« La Concordance des temps. Journal 2013 » (titre possible)

La première entrée, celle du 1^er janvier 2013, a été publiée ici par Renaud Camus le 1^er janvier 2013.

(Pour en savoir plus, c'est par là...)

Et Vue d’œil, qu’en est-il de Vue d’œil ?

Vue d’œil, journal 2012, doit paraître chez Fayard au printemps (si tout se passe bien)

Chic chic chic ! (Si tout se passe bien...)

On aura beau dire : commencer à lire l'année 2013 en ignorant tout de 2012 est assez perturbant. Un peu l'impression d'être tombé tête la première dans un “blanc” flaubertien…

Avantage : la publication sur papier de l'année 2012, dans quelques mois, aura l'air délicieusement rétro, tout habitués que nous serons déjà aux entrées de 2013.

Oh, 2012 a été tout à fait sans surprise, tout s’est passé exactement comme prévu. Le narrateur a été élu sans encombres président de la République, il mène désormais le pays avec bon sens et modération. M. David Farreny est ministre de la Culture et de l’Économie, Mme Mazeron en charge du Ravitaillement, Jean-Michel Leroy secrétaire d’État au Troisième Âge & à la Santé mentale. Sylvain Bourmeau dirige le Centre Culturel français d’Oulan-Bator, Nelly Kapriélian est ambassadeur à Pyongyang. France Culture, dirigé par Afchine Davoudi, vient de consacrer la Saint-Sylvestre à une Journée spéciale Joseph de Maistre. L’Algérie, qui a bénéficié d’une forte immigration, a néanmoins souffert de l’incendie de deux mille voitures, à l’issue de la journée Joseph de Maistre. Tout baigne.

Je me demande bien pourquoi le portefeuille de la Culture m'est revenu au lieu d'aller à Valérie Scigala, moi qui ne rêvais secrètement que d'être nommé à la tête du conseil d'administration de PayPal.

Est-ce qu'un petit sous-secrétariat d'État aux exploitants viticoles serait envisageable ? Ou, à défaut, une simple mission ponctuelle auprès des cavistes de France ?

Ajoutons à ces bonnes nouvelles que le taux de réussite au baccalauréat est tombé, cette année, à 38% d'une classe d'âge. Au sein de l'enseignement technique et professionnel, complètement restructuré en Écoles Pratiques de haut niveau, ce chiffre est légèrement inférieur, gage de sérieux pour ces filières prometteuses. Mais au-delà de ces bons chiffres, ce qui importe réellement, c'est le fait que la quasi totalité des élèves de ce pays, qu'ils aient des prétentions aux études supérieures ou pas, semblent à présent posséder une graphie élégante, une orthographe et une syntaxe solides, et qu'ils lisent attentivement, chaque année, une dizaine de grands classiques de nos Lettres, dans des éditions tout à fait dépourvues d'illustrations débiles. Des tests menés à grande échelle en fin de Cours Moyen montrent, depuis quelques années, une nette amélioration dans ces domaines — il faut dire que le ministère de l'Instruction Publique a revu ses priorités. D'ailleurs, au lycée, c'est dorénavant la filière littéraire qui est la plus prestigieuse, la plus demandée, celle où les meilleurs éléments se pressent, y compris ceux qui sont doués pour les sciences.

On a commencé à mettre à bas les affiches plantées, en des temps maintenant révolus, aux abords des villes. La disparition de la nuit inquiète les Français. Ces derniers sont de moins en moins nombreux à se rendre aux sports d'hiver. De même, selon un récent sondage, 64 % des collégiens français affirment ne plus tolérer la moindre entorse à la syntaxe. On n'a plus de nouvelles de Sylvain Bourmeau.

Dans son exil à Oulan-Bator, il a songé un écrire un roman inspiré de Loin, vu qu'il se sent maintenant concerné. Hélas, sa langue encombrée de scies et sa conception strictement non-littéraire de l'existence l'ont empêché de mener à bien ce projet à présent abandonné. Il complètement cessé de lire Causeur. Certains disent qu'il serait en train de fonder une revue multiculturelle. Il paraît qu'il la distribuera lui-même, dans un premier temps, aux abords des gares de la contrée, sous forme de photocopies. Un effritement du sens est à craindre.

Pris de remords, rongé par la culpabilité, Alain Badiou s'est pendu devant l'ambassade du Cambodge.

Le volume des ventes d'encyclopédies augmente sensiblement d'un trimestre l'autre, de manière inexplicable. On a interdit l'usage des souffleurs de feuilles sur le territoire national. Un plan de destruction de centres commerciaux inutiles est à l'étude. Le ministre du Logement envisage sérieusement une restriction de l'usage du parpaing dans la construction de bâtiments. Christine Angot souffre d'une extinction de voix chronique (elle aussi inexplicable) ; Raphaël Liogier a rejoint Bourmeau à Oulan-Bator (qui a décidé d'accueillir toute la misère du monde).

A Mayotte, la foule réclame l'indépendance tandis qu'à Kourou Christine Taubira est élue présidente de la République guyanaise.

Par un décret ministériel, Stéphane Bily a été nommé à la tête des éditions Fayard.

Ah bon ? on m'avait fait miroiter une rente à vie, et voilà qu'on veut me faire travailler ? c'est un titre purement honorifique, j'espère...

Bon. Vous voulez Gallimard, c’est ça ?

Marché conclu.

Y a-t-il quelqu’un pour reprendre en main l’Institut d’études politiques de Paris ?

Alain Finkielkraut s’occupe déjà de l’École normale supérieure. C’est bien.

Le Louvre n'accueille plus que ses abonnés. Les policiers sont tenus à une stricte observance du vouvoiement. L'uniforme, bon an mal an, a été rétabli dans les écoles. Bily, non loin de Paris, s'est fait construire, aux frais de l'Etat, un gigantesque mausolée néoclassique (huit milliards d'euros et quinze ans de travaux), au creux d'immenses jardins, pour y faire reposer sa dépouille.

Il paraît qu’il vit là entouré de dizaines de maîtresses (Edwy Plenel aurait même écrit un article sur le sujet mais il a mystérieusement disparu et...).

Les dernières portes qui claquèrent furent celles de Liogier et Bourmeau. France Culture, rebaptisé à l'occasion Culture de France, diffuse de nouveau des musiques radieuses et une grande quantité d'émissions en faveur de l'histoire de ce pays. Le Monde, ou, puisqu'il faut maintenant le nommer ainsi, Le Monde vu de France, renoue avec les Grandes heures du journalisme parisien. Derechef l'Esprit règne dans les têtes de nos compatriotes. Alors veuillez me dire, messieurs, de quoi pourrait-on se plaindre à présent ? (Le "changement" n'a-t-il pas l'air charmant sous cette présidence camusienne ?)

(« Uchronie passagère »)

« France Culture » était très bien...

Pardon, je croyais qu'il pouvait s'agir d'un symbole fort pour signifier le changement d'orientation culturelle de cette radio.

Tous les pédagogues de la rue de Grenelle furent nommés dans les lycées les plus difficiles. Un grand nombre d'entre eux sombra dans la dépression, certains se suicidèrent, les autres démissionnèrent rapidement et se recyclèrent dans d'autres activités. Ceux qui furent identifiés comme les pires fossoyeurs du système scolaire furent privés de retraite. On rétablit les langues anciennes dans la filière littéraire qui redevint la plus difficile et la plus formatrice - et donc la plus demandée. On rétablit l'enseignement de la littérature dans les cours de langue, l'apprentissage par coeur de pages entières de la littérature française en cours de français et la chronologie en histoire. On apprit de nouveau les provinces, les départements et les fleuves français (et on élargit la chose aux autres pays d'Europe, si bien qu'on sut bientôt le nom de toutes les provinces italiennes, espagnoles, allemandes...).
Le thème grec et le thème latin redevinrent des exercices importants, avant la réintroduction des vers latins, mesure phrase du deuxième mandat du président Camus.
Dans le même temps, les ordinateurs furent interdits dans les écoles avant 15 ans. Les radios libres furent soumises à un sévère contrôle linguistique et intellectuel, avec amendes si dissuasives que le niveau monta jusqu'à atteindre celui de l'ancienne France Culture (voire plus). Même mesure à la télévision. Les chanteurs de variété, les comédiens, etc. se mirent à rougir devant les écrivains, les savants et les grands artistes et refusèrent les invitations à venir faire leur promotion.
La retransmission du sport fut limitée aux grands évènements internationaux, aux rencontres de l'équipe nationale - avec une privilège au sport amateur.
Chaque élève fut contraint de passer au moins une année entière à la campagne (avec échanges ville-campagne) pour apprendre les cycles de la nature, saisons, animaux, végétaux, etc. et pour pouvoir ensuite goûter toute la tradition bucolique de la poésie mondiale. Il y pouvait découvrir la veillée : les anciennes histoires, les contes, etc.
Il redevint possible de vivre dans la langue de son terroir - et on bannit les autres langues de l'espace public (administratif, économique et médiatique), mais on conserva les déclarations des étrangers dans la langue originale, avec sous-titres. Même chose à la télévision : tout programme étranger fut sous-titré !

Les gens, dans la rue, osèrent même recommencer à se dire « Bonjour Monsieur » ou « Bonjour Madame » et certains esprits audacieux eurent l’idée de se découvrir lorsqu’ils croisaient quelqu’un alors qu’ils portaient un couvre-chef.

« Dans le même temps, les ordinateurs furent interdits dans les écoles avant 15 ans. »

Non là vous allez trop loin, tout de même. Interdire à ces pauvres enfants les ordinateurs de moins de quinze ans, c’est d’une cruauté !

Mais c'est une véritable nécessité ! Ils ne savent plus ni lire ni écrire, ni chercher autrement que par un "googlage"...

Sans compter que les ordinateurs de plus de quinze ans, ça n'existe pas ! (Déjà, quinze mois...)

Ah, là, mon cher Dangle, je me permets de m’inscrire en faux. Je possède chez moi un fort bel engin de marque Compaq qui existe depuis 1993 au moins.