoup à un statut de dhimmi : ce n'est qu'en se convertissant, c'est-à-dire en abandonnant leur statut réel et personnel, qu'ils pouvaient accéder à la citoyenneté, sachant que les richesses étaient contrôlées par les colons "européens" i.e chrétiens (je reviendrai sur ce point prochainement en évoquant les thèses économiques de Jacques Marseille et Daniel Lefeuvre)

Pour conclure, provisoirement sans doute, sur la question posée au début de ce fil, je retiens qu'il n'y a pas de lien direct entre la lecture qui est faite aujourd'hui des Textes et l'histoire de leur pratique :
- le Coran est réputé anti-sémite, ce que je crois volontiers, mais les juifs ont été accueillis comme dhimmi en terre d'Islam quand ils étaient expulsés des Etats chrétiens ;
- la Bible est réputée irénique mais elle a justifié un anti-judaïsme virulent, les juifs ont été longtemps dotés en terre chrétienne d'un "statut" comparable au statut de dhimmi, et l'anti-judaisme chrétien a favorisé l'avènement d'un anti-sémitisme meurtrier.

Barnavi me semble donc avoir raison.

Complément en réponse à Cassandre dont je découvre seulement maintenant la dernière intervention :

Vous dites "Si certains sont à féliciter ce sont plutôt les chrétiens d'Espagne pour avoir supporter l'intrus musulman huit siècles chez eux."

Drôle de formule : je ne vois pas qu'il faille féliciter les chrétiens d'Espagne pour leur défaite pendant huit siècles devant l'intrus musulman. Les plaindre sans doute oui, les "féliciter" ensuite pour leur reconquête mais en condamnant le sort qu'ils réservèrent alors aux juifs.

Vous dites "pourquoi l'islam , compte tenu de la bien plus grande virulence de ses textes et de ses pratiques discriminatoires contre les juifs, ne connaîtrait-il pas le même chemin au cours des siècles à venir ? "

D'abord, il est bien établi je crois que l'Islam n'a pas eu le monopole des "pratiques discriminatoires contre les juifs"

Ensuite et surtout, personne n'a prétendu que l'Islam ne pourrait pas faire ce que les nazis ont fait. J'ai seulement constaté qu'il n'y avait pas de relation directe entre le Texte, tel que nous le lisons aujourd'hui, et ce qui fut son interprétation. L'Islam n'a pas été plus anti-judaïque / anti-sémite que ne l'ont été les pays chrétiens, alors que le Coran est réputé (dans nos rangs) antisémite tandis que la Bible ne le serait pas.

Les sociétés européennes sont devenues laïques. A mes yeux il s'agit d'un progrès historique immense et très précieux. C'est pourquoi il faut bien évidemment lutter contre le risque d'islamisation de ces sociétés. Mais la défense de l'héritage européen, qui comprend bien sûr sa part judéo-chrétienne, ne signifie pas que le combat doive se mener au nom de la religion chrétienne ou juive, Livre contre Livre.

Réponse à M. Loïk A. (ci-dessous) :

il me semble que Barnavi a raison quand il répond à Brague que "les sociétés vivantes se moquent comme d'une guigne" des questions d'exégèses coranique ou biblique (texte créé ou incréé). L'interprétation qui triomphera trouvera toujours dans le Livre matière à justifier son pouvoir.

Amen.
Excusez ces questions de base :
- Le Coran est-il oui ou non, comme l'affirme Brague, un Texte incréé pour les Musulmans ?
- Le Coran est-il oui ou non susceptible d'interprétation, s'il est incréé ?
- Si le Coran, incréé et non interprétable (à en croire Brague), décrète "Il faut tuer tel ou tel", quelle possibilité interprétative existe-t-il ?

Rémi Pellet nous dit que dans les faits, il y eut interprétation(s). Quelle était-elle ? Y a-t-il une justification théologique forte, en Islam, permettant d'interpréter le texte ? D'autant que Brague ou d'autres nous disent que "les portes de l'itjihad/de l'interprétation" ont été fermées à un moment précis (et le combat d'une musulmane comme Irshad Manji vise explicitement ce point, l'ouverture des portes de l'interprétation.)

Les textes ne me semblent pas si neutres ; il réside une logique des idées elle-même, logique qui plie le réel et ne s'y soumet pas. Croire qu'un Texte est effaçable sous une interprétation quelconque, n'est-ce pas sous-estimer la puissance hypnotique et dirimante du Verbe ?
Un lien qui approfondit la question de la "réforme de l'islam" et en décline les redoutables difficultés :

[riposte.sefarade.over-blog.com]
Rémi Pellet : L'individu et la société vivante modèlent le Texte, mais le Texte ne modèle rien.

(On cherchait le Non-être, on vient de le trouver ! C'est le Livre.)
Loïk, le Coran doit nécessairement être interprété, à cause du problème des contradictions entre les versets plus "tolérants", supposés antérieurs, et les versets belliqueux, plus tardifs : ce sont donc des savants qui décrètent, de fait, le sens prééminent à accorder à l'ensemble du texte, selon des critères qui ne sont pas toujours consensuels, semble-t-il.
Dans ces conditions, je dois avouer que le caractère "incréé" de la chose m'a toujours paru être plutôt une vue de l'esprit.

(Soit dit en passant, il existe dans le judaïsme la notion de Thora min Hashamayim ( Thora du Ciel), à quoi est consacré l'un des treize articles récapitulant les principes de la foi juive selon Maïmonide, auteur qui n'est point négligeable : « Principe de la Copie, qui consiste en ce que la Thora est copiée du Créateur, à laquelle on ne peut rien ajouter et de laquelle rien retrancher... » Dans le genre, c'est également très "incréé"...

Enfin, Barnavi n'est pas si isolé que cela, s'agissant de l'interprétation du phénomène de la résurgence "moderne" du fondamentalisme musulman : l'islamologue Emmanuel Sivan, que j'avais déjà évoqué ici, pense à peu près la même chose (radical islamism).)
» L'anti-judaïsme chrétien (le terme me semble en cette occurrence préférable à "antisémitisme") a certes existé mais il ne me semble guère avoir de lien direct avec l'extermination par les nazis. v

Vous connaissez certainement la formule — raccourci saisissant, je vous l'accorde — de Raoul Hilberg, résumant le sort des Juifs en Occident chrétien : vous ne pouvez vivre comme juifs, convertissez-vous ! Vous ne pouvez vivre comme juifs parmi nous, allez habiter dans des ghettos ! Vous ne pouvez plus vivre du tout, aux fours !
Onfray n'y va pas de main morte .. mais il faut bien remettre les pendules à l'heure !

M. Onfray : "La Sira, les Hadiths, Mahomet et le Coran ne prônent pas la paix, mais la guerre"
LCI le 24 octobre 2012. A partir de 8:00.



Et nous avons le plaisir de vous annoncer en avant-première qu'Hughes Onfray nous révèlera la semaine prochaine ce que disent vraiment les textes cachés de la Bible :

[benjamin.lisan.free.fr]

[www.portstnicolas.org]
Par ailleurs, j'avais souvenir que l'Eglise, plutôt que de chercher la conversion des juifs, souhaitait conserver les juifs en tant que représentants du peuple déicide, "témoins" de la passion du Christ.

This is bad theology, cher Rémi Pellet. Vous me trouverez une référence au « peuple déicide » dans le corpus patristique latin !

Et quant à la « conservation des juifs » à fin d’édification, ce n’est pas de la théologie du tout. Contrairement à l’idée vulgaire, l’Église n’a en effet jamais cherché à convertir les juifs. Retourner ce que le tolérantialisme contemporain considère probablement comme un « bien » en un « mal », en postulant que cette absence de volonté de conversion avait sans doute pour but l’exemplarité et la volonté d’humilier, relève de la polémique, et de la plus basse.
A plaindre plus qu'à féliciter, certes. Ma phrase, cher Rémi Pellet, se voulait un peu une boutade pour dire qu'un intrus, ce qu'a été le musulman en Espagne, n'a pas à être félicité d'avoir, très relativement, toléré la religion et les moeurs de ceux chez qui il a fait intrusion. On ne félicite pas la France coloniale d'avoir respecté la religion et les moeurs des Algériens, ce que d'ailleurs les tiermondistes, qui ne sont pas à une contradiction près, mettaient , à l'époque, au débit de la France, au motif qu'en laissant les indigènes en proie à l'archaïsme de leurs coutumes et à l'obscurantime islamique, elle pensait perpétuer plus facilement sa domination sur eux.
Citation
Alain Eytan
Vous connaissez certainement la formule — raccourci saisissant, je vous l'accorde — de Raoul Hilberg, résumant le sort des Juifs en Occident chrétien : vous ne pouvez vivre comme juifs, convertissez-vous ! Vous ne pouvez vivre comme juifs parmi nous, allez habiter dans des ghettos ! Vous ne pouvez plus vivre du tout, aux fours !

Cette assertion est assez choquante et probablement y croyez-vous.
Que certains chrétiens se soient conduits comme des lâches ou même aient collaboré durant l'occupation nazi est indiscutable est-ce pourtant une raison pour que certains juifs à leur tour soient des lâches ou des collaborateurs vis à vis des musulmans prêts à tout pour répandre l'Islam sur terre ?
Je dois vous donner acte, cher Rémi Pellet, du fait que les musulmans ont toujours accueilli les convertis venant à eux du judaïsme et du christianisme.

Je reste cependant très réservé sur le lien, même indirect, que vous établissez entre l'anti-judaïsme chrétien et l'antisémitisme nazi. Une phrase comme « l'anti-judaisme chrétien a favorisé l'avènement d'un anti-sémitisme meurtrier » ne rend pas compte de l'essentiel et envoie sur de fausses pistes. Jamais les nazis n'ont fait appel à la doctrine chrétienne pour fonder et justifier la "solution finale", et pour cause : les théories raciales hitlériennes qui ont fondé l'extermination constituaient une rupture radicale avec le christianisme, rupture consciente et tout à fait assumée ; et beaucoup de ceux qui se sont opposés au nazisme, à l'intérieur comme à l'extérieur l'ont fait en se réclamant du christianisme. On peut estimer que l'Église et Pie XII ont manqué de fermeté, de détermination, de courage peut-être mais il n'y avait pas d’ambiguïté : le sens de l'encyclique Mit brennender Sorge ("Avec une brûlante inquiétude"), du message de Noël 42 et des actions de sauvetage en sous-main est clair.

Et permettez-moi de le répéter : parier sur l'adoucissement de l'islam ou même sur la sécularisation des musulmans pour justifier ou même tolérer leur immigration massive, c'est irresponsable et suicidaire — je ne dis pas que c'est ce que vous faites mais c'est ce que font les Amis de désastre avec les mêmes arguments.
Citation
Concernant les juifs : "Pour eux, la conquête musulmane ne signifia qu'un changement de maîtres qui, presque partout, se traduisit par une amélioration de leur situation" (idem p. 33)

C'est vrai mais en terre d'islam rien n'est jamais acquis et une période de tolérance ne dure jamais longtemps.

Ci-après un extrait remarquable d'un livre de l'historien suisse Jacob Burckhardt écrit vers 1855. Tout y est dit !

MAHOMET ET L’ISLAM

Un peuple supportant les privations, doué d’une vive intelligence et d’une immense fierté individuelle et nationale devait être appelé à adopter une nouvelle foi et, au nom de cette foi, à établir sa domination sur une notable partie du monde.

Il régnait en Arabie une grande variété de religions : à côté de toutes les nuances du paganisme, existait une ancienne croyance à Allah ; de plus, des tribus juives et des Chrétiens d’origine diverse étaient établis dans le pays; en face se trouvaient les Byzantins qui se querellaient à propos des natures du Christ et les Sassanides avec leur religion dualiste; les deux empires étaient politiquement et militairement ébranlés.

Mahomet se trouva en présence d’une coutume particulière, celle du pélerinage à la Kaaba, qui, depuis des temps anciens, dèterminait toute l’existence de la Mecque. Il ne se dressa pas contre cet usage et ne chercha pas à créer un sanctuaire rival: l’antique Kaaba n’avait besoin que d’une «purification» ; la Pierre noire subsista en tant que mystère indispensable.

Bien que la Kaaba et le pèlerinage ne fussent pas nécessairement liés á sa foi, il ne put les éviter ; il fut obligé non seulement de les intègrer à son système, mais d’en faire même le centre de tout le culte. Il devra provisoirement s’enfuir de la Mecque, mais tous ses compagnons exigèrent alors avec d’autant plus d’ardeur le retour à la Kaaba et, plus tard, sa victoire décisive devait être la prise de la Mecque. Il ne pouvait guère prévoir que, par la suite, l’ardent désir de voir la Kaaba se communiquerait comme une contagion á tous les peuples musulmans. Pour l’instant, il interdit ce pèlerinage à tous les Infidèles.

Sa maigre prédication n’aurait pu lui valoir à elle seule que des succès limités et passagers, mais, à partir de l’hégire, il assigna des buts concrets à la foule de ses partisans : il leur promit, outre la Mecque, le pillage des caravanes et les conquêtes en Arabie avec le butin qu’elles comportaient. A quoi se rattache, comme allant de soi, la guerre sainte à l’extérieur, dont la domination universelle est une simple conséquence.

Mahomet est, personnellement, un fanatique : c’est là sa force essentielle. Son fanatisme est celui du simplificateur à outrance et, à ce titre, il est parfaitement authentique. C’est un fanatisme de l’espèce la plus coriace, la rage doctrinaire, et c’est ce fanatisme-là qui, allié à la banalité, remporta la victoire, une des plus grandes qu’il ait jamais remportées. Tout le paganisme, tous les mythes, tout ce qu’il y a de liberté dans la religion, toutes les ramifications possibles des anciennes croyances mettent le Prophète dans une véritable fureur. Il survient à un moment – et son génie fut de le sentir – où de larges couches de sa nation étaient sans doute particulièrement accessibles à l’idée d’une simplification extrême des doctrines religieuses. Il se peut d’autre part que les peuples qu’on attaqua les premiers aient été las de leur théologie et de leur mythologie. – Dès sa jeunesse, il passe en revue, avec l’aide de dix personnes au moins, la religion des Juifs, celle des Chrétiens et celle des Parsis ; il en tire les lambeaux qui lui conviennent et les combine à sa fantaisie. N’importe qui trouvait ainsi dans les prédications de Mahomet un écho de son ancienne foi.

Le plus étonnant, c’est que, de cette manière, il ait non seulement obtenu le succès sa vie durant et la soumission de l’Arabie, mais qu’il ait pu fonder une religion universelle capable de subsister jusqu’à nos jours et qui a d’elle-même une très haute opinion.

Dans cette religion nouvelle, tout devait être accessible à l’entendement du peuple arabe. C’est pourquoi l’Islam a le catéchisme le plus simple qui soit. Les principaux éléments en sont : unité de Dieu et de ses attributs ; Allah n’est pas engendré et n’engendre pas ; - révélations par les prophètes Adam, Noé, Moïse, le Christ et Mahomet, celui-ci étant le dernier d’entre eux, mais il est fait allusion à un Mahdî (envoyé attendu d’Allah) ; - décrets irrévocables de Dieu, d’où le fatalisme (que Mahomet appelle soumission), stimulant efficace pour les aspirations des Arabes ; devant une contrariété, on dit : «Mektoub» («C’était écrit») ; - croyance aux anges, reposant sur la croyance antérieure aux divs, aux djinns et aux péris ; - immortalité et jugement dernier, Ciel et Enfer («le paradis se trouve à l’ombre des épées») ; - loi morale, préceptes de toute sorte, entre autres celui de ne pas mentir (le mensonge étant réservé au Prophète) ; à ces préceptes se rattache la loi civile du Coran qui est toujours en vigueur ; - enfin prière, jeûne, pèlerinage.

Indépendamment de la valeur absolue qu’elles peuvent avoir, il faut reconnaître que cette religion et les conceptions qui s’y rapportent sont fort bien adaptées à la nature humaine à un certain degré de son développement intellectuel et moral. Il peut s’y allier – et il s’y est ellié – une véritable ferveur, un mysticisme, une philosophie. Mais ce qu’il y a de profond dans l’Islam lui vient de l’extérieur.

Que cela fût ou non selon les intentions de Mahomet, l’Islam donne aux âmes et aux esprits une forme qui ne leur permet de produire que certains types d’Etats et de civilisation, et non pas d’autres.

Cette religion étriquée a détruit dans de vastes contrées deux autres religions infiniment plus hautes et plus profondes, le christianisme et le dualisme, parce qu’elles étaient toutes deux en état de crise. L’Islam règne de l’Atlantique jusque bien loin vers l’Inde et la Chine et pénètre de nos jours chez les Nègres. On n’a pu lui arracher qu’un petit nombre de pays, et non sans de grands efforts ; les Etats chrétiens qui ont sous leur autorité des populations mahométanes ont eu la sagesse de leur laisser pratiquer leur religion. Le christianisme n’a aucune prise sur l’Islam.

Döllinger pense à tort que l’Islam contient des «germes d’anéantissement» (et notre Europe, n’en contient-elle pas ?) et en donne les raisons suivantes : «L’Islam est une religion aux préceptes fixes et immuables embrassant toutes les sphères de la vie et entravant tout perfectionnement (c’est-à-dire tout «progrès» ; l’Islam serait-il vivant parce qu’il exclut le progrès ?) ; en tant que produit d’un peuple particulier et d’un stade inférieur de culture, ces préceptes, à la longue et en se transmettant à d’autres nations, ne peuvent que se révéler insuffisants et nuisibles et finalement se briser sur les contradictions qu’ils engedrent et sur les exigences de la vie.»

En attendant, il a déjà tenu bien longtemps, et c’est par son etroitesse même qu’il se conserve. les Mahométans, quoi qu’il puisse leur arriver, considéreraient comme un immense malheur de ne pas appartenier à cette religion et à cette civilisation. Dans leur orgueil, ils n’éprouvent que pitié pour les mécréants.

La tendance générale de notre esprit est de conclure des grands effets à de grandes causes, - dans le cas particulier, de l’œuvre de Mahomet à la grandeur de son auteur. (Le moins qu’on veuille lui accorder, c’est de n’avoir pas été un imposteur, d’avoir pris son rôle au sérieux, etc.) Mais il peut arriver que semblable conclusion soit erronée et qu’on prenne pour de la grandeur ce qui n’est que de la puissance. En l’occurrence, ce sont surtout les qualités inférieures de la nature humaine qui ont été mises ein pleine évidence. L’Islam représente une victoire de la médiocrité – qui es le propre de la grande masse des hommes. (Les admirateurs actuels de Mahomet se décernent à eux-mêmes un piètre brevet.) Or la médiocrité est volontiers tyrannique : elle aime à imposer son joug à l’esprit qui lui est supérieur. L’Islam a tenté de dépouiller d’anciens et nobles peuples de leurs mythes, les Perses de leur Livre des Rois, et depuis mille deux cents ans, a interdit, de fait et par la force, à d’immenses populations la peinture et la sculpture.
Mahomet fut-il un devin ? un poète ? un magicien ? Il n’est rien de tout cela ; il est le Prophète.

22. LE DESPOTISME DE L’ISLAM.

Toutes les religions sont exclusives, mais tout spécialement l’Islam ; il est devenu très vite un Etat qui semblait ne faire qu’un avec la religion. Le Coran est un code religieux et laïque. Ses prescriptions embrassent tous les domaines de la vie, ainsi que le dit Döllinger, et gardent une immuable rigiditè. La mentalité des Arabes impose son étroitesse à une foule de nations et les transforme à tout jamais (vaste et profond asservissement des esprits !). C’est là la force propere de l’Islam.

En même temps, la forme de son empire universel aussi bien que celle des Etats qui s’en détachent petit à petit ne peut être que celle d’une monarchie despotique. D’ailleurs le fondement et le prétexte de toute son existence, la guerre sainte et la conquête éventuelle du monde, ne souffrent pas d’autre forme, et les peuples soumis, tels que les Byzantins ou les Sassanides, n’offraient pas d’autre tradition que l’absolutisme. Et, bien vite, se manifeste le vulgaire «sultanisme».

Ce n’est guère que lorsque éclate à nouveau la véritable guerre de religion que l’Islam reprend par moment quelque éclat. Alors surgissent des chefs qui ne vivent que pour la cause ; alors la communauté des Musulmans, bien qu’elle ne puisse ni voter ni élire, redevient la maîtresse de l’Etat. Alors, comme ce fut le cas de Nour ed-Din, le prince n’est que le trésorier des Croyants. Et dans les batailles il ne cherche que le martyre.

Mais, aussitôt que cet élan a cessé, c’est le despotisme ordinaire qui réapparaît. L’Islam tolère la prospérité matérielle et parfois la désire, mais il n’accorde jamais au profit une vraie sécurité. Il lui arrive de prendre plaisir à la culture de l’esprit, mais d’autre part les préceptes religieux lui tracent des sentiers dont elle ne peut sortir. Il exclut totalement le «progrès» moderne de l’Occident, et cela sous ses deux formes, l’Etat constitutionnel et le développement illimité du commerce et de l’industrie. C’est ainsi que, contrairement à l’Occident, il garde sa vigueur et qu’il èvite deux écueils : 1°) la transformation de l’Etat constitutionnel en un Etat majoritaire, 2°) la course générale après les places et le travail n’ayant pour but que les jouissances. – Il a appris, il est vrai, à faire des emprunts, mais s’il en vient à rejeter un jour tout le système du crédit et à faire banqueroute, la grande masse de la population ne s’en apercevra peut-être même pas.

23. L’ISLAM ET SES EFFETS.

L’Islam tolère la prospérité matérielle et parfois la désire, mais il n’accorde jamais au profit une vraie sécurité. Il lui arrive de prendre plaisir à la culture de l’esprit, mais d’autre part les préceptes religieux lui tracent des sentiers dont elle ne peut sortir.

Mahomet donne bien sa mesure par sa façon matérielle de dépeindre l’au-delà.
L’Islam est une religion peu élevée, ne faisant guère appel à des sentiments profonds, quoiqu’elle puisse s’allier à l’ascétisme et à la ferveur religieuse qu’elle trouve à l’occasion chez tel ou tel peuple.

Ce qui est très particulier et qu’on ne rencontre guère ailleurs dans l’histoire des religions, c’est l’immense orgueil qu’elle inspire à ses adhérents, le sentiment d’une supériorité absolue par rapport à toutes les autres, qui la rend complètement rebelle à quelque influence que ce soit, - et cela malgré l’absence de toute vraie culture et le manque de jugement dans la conduite ordinaire de la vie.

Le despotisme de l’Etat, qui, des califats, a passé dans les territoires issus de leur démembrement, a eu pour conséquences d’autres traits de caractère. Si l’on peut constater çà et là un vif attachement pour le pays, c’est-à-dire pour le cadre et les habitudes de l’existence, il n’y a pas de véritable patriotisme, d’enthousiasme pour l’ensemble de la nation, ou même de l’Etat (la langue n’a pas de mot signifiant «patriotisme»). L’avantage, c’est que le Musulman se sent partout chez lui dans le monde islamique. L’appel à la guerre ne se fait donc pas au nom d’une patrie politique, mais uniquement au nom de la foi, «ed-Din». Celui qui prêche la guerre sait que ses auditeurs ne peuvent être entraînés que par le fanatisme, alors même que le but réel de la guerre n’a rien à voir avec la foi.

Mais il est d’autres faits qui, du moins pour l’essentiel, résultent du despotisme : en toutes choses, on préfère à la voie droite les chemins tortueux ; on tergiverse, on tire tout en longueur ; au lieu d’avouer franchement ses motifs, ce qui passerait pour de l’arrogance, on recourt à la flatterie et aux intrigues pour atteindre son but ; partout on se mèfie les uns des autres : le mobile par excellence, l’ègoïsme, vise moins les honneurs et les distinctions que l’argent et le profit ; aucune reconnaissance pour les bienfaits reçus.

Parmi les causes de l’esclavage dans l’Islam, il faut compter notamment l’usage du harem, qui ne saurait exister sans eunuques et sans serviteurs noirs. Ceux-ci ont toutefois un sort plus enviable que les Noirs employés naguère dans les plantations américaines. L’eunuque est le meilleur ami du maïtre ; il est craint des femmes qui recherchent la faveur de ce dernier. Les domestiques noirs sont traités comme les enfants de la maison et ont un rang bien supérieur à celui de leurs camarades arabes, les «chadams».

La meilleure preuve de la puissance qu’exerce le despotisme de l’Islam est le fait qu’il pu annihiler tout le passé des peuples qui se sont convertis à lui, coutumes, religion, manière de voir les choses et de les imaginer. Il n’est arrivé à ce résultat qu’en leur inoculant un nouveau sentiment de supériorité religieuse qui a été plus fort que tout et les a amenés au point d’avoir honte de leur passé.
Je suis entièrement d'accord avec Marcel Meyer. Comment d'ailleurs les chrétiens, malgré les allusions imbéciles de quelques uns au "peuple déicide" , accusation qu'on ne retrouve dans aucun texte canonique du nouveau Testament et contraire au dogme catholique lui-même rappelé encore par le concile de Trente au qinzième siècle, auraien t-ils pu oublier que Jésus était sémite et juif ?

Pour répondre à Loïk A : oui le Coran est considéré comme incréé, ce qui , déjà, ne peut qu'en limiter les interprétations. Seuls, durant quelques decennies, les hérétiques mutazilites, ont nié qu'il le fût non, comme on le dit un peu vite, par rationnalisme, mais parce que croire en un un Coran incréé c'était faire comme les polythéistes et les chrétiens : associer une autre divinité à Allah,soit le pire des sacrilèges.
D'autre part, le droit musulman est le résultat d'un formidable travail des docteurs de la loi afin de le mettre en conformité avec les textes canoniques de l'islam. Il se divise en quatre écoles juridiques qui ne diffèrent entre elles que sur des points de détail très secondaires. Pour l'essentiel : obligation et codification du jihad, statut de dhimmis pour les gens dits du livre, ces quatres écoles sont totalement d'accord. Au 12ème siècle un point final a été mis à ce droit musulman et toute nouvelle interpétation des livres sacrés interdite. Aujourd'hui les juristes musulmans n'essaient pas de mettre l'islam enconformité avec la modernité mais tentent de mettre la modernité en conformité avec l'islam.
Cette discussion est très intéressante, mais j'avoue que je l'apprécierais davantage si le peuple de mon pays n'était en train d'être remplacé par un autre peuple.

Le mérite comparé de l'islam et du christianisme, leur rapport au "Texte", leur manière de traiter les juifs (ou les femmes, ou les homosexuels etc.), leur rapport à la violence etc., tout cela peut donner lieu à des discussions théoriques passionnantes, mais il me semble que je les recevrais différemment, ces discussions, si la France n'était pas devenue une terre d'islam.

Autrement dit : Monsieur Pellet pourra prouver que christianisme et islam, c'est bonnet blanc et blanc bonnet, ou même, pire, que le second est moralement supérieur au premier : je ne défends pas le christianisme, la France, l'Occident etc. parce que qu'ils sont (seraient) supérieurs à d'autres religions, pays, civilisations (sur tel ou tel point), mais simplement parce qu'ils sont miens, et qu'ils sont menacés.

Quand tout le monde sera rentré chez lui, que les vaches seront bien gardées, on pourra rêver au sublime âge d'or de l'Andalousie et aux mille et unes variations de l'exégèse coranique. Pour l'instant, ici et maintenant, ces choses-là ne sont que des armes et ces discours, quel que soit leur degré de vérité, de la propagande.
Citation
mais simplement parce qu'ils sont miens, et qu'ils sont menacés.

Bravo !
Je renchéris.
Réponse à Chatterton et Cassandre :

Chatterton vous dites à propos de la doctrine du peuple-témoin :"
"This is bad theology, cher Rémi Pellet. Vous me trouverez une référence au « peuple déicide » dans le corpus patristique latin !"

Cassandre vous dites "Comment d'ailleurs les chrétiens, malgré les allusions imbéciles de quelques uns au "peuple déicide" , accusation qu'on ne retrouve dans aucun texte canonique du nouveau Testament et contraire au dogme catholique lui-même rappelé encore par le concile de Trente au qinzième siècle, auraien t-ils pu oublier que Jésus était sémite et juif ?"


Éh bien, que je sache, Saint-Augustin est bien un des pères de l'Eglise, et pas un des moindres. Or, il suffit de le lire pour trouver la référence au peuple déicide /peuple témoin :

extrait : "Dieu donc a démontré la grâce de sa miséricorde à l'Eglise en la personne des Juifs ses ennemis... Il ne les a pas tués, c'est-à-dire qu'il ne les a pas voués à la mort en tant que Juifs, bien que vaincus et écrasés par les Romains, de peur qu'ayant oublié la Loi de Dieu, ils ne puissent même plus servir à témoigner pour nous... Mais il a ajouté : "Dispersez-les", car si, portant ce témoignage de leurs Ecritures, ils étaient seulement dans leur pays au lieu d'être dispersés partout, l'Eglise qui est partout pourrait-elle les avoir chez tous les peuples comme témoins des prophéties qui d'avance ont annoncé le Christ ?" (Traité de la Cité de Dieu, chapitre XLVI)

Autre traduction ici : [www.abbaye-saint-benoit.ch] :
"Dieu donc a fait voir sa miséricorde à l’Eglise dans les Juifs ses ennemis, parce que, comme dit l’Apôtre : « Leur crime « est le salut des Gentils ». Et il ne les a pas tués, c’est-à-dire qu’il n’a pas entièrement détruit le judaïsme, de peur qu’ayant oublié la loi de Dieu, ils ne nous pussent rendre le témoignage dont nous parlons. Aussi ne s’est-il pas contenté de dire : « Ne les tuez pas, de peur qu’ils n’oublient votre loi » ; mais il ajoute : « Dispersez-les». Si avec ce témoignage des Ecritures ils demeuraient dans leur pays, sans être dispersés partout, l’Eglise, qui est répandue dans le monde entier, ne les pourrait pas avoir de tous côtés pour témoins des prophéties qui regardent Jésus-Christ."

Pardon Chatterton et Cassandre mais il y en a comme ça des pages entières dans les écrits de l'Eglise et bien après le Concile de Trente et jusqu'à la veille de la Seconde Guerre mondiale, je ne vais pas toutes les recopier mais pour une synthèse vous pouvez vous référer au livre de Jules Isaac Genèse de l'antisémitisme, Calman-Lévy, 1956, pp. 166-172
This is bad theology, cher Rémi Pellet. Vous me trouverez une référence au « peuple déicide » dans le corpus patristique latin !

Éh bien, que je sache, Saint-Augustin est bien un des pères de l'Eglise, et pas un des moindres. Or, il suffit de le lire pour trouver la référence au peuple déicide /peuple témoin :

Pardon Chatterton mais il y en comme ça des pages entières dans les écrits de l'Eglise, je ne vais pas toutes les recopier mais pour une synthèse vous pouvez vous référer au livre de Jules Isaac Genèse de l'antisémitisme, Calman-Lévy, 1956, pp. 166-172


Je ne vois pas le mot déicide. Excusez-moi, mais nous ne nous amusons pas, ici. Nous avons des débats sérieux, fondés sur des textes incontestables. Vous venez avec une citation quelconque, que vous tronquez pour qu’elle paraisse antisémite, et d’où vous tirez je ne sais quoi.

Même la référence que vous donnez est fautive. Vous semblez ignorer que La Cité de Dieu comporte 22 livres. La citation que vous faites appartient au livre XVIII et elle figure effectivement (au milieu beaucoup d’autres phrases qui disent le contraire de ce que vous essayez de lui faire dire) au chapitre XLVI.

Je refuse de poursuivre le débat dans des conditions pareilles. Comment le juriste que vous êtes réagirait-il si je donnais comme argument « c’est écrit dans la loi », avant de citer au petit bonheur des fragments d’articles du Code de commerce, ou de n’importe quoi d’autre ? C’est insultant à la fin.

[Message complété]
Réponse à Marcel Meyer :

L'anti-sémitisme païen des nazis n'est pas une sorte de météorite tombée du ciel... Que deux mille ans d'enseignement chrétien du mépris à l'égard des juifs n'ait pas contribué à légitimer le délire anti-sémite nazi, vous aurez du mal à me le faire croire.

Cela ne signifie évidemment pas que l'Eglise ait approuvé les fours crématoires, alors surtout que la théorie du peuple témoin justifiait la protection des juifs.

Bien évidemment non plus, ma démarche ne consiste pas à tenter de banaliser l'islamisation des sociétés européennes contre laquelle il faut absolument résister : j'essaie simplement de souligner que nous aurions tout à perdre à prétendre résister à partir d'un bréviaire composé d'approximations et de contre-vérités.

Comme l'écrivait Kolakowski, cité par Jacques Dewitte dans son ouvrage L'exception européenne. Ces mérites qui nous distinguent, Michalon, 2008, "Nous affirmons notre appartenance à la culture européenne (..) par notre capacité à garder une distance critique envers nous-mêmes"

Décider qu'il ne doit plus y avoir de débat parce que cela affaiblirait notre défense contre l'islamisation serait suicidaire.

Réponse à Chatterton :

Je vous présente mes excuses si je vous ai vexé mais vous étiez vous-même, je crois, assez péremptoire.

Et je n'ai pas compris votre critique de la citation que je donnais de St Augustin : est-elle erronée ? N'est-il pas question d'un peuple qui a crucifié le Christ et qui doit payer sa faute en étant dispersé dans le monde pour que l'Eglise puisse partout attester du crime ?

Est-ce que vous voulez dire que ce thème n'a pas eu de postérité ? Jules Isaac cite l'ouvrage du R.P. Démann dans lequel il est dit que "vers 1950 la grande majorité des manuels d'enseignement catholique de langue française professait le thème du "peuple déicide" ou même de "la race déicide""

Si ce thème du peuple déicide, qui doit rester "peuple témoin", ne se trouve nulle part, par quelle bizarrerie se retrouve-t-il dans tous les manuels d'enseignement catholique jusqu'au début des années 1950 ?
L'anti-sémitisme païen des nazis n'est pas une sorte de météorite tombée du ciel... Que deux mille ans d'enseignement chrétien du mépris à l'égard des juifs n'ait pas contribué à légitimer le délire anti-sémite nazi, vous aurez du mal à me le faire croire.

Ce n’est pas possible ! Vous avez passé les vingt-cinq dernières années à lire Le Nouvel Observateur ? Et si je vous disais, moi, que quarante ans (au moins) d’accusations délirantes de nazisme par anticipation à l’encontre des chrétiens ont contribué à légitimer l’actuel génocide des chrétiens dans l’islam ?
Tenez, cher Rémi Pellet, en cherchant bien au fond de la Catholic Encyclopedia d’avant la Grande Guerre (elle est en ligne), je trouve cette référence aux livres de colportage du XVIIe siècle allemand donnant naissance à la légende du juif errant. Il s’appelle souvent Joannes Buttadeus — « frappe-Dieu ». Si ça n’est pas antisémite, ça. Si ça n’est pas l’origine de l’Holocauste. Mais enfin, il s’agit de légendes populaires. On est tout de même assez loin de la patristique...
Et je n'ai pas compris votre critique de la citation que je donnais de St Augustin : est-elle erronée ? N'est-il pas question d'un peuple qui a crucifié le Christ et qui doit payer sa faute en étant dispersé dans le monde pour que l'Eglise puisse partout attester du crime ?

Excusez-moi, je n’avais pas lu ce paragraphe dans votre réponse. Non, il n’est pas question de cela dans le passage que vous citez (mal) et il est même question du contraire exactement. Il fallait que le Christ fût mis à mort, afin que se réalisât le salut du monde.
Un autre lecteur persévérant du Nouvel Obs, Jules Isaac :

"Je dis et je soutiens que le racisme exterminateur de notre époque, même s'il est dans son essence antichrétien, s'est développé en terre chrétienne, et qu'il a soigneusement recueilli l'héritage, le très douteux héritage du christianisme (...) Et certes aujourd'hui, je le reconnais, il n'y a plus rien de chrétien dans de tels crimes. En faveur des persécutés, la charité chrétienne s'est employée, déployée parfois jusqu'à l'héroïsme. Et pourtant il est impossible d'oublier, parce que c'est un fait essentiel, que le racisme hitlérien est apparu sur un terrain que les siècles antérieurs lui avaient préparé. Les Nazis ont-ils surgi du néant ou du sein du peuple chrétien ?".

Conférence faite à la Sorbonne le mardi 15 décembre 1959, intitulée "Du redressement nécessaire de l'enseignement chrétien concernant Israël" et publié sous le titre "L'anti-sémitisme a-t-il des racines chrétiennes ?" en 1960 par Fasquelle.

Et je veux bien mal citer St Augustin mais je donne la traduction de l'abbaye Saint-Benoît...

Sinon oui, "Il fallait que le Christ fût mis à mort, afin que se réalisât le salut du monde.".... mais qui l'a tué ? C'est secondaire ?... Pas pour St Augustin apparemment et l'Eglise à sa suite jusqu'au début des années 1950...

Et non, je n'ai pas prétendu que le christianisme avait eu le monopole de l'anti-judaïsme en Europe mais ce n'est pas cet aspect là qui a le plus gêné l'Eglise, apparemment, dans les croyances "archaïques" ante-chrétiennes (celtiques et autres).
Et je veux bien mal citer St Augustin mais je donne la traduction de l'abbaye Saint-Benoît...

Vous donnez des citations tronquées et qui sortent du milieu d’un chapitre, monsieur.

Et vous citez un polémiste anti-chrétien. Ce qu’écrit ce monsieur n’est peut-être pas lu de la même façon à l’heure où dans 90% des cas les cibles de persécutions religieuses sur la planète sont les chrétiens et à l’heure où on fait peser de façon polémique la responsabilité de l’Holocauste sur les chrétiens pour justifier l’islamisation du continent européen.
Apparemment, les citations tronquées ont été assez bien diffusées dans les manuels d'enseignement de l'Eglise catholique.

Quant à votre argument selon lequel "il ne faut pas désespérer Billancourt"...
Et les juifs perfides, vous ne nous parlez pas de la prière pour les juifs perfides ?
Déclaration de repentance des évêques de France lue par Mgr Olivier de Berranger, Evêque de Saint-Denis au Mémorial de Drancy, le 30 septembre 1997

[www.eglise.catholique.fr]

(...)

Force est d'admettre en premier lieu le rôle, sinon direct du moins indirect, joué par des lieux communs antijuifs coupablement entretenus dans le peuple chrétien dans le processus historique qui a conduit à la Shoah. En effet, en dépit (et en partie à cause) des racines juives du christianisme, ainsi que de la fidélité du peuple juif à témoigner du Dieu unique à travers son histoire, la « séparation originelle» surgie dans la seconde moitié du Ier siècle a conduit au divorce, puis à une animosité et une hostilité multiséculaire entre les chrétiens et les juifs. Sans nier par ailleurs le poids des données sociales, politiques, culturelles, économiques dans le long itinéraire d'incompréhension et souvent d'antagonisme entre juifs et chrétiens, un des fondements essentiels du débat demeure d'ordre religieux. Cela ne signifie pas que l'on soit en droit d'établir un lien direct de cause à effet entre ces lieux communs antijuifs et la Shoah car le dessein nazi d'anéantissement du peuple juif a d'autres sources.

Au jugement des historiens, c'est un fait bien attesté que pendant des siècles a prévalu dans le peuple chrétien jusqu'au Concile Vatican II, une tradition d'antijudaïsme marquant à des niveaux divers la doctrine et l'enseignement chrétiens, la théologie et l'apologétique, la prédication et la liturgie. Sur ce terreau a fleuri la plante vénéneuse de la haine des juifs. De là un lourd héritage aux conséquences difficiles à effacer - jusqu'en notre siècle. De là des plaies toujours vives.

Dans la mesure où les pasteurs et les responsables de l'Église ont si longtemps laissé se développer l'enseignement du mépris et entretenu dans les communautés chrétiennes un fonds commun de culture religieuse qui a marqué durablement les mentalités en les déformant, ils portent une grave responsabilité. Même quand ils ont condamné les théories antisémites dans leur origine païenne, on peut estimer qu'ils n'ont pas éclairé les esprits comme ils l'auraient dû parce qu'ils n'avaient pas remis en cause ces pensées et ces attitudes séculaires.

(...)
Je crois que j'hallucine ! Mr. Remi Pellet contre le reste du monde.

A la vitesse où vont les choses on peut se demander si ce forum qui fut si longtemps le lieu de rencontre préféré d'un petit groupe de gens épris de liberté refusant le discours sans réplique de la doxa dominante ne va pas se transformer en terrain vague abandonné de tous.
Utilisateur anonyme
27 octobre 2012, 14:54   Re : Le Texte est-il déterminant ?
« Pourquoi le mot shoah me gêne-t-il ? Non pas en tant que tel, bien sûr (j'aime entendre les mots d'autres langues) mais parce que, titre avant tout d'un film (et l'un des plus nécessaires qui soient, et qui me fait regretter de n'avoir pas accompli pareille tâche avec les paysans de ma région natale, en haute Corrèze), ce mot semble une sorte de produit nominal dérivé — et dont le sens est voué à se séparer de plus en plus de son origine, jusqu'à faire de ce qu'on a appelé l'hypermnésie de la shoah un processus de culpabilisation a posteriori. C'est pourquoi à shoah ou à holocauste, je préfère le titre de Hillberg, La Destruction des Juifs d'Europe : sa froideur technique évoque mieux l'horreur de cet événement, pour moi dont la famille corrézienne a caché une famille juive, sous l'Occupation, chose que je n'ai apprise qu'il y a une quinzaine d'années, tant ces gens-là étaient enclins au silence et ce qu'ils avaient accompli une chose “toute naturelle”. »

Richard Millet, Fatigue du sens, éditions Pierre-Guillaume de Roux (2011), pages 69-70.
Premièrement les écrits des pères de l'Eglise que seuls lisent, d'ailleurs, les théologiens ou les historiens très spécialisés, n'ont pas à être mis sur le même plan d'autorité que les textes canoniques du Nouveau Testament qui sont ceux que tout le monde peut lire et que, depuis des siècles, des millions de personnes ont lus. Or dans ces textes il n'est nullement question ni de peuple déicide ni de référence à une quelconque race juive et pas d'avantage dans la catéchèse officielle .

En effet, ( pour aller vite je fais le copié-collé d'un commentaire, exact, trouvé sur google ) "Le catéchisme du concile de Trente (1566) ne porte aucune accusation de « déicide » à l'encontre des Juifs, bien au contraire. La crucifixion, selon le concile, a pour cause l'ensemble des péchés de tous les hommes depuis le péché originel jusqu'à la fin des temps. Voici ce qu'il dit exactement :
« Il faut ensuite exposer les causes de la Passion, afin de rendre plus frappantes encore la grandeur et la force de l'amour de Dieu pour nous. Or, si l'on veut chercher le motif qui porta le Fils de Dieu à subir une si douloureuse Passion, on trouvera que ce furent, outre la faute héréditaire de nos premiers parents, les péchés et les crimes que les hommes ont commis depuis le commencement du monde jusqu'à ce jour, ceux qu'ils commettront encore jusqu'à la consommation des siècles [...]. Les pécheurs eux-mêmes furent les auteurs et comme les instruments de toutes les peines qu'il endura. »
Or le Concile de Trente est la référence Magistérielle qui seule importe si l'on veut connaître la position de l'Eglise catholique."
«Et il faut le reconnaître, notre crime à nous dans ce cas est plus grand que celui des Juifs. Car eux, au témoignage de l'Apôtre, s'ils avaient connu le Roi de gloire, ils ne L'auraient jamais crucifié. Nous, au contraire, nous faisons profession de Le connaître. Et lorsque nous Le renions par nos actes, nous portons en quelque sorte sur Lui nos mains déicides.»

Et ceci , toujours trouvé sur google :

"L’expression latine Oremus et "pro perfidis Judaeis" était l’exorde d’une oraison prononcée dans la liturgie catholique lors de la prière du Vendredi saint. Introduite au VIIe siècle, elle signifiait originellement « Prions aussi pour les Juifs incroyants » (a, b, c et d Bernhard Blumenkranz, Juifs et chrétiens dans le monde occidental, 430-1096, éd. Mouton et Cie, Paris et La Haye, 1960 ; rééd Peeters, Paris-Louvain, 2006 p. 91-92 [extraits en ligne [archive]).
ou « Prions aussi pour les Juifs infidèles », au sens où ces derniers n'adhéraient pas à la foi chrétienne (« Sans doute le terme latin de “perfidia” signifie-t-il étymologiquement “infidélité”, “manque de foi” ou “incrédulité”, mais dans la tradition française – comme en d’autres langues – le mot a pu être perçu, plus tard, dans un contexte d’antijudaïsme, comme synonyme de “déloyauté”, de “fourberie”.

De fait dans les écrits patristiques il n'est jamais question de "peuple" déicide mais seulement des juifs "pro perfidis" , c'est-àdire seulement des juifs "infidèles" ou "incroyants" qui ont tué le Christ, à savoir essentiellement ceux du Sanhedrin . Enfin sur l'énorme corpus que représentent ces écrits cette allusion est suffisamment rare pour ne représenter en aucun cas une thèse défendue par les Pères.
Evidemment ces derniers et les rédacteurs du Nouveau Testament ne pouvaient pas prévoir l'existence de France-culture, de Libèration, de Canal+, de Caroline Fourest ou de Costa Gravats. Sinon vous pensez bien qu'ils auraient fait gaffe, eux aussi, à ne pas donner prise au soupçon d'amalgâââme !
Cassandre :

1° Je suppose que vous répondez à M. Chatterton parce que pour ma part je n'ai jamais, à aucun moment, mentionné cette histoire de juifs "perfides". Et il n'en est nullement question dans les ouvrages que j'ai cités. Jules Isaac, dans son ouvrage de 1959 Jésus et Israël, p. 364 rappelle que "perfidus doit être entendu dans un sens d'infidelis = infidèle, sans foi".

C'est un peu facile d'inventer les arguments de son contradicteur pour mieux lui répondre...

2° Vous prétendez, pour écarter les textes qui n'arrangent pas votre thèse, ne vous référer qu'à "ceux que tout le monde peut lire et que, depuis des siècles, des millions de personnes ont lus. Or dans ces textes il n'est nullement question ni de peuple déicide ni de référence à une quelconque race juive et pas d'avantage dans la catéchèse officielle."

Or, c'est précisément dans l'enseignement "populaire" de l'Eglise que se trouvaient les manifestations les plus explicites de son anti-judaïsme. Lisez les trois ouvrages de Jules Isaac et les publications de l'Eglise catholique elle-même dans laquelle elle reconnaît avoir alimenté l'anti-judaïsme.

Ce qui est cocasse dans cette polémique, c'est que Chatterton prétend qu'il n'y a nulle trace d'anti-judaïsme chez les pères de l'Eglise, mais il omet St Augustin, et vous vous prétendez que ce sont les textes "que tout le monde a pu lire depuis des siècles" qui sont irréprochables, alors que l'Eglise elle-même demande pardon pour ce qui fut son anti-judaïsme en tant qu'il a contribué à favoriser le développement de l'anti-sémitisme nazi.
Blaise Pascal :

"C’est une chose étonnante et digne d’une étrange attention de voir ce peuple juif subsister depuis tant d’années et de le voir toujours misérable, étant nécessaire pour la preuve de J. C. et qu’il subsiste pour le prouver et qu’il soit misérable, puisqu’ils l’ont crucifié. Et quoiqu’il soit contraire d’être misérable et de subsister il subsiste néanmoins toujours malgré sa misère."

[www.penseesdepascal.fr]
Rémi Pellet, vous soulignez ce qui va dans le sens de votre argumentation dans la déclaration de repentance. On peut aussi souligner ceci :

« Cela ne signifie pas que l'on soit en droit d'établir un lien direct de cause à effet entre ces lieux communs antijuifs et la Shoah car le dessein nazi d'anéantissement du peuple juif a d'autres sources. »

Et aussi

« Même quand ils ont condamné les théories antisémites dans leur origine païenne, on peut estimer qu'ils n'ont pas éclairé les esprits comme ils l'auraient dû »

Je n'ai quant à moi pas dit autre chose. Le reste est une affaire de dosage, de jugement moral, de sensibilité, et d'opportunité.

Je partage cependant votre souci de veiller à l'exactitude de nos arguments.
Cher Marcel Meyer, j'apprécie vraiment vos remarques et vous laisse bien volontiers, à vous et à Blaise Pascal, le dernier mot.
Cher M. Pellet, merci de nous citer Blaise Pascal. L'Occident, depuis lui, a évolué. Il a évolué dans ses perceptions, conceptions, du divin, de l'être juif, de l'histoire et vous savez bien comment. Avec Kant, puis Hegel, son intelligence de l'histoire s'est prodigieusement développée. Après Pascal, s'est affirmé l'humanisme critique dit des Lumières. Dites-moi, éclairez-moi, en quoi, en 2012, cette spéculation pascalienne sur le sort des Juifs nous représentent nous, Occidentaux en lutte contre ce qui nous menace ?

Quelle capacité d'évolution et d'unanimité en son sein, de consensus, de consentement à la contradiction interne, de débat et de résolution à contrecoeur, d'effacement devant la raison l'islam a-t-il montré depuis l'époque de Blaise Pascal ? Si nous mettions dans la balance les aggiornamentos de l'un, l'Occident chrétien, et la folle rigidité de l'autre, l'islam, quel enseignement politique devrions-nous en tirer, pour aujourd'hui, pour les événements de la semaine qui vient de s'écouler ?
Citation
Francis Marche
Cher M. Pellet, merci de nous citer Blaise Pascal. L'Occident, depuis lui, a évolué. Il a évolué dans ses perceptions, conceptions, du divin, de l'être juif, de l'histoire et vous savez bien comment. Avec Kant, puis Hegel, son intelligence de l'histoire s'est prodigieusement développée. Après Pascal, s'est affirmé l'humanisme critique dit des Lumières. Dites-moi, éclairez-moi, en quoi, en 2012, cette spéculation pascalienne sur le sort des Juifs nous représentent nous, Occidentaux en lutte contre ce qui nous menace ?

Quelle capacité d'évolution et d'unanimité en son sein, de consensus, de consentement à la contradiction interne, de débat et de résolution à contrecoeur, d'effacement devant la raison l'islam a-t-il montré depuis l'époque de Blaise Pascal ? Si nous mettions dans la balance les aggiornamentos de l'un, l'Occident chrétien, et la folle rigidité de l'autre, l'islam, quel enseignement politique devrions-nous en tirer, pour aujourd'hui, pour les événements de la semaine qui vient de s'écouler ?
Une réponse de Francis Marche! Je l'appelais de mes voeux, là, il y a quelques secondes! Plus sérieusement: les interventions de M. Pellet, y compris les réponses qu'il apporte à des propos qui ne lui sont pas directement adressés, sont intéressantes et stimulantes. Mais elle sont plus la matière typique d'une réunion-débat fort prenant qu'un outil de combat. Sous les bombes, n'y-a-t-il pas mieux à faire que couper les cheveux en quatre?
Cher Francis Marche, j'aurais eu grand plaisir à essayer de répondre à vos questions mais j'ai indiqué que je ne poursuivrai pas sur ce fil, alors surtout que je dois m'éloigner quelques jours de ma bibliothèque et qu'il me serait bien difficile de tenir l'échange avec vous sans l'aide de mes livres.

Mais puisque nous évoquions tantôt la colonisation permettez-moi seulement de vous demander de bien vouloir lire, si vous en avez le temps, les deux dernières parties de la thèse de Mme Huillery.

[piketty.pse.ens.fr]

Elles sont en anglais et je n'ai pas eu le temps de les lire et ne le pourrai sans doute pas à mon retour (je lis lentement en anglais, il y a beaucoup d'équations et je suis incapable de les vérifier). Je pense que le sujet vous intéressera particulièrement.

J'ai commencé à procéder à certaines vérifications concernant les deux premières parties de la thèse et si elles sont probantes je ferai un résumé de ces travaux qui remettent complètement en cause les analyses et conclusions de Lefeuvre et Marseille sur le sujet.
"C'est un peu facile d'inventer les arguments de son contradicteur pour mieux lui répondre..."

Excusez -moi, cher Rémi Pellet, mais c'est involontaire : j'ai, en effet, un peu confondu les messages.

L'Eglise ne s'est jamais remise de ne plus être du côté du manche. Elle a compris que pour y être à nouveau il lui fallait l'onction de l'autre église : la cathodique. Pour cela rien de tel qu'une bonne petite com' d'auto-flagellation et de défense des immigrés dans lesquels, de surcroît, elle voit les catholiques de demain, comme Terra Nova y voit l'électorat de demain. Moyennant quoi elle bafoue à nouveau l'enseignement du Christ : pas un mot de compassion, jamais, pour les souffrances du peuple "de souche" qui vit l'enfer des banlieues de l 'Afrique, et dans lequel elle eût pu voir au moins, à l'instar du Christ, la brebis égarée qui mérite que l'on laisse toutes ses ouailles pour la ramener au bercail. Pas un mot d'indignation, jamais, à l'instar du Christ contre les pharisiens, pour fustiger l'hypocrisie de la Bien pensance cathodique qui impose à ce peuple un fardeau, celui de l'immigration, que les portes-paroles de ladite Bienpensance ne supportent pas mais encore aggravent par leurs discours irresponsables. Enfin, pas un mot, jamais, pour énoncer, sur ces sujets, la moindre vérité qui fâche la nouvelle Eglise, alors que Jésus a dit : "Je suis la vérité et la vie".

(message corrigé)
Ce qui est cocasse dans cette polémique, c'est que Chatterton prétend qu'il n'y a nulle trace d'anti-judaïsme chez les pères de l'Eglise, mais il omet St Augustin

Monsieur Pellet, vous portez très gravement atteinte à mon intégrité de scientifique et d’homme de lettres en m’accusant de « prétendre qu’il n’y a nulle trace d’anti-judaïsme chez les pères de l’Église » et puis « d’omettre S. Augustin ».

Moi, je vous ai demandé de me fournir une référence au « peuple déicide » dans le corpus patristique latin ! Cela et rien d’autre. « Peuple déicide », c’est assez clair, il me semble. Vous ne m’avez rien fourni de tel et les fragments de S. Augustin que vous citez en les tronquant ne feront certainement pas l’affaire !

Je connais peut-être un peu mieux S. Augustin que vous, à la fin.
M. Chatterton je ne vois pas comment je pourrais attenter à votre "honneur de scientifique et d'homme de Lettres", rien que ça, puisque vous intervenez sous un pseudonyme et que je ne vous connais ni des lèvres, ni des dents.

En revanche, je sais bien ce que vous aviez écrit et que je copie-colle :

"Et quant à la « conservation des juifs » à fin d’édification, ce n’est pas de la théologie du tout. Contrairement à l’idée vulgaire, l’Église n’a en effet jamais cherché à convertir les juifs. Retourner ce que le tolérantialisme contemporain considère probablement comme un « bien » en un « mal », en postulant que cette absence de volonté de conversion avait sans doute pour but l’exemplarité et la volonté d’humilier, relève de la polémique, et de la plus basse."

J'espère que vous ne le prendrez pas mal si je recommande le scientifique et l'homme de Lettres que vous êtes à Blaise Pascal afin que vous lui expliquiez à lui aussi qu'il a rêvé et que son propos (".. voir ce peuple juif subsister depuis tant d’années et de le voir toujours misérable, étant nécessaire pour la preuve de J. C. et qu’il subsiste pour le prouver et qu’il soit misérable, puisqu’ils l’ont crucifié") "relève de la polémique, et de la plus basse"

Quant à l'idée de peuple déicide, c'est-à-dire la responsabilité des juifs en tant que peuple dans la crucifixion du Christ, si vous ne la trouvez pas chez Saint-Augustin parce que le passage que je vous ai cité ne vous convient pas, le père Isidoro Da Alatri pourra vous aider. Il paraît que "L'ouvrage du Père Isidoro da Alatri o.f.m. est l'un des plus beaux jamais écrits sur la question du déicide" :

[catholicapedia.net]
» Le Coran suffit à la vérité, il va nu, sans harde, dépouillé

Ah, cher Francis, on a un peu l’impression, à vous lire, que pour vous l’incivilisé détient la vérité, par coïncidence réalisée entre son verbe et sa chair, ou son acte, alors que le civilisé, s’en étant détaché par idéalité exacerbée, ne peut plus que la rechercher, nourrissant cet écart du produit de sa quête inachevable…
Non Alain. Vous m'avez lu à contresens, comme souvent. Et c'est sans doute "la lecture sur écran", naturellement cursive, qui est en cause. Deux herméneutiques: celle du civilisé; celle du barbare. Comment et en quoi se distinguent-elles, et comment le civilisé, penché sur le barbare et lui appliquant l'heuristique qui est la sienne, s'aveugle, se fourvoye, s'illusionne, manque son objet. C'est que le Barbare va nu mais masqué. De quoi se compose son masque ? eh bien de son aveuglante nudité. La parole nue du meurtrier est insaisissable, énoncer "je te tue" en tuant, est invraisemblable, impossible à un Occidental. Pour un occidental celui qui énonce "je te tue", ne peut tuer comme il le dit. Dans l'esprit de l'Occidental, il doit s'agir d'une métaphore, laquelle en son principe (voir les Cahiers de captivité de Levinas sur la question de la métaphore), est l'expression même de la soumission au divin, la voix spéculaire du divin (la métaphore réfléchit la présence de Dieu).

Il y a donc un point aveugle chez le civilisé qui a besoin d'un dévoilement, ou de l'actualisation possible, potentielle d'un dévoilement pour que le sens des actes se révèle au travers des paroles. Je ne crois pas à ce sujet qu'il y ait de meilleure image que celle de l'Homme invisible, celui des fictions un peu grises de l'enfance de la science fiction: l'Homme invisible, pour paraître comme tel, se doit d'être vêtu; s'il allait nu, il disparaîtrait, il cesserait même de se faire connaître comme Homme invisible. Il se fondrait au néant sans limite, il fuirait dans l'indistinction, il cesserait d'être homme pourvu d'un corps borné ou bornable et, de ce chef, sa caractéristique d'invisibilité qui le définit, celle de sa remarquable présence au sensible hors la perception visuelle, se perdrait, ne serait plus même intelligible, quitterait son sujet. L'homme invisible dévêtu est plus qu'invisible. Il ne se révèle à nos sens, et ne se laisse identifier par notre conscience comme invisible, qu'habillé de métaphore.

Le clivage est probablement d'ordre théologique, spirituel: le dieu des musulmans parle sans métaphore, le nôtre ne parle que dans la métaphore (pour les chrétiens il le fait dans et par l'apologue néotestamentaire et ses systèmes de représentations, y compris symboliques). Ce clivage originel, principiel est peut-être à l'origine de deux traditions (appropriation par distanciation chez nous, où "le symbole donne à penser", et certitude apodictique chez eux) qui n'ont cessé de s'éloigner l'une de l'autre sous l'effet de ces causes fondamentales.

La nudité du barbare, l'extrême crudité de sa parole, nous le rendent plus qu'invisible: absent, noyé dans le néant ; sa sinistre énonciation de la "vérité" est indéchiffrable, elle le dissimule, l'éloigne de nos systèmes de perception et de repérage, y compris bien sûr, de repérage du danger qui devrait intéresser le politique.

Sur ce point, Nietzsche est très éclairant: il revendique "l'habillement de la vérité", l'indispensable vêture qui révèle la présence du sens et signale la beauté, et qui est une invite à identifier la vérité, à repérer sa trace, à la lire. Mais ce faisant il semble revendiquer de ne pas vouloir, ou de ne plus vouloir admettre quelque adéquation ou coïncidence que ce fût entre la vérité et la chose vraie, entre la vérité et la nudité de la vérité qui serait la chose indévoilable parce qu'essentiellement donnée dans son étant-nue. C'est ainsi que Nietzsche, souvent séduit par l'islam semble ici prendre parti de se priver de voir l'islam tel qu'il est : antéposé à cette conception délibérée et volontaire, à cet abord nouveau qu'il décrète alors (Turin 1888) pour la fréquentation de la vérité et ce faisant il se montre en quelque sorte, et nonobstant sa formidable lucidité, aveugle par choix, et, comme souvent, visionnaire en négatif:


Quant à notre futur, on a peu de chances de nous trouver sur les brisées de ces adolescents égyptiens qui, la nuit, rendent les temples peu sûrs, enlacent les statues, et veulent à tout prix dévoiler, découvrir, mettre en pleine lumière tout ce que l’on a de bonnes raisons de tenir caché. Non, ce mauvais goût, ce désir de vérité, de « vérité à tout prix », cette fureur juvénile dans l’amour de la vérité -- nous en sommes dégoûtés, nous sommes pour cela trop plein d’expérience, trop sérieux, trop gais, trop échaudés, trop profonds…
Nous ne croyons plus que la vérité reste encore vraie lorsqu’on la dépouille de ses voiles -- nous avons trop vécu pour le croire… Maintenant, c’est pour nous simple question de convenance, que l’on ne puisse tout voir nu, que l’on ne puisse assister à tout, tout comprendre et tout « savoir », TOUT comprendre, c’est tout mépriser… « Est-il vrai, demandait une petite fille à sa mère, que le Bon Dieu soit partout présent ? Je ne trouve pas cela convenable ! » Que les philosophes retiennent la leçon. On devrait honorer davantage la pudeur avec laquelle la Nature se dissimule derrière ses énigmes et ses impénétrables incertitudes. Peut-être la vérité est-elle une femme qui a ses raisons de ne pas laisser voir ses raisons ? Peut-être son nom est-il en grec, Baubo ? --- Oh, ces Grecs ! Ils s’y entendaient, à vivre ! Pour cela, il est indispensable de s’en tenir courageusement à la surface, à la ride, à l’épiderme, d’adorer l’apparence, de croire aux formes, aux sons, aux paroles, à tout l’Olympe de l’apparence ! Les Grecs étaient superficiels… à force de profondeur !... Et n’est-ce pas à cela que nous revenons, nous les casse-cou de l’esprit, […] ne sommes pas, en cela, des Grecs ? Adorateurs des formes, des sons, des mots ? Et, par là même… des artistes ?

Francis, ceci trop rapidement formulé, mais je ne pense pas que Nietzsche se prive de voir l'islam tel qu'il est, au contraire, et ce qu'il voit lui plaît : le Dieu de l'islam (comme du judaïsme d'ailleurs) est infigurable et inconcevable : cela exige que son paraître dans ce monde-ci soit chargé du maximum de concrétude. À la fois infigurable et totalement présent.
Qu'en subsiste-t-il alors, de ce Dieu aussi inatteignable que manifeste, remplissant sans reste la totalité du réel, toutes sphères confondues, à ce point distant que le lien entre l'apparaître et ce qu'il est censé figurer semble rompu ? Il reste l'apparence toute seule, motif éminemment nietzschéen, rappelant à s'y méprendre ce dépassement tant vanté du monde vrai et du monde apparent dans Le Crépuscule des idoles.
Alain
La jeunesse s'esclaffe et s'éblouit sur tout ce qui lui échappe et qu'elle croit soudain discerner dans l’entrebâillement d'un éclair comme la vérité suprême enfin atteinte, c'est son état absolu qui l'entraîne, et c'est bien comme cela. Les paroles de la Bible sont là pour lui rappeler qu'elle est mortelle et que sa vérité d'un jour n'est qu'un signe vers une vérité qui grandit toujours demain et pour demain. Ce monde sauvage que vous nous vantez tant et avec une sorte de mépris pour ceux qui ne le vante pas à tout va n'entend pas la parole qui se libère un peu plus chaque jour pour le civilisé qui suit son chemin. Il meurt de suite et n'a pas d'avenir sauf en son paradis imaginaire et truqué par des textes qui entretiennent la peur du fidèle vis à vis de la désobéissance et donc en font un aliéné. Dieu laisse le choix aux hommes dans la Bible c'est comme cela qu'il est Dieu aussi inatteignable que manifeste comme vous écrivez et non par la force. Ce n'est parce que vous vous répétez toute la journée que vous êtes un homme bon que vous l'êtes ! C'est parce que vous en faites le choix. Voilà qui change tout et si cet axiome-là déterminant pour l'humanité meurt l'homme mourra avec.
Cet homme doit juste être mis sur le chemin de ce choix et c'est sans doute là qu'est toute la difficulté.
Monsieur Pellet,

Je vous parle de patristique latine et vous me répondez en invoquant Blaise Pascal et le livre d’un curé. En clair, vous écrivez n’importe quoi.

Je ne sais pas qui vous êtes. Je ne sais pas ce que vous essayez de démontrer. Je ne sais pas qui vous essayez de condamner (les Pères de l’Église ? le magistère ? le bas-clergé ? le peuple chrétien ? la civilisation chrétienne ? l’Évangile lui-même ?), mais je sais que c’est parfaitement insupportable.

Je vous signale — et ce sera ma dernière intervention sur le sujet — qu’on trouve le terme déicide (deicidis) chez Augustin, dans les Commentaires sur les psaumes. Augustin RÉFUTE LA NOTION. Ce n’est pas difficile à trouver, il suffit de googler sur Google Books Augustinus et deicidis. On découvre alors (commentaire du psaume 65) : « Le sang du Seigneur a été répandu et pardonné à des homicides, pour ne pas dire à des déicides (ut non dicam deicidis) : « Car s’ils eussent connu le Seigneur de la gloire, ils ne l’eussent jamais crucifié » (I Cor. II, 8). Naguère donc, Dieu a pardonné aux homicides le sang innocent qu’ils avaient répandu; ils ont bu par la grâce ce même sang versé par leur fureur. »

Voilà, ce qu’il a à dire, Augustin.
Cher Monsieur Chatterton,

à vous lire, je me demande bien où Blaise Pascal, votre confrère scientifique et homme de Lettres, est allé pêcher ce qu'il écrit.

C'est bizarre n'est-ce pas, on trouve chez Pascal et St Augustin exactement la même idée du peuple témoin, criminel parce que responsable de la mort du Christ, condamné à la déchéance et à être dispersé.

Vous me direz qu'un peuple tenu pour responsable d'avoir fait tuer le Christ n'est pas exactement un peuple déicide.

Bizarrement là encore, ce n'est pas comme cela que l'Eglise l'a compris pendant quelques siècles, avant et après Pascal, et comme s'obstinent à vouloir le comprendre quelques curés qui ont raté l'aggiornamento d'après guerre.

C'était réellement ma dernière intervention sur le sujet. Je dois préparer ma réponse à la demande de M. Marche.

Bien à vous


[www.abbaye-saint-benoit.ch] :
St Augustin
"Dieu donc a fait voir sa miséricorde à l’Eglise dans les Juifs ses ennemis, parce que, comme dit l’Apôtre : « Leur crime « est le salut des Gentils ». Et il ne les a pas tués, c’est-à-dire qu’il n’a pas entièrement détruit le judaïsme, de peur qu’ayant oublié la loi de Dieu, ils ne nous pussent rendre le témoignage dont nous parlons. Aussi ne s’est-il pas contenté de dire : « Ne les tuez pas, de peur qu’ils n’oublient votre loi » ; mais il ajoute : « Dispersez-les». Si avec ce témoignage des Ecritures ils demeuraient dans leur pays, sans être dispersés partout, l’Eglise, qui est répandue dans le monde entier, ne les pourrait pas avoir de tous côtés pour témoins des prophéties qui regardent Jésus-Christ."
Le christianisme a partie liée avec la démocratie libérale, l'antisémitisme, le communisme, la science expérimentale, l'économisme, le tout et son contraire de la modernité, de ce qui la précède et de ce qui lui succède. Seulement, on rappelait ici, il y a peu, que plus on s'intéresse au christianisme, moins on s'intéresse au Christ. Ceux qui imitèrent Jésus-Christ donnèrent leur vie pour sauver le Bon Samaritain, juif ou pas, la brebis égarée, juive ou pas.

La Passion est le coeur du christianisme. Si la culpabilité du "peuple déicide" était la clef interprétative de l'Évènement, l'Histoire aurait été tout autre et les Juifs en Chrétienté auraient peut-être été moins persécutés, acquérant comme en Islam un statut de dhimmitude. Le "c'est nous qui L'avons tué" l'emporte contre la logique sacrificielle du juif émissaire, sans pouvoir totalement la réduire (d'où des accès d'anti-judaïsme qu'aucun interdit statutaire ne vient enrayer) tant elle inscrite, non dans le christianisme, mais dans le coeur des sociétés.

La fête de l'Aïd el Kébir rappelle que le sacrifice est au coeur de l'islam qui fonde la transcendance sur l'extériorisation de la violence, la réification de la créature (soumise) et du Texte (dicté).
« La fête de l'Aïd el Kébir rappelle que le sacrifice est au coeur de l'islam qui fonde la transcendance sur l'extériorisation de la violence, la réification de la créature (soumise) et du Texte (dicté). » (Pierre Henri)

D'ailleurs il me semble qu'en ce qui concerne le Christ il s'agit avant tout d'une "aspiration", mais je peux me tromper.
Monsieur Pellet,

Cette avalanche d’insinuations calomnieuses (« bizarrement ce n'est pas comme cela que l'Eglise l'a compris pendant quelques siècles »), d’inférences idiotes (du style : Blaise Pascal l’a bien trouvé quelque part) et de textes dont vous ne comprenez manifestement pas un traître mot et auxquels vous donnez le sens que vous voulez (« on trouve chez Pascal et St Augustin exactement la même idée du peuple témoin, criminel parce que responsable de la mort du Christ ») vous déshonore, ni plus ni moins.

Nous étions ici, avant que vous n’y fassiez irruption, un petit aréopage de philosophes et de lettrés. Vos inventions sont des insultes non seulement à vos lecteurs mais à la science elle-même, parce que vous jetez aux orties la théologie, l’exégèse et l’herméneutique, pour produire un savoir spontané, comme n’importe quel imbécile qui, ayant fait deux recherches sur internet, s’imagine qu’il peut prononcer sur tout.
Rémi,


Vous n'y arriverez pas.

Pour Dieu sait quelle raison, on ne peut admettre ici que si l'Eglise a su se débarrasser des oripeaux de l'antijudaïsme, forme camouflée de l'antisémitisme, et que si l'Islam n'y est pas parvenu, la situation était autre autrefois.

Les Espagnols ont expulsé les Juifs, les Ottomans les ont recueillis ; les mêmes Ottomans ont assuré aux Juifs une vie paisible alors qu'en la proche Russie orthodoxe ils étaient persécutés et qu'il y a cent ans encore les pogroms fleurissaient.

Cela, je ne sais pourquoi, ne peut être dit. L'islam doit être odieux du début à la fin.
Citation
Marie Bal
Alain
La jeunesse s'esclaffe et s'éblouit sur tout ce qui lui échappe et qu'elle croit soudain discerner dans l’entrebâillement d'un éclair comme la vérité suprême enfin atteinte, c'est son état absolu qui l'entraîne, et c'est bien comme cela. Les paroles de la Bible sont là pour lui rappeler qu'elle est mortelle et que sa vérité d'un jour n'est qu'un signe vers une vérité qui grandit toujours demain et pour demain. Ce monde sauvage que vous nous vantez tant et avec une sorte de mépris pour ceux qui ne le vante pas à tout va n'entend pas la parole qui se libère un peu plus chaque jour pour le civilisé qui suit son chemin. Il meurt de suite et n'a pas d'avenir sauf en son paradis imaginaire et truqué par des textes qui entretiennent la peur du fidèle vis à vis de la désobéissance et donc en font un aliéné. Dieu laisse le choix aux hommes dans la Bible c'est comme cela qu'il est Dieu aussi inatteignable que manifeste comme vous écrivez et non par la force. Ce n'est parce que vous vous répétez toute la journée que vous êtes un homme bon que vous l'êtes ! C'est parce que vous en faites le choix. Voilà qui change tout et si cet axiome-là déterminant pour l'humanité meurt l'homme mourra avec.

Chère Marie, les paroles de la Bible (l'Ancien Testament) ne sont là pour rien du tout, sinon pour une seule et unique chose : elles constituent l'ensemble des livres sacrés du judaïsme, et commandent à l'homme la pratique de la foi, autrement dit ce qu'il est convenu d'appeler le "Travail du Créateur" (le Service) . Ce qu'il y est dit et narré est d'autre part parfaitement secondaire, si tant est qu'on puisse en retirer un vulgaire "enseignement".
Il n'y a pas de choix qui tienne, il ne peut y en avoir, pas plus qu'on ne peut choisir son Dieu et la façon de l'accommoder à ses goûts et foucades, pas plus que vivant on puisse choisir de naître : l'on "croit", alors on accepte le fardeau, et sa vie en est tout orientée.
Telle est la conception du théologien Yeshayahou Leibowitz, dans le droit fil de la pensée de Maïmonide, et l'incroyant que je suis la trouve suffisamment singulière pour qu'on ne cède à la tentative de l'affadir par de modernes accommodements ; cette religion-là, dans cette optique, est tout sauf un humanisme.
Message suprimé par l'auteur.
Permettez cher Alain je n'ai certainement pas eu le même enseignement religieux que le vôtre et je ne marcherai pas sur vos plates bandes. Cependant je me fis à celui qui m'a été transmis où il était question non de service (quel horreur ! ) mais bel et bien d'un choix de faire le bien ou le mal. Et non d'une vaste tyrannie pour mener le peuple par le bout du nez. D'ailleurs au moins vous, vous avouez n'être pas croyant, chose pour le moins des plus banales aujourd'hui et qui fait qu'il ne reste plus beaucoup de monde pour parler réellement de foi. Je constate simplement qu'un vent de folie prend tous les (non)croyants (l'amertume d'avoir perdue la foi sans doute) et qu'ils rêvent tous soit de suicide soit de soumission, aï! Dans quel société vivrons-nous bientôt ?! Je ne parlais pas d'humanisme par ailleurs.
Visiblement les chrétiens sont les nouveaux boucs émissaires agrrh !
De plus vous ne pouvez pas nier que la Bible est à l'origine de notre civilisation.
Il va de soi, Marie, qu'il ne s'agit pas d'accaparer le Livre, il ne manquerait vraiment plus que ça ! mais de vous faire part d'une lecture particulière, comme je l'avais déjà fait naguère je crois, et que vous pouvez marcher sur toutes les plates-bandes que vous voudrez.
J'ai bien compris cette lecture. Je comprends également sa différence de position vis à vis du Livre celle-ci ne m'apparaissant pas meilleure que celle des catholiques, ni moins sujette à fabriquer des bouc émissaires ou même plus apte à créer un monde meilleur.
Je discutais surtout, je m'étonne que vous ne l'entendiez pas, sur l'absence de corrélation entre la foi chrétienne et les crimes nazis. De tout temps il y a eu des différends théologiques entre les religions, accuser les chrétiens d'avoir plus que d'autres religions persécuté leurs adversaires me paraît étant donné l'époque relever d'un manque d'in- nocence évident.
De plus là aussi je m'étonne de votre réaction comment ne pas voir le danger qu'il y a devant la volonté de domination d'une religion par l'application à la lettre de ses textes comme principe de foi ? Je me demande si vous ne faites pas de la provocation. Malheureusement ceux qui accusent les chrétiens de chercher des guerres de religion ne connaissent rien de cette religion il l'accuse parce que pour eux, au mieux il n'y a pas de religion sans guerre de religion, au pire ils ont besoin d'un nouveau coupable. Or bien des joyaux de notre civilisation viennent de la Chrétienté que cela plaise ou non à ceux qui s'empressent de vouloir balayer ces beautés d'un revers de la main pour les remplacer par ce qui se veut vérité absolue.
Je ne suis pas théologienne je suis abasourdie et surtout je ne vois aucune raison d'ignorer ce que j'ai vu et vécu des merveilles d'une civilisation pour applaudir les nouvelles absurdités qui viennent les remplacer avec tout l'orgueil de leur ignorance sans même prendre la peine de se pencher sur le passé qui a fait que nous puissions nous exprimer et jouir librement de la vie aujourd'hui.
Si le christianisme n'a pas pu empêcher les chrétiens de faire souvent le mal, c'est qu'il est dans la nature de l'homme, héritier du péché originel, de faire, par facilité, le mal même quand il connaît le bien. Il a fallu, justement, tout l'angélisme chrétien pour le retenir un peu sur cette pente. Comment, en revanche, l'islam pourraien t-il le retenir, lui qui sacralise ses pires pulsions ?
J'aurais aimé pouvoir l'exprimer de cette manière Cassandre. Il est en effet étrange que si peu voient les vrais chemins du Christianisme le suspectant sans cesse de violence cachée ou de haine quand comme vous le soulignez le mal est dans la nature. Quant à l'Islam on me répond sans cesse "laissez-leur le temps d'évoluer, nous, il nous a fallu du temps" sans prendre en compte la violence des textes ni le carnage que serait supposé supporter les autres civilisations pour le bien de cette évolution qui, se fera ou ne se fera pas là est la question.
Il est à noter entre autre que le Christ, contrairement à Mahomet, n'est pas un guerrier. Exemplarité d'une vie in-nocente ?
"N'allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur terre ; je ne suis pas venu apporter, non la paix, mais le glaive. Car je suis venu séparer le fils de son père (...)" [Mt 10-34]

L'économisme apporte la fausse paix des individus par annulation comptable des dettes réciproques. La hiérarchie apporte la fausse paix du rite, du Texte et du sacrifice. Le monde chrétien, d'être incapable d'épouser pleinement la véritable paix de l'Amour, qui néanmoins le trouble, sape les fausses paix (sépare le fils du père, arrache l'individu à lui-même) et se dénature (ressentiment des victimes...), s'expose à un déchaînement inouï de la violence.

Je doute que ce soit à l'aune de la violence en Chrétienté que l'on puisse mesurer la violence en Islam et son rapport avec le Texte.
01 novembre 2012, 14:03   A propos du mot "shoah"
David G. Roskies (Against the Apocalypse, responses to catastrophe in modern Jewish culture, Syracuse University Press pp. 260 sq) explique les fonctions du choix de ce mot biblique Shoah, catastrophe, désolation. Le mot cherche à nommer l'événement nazi en l'isolant de la continuité historique et en inaugurant une nouvelle manière (sioniste laïque ou religieuse) d'être juif. Spontanément, les rescapés auraient eu tendance à appeler ces années de génocide der dritter 'hurbm en yiddish, ou en hébreu he'hurban hashelishi, la troisième calamité, formulation qui aurait intégré l'événement dans la continuité de l'histoire juive et de la religion de l'Alliance.

D'autre part, on lira avec intérêt les pages 275-302 des Racines chrétiennes de l'Europe de Bruno Dumézil, Fayard 2005, consacrées à la politique de réduction des Juifs (après les ariens et les païens) par les rois wisigoths catholiques d'Espagne, entre 586 et 711 (date de la conquête arabe). On y voit avec surprise comme la répétition des actes persécuteurs et assimilateurs des Rois Catholiques et de leurs successeurs après les pogroms de 1391 et la prise de Grenade de 1492. Ce qui semble en cause ici n'est pas le Texte des Evangiles chrétiens, ni même Saint Augustin dans ses écrits théologiques, mais les canons et coutumes juridiques des églises du temps et leurs relations mutuelles (Tolède-Rome, Tolède-Carthage, Constantinople, etc) : spirituelles, politiques, linguistiques, culturelles.

Les rapports au Texte d'un chrétien de l'Antiquité et d'aujourd'hui, ceux d'un Juif des temps talmudiques ou de 1948, ou encore la manière dont un salafiste lit le Coran par rapport à la lecture des premiers Chiites, disons, ne se peuvent en aucune façon comparer sans d'infinies précautions de toute nature (et malgré des lacunes considérables). Déjà, s'interroger sur ce que les intéressés vivent et nomment "lecture", les circonstances, la langue, l'autorité du Texte (variable), les mythes attachés à lui, etc ... Malgré tout l'intérêt de ce débat approfondi, je ne suis pas convaincu que les actes de Merah ou de l'assassin d'Ali au début de l'islam disent quoi que ce soit d'utile du Texte coranique, pas plus que les actes de Lénine, Staline ou Pol Pot disent la vérité du texte de Marx.
« "N'allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur terre ; je ne suis pas venu apporter, non la paix, mais le glaive. Car je suis venu séparer le fils de son père (...)" [Mt 10-34] » (cité par Pierre Henri)

(ou dans une version qui respecte d'avantage la ponctuation : "... je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive ...")


Pardonnez-moi mon ignorance, Cher Pierre Henri, de quel glaive est-il question dans ce passage ? Celui du symbole de la spiritualité ? celui de la justice ? des combats ? de la guerre ? ou alors une épée quelconque ? à double tranchants !? ou encore "le glaive de l'Esprit, c'est-à-dire la Parole de Dieu (...)" [Ep 6-17] ? (... la liste est longue et je ne sais que lire)
« pas plus que les actes de Lénine, Staline ou Pol Pot disent la vérité du texte de Marx »

Je ne crois pas, cher Henri Bès, qu'il y ait une vérité unique et totalisante du texte de Marx — ni à plus forte raison du texte coranique — et de longue date on a remarqué que l'on pouvait y puiser facilement de quoi justifier tout et son contraire, à cause des très nombreux textes de circonstance, mais pas seulement à cause d'eux. Cependant, parmi les lectures que l'on peut légitimement en faire il y a celle qui en déduit, justifie ou même prédit les actes de Lénine, Staline ou Pol Pot. C'était notamment, dés l'époque, la lecture pourtant très admirative qu'en avait faite Bakounine.

(Corrigé le lapsus Boukharine pour Bakounine)
J'ai lu plusieurs fois de ce passage l'explication suivante : la Vérité révélée par le Christ va opposer ceux qui la recevront à ceux qui la refuseront, elle tranchera entre eux comme un glaive et opposera le fils à son père, la fille à sa mère, la belle-fille à sa belle-mère.
Je vous remercie, Cher Marcel Meyer, je ne la connaissais pas mais elle est dans l'esprit du texte (« glaive... de Dieu »).
« Je ne crois pas, cher Henri Bès, qu'il y ait une vérité unique et totalisante du texte de Marx — ni à plus forte raison du texte coranique — et de longue date on a remarqué que l'on pouvait y puiser facilement de quoi justifier tout et son contraire, à cause des très nombreux textes de circonstance, mais pas seulement à cause d'eux. (...) » (Marcel Meyer)

Peut-être aussi parce que, comme le dit Pascal dans cet aphorisme, « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » ?...
01 novembre 2012, 17:46   Re : Le Texte est-il déterminant ?
D'ailleurs, cher Marcel Meyer, une lecture qui cherche à justifier des actes et des ambitions de ce genre dans un texte risque de n'être pas de très bon aloi. Et un texte qui aurait une vérité unique et totalisante, rêve de plus d'un, pourrait manquer d'intérêt s'il existait.
Oui mais Bakounine a montré de façon tout à fait logique que le concept marxiste de dictature du prolétariat ne pouvait mener qu'à une tyrannie bureaucratique et oligarchique.
Merci de votre correction, cher Louis Piron : j'avais malencontreusement mélangé deux versions de ce fameux avertissement qui n'est pas isolé. On lit dans Luc (12,51-52) : "Pensez-vous que je sois venu mettre la paix dans le monde ? Non, je vous le dis, mais plutôt la division." L'épée n'est pas celle de la sourate IX par laquelle ceux qui craignent Dieu réduisent les infidèles. Cette dernière, vengeresse, ne sème pas la division, au contraire, elle soude l'Umma.

Le glaive qui nous intéresse ruine l'ordre social naturel (les deux "fausses" paix, le désengagement de chacun par annulation comptable des dettes et le sacrifice qui contient le déchaînement mimétique du désir) : "Si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on ? Aussi bien, les pécheurs aiment ceux qui les aiment." (Luc 6, 32) Ne "rien espérer en retour" (Luc 6,35 ) condamne la réciprocité qui sous-tend le cycle des vengeances et, manipulée, l'injustice, mais aussi la cohésion sociale et le bonheur de l'amour partagé.

Mes courtes contributions à ce fil cherchent à susciter une analyse girardienne de la question. Le forum oppose souvent deux rapports au Texte, celui de l'islam, religion du Livre dicté, et celui du christianisme, religion de l'Incarnation qui inspira des témoignages traversés de citations, “L'Imitation de Jésus-Christ” (et l'intervention de Louis Piron opposant les vies de Mahomet et de Jésus). Mais, sauf erreur, la théorie girardienne du sacrifice est toujours éludée. Que le sacrifice soit maintenu ou renversé ne détermine-t-il pas le rapport au Texte autant que le Texte lui-même ?
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