Muse, prête-moi ta guitare électrique, je veux célébrer aujourd'hui ce héros méconnu : le prof de droite. Souvent solitaire, combattu, haï, il a l'indispensable mérite d'essayer de bousculer les idées reçues dans le milieu le plus bétonné d'idéologie qui soit, l'Education Nationale. En exprimant un point de vue différent, il fait réfléchir (parfois) ses collègues de la gauche formatée, et ce qui est infiniment plus important, il ouvre des horizons nouveaux aux élèves et contribue à l'épanouissement intellectuel de la jeunesse. A ce titre, on devrait lui donner collectivement la Légion d'Honneur, comme les Nobel de la paix à l'Europe. Mon petit doigt me dit que, partout minoritaire, cette "espèce sociale", comme dirait Balzac dont on sous-estime la profondeur sociologique, est largement représentée à l'In-nocence.
Etiologie du prof de droite : nul besoin d'avoir une famille barrésienne, maurassienne, pétainiste ou je ne sais quoi. Si je prends un cas que je connais relativement bien : le mien, je constate qu'on peut devenir prof de droite par simple bon sens et lucidité. Ou plutôt excès de bon sens et de lucidité. Je prends un exemple qui remonte à la fin de ma carrière mais aurait pu advenir plus tôt.
Dans un lycée de la banlieue sud, classes moyennes avec un quart ou un cinquième de diversité, un nouvel élève est admis au milieu de l'année dans une seconde où j'enseigne les Lettres. C'est un Gabonais, beau garçon, gentil, poli, avec du retard scolaire, dû sans doute aux déplacements de ses parents. Chaque jour de la semaine, il arrive avec des habits différents, neufs, reluisants, uniquement des grandes marques. Je commence à faire des remarques ironiques aux collègues :" Ce brave Machin-Truc, il a chaque jour sur le dos l'équivalent de la survie alimentaire mensuelle d'une quinzaine de villages africains..." Manifestement le jeune homme est fils de la kleptocratie africaine, mais il n'est pas question de lui faire le reproche d'être trop élégant, à son âge on n'est pas responsable de son milieu d'origine.
Chorus d'indignation des chers collègues ? Pas du tout. Silences, ricanements gênés, quand ce n'est pas contre-attaques du style "nous autres, anciens colonisateurs, nous n'avons pas à critiquer les Africains" et bien sûr l'incontournable "tu le critiques par racisme."
Solitude du prof de droite. Réformes Fillon de 2003, grèves des fonctionnaires. Au tableau noir, je fais deux dessins aux élèves : Huit bonshommes actifs, deux bonshommes retraités et à côté, huit bonshommes actifs et quatre retraités. Je conclus : "Voilà pourquoi je ne ferai pas grève. Vous êtes priés d'être présents à tous mes cours". Les élèves habitent dans le voisinage, moi je viens de la Place Gambetta en stop, à pied, en bus non gréviste. Discussions enflammées dans la salle des profs avec des non-grévistes-favorables-à-la-grève-mais-qui-ne-veulent-pas-que-leurs-enfants-meurent-de-faim. C'est dans ces jours-là que j'ai entendu la phrase la plus abjecte de ma vie. Je ne dis pas de ma carrière, je dis de ma vie. La voilà :
A la suite d'une de mes tirades, j'entends me répondre à mi-voix une prof, jolie, gentille, bouclée, que j'aimais bien : " Mais Alain, tu es fonctionnaire toi aussi ! " A vomir. J'étais sommé de faire partie d'une mafia qui s'est clairement donné la mission d'exploiter le reste du peuple français !
Hommage donc au courage de ces combattants solitaires dont beaucoup ont d'ailleurs plus de mérite que je n'en ai eu, à commencer par Mara Goyet.
Je me pose la question de l'existence ou de la possibilité d'existence de l'instit de droite. Connaissez-vous un de ces oiseaux extrêmement rares ? Je connais le contraire jusqu'à la caricature : un couple d'instits ayant pris la retraite à 50 ans (d'arrêt longue maladie psychologique en arrêt...), votant communiste et jouant en Bourse...