Le site du parti de l'In-nocence

Michel Serres et Alain Finkielkraut

Envoyé par Alain Neurohr 
Voilà des années que je m'ébahis de l'importance médiatique de Michel Serres. Il y a une erreur factuelle dans à peu près une phrase sur deux qu'il écrit ou prononce. Dans le "Livre des Fondations", il reprend à son compte une vieille erreur sur ''religion''. Ce mot ne peut venir de ''religare'' relier, tous les philologues savent qu'il provient de ''religere'' relire, en fait recompter les cailloux ou tous objets déposés devant soi, avant que l'écriture n'existe. Pratique bien sûr de magicienne et de sorcier. Je pourrais multiplier les exemples d'erreurs en ''serrie''.
Ce matin du 8 décembre 2012, à l'écoute de l'émission d'Alain Finkielkraut, mon ébahissement a redoublé. Il y eut certes le lot habituel d'erreurs. MS semble croire qu'entre le peu maniable ''volumen'' antique, qu'il fallait dérouler d'une main et enrouler de l'autre pour lire la Bible ou les poèmes de Catulle, et le livre moderne né de l'imprimerie, il n'y eut rien. Manifestement il ignore l'existence du ''codex'', livre disposé comme les nôtres et qui a servi depuis la fin de l'Antiquité, par exemple à réunir les textes de lois.
Beaucoup plus absurde : il a prétendu que le copié-collé des étudiants paresseux (et parfois des thésards, et parfois des écrivains) n'était au fond pas différent de la bonne vieille dissertation remplie de citations de notre jeunesse. J'ai senti Finkielkraut s'étrangler, mais il n'a pas osé s'emporter contre cette stupidité, il l'a avalée (ou ravalé sa colère). J'espérais qu'il répondrait avec l'arme absolue qu'est Montaigne. ''Les Essais'' présentent une citation toutes les quatre ou cinq lignes, mais elles sont bien sûr expliquées, mises en perspectives, elles viennent au bon moment du raisonnement. Chacun voit bien que prétendre que Montaigne fait du copié-collé serait une ânerie monumentale.
J'hésite un peu sur l'affirmation que Socrate, dans l'oeuvre de Platon, critique le principe même de l'écriture. Cette idée convient bien à la démonstration de MS : l'âge de la parole, puis l'âge du livre, puis l'âge triomphant et merveilleux d'internet et du numérique. Je fais appel à la culture, que j'ai éprouvée vaste et profonde, des In-nocents. Dans quel passage de Platon Socrate critique-t-il l'écriture ?
Mon redoublement d'ébahissement et ma consternation viennent de l'attitude de Finkielkraut. Après quelques objections
polies, celui-ci se rangeait à l'avis du Grand Homme. Je ne dirais pas la métaphore canine (un joli petit chien frisotté) qui m'est venue à l'esprit pour qualifier cette conduite, j'ai fini par comprendre et accepter qu'à l'In-nocence, on n'apprécie guère la violence verbale. Mais j'aimerais comprendre. Pourquoi un grand esprit, aussi lucide et courageux que AF, s'incline-t-il aussi facilement devant un faiseur, un demi-savant et un demi-intellectuel tel que son interlocuteur ? Politesse excessive ? Suffit-il de dire des choses culturelles avec un charmant accent du sud-ouest pour avoir la faveur des médias ? En ce cas, je serais célébrissime.
AF a-t-il eu peur de s'aliéner une des vaches sacrées intouchables du Politiquement Correct ? Peur, bien excusable, de se multiplier les ennemis ? Il n'est pas une des phrases de Serres sur l'internet, sur les smartphones que les élèves utilisent pour communiquer pendant la classe, etc etc, qui ne fût l'exact contrepied de ce que pense et affirme chaque semaine Finkielkraut dans son émission. Au fait, pourquoi l'avoir invité ? Ou pourquoi n'a-t-il pas convié un troisième larron capable de river son clou à l'exaspérant péroreur lot-et-garonnien ( Ah, le ton plein d'évidence paysanne de tout ce qu'il dit !) ? Ce triangle lui aurait permis de jouer son rôle habituel d'arbitre bienveillant qui toutefois n'hésite pas à descendre dans l'arène quand c'est nécessaire. Dispositif qui est l'une des hautes qualités de ses émissions.
Mais quel est ce verbe "religere" ?

Cette présentation des verbes latins par leur infinitif est peu traditionnelle.
La critique de l'écriture se trouve dans le Phèdre.

Pour ce qui concerne l'attitude de Finkielkraut, je pense qu'elle relève d'une tolérance amicale, et d'un certain recul volontaire destiné à laisser l'invité s'exprimer (Finkielkraut, généralement, joue un rôle d'"animateur" dans son émission, il n'est pas toujours en position de combat).
Dans quel passage de Platon Socrate critique-t-il l'écriture ?


"Elle ne peut produire dans les âmes, en effet, que l’oubli de ce qu’elles savent en leur faisant négliger la mémoire. Parce qu’ils auront foi dans l’écriture, c’est par le dehors, par des empreintes étrangères, et non plus du dedans et du fond d’eux-mêmes, que les hommes chercheront à se ressouvenir. Tu as trouvé le moyen, non point d’enrichir la mémoire, mais de conserver les souvenirs qu’elle a. Tu donnes à tes disciples la présomption qu’ils ont la science, non la science elle-même. Quand ils auront, en effet, beaucoup appris sans maître, ils s’imagineront devenus très savants, et ils ne seront pour la plupart que des ignorants de commerce incommode, des savants imaginaires au lieu de vrais savants." (Phèdre 275 a)


Socrate reprend une légende égyptienne. Quant à l'étymologie du mot religion, deux traditions s'opposent :

[fr.wikipedia.org]
Merci à Sébastien de sa précision. Elle montre bien l'abnégation de Platon dans la reproduction des idées du maître. Un écrivain tel que lui qui se prête à une condamnation de l'écriture !
Pour ce qui est de l'étymologie, me voilà forcé de jouer au pédant. Re-ligo,is,ere, relexi, relectum avec pour déverbal religio, c'est un verbe qui a fini par signifier re-lire, mais qui voulait à l'origine dire ramasser, reprendre dans un ordre différent ce qui est posé par terre. Cela avant que le latin ne devienne une langue écrite. Si religio venait de religare, relier, le déverbal serait forcément religation (suffixation obligatoire dans les verbes du premier groupe) et serait de la famille de ligament, ligature. Pas ''relégation'', qui est une autre histoire ! Les lois phonétiques du latin sont des lois, comme celles qui président aux mutations des consonnes en vieil allemand, qui font que apfel est différent de apple. Les exceptions sont connues et répertoriées.
Il faut aussi que j'avoue une préférence d'ordre affectif pour religere sur religare. La religion qui relie, c'est banal. La religion qui repense autrement les données du concret, c'est déjà plus intéressant. Religion égale relecture, voilà un bon stimulant pour l'esprit.
Je me permets de recommander à l'assemblée un livre autrement pertinent sur la question que l'optimisme désespérant de M. Serres :
Raffaele Simone : Pris dans la toile : L'esprit aux temps du web, Gallimard, 2012.

Simone, linguiste et professeur à l'Université Roma Tre de Rome, y conduit l'analyse passionnante de cette "troisième révolution" numérique, après celles de l'écriture (il est question d'ailleurs du Phèdre) et de l'imprimerie.

"Cette Troisième Phase correspond à une mutation anthropologique sans précédent, marquée par la création de la médiasphère. Ce milieu, devenu aussi vital pour nous que l'air que nous respirons, résulte de la conjugaison des nouveaux médias et des outils informatiques connectés au Web.
L'auteur analyse comment la primauté de l'image et de l'écran induit un fonctionnement synthétique et passif de l'esprit et remet en cause une acquisition intellectuelle majeure de l'humanité que l'écriture avait apportée : la vision alphabétique, qui stimule l'intelligence analytique et la réflexivité.
La "culture numérique" tend à substituer à la réalité un spectacle permanent où les simulacres l'emportent [...]"
(Quatrième de couverture)
Je me borne à constater que le verbe "Re-ligo,is,ere, relexi, relectum avec pour déverbal religio" m'était inconnu, et que le Gaffiot voit, comme Ciceron, en relego, legi, lectum, ere l'origine du mot.

L'inflexion étymologique (si j'ose dire) vers religo s'est faite ultérieurement, sans doute sous l'influence de Lactance et assurément sous celle d'Augustin.

M. Serres est donc en bonne compagnie.
Michel Serres, sur une remarque très juste d'Alain Finkielkraut, s'est exclamé:«quelle haine! quelle haine!» , je savais après cela que Monsieur Finkielkraut ne dirait plus rien. La même chose s'était produite avec Clémentine Autain il y a quelques années, elle avait dit:«Je suis ultra minoritaire, ah la la!», il n'avait plus osé la contredire.
En tous cas, Monsieur Serres devrait remercier son hôte qui, en terminant un mot en même temps que lui, a évité une grosse faute de français et le ridicule. À trop côtoyer l'inculte...
"Voilà des années que je m'ébahis de l'importance médiatique de Michel Serres. "

Moi aussi. Il y a longtemps qu'il m'insupporte. D'ailleurs, aujourd'hui, dès qu'un "intellectuel" a la faveur des médias, il faut se méfier de lui.
Très juste.
Merci, Fabienne. Vous me faites comprendre qu'Alain Finkielkraut a décroché de la conversation et n'a fait que gérer l'émission sans contrecarrer MS, pour éviter une bataille de chiffonniers. Nous pouvons donc lui garder tout notre respect et notre admiration. Gageons qu'il n'est pas près de réinviter cet ahuri.
Cher Jean-Marc, vous avez bien raison de sentir que le concept d' "inflexion étymologique" est osé. En effet, il n'existe pas en linguistique. Mais je me suis moi aussi trompé. Il y a en latin deux verbes relego. 1°relego, as, are, avi,atum, composé de re et de lego : lier. 2° relego, is, ere, relexi, relectum composé de re et lego : lire. Ce sont des verbes qui n'existaient pas en vieux latin puisqu'ils n'ont pas subi l'apophonie, cet affaiblissement de la deuxième voyelle après un préfixe. A et e dans cette position deviennent i, comme cado "tomber" dont tous les dérivés sont en i : incido, incident, accido, accident, incido, incision.
Je crois qu'il vaut mieux en croire Cicéron et rattacher religio à relego,is, ere, relire. Le verbe religo,is, ere a dû exister à haute époque, produire le déverbal religio et tomber en désuétude. A une époque plus récente où l'apophonie ne jouait plus, le latin a refabriqué relego pour dire "relire". Tous les autres composés de lego-lire sont en i, eligo-élire, diligo-chérir colligo-entrer en collision etc. Pardon du pensum, mais il faut avouer que c'est un très passionnant problème. Lactance et Saint Augustin se sont livrés à un sport très prisé des Anciens, l'étymologie fantaisiste ( et en l'occurrence idéologique). Platon en a fait tout autant. Croyez-moi, les étymologies scientifiques des linguistes modernes sont encore plus intéressantes que les fantaisistes.
L'Intitut National d'Archéologie Préventive avait organisé voilà quelques années un colloque passionnant en tous points (que voici, que voilà) qui portait sur la révolution néolithique. Plusieurs intervenants sont entrés dans le thème par le biais de la linguisitique, les limites de la linguistique, la linguistique et la génétique... L'un des intervenants avait même intitulé son exposé "les limites de la reconstructions linguistiques". De mon côté, ce serait plutôt Δ++(1232) et la linguistique... mais personne n'en veut.
Quoiqu'il en soit, de tous les intervenants, celui que je préfère, c'est Maurice Godelier: Les conditions imaginaires et symboliques de la formation des castes ou des classes.
Ah oui, l'exaspérant Serres que voilà ! Quel festival il a offert ! Quel stupide et écœurant éloge du monde numérique et de ses merveilles, servi sur un ton douceâtre, avec ce mélange de suffisance rouée et de fausse aménité qui est sa marque de fabrique... "Nous sommes en pleine Renaissance", a-t-il été jusqu'à déclarer, et on se pince pour y croire.
Et puis, n'est-ce pas, Socrate n'a pas compris l'écrit, les scolastiques n'ont pas compris Rabelais, vous ne comprenez donc pas l'univers numérique et son externalisation de la mémoire et de la connaissance pour le plus grand profit du nouveau, de l'invention, de la création... Si content de son analogie, le monsieur, qu'il nous la servira quatre ou cinq fois.
Le tout parsemé à chaque virage de "Anne effet", d'assauts de pédantisme étymologique qui tourne à vide, de rappels au titre ridicule ("Petite Poucette" !?) du dernier opuscule qu'il a commis, etc.
Et puis, Finkielkraut et Fumaroli ridiculement qualifiés de "grands-papas ronchons", sous-entendu : affaire classée, n'est-ce pas ; Anne effet.
Ah, et bien sûr, n'oublions pas que "le latin et l'hébreu, mais ils sont dans Wikipedia !" (J'avoue qu'à cet instant, j'ai songé à fermer mon poste ; mais je suis dur à la tâche, et j'ai persisté). Et encore ce fumeux concept de "présomption de compétence", qui serait censé s'opposer désormais (par la grâce d'une petite rasade de Wikipedia (once more) avant d'entrer dans une salle de cours ou le cabinet du médecin) à l'ancienne et périmée "présomption d'incompétence"...
Et l'on termine l'émission par une bonne tarte à la crème : le peuple le plus cultivé d'Europe — la musique, et la philosophie, et la peinture — qui n'a pas su éviter la barbarie nazie, alors ? Hein ? Ça protège de quoi, toute cette haute culture, ce ramassis de si grandes et belles choses du passé ? De rien du tout ! — Ce redoutable crétin n'apercevant même pas que la Barbarie souffle où elle veut, et qu'elle saura s'accomoder aussi bien d'un peuple de haute technologie qu'elle s'est accomodée d'un peuple de haute culture...
La conclusion que je tire du fatras conceptuel de ce pauvre barbon néophile, c'est qu'un crétin numérique est parfaitement aussi nuisible et redoutablequ'un crétin analogique.
Utilisateur anonyme
08 décembre 2012, 23:39   Re : Michel Serres et Alain Finkielkraut
La bêtise sûre et enchantée d'elle-même, parfaitement à l'abri dans cette dictature du nouveau qui a toujours raison.
"Ce redoutable crétin n'apercevant même pas que la Barbarie souffle où elle veut, et qu'elle saura s'accomoder aussi bien d'un peuple de haute technologie qu'elle s'est accomodée d'un peuple de haute culture...
La conclusion que je tire du fatras conceptuel de ce pauvre barbon néophile, c'est qu'un crétin numérique est parfaitement aussi nuisible et redoutablequ'un crétin analogique."

Très vrai et très bien envoyé !
"La Barbarie souffle où elle veut..." Oh, je vous jalouse cette formule splendide. Entre 1975 et 1979, la Barbarie s'est très bien accommodée du gentil et souriant peuple khmer, qui après les merveilles médiévales d'Angkor, ne s'est pas beaucoup signalé au XXème siècle par de hautes créations musicales ou philosophiques.
Pour les Amis du Désastre, la culture prépare la barbarie ; le foot, lui, au moins, en protège.
L'image médiatique du "nazi cultivé" s'est tellement imposée (revivifiée par le mythe du serial-killer mélomane, par exemple Annibal Lecter ou le héros d'Orange mécanique), que la brutalité brute, si j'ose dire, est considérée comme un gage d'innocence...
(Dans le même registre, "personne n'aurait cru qu'il commettrait cet horrible assassinat, il était si poli, si serviable". A contrario, la brute n'est au fond "pas méchante".)
Bien sûr les brutes sont des bons et les amoureux des arts des mauvais, mais à propos les nazis n'étaient-ils pas avant tout des brutes et davantage des hommes incapables d'accéder à l'art ?
Pour revenir à religion, il faudrait préciser que dans les sociétés anciennes ou pré-modernes, ciel et terre sont des réalités articulées selon des pratiques diverses, rituelles ou pas, et que tout, absolument tout, est "religieux" dans cet ordre de choses. D'où l'absence du mot religion au sens moderne, dans les langues anciennes : je viens de retrouver cette remarque dans L'Inde de Michel Angot (Puf-Clio), alors que je l'avais déjà entendue il y a longtemps dans un cours de Léon Askénazi, puis d'un de ses élèves à propos de l'hébreu traditionnel, qui ne nomme pas "religion" la pratique des commandements et leur étude. La modernité (sioniste) introduit un terme hébreu voulant dire religion au sens moderne, à savoir ensemble de pratiques et mode de vie résultant du choix individuel de l'homme ou de sa communauté d'origine, sans référence au ciel. Le religieux moderne existe comme sphère distincte du reste et comme objet de pensée, alors que dans les sociétés anciennes, il était impensé puisqu'il était le tissu social et mental lui-même. Dariush Shayegan sur l'islam iranien a formulé des remarques similaires. La modernité (parfois incarnée par la présence coloniale) transforme en religion les pratiques et la vie des populations mises en contact avec les Européens (Shayegan cite la formule persane qui décrit cela, gharb-zadegi, "coup d'Occident", comme on dit "coup de soleil"). Au passage, je me demande si la haine inexpiable que "le sionisme" suscite dans l'islam ne viendrait pas de là : en déchirant le continuum ciel-terre et la sacralisation de l'ordre terrestre, en remettant "la religion" à sa place, ou plutôt à celle que nous lui donnons, il force tout le monde à regarder un ciel vide.
Je suis heureux de lire tous ces commentaires.
Je me suis toujours demandé comment et pourquoi Michel Serres a réussi cette carrière et cumulé tous les honneurs.
J'ai essayé pourtant. Mais chaque fois que je le lis ou que je l'écoute, je ne peux aller jusqu'au bout.
C'est un robinet d'eau tiède duquel coulent quelques concepts, toujours les mêmes. Le coup d'Hermès j'entends ça depuis dix ans.
L'écoute de l'émission de radio d'hier ne m'a rien appris sur l'éducation. C'était d'ailleurs des propos totalement déconnectés des problématiques sociales actuelles.
Qu'il est rassurant de lire vos commentaires, on se sent moins seul...
J'ajouterai volontiers à ce florilège l'apologie que fait Michel Serres de l'adaptation indispensable du maître à l'élève,
et, implicitement, de l'équivalence de toutes les cultures.
A l'entendre, le thésard qui s'échine à étayer sérieusement ce qu'il écrit par des citations, pour rendre hommage à ceux qui l'ont précédé, ne vaut pas mieux qu'un surfer sur la toile. Si seulement il se réécoutait...
« Le coup d'Hermès j'entends ça depuis dix ans. »

Vous devez être très jeune...
Hermès psychopompe ?
L'un de ses premiers livres, qui est aussi sa thèse de doctorat, consacrée aux modèles mathématiques chez Leibniz est très bien. La suite n'est pas de la même eau. La rigueur a disparu.
Il est caractéristique de cette génération nourrie aux humanités classiques (la dernière). Elle ne fait pas grand-chose de cet héritage sinon étaler le peu qu'il s'en souvienne pour impressionner les gogos des générations suivantes qui, par la faute de cette génération 68, en furent privées.
Cette génération qui fit 68, et celle qui l'inspira, a donné les "French Studies" : des gens bien formés qui font semblant d'avoir une pensée neuve en recyclant d'anciennes radicalités, en recopiant des bouts de Marx, en faisant semblant d'abolir les frontières entre disciplines, en préférant la formule qui frappe à l'exactitude, en introduisant un soupçon factice sur tout ce qui les précède, seul moyen de devenir les nouvelles idoles. Les Foucault, Derrida, Bourdieu, Barthes, Deleuze et Michel Serres appartiennent à cette mouvance de faiseurs qui ont préféré l'esbroufe au vrai travail de la pensée.
Certains se sauvent par quelques livres ou pages où paraît un peu de grâce - je pense à certains textes de Barthes. Mais la plupart semblent avoir fait du style abscons et contradictoire une religion.
Les Anglo-saxons (les Américains surtout) adorent. Les Scandinaves suivent. Les Anglais et les Allemands résistent bien. Les Italiens, bons philologues comme les Allemands, résistent aussi. Comme les Américains aiment, l'université française (qui ne mérite plus de majuscule depuis bien longtemps) suit et re-boit ce qu'elle a mis tant de temps à arrêter de consommer aveuglément.
Addentum : les livres de Deleuze sur les philosophes sont admirables : c'est un excellent lecteur et un excellent pédagogue. Il ne délire qu'avec son ami Guattari, ou surtout avec lui.
Utilisateur anonyme
09 décembre 2012, 12:07   Re : Michel Serres et Alain Finkielkraut
Michel Serres a déjà été évoqué ici.

Pauvre monsieur qui nous parle d'Astérix. Il a dû s'excuser mais il sévit toujours...
Utilisateur anonyme
09 décembre 2012, 12:57   Re : Michel Serres et Alain Finkielkraut
« Les Anglo-saxons (les Américains surtout) adorent. Les Scandinaves suivent. Les Anglais et les Allemands résistent bien. Les Italiens, bons philologues comme les Allemands, résistent aussi. Comme les Américains aiment, l'université française (qui ne mérite plus de majuscule depuis bien longtemps) suit et re-boit ce qu'elle a mis tant de temps à arrêter de consommer aveuglément. »

Les Iraniens (enfin, certains Iraniens) aussi, figurez-vous. Une mienne amie “intello” de Téhéran ne jure que par cette génération de penseurs, qui sont pour elle le nec plus ultra de la philosophie et de la critique. Elle s'étonne toujours que je, francophone français vivant à Paris, ne passe pas la moitié de sa vie plongé dans Derrida, et le reste dans Deleuze & co. (Heureusement, il y a Barthes que je puis évoquer pour la rassurer.)
On croirait une meute sur le point de rattraper un pauvre Serres.

Regardez le regard du cerf, tout à coup immobile, au haut de la colline, quand ses oreilles tournent vers un son mystérieux, quand ses oreilles s’embuent de peur ou de détresse. (P. Quignard, la terreur de la prédation précédera toujours l'humanité)


.
Voilà l'invité de Finkielkraut chaudement habillé pour cet hiver qui s'annonce rigoureux. Il y a quand même une différence notable entre Michel Serres et les autres pernicieux intellectuels de la déconstruction que cite Virgil. Ceux-ci sont des malins qui s'arrangent pour dissimuler leurs grosses bêtises dans d'habiles nuages stylistiques et idéologiques. MS se trompe sans arrêt à propos de faits précis et serait depuis longtemps décrédibilisé si ses interlocuteurs avaient assez de culot et de culture pour le contredire.
Il y a deux ou trois ans, je me trouvais à Beaubourg pour une journée consacrée à "René Girard et la guerre". Notre philosophe du Danube a fait une intervention sur la barbarisation croissante de la guerre dans l'Antiquité et a cité l'histoire des Horaces et des Curiaces comme un sommet de cruauté. Dans le débat qui a suivi, je lui ai fait gentiment remarquer qu'il s'agissait exactement du contraire et que l'accord (historique ou légendaire, peu importe) passé entre Rome et Albe était un progrès. Le combat ferait six morts au maximum, en admettant que le vainqueur meure de ses blessures, au lieu des milliers de morts des guerres antiques, particulièrement meurtrières. Michel Serres a admis qu'il avait tort avec une facilité déroutante ! Je pense que cette bonhomie facile attire les médias, qui toujours préféreront les crétins souriants aux nobles imprécateurs de la vérité tels que Richard Millet.
J'aurais plutôt mis cette capacité à admettre ses torts à son actif.
Certes. Mais venant d'un prescripteur d'opinions, cette capacité à dire 50% de contre-vérités quitte à les reconnaître tout de suite après aurait dû lui valoir une sanction somme toute peu cruelle : le silence.
"en préférant la formule qui frappe à l'exactitude"

Telle la trop fameuse: "Mieux vaut une tête bien faite qu'une bien pleine!".
Comme si l'une était antinomique de l'autre. Comme si notre aptitude à penser, à réfléchir, à raisonner, à analyser ou à synthétiser mais aussi à inventer et à innover n'avaient en aucune façon rien à voir avec tous les savoirs mémorisés et les expériences intériorisées.
S'il est vrai qu'une tête bien pleine n'implique pas nécessairement - c'est à dire obligatoirement - une tête bien faite il est également très douteux que d'une tête vide de toutes connaissances éclose un petit génie. On a un peu honte bien sûr à rappeler de pareilles évidences. Certes il peut exister - en nombre infime toutefois - des individus parfaitement incultes et pourtant d'une intelligence exceptionnelle. Mais si aucun savoir ni enseignement ne viennent alimenter - tel un carburant - cette belle chaudière pleine de promesses alors elle finira par rouiller ou se racornir tel un moteur ultra performant laissé à l'abandon. Et in fine elle en éprouvera du ressentiment et du dépit devant tant de gâchis.
Par le biais de cette célèbre formule, Michel Serres veut nous suggérer que, de façon générale, l'inculture galopante parmi une bonne part de notre jeunesse ne représente pas un mal en soi.
Qu'il n'y a pas lieu de s'en inquiéter et que même tout au contraire il convient de s'en féliciter car il semble communément admis, dans les sphères des Amis du Désastre, qu'un créateur ou innovateur génial ne sauraient naître d'une tête bien pleine, toute encombrée qu'elle est de connaissances académiques et poussiéreuses, incapable d'imaginer quoi que ce soit de neuf toute engluée qu'elle est dans ses certitudes paralysantes et ses scléroses.
La culture apparaît donc ici comme un handicap faisant obstacle à toute pensée vraiment neuve. Donc arrêtons, Nous les Vieux soi-disant cultivés, je vous prie, de vouloir stigmatiser nos Jeunes incultes. Et cela d'autant plus quand ils appartiennent à l'ethnie des "sensibles"!

Si la culture n'a pu empêcher un Auschwitz son absence ou son manque n'ont pu non plus empêcher divers massacres et génocides qui jalonnent l'Histoire tel par ex celui récent du Rwanda (On peut en effet faire l'hypothèse que celui-ci n'a pas l'ambition à figurer en parangon de la Culture). Notons au passage que de tels massacres inter-africains ne sont presque jamais qualifiés de racistes pour la "bonne raison" que ce sont des Noirs massacrant d'autres Noirs!
Il semblerait donc qu'il y ait tout de même une certaine haine de la Culture - consciente ou pas - chez ceux qui véhiculent l'idée que celle-ci serait à l'origine de l'horreur nazie. Qu'elle en serait tout bonnement la cause.
Autrement dit si vous ne savez pas ou ne pouvez pas empêcher un crime de se commettre vous en êtes la cause directe, le bras armé du criminel. Pourtant c'est bien la Gauche qui a toujours cru que l'Ecole et le savoir dispensé à tous nous garantiraient un Monde où il fait bon vivre, moins nocent. Le Monde des Lumières en quelque sorte!
Si la médecine s'avère incapable d'empêcher de millions de gens à continuer à mourir de maladies c'est bien qu'elle en est la cause directe. Elémentaire mon cher Watson!
Ce qui me frappe le plus dans ce genre de raisonnement c'en est évidemment l'incommensurable bêtise! Et je suis toujours sidéré de voir combien tant de Michel Serres s'y adonnent volontiers sans vergogne, sacrifiant de la façon la plus grossière qui soit toute simple logique presqu'enfantine à une idéologie chérie et aveuglante à l'extrême.
Dans ce même registre - c'est à dire de bêtise noire - on a aussi plusieurs cas célèbres. Tel par ex celui qui consiste à affirmer péremptoirement: "Je suis pour la Prévention plutôt que la Répression". D'une rare intelligence!! On devrait imposer des cours de Logique à tout étudiant, même et surtout en faveur des non-scientifiques! Car il s'agit bien de ça! A moins que ce ne soit l'idéologie qui bêtifie à ce point le discours et rend inopérante toute intelligence si infime soit-elle.
Tout médecin sait pourtant bien qu'un patient non vacciné et qui donc a contracté la maladie doit pouvoir recevoir un sérum étant donné qu'il est trop tard pour lui administrer un vaccin! Donner un sérum à l'un n'a jamais empêché de vacciner un autre. Et que donc la Prévention n'est en rien l'absence de Répression laquelle ne serait être non plus l'absence de Prévention. Sachant que cette dernière sera, pour certains cas, toujours impuissante.
Mais je rapprocherais plutôt l'assertion de Michel Serres de la célébrissime: " Il faut peindre comme l'oiseau chante!" . C'est à dire sans aucun apprentissage au préalable, lequel est perçu bien entendu comme un embrigadement insupportable à la créativité et à la spontanéité du sujet. Ce dernier étant tout entier déjà là! Un insécable! Un pur! Tout prêt à s'exprimer pourvu que rien ne vienne l'entraver dans sa liberté. Prêt à éjaculer son ego chéri non pollué d'apports extérieurs! Cette sincérité touchante et cette naïveté tenant lieu de gage de sa bonne foi et donc d'une oeuvre d'art vraiment authentique et pleinement expressive de tout son Moi! Tel le Rap en musique!
Une tête bien faite plutôt que bien pleine!
Il est touchant - mais aussi navrant - de voir tous ces parents d'élèves s'extasier devant les inévitables productions infantiles qui bariolent le pourtour de toute salle de classe primaire de France. Je crois bien y avoir surpris Michel Serres...hihi
» je viens de retrouver cette remarque dans L'Inde de Michel Angot (Puf-Clio), alors que je l'avais déjà entendue il y a longtemps dans un cours de Léon Askénazi, puis d'un de ses élèves à propos de l'hébreu traditionnel, qui ne nomme pas "religion" la pratique des commandements et leur étude. La modernité (sioniste) introduit un terme hébreu voulant dire religion au sens moderne

Le fait est que ce terme, dath, vient du perse et donc de l'indo-européen, et signifiait à l'origine "data", "données", "ce qui est donné", et de là, déjà en perse, "loi" ; mais précisément, la pratique des commandements n'est-elle pas la Loi, et la loi de Moïse n'a-t-elle pas été donnée ?
Mon vieil Even-Shoshan m'indique d'autre part que l'expression dath Moshé (loi de Moïse), désignant expressément l'ensemble des commandements de la Torah, figure déjà dans les Ktouvot, bien avant le sionisme. Faudrait voir si cet ancien élève de Manitou n'avait pas une petite dent contre le sionisme...
» Les Foucault, Derrida, Bourdieu, Barthes, Deleuze et Michel Serres appartiennent à cette mouvance de faiseurs qui ont préféré l'esbroufe au vrai travail de la pensée

Ce genre de balayage un peu expéditif convient-il à l'auteur de "L'Histoire de la sexualité" et "Les Mots et les Choses", d'après vous ?? Diable, il me semble même faire trop peu de cas de Bourdieu lui-même, qui s'est tout de même attelé à un véritable travail d'explication et de typologie des "groupes sociaux", qui mérite à tout le moins le coup d'œil, quoi qu'on pense d'autre part de ses conclusions et prises de position politiques, bien entendu.
Seulement de l’esbroufe, tout cela, rien d'autre à en dire ? Vraiment ?
Cher autre Alain (prénom météorique, surgi au début des 40 et disparu au fond des galaxies à la fin des 50), vous avez amplement raison. Les distinctions sont toujours plus profondes que les assimilations, les "balayages expéditifs". Distinguons donc : Michel Serres n'est pas du tout un esprit de haute volée, du niveau des cinq autres de la petite liste. Il a un tort supplémentaire : à la différence de ceux-là, il est vivant, et même en pleine forme si j'en crois le tonus de sa voix. Il nous bassinera encore longtemps avec ses niaiseries, aussi est-il nécessaire de le contredire bien fort.
Une petite vidéo pour bien comprendre la vacuité du discours (ici sur l'identité nationale) de Michel Serres, qui, selon l'expression consacrée, "parle pour ne rien dire".

Au final, que retenir de cette intervention ? Il termine forcément en évoquant le racisme, car tout bon esprit d'aujourd'hui ne peut décemment pas intervenir médiatiquement sans placer, au moins une fois, le mot "racisme" dès qu'on parle d'identité nationale et même de nation. A noter la présence sur le plateau de l'infâme de la Morandais, mais pardon, je m'égare.

[www.youtube.com]
Utilisateur anonyme
10 décembre 2012, 12:05   Re : Michel Serres et Alain Finkielkraut
Citation
Jonathan Baudoche
Une petite vidéo pour bien comprendre la vacuité du discours (ici sur l'identité nationale) de Michel Serres, qui, selon l'expression consacrée, "parle pour ne rien dire".

Au final, que retenir de cette intervention ? Il termine forcément en évoquant le racisme, car tout bon esprit d'aujourd'hui ne peut décemment pas intervenir médiatiquement sans placer, au moins une fois, le mot "racisme" dès qu'on parle d'identité nationale et même de nation. A noter la présence sur le plateau de l'infâme de la Morandais, mais pardon, je m'égare.

[www.youtube.com]

Non mais ce type est tombé sur la tête !!! (la preuve, il a un pansement)
Citation
Alain Eytan
Mon vieil Even-Shoshan m'indique d'autre part que l'expression dath Moshé (loi de Moïse), désignant expressément l'ensemble des commandements de la Torah, figure déjà dans les Ktouvot, bien avant le sionisme. Faudrait voir si cet ancien élève de Manitou n'avait pas une petite dent contre le sionisme...

Pas impossible.
Citation
Alain Eytan
» Les Foucault, Derrida, Bourdieu, Barthes, Deleuze et Michel Serres appartiennent à cette mouvance de faiseurs qui ont préféré l'esbroufe au vrai travail de la pensée

Ce genre de balayage un peu expéditif convient-il à l'auteur de "L'Histoire de la sexualité" et "Les Mots et les Choses", d'après vous ?? Diable, il me semble même faire trop peu de cas de Bourdieu lui-même, qui s'est tout de même attelé à un véritable travail d'explication et de typologie des "groupes sociaux", qui mérite à tout le moins le coup d'œil, quoi qu'on pense d'autre part de ses conclusions et prises de position politiques, bien entendu.
Seulement de l’esbroufe, tout cela, rien d'autre à en dire ? Vraiment ?

En effet, ce n'est pas ici qu'on s'attendrait à voir Bourdieu, le Bourdieu ethnologue de la Kabylie, et Deleuze, celui de Différence et répétition, Logique du sens et de Proust et les signes, traités par-dessous la jambe. Les commentaires pénétrants de Derrida sur le deuil et les rapports homme-animal comme le fameux retour aux Grecs de Foucault, aussi, sont d'une telle puissance...
Citation
Pierre Jean Comolli
Citation
Alain Eytan
» Les Foucault, Derrida, Bourdieu, Barthes, Deleuze et Michel Serres appartiennent à cette mouvance de faiseurs qui ont préféré l'esbroufe au vrai travail de la pensée

Ce genre de balayage un peu expéditif convient-il à l'auteur de "L'Histoire de la sexualité" et "Les Mots et les Choses", d'après vous ?? Diable, il me semble même faire trop peu de cas de Bourdieu lui-même, qui s'est tout de même attelé à un véritable travail d'explication et de typologie des "groupes sociaux", qui mérite à tout le moins le coup d'œil, quoi qu'on pense d'autre part de ses conclusions et prises de position politiques, bien entendu.
Seulement de l’esbroufe, tout cela, rien d'autre à en dire ? Vraiment ?

En effet, ce n'est pas ici qu'on s'attendrait à voir Bourdieu, le Bourdieu ethnologue de la Kabylie, et Deleuze, celui de Différence et répétition, Logique du sens et de Proust et les signes, traités par-dessous la jambe. Les commentaires pénétrants de Derrida sur le deuil et les rapports homme-animal comme le fameux retour aux Grecs de Foucault, aussi, sont d'une telle puissance...

J'ajoute que l'écosophie de F. Guattari pourrait tout à fait être confrontée aux réflexions écologiques de Renaud Camus:

[www.editions-lignes.com]
Gardons tout de même un droit d'inventaire sur les philosophes de la déconstruction. Comme il arrive souvent, leurs épigones ont simplifié leur pensée jusqu'à la caricature. La distinction bourdieusienne dominants-dominés est devenue une tarte à la crème de la sociologie de bas étage et a même été invoquée pour refuser l'autorité des professeurs sur les élèves ! Et le Michel Foucault de "Surveiller et punir" n'est-il pas un peu responsable du gauchisme irresponsable d'un grande partie des magistrats d'aujourd'hui ?
"Les mots et les choses" est un livre faux du point de vue historique. L'histoire de chacune des disciplines est racontée de manière biaisée. Foucault donne comme fondamentaux des livres dont le seul mérite était d'être facilement accessible à Foucault - et non d'avoir véritablement changé la discipline en question. Chacun de ses chapitres est désormais obsolète.
Il y a surtout cette obsession de Foucault contre la tradition. Il l'attaque à nouveau dans "L'archéologie du savoir", mais n'en donne pas de véritable définition. C'est un faiseur qui masque ses insuffisances, ses partis-pris derrière un style souvent étincelant.
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter