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Eloge de Cristian Mungiu

Envoyé par Alain Neurohr 
13 décembre 2012, 10:48   Eloge de Cristian Mungiu
Si vous doutez que le cinéma puisse jamais s'approcher de la profondeur de vue sur l'être humain d'un Pascal ou d'un Dostoïevski, allez voir "Au-delà des collines" du réalisateur roumain Cristian Mungiu. Les héroïnes sont des cas emblématiques de l'extrême solitude humaine : deux orphelines de l'ère Ceaucescu, où il était interdit d'avorter. L'une n'a aucune famille, l'autre a été rejetée par sa mère, ce qui est pire. Elles n'ont trouvé d'amour que l'une pour l'autre, un amour si fort qu'il a débordé sur les corps. Alina est partie travailler en Allemagne, Voichita est entrée dans un couvent. Elles se retrouvent et ont divergé : Alina n'est enracinée dans le monde que par l'amour qu'elle porte à Voichita, celle-ci s'est enracinée dans l'amour de Dieu et dans l'affection qu'elle porte à l'higoumène et à la mère supérieure du couvent "Papa" et "Maman". Tout est prêt pour que commence la tragédie, que je ne vous raconterai pas.
"Les Inrockuptibles", jamais à court d'une sottise bien-pensante, voient dans le film une critique des congrégations religieuses semblable à celle de Diderot dans "la Religieuse". Il s'agit exactement du contraire. Le couvent ressemble à une utopie écologique, chasteté en plus. On s'y éclaire à la bougie et à la lampe à pétrole, ce qui occasionne des images splendides qui évoquent des icônes. On y élève des poules et on cultive un jardin pour porter des oeufs et des légumes à l'orphelinat de la ville voisine. On y prépare la nourriture et on la mange dans une convivialité rendue par de longs plans séquences qui survolent des visages dignes et souriants.
Deux surprises pour un catholique : on parle pendant les repas, ce qui change du terrifiant (pour moi) silence que j'ai vécu dans les rares retraites que j'ai faites. Il y a une certaine mixité sexuelle (non pas promiscuité) avec la figure virile de l'higoumène, ancien sportif, qui pratique une autorité masculine tempérée par beaucoup de politesse et de douceur chrétienne. Il en ressort une impression de grande famille infiniment plus chaleureuse qu'en milieu catholique. Et les fidèles affluent à la messe du dimanche...
Je mesure grâce à ce film la perte que nous avons subie en Occident. En lisant "Du Sens", j'ai trouvé que les analyses de Renaud Camus sur la décadence de l'enseignement par la vulgarité, le soi-mêmisme etc, pouvaient s'appliquer ne varietur au catholicisme français contemporain. Je suppose que je ne suis pas le premier à le dire. L'orthodoxie a gardé la part d'archaïsme consubstantielle à toute religion. L'orthodoxie a gardé la beauté liturgique remplacée chez nous par un hideux bricolage (ah ! ces messes de Pâques avec baptêmes, la Résurrection et Saint-Jean Baptiste, la carpe et le lapin, la rencontre du parapluie et de la machine à coudre sur une table d'opération). L'orthodoxie a gardé la part de masculinité qui la met du côté de la Loi ( à l'extrême, l'islam n'est que masculinité, sommairement habillée en religion. D'où son attrait sur les esprits simples d'Occident).
L'opposition actuelle du PS et de la catholicité française me fait rire : ce sont deux gargotes qui servent à peu près la même soupe froide.
14 décembre 2012, 19:58   Spoiler
Cher Alain, vous donnez envie de voir ce film ; pour la bonne bouche, au regard de vos ombres et lumières, l'articulet de Libé y consacré est savoureux...
14 décembre 2012, 21:53   Re : Eloge de Cristian Mungiu
Merci de ce renvoi à "Libération", cher Alain. L' article est consternant d'incompréhension : la peur de la solitude et les moyens d'y échapper, c'est quand même un sujet qui peut toucher tout le monde. Il y a dans "Positif" une interview de Mungiu où il explique comment il fait ses plans, comment il développe son scénario. On comprend qu'on a affaire à un grand artiste. Je regrette d'être aussi nul en informatique et de ne pas savoir comme vous faire un lien qui puisse amener à ce texte.
14 décembre 2012, 22:22   Re : Eloge de Cristian Mungiu
Copier l'adresse de la page à laquelle vous voulez renvoyer puis utilisez, dans la série d'icônes située au-dessus de la fenêtre d'écriture des messages, celle qui représente la terre et un chaînon.
Citation
Marcel Meyer
Copier l'adresse de la page à laquelle vous voulez renvoyer puis utilisez, dans la série d'icônes située au-dessus de la fenêtre d'écriture des messages, celle qui représente la terre et un chaînon.

Involontairement poétique.
14 décembre 2012, 22:47   Re : Eloge de Cristian Mungiu
Le titre imbécile de l'article annonce la couleur, inutile d'en lire plus.
La sommité que je suis en informatique (n'en croyez rien !) a trouvé ceci, que je vais lire de ce pas...
14 décembre 2012, 23:53   Re : Eloge de Cristian Mungiu
Certes le ton et le style de l'article de Libération sont insupportables, mais sur le fond, je rejoins le journaliste : le film est d'un académisme de festival qui m'a empêché, moi, non seulement d'être touché par l'histoire de ces deux jeunes femmes, mais aussi et surtout d'avoir le sentiment de me trouver face à une oeuvre approchant "de la profondeur de vue sur l'être humain d'un Pascal ou d'un Dostoïevski".

Ah si : il y a peut-être le tout dernier plan, une minute de beauté, de vérité et de profondeur, après de très longues heures affreusement lisses et convenues : les soeurs, descendues de leur colline à cause de la mort de la jeune rebelle (police, hôpital...), coincées dans une espèce de mini bus, qui se trouve bloqué lui-même par des travaux dans une rue bruyante, éventrée et recouverte de neige sale...
15 décembre 2012, 14:29   Re : Eloge de Cristian Mungiu
"Lisses et convenues" ! La chambre de Voichita qui ressemble à n'importe quelle chambre de jeune fille d'aujourd'hui moins l'électronique ! Le frère simplet fou de solitude accueilli dans un couvent de femmes ! Les longs plans surprenants dont pas UN SEUL de la très médiocre génération de réalisateurs français actuels ne serait capable ! La passion christique d'Alina exorcisée sur des planches qu'on découvre être en forme de croix ! Le redoublement de passion christique des membres du couvent dans le minibus qui, après l'effroi du premier instant, se laissent conduire au tribunal sans protester, comme le Christ se laisse amener devant Ponce-Pilate sans se défendre ( nous indiquant par là que toute société humaine n'est viable qu'avec un minimum de soumission aux autorités en place, "Rendez à César...") ! L'higoumène en rupture avec sa hiérarchie ! La relation subtile des neiges de l'hiver avec la progression de l'histoire !
Dans la dernière image, le triomphe du Mal et de la boue n'est que provisoire (rôle rédempteur de l'essuie-glaces...).
J'avais aimé "Le Grand Silence", sur le monastère de la grande Chartreuse, mais l'héroïsme de ces reclus semble inatteignable.
Cher Marcel, je suis un dévot du Mac, comment faire ?
15 décembre 2012, 14:46   Re : Eloge de Cristian Mungiu
J'oubliais l'essentiel : la réintégration du lesbianisme dans le grand plan de l'amour divin. C'est lisse, ça ? C'est convenu ?
15 décembre 2012, 15:43   Re : Eloge de Cristian Mungiu
Je ne crois pas que cela change quoi que ce soit.

Sinon faut d'mander au patron.
15 décembre 2012, 16:40   Re : Eloge de Cristian Mungiu
Oui, enfin, si réintégrer le lesbianisme dans le grand plan de l'amour divin, c'est tuer la lesbienne...
16 décembre 2012, 00:52   Re : Eloge de Cristian Mungiu
Si vous avez la moindre intention d'aller voir ce film admirable, ne lisez pas plus avant.
Cher Jérôme, j'ai l'ambition de vous faire revoir ce film. Il n'est pas du tout honteux de relire une page de Pascal ou Dostoïevski tant qu'on n'en a pas percé la ténébreuse profondeur.
La mort d'Alina peut être lue de deux façons différentes : une lecture mystique et une lecture laïque. Alina vit une douloureuse Passion qui élargit son amour pour une femme à l'amour divin de toute créature. Un matin, elle se réveille guérie, demande du thé et porte sur tout ce qui l'entoure un regard de compassion bouddhique (cet adjectif au cas où mes références chrétiennes finiraient par vous agacer). Elle meurt tout de suite après, dégageant un fort parfum de sainteté. Peut-être deviendra-t-elle à la droite de Dieu la Sainte patronne des lesbiennes. Soit dit sans ironie aucune ni blasphème. Les homosexuels masculins ont bien Saint Sébastien pour patron, ce que l'Eglise a le tort de ne pas reconnaître. Mais Dieu est beaucoup plus large d'idées que ses clercs.
La lecture laïque est faite par la doctoresse urgentiste: "Bande de fanatiques, vous avez tué cette pauvre fille par les privations et votre exorcisme ridicule. J'appelle la police." Or, cette lecture est sujette à caution. La doctoresse est présentée comme une laïcarde à gros sabots, une sorte de Cécile Duflot de l'urgentisme roumain. Elle affirme que la mort remonte à plusieurs heures, alors que nous avons vu de nos yeux la résurrection à la Dreyer d'Alina, juste avant qu'on ne l'emporte à l'hôpital. Mungiu nous fait pélerins d'Emmaüs malgré nous.
Rappelons que le couvent est la seule institution qui vienne en aide à la terrible hystérie d'Alina. L'hôpital, la famille d'accueil, toute la société l'ont abandonnée. Bien sûr, Mungiu laisse de l'ambiguïté sur sa fin, puisqu'on "ne sort de celle-ci qu'à son détriment". Maxime détestable en politique ( nous ne savons toujours pas si nous vivons sous un Président gauchiste ou social-démocrate ), mais fondamentale en art.
16 décembre 2012, 05:16   Sainte Cécile
L'article de Positif suggère que c'est la laïcarde qui sauve la religion en subtilisant le miracle par la force de son amour...
16 décembre 2012, 10:35   Re : Eloge de Cristian Mungiu
Cher Monsieur Neurohr, je vous remercie de vos efforts pour tâcher de me convaincre de changer mon appréciation du film de Mungiu, et je vous promets que si je le revois un jour, je vous ferai part de mon sentiment. J'ajoute seulement pour terminer que vos propos sur le docteur sont aussi caricaturaux et à mon avis faux que ceux des Inrocks "contre" le couvent. L'unique mérite du film (avec son dernier plan) est, selon moi, son refus de caricaturer et le couvent et la ville, et le sacré et la science. Au spectateur de voir ce qu'il veut voir.... mais Duflot derrière le docteur, ça me semble quand même "aller contre le film." De même qu'affirmer que le couvent est "la seule institution qui vienne en aide à Alina" : on peut tout aussi bien dire que c'est lui, le couvent, qui a créé les conditions de son hystérie et provoqué sa mort.
16 décembre 2012, 10:59   Re : Eloge de Cristian Mungiu
Nous sommes au moins d'accord sur l'ambiguïté voulue de la fin. Alina est aussi un personnage tragique, qui concourt à sa propre mort. Elle refuse toute autre solution que d'arracher Voichita au couvent, ce dont celle-ci ne veut pas entendre parler. Reconnaissons que le grand prix cannois d'interprétation féminine à ces deux actrices est amplement mérité.
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