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Comment “ils” voient l’avenir de la langue française

Envoyé par Christian Combaz 
Extrait, en forme de citation, d’un article où il est question d’une lettre envoyée par Mme Filippetti à ses agents, et qui s’achevait par « merci à vous ».

Il n’y aurait rien d’étonnant à ce que Mme Filippetti pratique le même sectarisme à l’égard du beau français que le ministère des Affaires étrangères, à qui est confiée la tâche de défendre notre langue hors frontières et dont je vous cite des recommandations qui datent de 2008.

Nous séparer de ces stéréotypes qui ont pu être nos alliés dans le passé, mais nous renvoient aujourd’hui une image étriquée et promouvoir
— Le français, langue en liberté (vs la « police » de la langue, le repli) : langue des banlieues, sms, blogs
— Le français, à la pointe d’une movida (vs « la culture patrimoniale ») : slam, cultures urbaines, mangas
— L’excellence sportive (vs « une langue féminine, formelle et chic »)



Je ne résiste pas à la tentation d’ajouter à ce chapelet de crétineries la citation d’un télégramme diplomatique relatif aux “journées du Réseau Culturel français à l'étranger” qui ont eu lieu à Paris le 16 juillet 2009 :

Peut-on encore défendre l’idée que la transmission de la pensée et du savoir-faire français passe obligatoirement par l'apprentissage de notre langue ?


La suite sur [christiancombaz.com] sous le titre Une excellente année à vous — oui c’est de l’humour.
Et dire que Mme Filippetti est une normalienne agrégée de l'Université ! Nous sommes en plein dans ce que Lasch appelait la trahison des élites. Elles imitent et élèvent au niveau d'une norme toutes les tournures anglaises les plus inadaptées et toutes les expressions petites bourgeoises.
Je me rends compte que les jeunes placent de plus en plus l'adjectif prioritairement avant le nom, et non plus après (le mettant avant de manière seulement exceptionnelle). Une influence de l'anglais en plus, qui ne les conduit cependant pas à bien placer l'adjectif en anglais. Leur anglais imite donc désormais un français qu'ils ne parlent même plus.
Nos élèves deviennent graduellement ce que sont les Algériens (de la bouche d'un Algérien lui-même) : des analphabètes bilingues. Les Algériens parlent mal français et arabe, nos jeunes gens parlent mal français et anglais (et parfois un dialecte du bled - tout aussi mal).
Hélas, je crains que la volonté d'abaisser notre langue ne soit plus ancienne et que, au Ministère des Affaires étrangères et dans tous les services de diffusion de la langue et de la civilisation françaises, la langue française n'en soit désormais au stade terminal - celui de l'euthanasie ou de la fin de vie provoquée et suscitée par un eugénisme linguistique, c'est-à-dire par l'ambition politique de remplacer la langue par des formes venues des marges de la France et parlées par des populations nouvellement établies en France, mais tenues pour "jeunes", "anticonformistes" et devant assurer le risorgimento ou, mieux, la nahdah de la France.

En 1982 ou 1983, j'ai assisté à une réunion / conférence, dans une grande salle de la rue La Pérouse, au cours de laquelle un jeune loup socialiste, qui était au cabinet de Cheysson (je crois), expliquait qu'il fallait en finir avec les "agrégés" (comprendre : ne plus les nommer dans les postes de lecteurs, d'attachés linguistiques ou culturels, etc.), parce qu'ils avaient une conception de la langue et de la culture qui ne convergeait plus avec les nouvelles orientations de la politique extérieure de la France (c'était l'époque où le tiers-mondiste Cheysson avait obtenu que le Ministère des Affaires étrangères s'appelât désormais Ministère des Relations extérieures) et que, à l'étranger, ils donnaient de la France une image surannée, passéiste ou ringarde, qui n'était plus conforme plus à la réalité des choses (ou à la représentation idéologique que le pouvoir alors se faisait de la réalité).

De fait, dans les seules années 1980, j'ai été le témoin de la mainmise des "spécialistes" de didactique et de méthodologie du "français langue étrangère" (le si bien nommé : le français leur était une langue étrangère) sur l'enseignement du français à l'étranger et celle d'animateurs socioculturels, formés à la "culture Lang", sur la diffusion de la civilisation à l'étranger.
Parallèlement, le marché de la librairie a été inondé de méthodes audio-orales dans lesquelles les "personnages " censés représenter la France et les Français étaient mahgrébins ou noirs et se nommaient (tous ?) Mohammed, méthodes avec lesquelles de jeunes gens aimant la France apprenaient le français dans les Centres culturels ou des Alliances françaises à l'étranger. Des postes de "lecteurs d'échange" (occupés par des normaliens agrégés ou des agrégés) ont été transformés en postes de traducteurs ou de spécialistes de la traduction (alors que de nombreux pays, l'Egypte, formaient des traducteurs depuis un siècle et demi), et cela pour alimenter l'opération ambiguë et sinistre des "Belles étrangères". En 1987, l'Ambassade de France à Rome a publié un "magazine" (heureusement, il n'a eu qu'un seul numéro) dans lequel on pouvait lire la prose d'un attaché culturel, spécialiste de l'interlangue (l'état de langue hybride - mélange de français populaire et d'arabe dialectal ou de berbère) par lequel passent ou seraient passés des immigrés maghrébins avant de commencer à parler français (le français jeune et plein d'anomalies des banlieues, etc.), prose s'étalant sur deux pages dans lesquelles un Français connaissant sa langue pouvait relever une quarantaine de fautes de syntaxe ou d'accord et d'absurdités ou de contrevérités...
En bref, la langue "française" qui était enseignée alors à des étrangers était un mixte de langue de bois ou de langue de béton armé et de formes verbales marginales, bizarres, prétendument "populaires", et qui n'avaient de françaises que l'adjectif que les institutions y accolaient.

Au début des années 1990, l'affaire était pliée...
Au début des années 1990, l'affaire était pliée...

Dommage que vous concluiez votre intéressant billet par une petite concession à ce que vous dénoncez...
Utilisateur anonyme
05 janvier 2013, 13:50   Re : Comment "ils" voient l'avenir de la langue française
« Et dire que Mme Filippetti est une normalienne agrégée de l'Université ! »

Et dire qu'il y a encore des personnes pour attacher la moindre importance à ces machins, et croire ou espérer qu'il y aurait là une garantie de quoi que ce soit...
Citation
Afchine Davoudi
« Et dire que Mme Filippetti est une normalienne agrégée de l'Université ! »

Et dire qu'il y a encore des personnes pour attacher la moindre importance à ces machins, et croire ou espérer qu'il y aurait là une garantie de quoi que ce soit...

Vous en conviendrez, il n'est pas facile de se faire à l'idée qu'un agrégé de lettres classiques ou de philosophie, qu'un diplomate de haut rang ou qu'un docteur en histoire puisse être bête comme ses pieds. Cette décomposition intellectuelle est l'un des drames les plus sidérants et ruineux de notre temps.
Messieurs, il est temps de comprendre qu'il n'y a plus aucun rapport entre le diplôme et l'intelligence, et moins encore avec la culture, depuis déjà longtemps : aujourd'hui, il vaut presque présomption d'ignorance, ou tout au moins de fatuité intellectuelle.
Écoutez seulement la langue que parle M. Jean-Claude Casanova, président de la Fondation des Sciences-Politiques...
Merci à Henri Rebeyrol de nous rappeler certains éléments de la genèse de l'effondrement de notre dignité linguistique dans ces petits bastions que représentaient les instituts français à l'étranger (Alliance française et autres). J'ai été enseignant à l'Alliance française de Hong Kong dans les années 1980-81. Je voyais venir chez nous des Chinois mus par la haute idée qu'ils se faisaient de nous, les représentants de la francophonie. De penser que certains depuis sont allés à leur rencontre avec pour mission de leur faire savoir que le slam, le rap, la culture manga et "urbaine", c'est chic, c'est la France, j'en ai le bômi comme on disait à Marseille encore dans ces années là. Etre minable serait presque pardonnable, être minable et ridicule quand on est Français, cela ne l'est plus.
Expérience personnelle récente.
Agrégé de philosophie, je m'étais porté candidat pour diriger de petites Alliances françaises à l'étranger. En faisant le pied de guerre auprès du siège de l'Alliance française et du ministères de Affaires étrangères, je finis par obtenir un rendez-vous dans chacune des deux institutions.
Ce fut une humiliation. On me reprocha de n'avoir pas d'expérience en gestion d'entreprise. On me conseilla d'acquérir une expérience en "marketing du FLE". Il se trouve que je connais très bien la société, la langue et la culture d'un des pays où est située l'une des Alliances françaises à la direction de laquelle j'étais candidat (mon premier choix). Cela me fut reproché, alors qu'il me semblait que cela pouvait me permettre de connaître les goûts locaux et d'avoir des propositions culturelles en rapport avec la sensibilité locale.
Au ministère, ce fut odieux en particulier. On m'y fit sentir que tout y était secret - sans mon pied de guerre, je n'aurais jamais eu le moindre rendez-vous et ma candidature eût été directement au panier. Ces gens usent du notre réseau culturel comme d'une chasse gardée qu'ils gèrent dans l'opacité la plus totale.
Avec des guignols pareils, pas étonnant que l'importance du français diminue...
Monsieur, voici, sur la place publique, l'extrait d'un livre que je garde sous le coude et qui s'appelle Novara Ouest. J'aimerais vous convaincre que les gens dont vous parlez, et que j'ai croisés aussi, nous rendront des comptes un jour.

Lorsque je mesurai les efforts accomplis par les Français dans les villes de Lombardie pour rééduquer les populations locales au nom de la coopération linguistique, je compris pourquoi les Italiens nous accueillaient en haussant les épaules. Le Ministère envoyait pérorer devant les classes bilingues de Milan Vérone, Padoue, Trieste, des auteurs de bande dessinée dans le genre kiffe ta meuf ou des auteurs de courts métrages contre le racisme qui portaient les tampons de la France fière d'elle-même, de son intégration, de son ineffable modèle social, celui qui mène au désastre. Aucun document officiel, aucune brochure ne s'écartait de la règle qui voulait que la culture française fût un cocktail. La première précaution consistait à écarter le pays de ses origines en reléguant son histoire au rang de patrimoine. Je fus donc invité, dès mon recrutement dans l'armée des fonctionnaires de l'esprit , à établir une distinction entre culture patrimoniale et culture tout court. Une fois coupé ce cordon indésirable, la Culture française, privée de ses ressources immunitaires, pouvait tolérer la seconde partie du traitement, laquelle consistait à rappeler sans cesse les apports dont elle avait bénéficié, et les mélanges dont tout art digne de ce nom devait pouvoir faire état. Entre deux spectacles, l'un entièrement breton et l'autre qui se dirait revisité par le rock, le tango et une pointe de reggae, le coeur du diplomate culturel ne devait point balancer : foin de tradition, donnons dans le mix, le groove et le sampling. Le seul ennui est que chaque matin, sur mon bureau, s'empilaient les propositions d'hommage ou de célébration du genre "cent cinquantenaire de Solferino"', "Cercle des études stendhaliennes", "Association des amis de Cocteau en Lombardie" que mon obligation était de repousser parce que les amis de l'ambassadeur et les tartufes parisiens de la culture mondialisée voulaient promouvoir Daniel Buren auprès des élèves du Politecnico. Oui, Daniel Buren expert en paradoxes visuels et accessoirement en gaspillage d'argent public nous fut envoyé pour une conférence, entendez un powerpoint hésitant et satisfait. Devant un parterre de jeunes gens acquis à sa cause il commenta sans génie pendant deux heures les diapositives de ses interventions à travers le monde et l'on vit bien que son principal sujet de fierté était d'avoir monté un dispositif au Metropolitan à New York. Les jeunes branchés italiens étaient en somme venus le féliciter d'avoir plu à leurs maîtres américains.
Pour ma part en rentrant chaque semaine dans mon village je songeais plutôt à ce petit éditeur de Sesto San Giovanni qui traduisait Valéry Larbaud, à ces jeunes gens de Parme qui m'ont poursuivi jusqu'à Venise pour me montrer leurs lettres de Cocteau, et aux artisans du Baroque qui pendant un siècle étaient venus du val Sezia pour décorer les églises de Savoie.
Cher Monsieur Combaz, votre billet est des plus éclairants. Je suppose que par la promotion des "cultures urbaines" etc., nos brillantes élites visent à concurrencer le "soft power" américain sans comprendre que pour une multitude de raisons (dont certaines liées à leur industrie du spectacle), les Etats-Unis savent fabriquer de l'entertainment, là où la France ne produit qu'une fade soupe aux relents de bienpensance.

De plus, il doit aussi y avoir l'influence de tous ces socialistes, friands de médiocrité et de bêtise, dans le sillage de Jack Lang, Frédéric Martel et Laure Adler.

Je crois d'ailleurs que leurs choix ne sont guère payants puisque la francophonie ne cesse d'être en recul dans le monde. Il faut dire que devoir subir des sessions entières de rap français et de tags français ne fait guère envie ! D'autant que rap et tag ne sont jamais que des formes de sous-culture interchangeable qui "fleurissent" partout. Je suppose donc qu'hormis pour un sociologue qui chercherait dans ces "formes" des signes d'expression propres à une certaine culture, pour celles et ceux qui souhaitent apprendre le français, les supports proposés doivent simplement apparaître dans toute leur indigence.
Merci, Mon Cher Combaz, d’avoir lancé ce fil passionnant. Et merci du superbe extrait.






Dans les années 80, ce sketch des Inconnus semblait une pochade ... Il était prémonitoire !
07 janvier 2013, 04:28   Peut-être un motif d'espoir...
Je me demande s'il n'y aurait pas lieu de considérer aussi la langue, la connaissance de la langue, et même certaines dispositions à la parler et exprimer au mieux de ce qu'elle permettrait potentiellement, comme des contenus objectifs de pensée — je pense en particulier à ce que Popper entendait par "troisième monde"* — et de distinguer soigneusement l'usage séculier, en un sens (et donc circonstanciel ou accidentel) qu'en font certains baragouineurs qui font vos délices, chers amis, de sa nature propre, toujours possiblement recouvrable et re-découvrable, compte tenu surtout des remarquables adaptabilité et souplesse des facultés cognitives d'apprentissage ?
Si la langue n'est pas qu'un moyen d'expression et de communication, mais relève d'un mode d'existence plus fondamental, ne dépendant pas, dans la pérennité de son être et sa nature propre, strictement des circonstances temporelles de son élocution, alors la médiocrité de ces dernières ne peut coïncider non plus avec sa mort ou son effondrement définitif, ni réellement les signifier...


* Ceci est extrait d'une conférence de Karl Popper, Une Épistémologie sans sujet connaissant, reprise dans La Connaissance objective :
« Le thème principal de cette conférence sera ce que j'ai l'habitude d'appeler, faute d'un meilleur nom, le troisième monde. Pour expliquer cette expression, je ferai observer que, sans prendre trop au sérieux les mots "monde" ou "univers", nous sommes en droit de distinguer les trois mondes ou univers suivants : premièrement, le monde des objets physiques ; deuxièmement, le monde des états de conscience, ou des états mentaux, ou peut-être des dispositions comportementales à l'action ; et troisièmement, le monde des contenus objectifs de pensée, qui est surtout le monde de la pensée scientifique, de la pensée poétique et des œuvres d'art.
Certes, ce que j'appelle "le troisième monde" a ainsi beaucoup à voir avec la théorie platonicienne des Formes ou Idées et, par conséquent, aussi avec la théorie hégélienne de l'Esprit Objectif ; mais ma théorie diffère radicalement, sur certains points décisifs, de celles de Platon et de Hegel. Ce qui ressemble de plus près à mon "troisième monde", c'est l'univers des contenus objectifs de pensée de Frege.
(...)
La plupart des adversaires de la thèse d'un troisième monde objectif reconnaîtront évidemment qu'il existe des problèmes, des conjectures, des théories, des arguments, des revues et des livres. Mais ils disent généralement que toutes ces entités sont, essentiellement, les expressions symboliques ou linguistiques d’états mentaux subjectifs ; ils ajoutent que ces entités sont des moyens de communication — c'est à dire des moyens symboliques ou linguistiques d'éveiller chez les autres des états mentaux analogues.
J'ai souvent combattu cette idée, en montrant qu'on ne pouvait reléguer toutes ces entités et leur contenu dans le second monde.
Permettez-moi de reprendre ici l’un de mes arguments classiques en faveur de l’existence plus ou moins indépendantes du « troisième monde ».
Considérons deux expériences de pensée.
Expérience 1 : toutes nos machines et tous nos outils sont détruits, et tout notre savoir subjectif avec eux, y compris notre connaissance subjective des machines, et de leur mode d’emploi. Mais les bibliothèques et notre capacité à en tirer des connaissances ont survécu. Il est clair qu’après bien des souffrances notre monde pourra repartir à nouveau.
Expérience 2 : comme précédemment, machines et outils sont détruits, et tout notre savoir subjectif avec eux, y compris notre connaissance subjective des machines et des outils, et leur mode d’emploi. Mais cette fois, toutes les bibliothèques sont également détruites, si bien que notre capacité à tirer des connaissances de la lecture des livres devient inutile.
Si vous réfléchissez à ces deux expériences, peut-être la réalité, l’importance et le degré d’autonomie du troisième monde (ainsi que ses effets sur le premier et le deuxième monde) commenceront-il à vous apparaître un peu plus clairement. Car, dans le second cas, il n’y aurait aucune renaissance possible de notre civilisation avant de nombreux millénaires. »
"Je ne vois pas pourquoi l’homme, qui fait partie de la nature, aurait seul le privilège de ne pas se tromper dans l’unique domaine où une prodigalité illimitée lui est consentie. Dans le monde des idées, il n’est ni asepsie ni hygiène ; et elles y seraient sans doute pire que le mal. L’effervescence spéculative se développe sans l’amorce d’une responsabilité ni la crainte de la moindre sanction. Ai-je besoin de souligner que je ne m’élève nullement contre le caractère éventuellement subversif des idées ? Il ne m’intéresse pas. C’est leur pullulement qui m’inquiète. Je n’aperçois aucun moyen d’en freiner la progression. En nommant cogitation l’ébriété, le remue-ménage de la pensée, j’entends marquer le danger d’un foisonnement qui constitue une menace croissante d’asphyxie, à la manière des herbes sauvages dans un jardin abandonné : elles étouffent vite de leurs racines et de leurs broussailles les fleurs et les plantes cultivées, qui exigent, elles, protection et soins.
Le péril est plus alarmant dans le domaine des idées, où l’ivraie, la ronce et l’ortie ne se distinguent guère de la plante la plus délicate. Comme les idées n’ont pas de volume et n’occupent aucun espace, on imagine mal que leur fourmillement tire à conséquence. Pourtant leur invisible présence flottante parvient très bien à paralyser la pensée la plus vigoureuse, à l’égarer, à la coudre comme ferait une multitude de Lilliputiens vrombissants, à l’ensevelir sous une végétation parasite, dont la force est seulement d’être innombrable et de paraître inoffensive."
Roger Caillois, Le Fleuve Alphée
Utilisateur anonyme
07 janvier 2013, 09:41   Re : Comment “ils” voient l’avenir de la langue française
La langue française est malmenée mais la culture française a quelques soubresauts (Victor Hugo bankable)

[www.youtube.com]
Citation
Christophe Rivoallan
La langue française est malmenée mais la culture française a quelques soubresauts (Victor Hugo bankable)

[www.youtube.com]



Et elle en aurait sans doute davantage si les instances politiques mentionnées par Henri Rebeyrol et Christian Combaz ne s'acharnaient à la discréditer au profit de produits de consommation courante. Je note que le roman d'Hugo est adapté par un réalisateur britannique. Et il y a fort à parier que sur ce mode ( mélange de formes, présence de stars, romance,etc.), ce film va rencontrer un vrai succès populaire comme tous ces films qui savent habilement proposer des références littéraires, une mise-en-scène soignée, une bonne direction d'acteurs.
"Les misérables" se prêtent admirablement à ce genre de cinéma, d'ailleurs.

Contrairement aux Français, les Britanniques savent produire de très bonnes fictions, à mille lieues du mélange de misérabilisme et de bons sentiments de nos réalisateurs quant ceux-ci ne sont pas des intellos aux petits pieds.

Mais que voulez-vous, ce qu'il faut promouvoir, c'est le "street art". Or tous le monde sait que la rue, c'est là où les citadins emmènent leur chien faire pipi ...
Mais que voulez-vous, ce qu'il faut promouvoir, c'est le "street art". Or tous le monde sait que la rue, c'est là où les citadins emmènent leur chien faire pipi ...

...et caca (je passe quelques jours à Marseille, ville dont les rues sont par endroits littéralement tapissées de déjections canines — mais aussi humaines).
« Dans le monde des idées, il n’est ni asepsie ni hygiène. »

Oh que si, incontestablement à mon sens, sinon il n'y aurait aucun moyen de distinguer le produit d'un pur délire, la berlue, la divagation et les babillages inconsistants des idées justes, et si vous y tenez, claires et distinctes. Celles-ci ne comptent-elles pour rien, et le trébuchet qui effectue ce partage est-il si trompeur et grossier ?
Cher Alain ,


la langue est re-découvrable au prix d’un ré-apprentissage. Mais il est un stade ou le ressort de la redécouverte et du réapprentissage se casse : le membre amputé ne repousse pas, ou plus. La langue fantôme finit par se faire oublier et la douleur que causait chez le sujet le membre fantôme achève de s’estomper. Et l’on parle toute sa vie, familiale, professionnelle, comme Jamel Debhouze, en se figurant, désormais bien à tort, que si l’on voulait, l’on pourrait faire qu’il en soit autrement, que le moignon de langue devenu nôtre n’est qu’un « usage séculier » (bras séculier !). A force de mutiler et d’amputer ce que Saussure désignait comme performance, la compétence s’étiole comme s'atrophie un muscle qui ne sert plus.

Je relis Paul Morand, L’Homme pressé (1941); je tombe sur le mot romanichel tristement amputé en « Rom » dans la parlure actuelle, et devenu de ce fait « contenu objectif de pensée ». Voilà un moignon qui avait cessé de me faire souffrir et qui à la faveur de cette lecture regagne son statut ancien de membre à part entière d’un contenu objectif d’expérience (romanichel -- mot venu du fond de l’enfance, de la mémoire de roulottes, de guitares, de chansons, de paysages de friche et bien sûr d’autres récits, ceux de Cendrars, et sa main fantôme, notamment, et de tout un monde semi-mémoriel ou expérience de vie et expérience de représentations se confondent).

Mais qu’en est-il de ceux qui n’ont pas eu, de toute leur vie, pareil contenu objectif d’expérience ? Ils resteront affublés de leur moignon « Rom » et même s’ils relisent Morand, n’éprouveront pas davantage plaisir à retrouver romanichel qu’ils n’éprouvaient déplaisir à n’user que du seul moignon apocopique « Rom ». Ils continueront d’évoluer dans l’insensible éther des catégories morales et idéologiques et à y battre des brandebourgs sans effet notable sur leurs contemporains aussi insensibles qu'eux aux contenus objectifs d'expérience transcrits et portés par une langue sans douleur. Et leur lecture ou relecture trop tardive de l’Homme pressé ne réveillera en eux ni plaisir ni déplaisir. Pour tout plaisir il ne leur restera que le divertissement, la déviation des douleurs fantômes, celle que procure, par exemple, le spectacle de Jamel Debbouze à la télévision faisant son one manchot.

[message modifié]
Cher Francis, merci pour ce commentaire si vrai. Combien de fois, enfant, j'ai rêvé, moi aussi sur ce mot "romanichel". Là où les "romanichels", inquiétants, fascinaient, les roms, banalisés, au mieux, apitoient, au pire, exaspèrent le bourgeois comme le feraient de vulgaires chiens errants. Le moins qu'on puisse dire est qu'ils n'ont pas gagné au change des bons sentiments.
Francis, se profile ici la question, qui n'a pas de réponse si évidente, de savoir si la langue coïncide entièrement avec l'usage qu'on en fait — et dès lors les debouzziens & Cie en auraient donc l'entier monopole, sans reste : elle serait alors ce qu'ils en font ! et leur univers mental, leurs représentations et conceptions du monde (...) la détermineraient de part en part —, ou si elle bénéficierait d'un domaine propre, d'un mode d'existence autonome, d'abord comme fait accompli (dans les meilleurs livres, les plus belles phrases dont on aura gardé témoignage), puis comme possibilités d'expression qu'elle recèlerait, actualisées ou non par d'éventuels "locuteurs" doués.

Le mot "romanichel" n'est pas devenu "contenu objectif de pensée" du fait que l'on dit maintenant plus volontiers "Rom" ; il l'était toujours, et comme tel, toujours à disposition, en attente de reprise, au moins par Cassandre, par vous, par moi dorénavant, oh, et nous ne sommes pas les seuls ! et grâce à Morand, dont le livre, les tournures, le style, le sens qu'il a suscité, la syntaxe existent indubitablement, avec ou sans lecteurs actuels. Je crois même, ce serait tout naturel, que L'Homme pressé est consultable en ligne ?...
C'est pourquoi les habitants du "troisième monde" ne sont pas des fantômes, déchus de leur plénitude originelle à partir du moment où de nouvelles formes d'expression les auraient supplanté : ils ont toujours existé parallèlement à leur actualisations, et quoi qu'il en soit, indépendamment d'icelles.

Dans l'extrait de Popper, celui-ci fait référence à Gottlob Frege, génial logicien qui donna le coup d'envoi à ce qu'on a appelé la "philosophie analytique" ; sa conception du "sens", très clairement exposée dans les lignes qui suivent, aidera peut-être à se faire une idée plus précise de ce qu'il faut entendre par "contenu objectif de pensée", et dans quelle mesure celui-ci peut être indépendant de la "performance" du sujet connaissant et de sa représentation :

« La dénotation d'un nom propre est l'objet même que nous désignons par ce nom ; la représentation que nous y joignons est entièrement subjective ; entre les deux gît le sens, qui n'est pas subjectif comme l'est la représentation, mais qui n'est pas non plus l'objet lui-même. La comparaison suivante éclairera peut-être ces rapports. On peut observer la lune au moyen d'un télescope. Je compare la lune elle-même à la dénotation ; c'est l'objet de l'observation dont dépendent l'image réelle produite dans la lunette par l'objectif, et l'image rétinienne de l’observateur. Je compare la première image au sens, et la seconde à la représentation ou intuition. L'image dans la lunette est partielle sans doute, elle dépend du point de vue de l’observation, mais elle est objective dans la mesure où elle est offerte à plusieurs observateurs. » (G. Frege, Sens et dénotation, dans Écrits logiques et philosophiques)

Si nous revenons à la définition de Popper, la lune fait partie du "premier monde", l'image rétinienne de la lune comme représentation subjective de l’observateur est du "deuxième", et "l'image réelle produite dans la lunette" est, elle, un "contenu objectif de pensée".
Ce que contiennent les bibliothèques, et qui est considérable, et parfaitement disponible, fera office de "lunette".

(...et quelques-uns, comme l'écrivait Saint-Leger Leger, en prirent connaissance...)
(Speaking of "contenus objectifs de pensée", quelque âme charitable pourra-t-elle me délivrer d'affreux doutes qui tout à coup m'assaillent, et confirmer que la tournure "...la question de savoir si elle coïncide avec... ou si elle bénéficierait..." est possible, parce que le "si", en l'occurrence, n'introduit pas une condition, mais est un adverbe d'interrogation introduisant une complétive interrogative (du genre : "Je me demande si je pourrais le faire.") ?)
C'est pourquoi les habitants du "troisième monde" ne sont pas des fantômes, déchus de leur plénitude originelle à partir du moment où de nouvelles formes d'expression les auraient supplanté : ils ont toujours existé parallèlement à leur actualisations, et quoi qu'il en soit, indépendamment d'icelles.

Jolie profession de foi néoplatonicienne ma foi et qui conserve tout son attrait. Malheureusement le nom, source du sens, et les mutilations qu’il subit, influent sur la cascade des projections qui en émanent (lunette, puis rétine), et la lunette, qui en toute rigueur se situant au cœur de la triangulation du sens, devrait être désignée comme « tiers monde » et non troisième monde, terme qui rejetterait ce monde en bout de chaîne en le post-posant à la subjectivité. Ce « tiers monde » serait la charnière du sens, mais il n’en serait point pour autant immuable car il continuerait de dépendre de ce que Frege nomme « la dénotation ».

« La dénotation d'un nom propre est l'objet même que nous désignons par ce nom ; la représentation que nous y joignons est entièrement subjective ; entre les deux gît le sens, qui n'est pas subjectif comme l'est la représentation, mais qui n'est pas non plus l'objet lui-même. La comparaison suivante éclairera peut-être ces rapports. On peut observer la lune au moyen d'un télescope. Je compare la lune elle-même à la dénotation ; c'est l'objet de l'observation dont dépendent l'image réelle produite dans la lunette par l'objectif, et l'image rétinienne de l’observateur. Je compare la première image au sens, et la seconde à la représentation ou intuition. L'image dans la lunette est partielle sans doute, elle dépend du point de vue de l’observation, mais elle est objective dans la mesure où elle est offerte à plusieurs observateurs. » (G. Frege, Sens et dénotation, dans Écrits logiques et philosophiques)

Le nom propre se cessera jamais, dans ce schéma, d’être ce dont le nom est le nom. C’est donc un statut particulièrement léonin, tout puissant, et auquel la moindre des altérations peut faire basculer tout l’édifice du sens qui en dépend. Cette mise en gigogne du nom est réelle -- romanichel contient « rom » et toute l’étymologie, dès qu’elle affleure la conscience des locuteurs en vient à paralyser le sens, à le verticaliser, à le rendre inopérant dans le discours, quand il n’ose plus s’y couler par des mots insouciants d’eux-mêmes, et je vous fais grâce du chinois, langue écrite dans laquelle tout nom porte un nom, les sinogrammes étant marqués comme des bêtes du sigillaire de leur propriétaire référent ancien, bien visible et parlant --, elle est réelle et elle déconstruit, en tout cas fait fuir le sens hors de son triangle de mondes hiérarchisés popperiens, et ce dont le nom propre est le nom en ressort comme inaccessible, en tout cas donné comme valeur asymptotique.

La réalité est plus fatale que cet ordre néoplatonicien : certaines amputations sont mortelles et en viennent à éclipser la lune, la renvoyant hors les champs des rétines et de leurs prothèses, les lunettes. La dénotation altérée va se perdre et se noyer de dépit dans des discours qui la méconnaissent, où elle devient peu à peu élément agrégé à d’autres pour former des méta-dénotations d’un monde nouveau, lequel, éventuellement et à la rigueur, se structurera suivant le schéma des cellules triangulaires de Popper-Frege.

Savez-vous ce que j’ai remarqué s’agissant de l’apocope ? oh rien d’extraordinaire, mais tout de même : vous n’ignorez pas qu’au Japon existe la forme de transcription dite katakana, qui « phonétise » des mots étrangers, souvent d’origine anglaise, évidemment, eh bien un grand nombre de ceux-ci en ressortent délibérément et systématiquement amputés, méconnaissables à une oreille occidentale, tout à fait comme dans certains « parler modernes » (comme d’hab, etc.) ; ils s’effeuillent de la moitié de leurs syllabes – non point par « impatience naturelle des Japonais », comme me l’ont suggéré avec naïveté et un brin d’humour certains Japonais, mais bien en vertu du processus que je vous dis : ces mots n’ont plus besoin d’être discriminés de leur entourage d’origine et se dénaturent ainsi pour s’arrimer à des discours, pour être pris dans des relations de sens en lesquelles, de maisons, ils deviennent briques. Dans ces nouveaux édifices où loge le sens, fregiennement, les contenus objectifs de pensée dont ils avaient pu être l’expression, ou la portée musicale, se dissolvent à tout jamais.

Et si le monde japonais ou chinois ne vous inspire pas davantage, je vous soumet un cas plus proche de nous, celui d’une amie anglaise monolingue qui, au restaurant, me sort, dans son anglais britannique de dame de bonne société « soyez prévenu Francis, ici, c’est très nouvelle ». Ce nouvelle se présentait dans sa phrase anglaise en français, pour nouvelle cuisine, évidemment. Que s’est-il passé ? Oh pas grand-chose là non plus : un contenu objectif de pensée (référent ou concept nominalisé nouvelle cuisine), qui a mal traversé la Manche à la nage, s’est noyé en ne nageant que d’un bras. L’amputation fut fatale au nageur et cette dame, qui ne voulait connaître que nouvelle sans s’embarrasser de cuisine, comme un très grande partie de ses concitoyens, parle non seulement sans savoir mais qui plus est sans plus faire cas de quoi et révèle in the process que le concept, élagué dans son élocution « pour faire vite », s’est perdu pour s’incorporer à une sorte de « nouvelle cuisine à l’anglaise », soit un recyclage du sens, comme aussi bien de la nourriture, après passage à la moulinette du langage.
Cher Francis, la "dénotation", selon Frege, c'est tout simplement le référent, c'est à dire l'objet physique (ou l'"idée" s'il s'agit d'un concept) que désigne, dénote le nom, qui n'est qu'un signe, c'est à dire une forme graphique ou acoustique (et non "signe" au sens saussurien qui contient le signifiant et le signifié), auquel on associe le sens et le référent ; à ce titre le sens, tout "objectif" qu'il soit, dépend bien entendu du référent que dénote le signe — il est évident que le sens du mot "arbre" dépend de l'objet physique 'arbre" que le nom « arbre » désigne ; à ce titre également, le nom "lune" n'est pas ce dont — la lune réelle — ce nom est le nom.

Vous semblez continuer à vouloir considérer certains contenus de pensée comme strictement subjectifs, et leur refuser un mode d'existence autonome. C'est votre droit. Toujours est-il que si ce "troisième monde" des contenus de pensée existe, il est, par ce fait même, au moins aussi réel que cette réalité que vous réputez "fatale" et qui serait capable d'éclipser la lune.
Personnellement, en réaliste souvent obtus que je suis, je doute que le caillou lunaire, dans son existence, puisse être éclipsé ou affecté par la représentation de qui que ce soit, à moins bien sûr que cela ne se passe dans la représentation même, ce qui nous ramène au point de départ.

Plus loin dans la conférence, Popper en vient à parler du langage et des livres :
« Un homme qui lit un livre en le comprenant est une créature rare. Mais, même si la chose était plus commune, il y aurait toujours quantité de contresens et d'erreurs d'interprétation ; et ce n'est pas parce qu'on évite effectivement et un peu par accident de tels contresens, que des taches noires sur du papier blanc forment un livre, ou un exemple de connaissance au sens objectif.
Non, c'est quelque chose de plus abstrait. C'est cette possibilité ou potentialité d'être compris, ce caractère dispositionnel de pouvoir être compris ou interprété, ou mal compris et mal interprété, qui fait d'une chose un livre.
Et cette potentialité ou disposition peut exister sans être jamais actualisée ou réalisée. »
La question du nom est toujours une question de mise en abyme, une plongée dans la dénotation. Le surnom (qui est aussi bien un "sous-nom"), le diminutif, donc, nom apocopique, relève d'une technique d'appropriation et de reconstruction. Si je me prends à vous nommer Al au lieu d'Alain ou si vous vous amusez à me donner affectueusement du Cisou, vous verrez que nous nous engagerons dans une déconstruction-reconstruction de nos personnes au service de la construction d'une entité nouvelle, totalement subjective, marrante au possible si exposée à l'objectivité des hommes, certes, mais existante néanmoins. Si bien que, comme vous pouvez le constater, la subjectivité est aussi matérialistiquement opérante que peut l'être la sculpture, le bronze ou la taille de la pierre. Vous devez par conséquent considérer cette possibilité: les langues vivantes, les civilisations vivantes mais aussi les sous-cultures vivantes (banlieues) s'emparent de tout ce qui leur est extérieur et usent de cette technique pour, par le véhicule de la nominalisation, faire des expériences de pensées des entités entièrement leurs, perdues pour toute destinée universelle, entièrement prises dans les coordonnées de leur monde. Le Japon ainsi, recompose le monde en monde japonais, et les "expériences de pensée", l'objet de cette translation, la lune y compris, se dissolvent, se recomposent japonaises. Mais le Japon n'est qu'une étude de cas. Nous sommes tous Japonais.

PS: ayant rédigé le paragraphe ci-dessus un peu vite, je m'aperçois que j'ai laissé en chemin un élément clé de la démonstration: faire de la maison du nom une brique dans la plus grande maison du sens, avec pour paradoxe à cela que cette plus grande maison projettera un espace d'expérience de pensée plus réduit que ne le faisait l'unité du nom! Ce paradoxe s'expliquant par le fait que ce procédé de déconstruction-reconstruction-appropriation est le mode d'action de mondes particuliers, les seuls que l'on rencontre, qui sont interprétatifs-projectifs (la banlieue, la communauté, quelque qu'elle soit, lycée huppé ou banlieue sordide, ou prison, une civilisation insulaire comme le Japon, etc.)
Je n'appelle pas de mes voeux une catastrophe économique, comme on l'a écrit bêtement sur un autre fil. Mais je pense que si elle a lieu, tout un bloc de croyances, d'opinions toutes faites, de réflexes imagiers ( dans ma petite gare de Dordogne, la jeune fille typique d'Aquitaine qui fait la réclame pour le TER est une noire ), tout ce qui est attaché à la doxa, à l'amitié du Désastre, s'effondrera. Tout ce nivellement par le bas est une mode, et comme toutes les modes, elle passera. Il faut avoir confiance dans les puissantes ressources du snobisme, de la volonté de se distinguer, de faire élite, soit dit au premier degré, sans la moindre ironie. "Nous ferons clan", comme dit Oriane de Guermantes dans Proust.
Autre chose, mais lié. Dans "Le Monde", Danièle Hervieu-Léger explique doctement que l'Eglise catholique a perdu la partie, parce que les individus sont en voie d'autonomisation totale par rapport à la société. Elle oublie simplement qu' "autonomie" est un joli nom pour la solitude. L'être humain a besoin d'un ordre, au double sens de stabilité et de regroupement social ( l'Ordre des Chevaliers de Malte ). Le désordre total dans les moeurs et les pratiques sociales ne convient qu'aux grands esprits, et n'est pas Rimbaud qui veut.
Je n'explique pas autrement la prolifération des petits couples français (étonnante dans la banlieue ouest) déguisés en musulmans et sans doute convertis officiellement. Ils avaient besoin d'ordre, ils en ont trouvé un. Je pense que si la dame en question a un grand fils ( c'est une équidée tirant depuis longtemps la charrette France-Culture ), il ne va pas tarder à se laisser pousser la barbe et à voiler sa copine.
Bonne nouvelle, le catholicisme de gauche est mort (cf "Causeur"), il faudra que se restaure un ordre chrétien où puissent se réfugier tous ceux que le tohu-bohu du monde effraie.
La multiplication actuelles des prénoms inventés, sans rapport avec aucune tradition, produira des adultes angoissés par leur solitude onomastique.
» Si je me prends à vous nommer Al au lieu d'Alain ou si vous vous amusez à me donner affectueusement du Cisou, vous verrez que nous nous engagerons dans une déconstruction-reconstruction de nos personnes au service de la construction d'une entité nouvelle, totalement subjective, marrante au possible si exposée à l'objectivité des hommes, certes, mais existante néanmoins. Si bien que, comme vous pouvez le constater, la subjectivité est aussi matérialistiquement opérante que peut l'être la sculpture, le bronze ou la taille de la pierre

Certainement, de même que l'image rétinienne d'un observateur qui a une cataracte altérera la lune, dans sa représentation ; mais, pensez-y, Francesco, l'image produite par la lunette du télescope, interposée entre l’objet et le sujet, la chose et le mot, existe indépendamment des modalités perceptives de cet observateur, et pourra toujours offrir une image "correcte" à celui qui aura une bonne vue.
Vous parlez comme si la "subjectivité" annulait purement et simplement l'"objectivité" de ce sens à saisir, jusqu'à la rendre inopérante ou inaccessible dans sa possibilité même, mais il n'a jamais été question de cela : les deux ordres existent aussi bien, l'un et l'autre, l'un avec l'autre, et je ne vois aucune raison d'imposer ce tiers exclu...
Pourquoi voulez-vous absolument que le "Cisou" transforme à jamais l'entier Francis, qui n'a élevé de cochons avec personne, et le rende irrécupérable désormais pour quiconque ??
Est-ce vraiment le cas ?

(Et le double japonais de Leopardi dans Neige de printemps est aussi leopardien qu'on puisse l'être.)
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