À une amie qui m’écrivait dans une missive qu’elle ne comprenait pas ce que je pouvais bien trouver à l’In-nocence et qui me demandait pourquoi je m’impliquais en son sein, j’ai écrit cette lettre (je ne cite pas sa lettre à elle mais je crois que le confort de la lecture de la mienne n’est pas altéré par cette absence ; le premier paragraphe n’est pas essentiel ici mais bon, le retirer m’ennuierait donc voici) :
Paris, le 23 janvier.
Ma chère Raphaëlle,
Tout d’abord je voudrais m’excuser auprès de toi pour mes écarts, pour mes inconstances, pour mon manque de tact certainement. J’ai cent fois eu le temps de te faire une lettre mais ne l’ai pas faite parce que la chose m’était sortie de la tête ou parce que l’idée d’avoir à m’expliquer me déplaisait. Mais maintenant que je vois avec horreur que nous ne sommes plus “amis” sur Facebook, je m’inquiète très sérieusement pour notre amitié réelle, que j’ai peut-être trop considérée comme un acquis. Mes excuses les plus totales, les plus sincères, les plus désolées, donc. Nos relations me sont très chères, aussi ténues soit-elles et notre complicité rieuse toujours renouvelée ne saurait disparaître — ou alors cette disparition ne saurait être ma volonté.
Mais le fond de la question. Ce fameux (fameux parmi la petite sphère de mes connaissances...) parti de l’In-nocence. Tout d’abord, deux choses. Je n’adhère pas aux idées de l’In-nocence, j’adhère à
certaines idées de l’In-nocence (la majorité de ces idées, certes). Ensuite, je suis membre du parti et, tu le sais peut-être, depuis peu son Secrétaire général. Le syntagme “changement de civilisation” n’est pas le seul “à la bouche” du parti (tu le sais d’autant mieux que la “bouche” du parti, désormais, c’est un peu moi et que je ne l’ai pas, ce syntagme, en permanence sur les lèvres et au bord de s’en envoler pour mener une carrière mondaine) — je réponds à ce que tu m’écris
point par point, dans l’ordre. Cependant, si “changement de civilisation” il y avait (nous verrons ensuite s’il y a), je crois que ce serait, pour la civilisation
changée,
remplacée (le mot est lâché), le « problème du siècle », comme tu dis, le dernier problème de toute façon puisqu’après sa résolution ou son parachèvement il ne s’en présenterait aucun autre, pour cette civilisation.
Tu dis que la question de l’immigration n’est vue qu’à travers le prisme du “changement de civilisation”. C’est, je crois, une première erreur logique. En effet, le parti de l’In-nocence (et son Président-fondateur, l’écrivain Renaud Camus) ne s’intéressent pas
d’abord à l’immigration mais bien
surtout au “changement de civilisation”, quelles qu’en soient les modalités. Ton reproche aurait dû être : le parti de l’In-nocence ne voit le changement de civilisation qu’à travers le prisme de l’immigration. Or, je crois qu’il n’en est rien (je répondrai sur le fond de la question prise en tant que telle après). Renaud Camus a écrit trois livres essentiels qui forment un triptyque résumant et déployant la pensée politique de l’In-nocence (comme parti, comme idée, comme morale) :
La Grande Déculturation (Fayard, 2008),
Le Grand Remplacement (David Reinharc, 2011 & “chez l’auteur”, 2012) et
Décivilisation (Fayard, 2011). Comme tu peux le voir, sur ces trois ouvrages, un seul fait ouvertement référence à l’immigration, c’est
Le Grand Remplacement. Mais attention, cela ne veut pas dire que Camus ou quiconque à l’In-nocence nomme
a priori l’immigration, toute immigration, “Grand Remplacement” ; cela veut dire que dans ce que Camus appelle “Grand Remplacement”, l’immigration, passée ou présente, en France d’étrangers joue un rôle. Il n’y aurait donc qu’un tiers de la pensée de l’In-nocence qui serait consacrée au “Grand Remplacement”, c’est-à-dire à l’immigration (admettons ici que “Grand Remplacement” = immigration (ce qui n’est même pas le cas)). Cela laisse deux tiers de pensée qui sont consacrés à autre chose qu’à l’immigration (au moins au départ car peut-être rencontrera-t-on de l’immigration et des immigrés en cours de route, lorsqu’on se penchera sur les idées de “grande déculturation” et de “décivilisation” — mais peut-être seulement...). Qu’est-ce que la
grande déculturation ? C’est l’abêtissement, c’est le néant, c’est la disparition de la classe cultivée, c’est l’hyperdémocratisation d’une “culture” qui ne peut de ce fait même plus être autre chose que résiduelle, ce sont beaucoup de choses à vrai dire. Qu’est-ce que la
décivilisation ? C’est le réensauvagement, l’irruption à chaque instant de la plus incontrôlable violence, le fait que les hommes se laissent aller à ce que l’ethnologue Germaine Tillion (1907-2008) appelait « les penchants de l’espèce » — mais justement, en période de
décivilisation, ce qui n’est que penchants devient le fond, le quotidien, le mode de vie...
Décivilisation et
La Grande Déculturation sont deux livres de deux-cents pages ; je ne vais pas te les résumer ici. Je t’en recommande vivement la lecture mais je crois avoir dit quel était l’essentiel de leur propos. À aucun moment, dans ce que je viens de dire n’apparaissent le mot ou l’idée d’immigration.
Le “changement de civilisation” — et c’est là un point que bien des gens ont du mal à comprendre, à commencer bien sûr par bien des sectateurs un peu “bas du front” du F.N. — n’a même pas besoin d’immigration pour se produire. Il suffit que les gens ne connaissent plus leurs classiques (et la question des
classiques, des classiques dans tous les domaines (à commencer par la littérature, évidemment, mais aussi : la politesse, les mœurs, l’habillement, la façon d’habiter, le rapport au bruit, le rapport au silence, le rapport aux repas, le rapport aux autres, le rapport à la musique, la musique elle-même, le rapport à l’amour, le rapport au temps, le rapport à la mort...) est, nous le verrons, essentielle). Et, comme le dit Camus, « un peuple qui connaît ses classiques ne se laisse pas sans regimber conduire dans les “poubelles de l’Histoire” ». C’est ici que la question de l’immigration réapparaît et que je vais pouvoir la traiter
au fond.
En effet, je crois tout à fait, en accord avec ta proposition initiale, ton premier reproche tel que tu l’as formulé, que l’immigration prend de nos jours (et depuis un certain temps) une place d’importance dans le phénomène détestable de “changement de civilisation” puisque, autant le dire tout de suite, je suis tout à fait d’accord avec l’idée que “changement de civilisation” il y a bien. Tu expliques le problème (mais sans vraiment dire ce en quoi il consiste, pour toi : le “changement de civilisation” (reconnais-tu la validité de cette idée-là ?), l’immigration elle-même (non, ça, ça m’étonnerait un peu quand même...) ?) par deux causes : la pauvreté d’une part et d’autre part les “différences culturelles”. Mais nous ne disons pas du tout autre chose, ma chère Raphaëlle ! Nous (Camus, l’In-nocence, moi) pensons tout à fait que si l’immigration pose problème (et elle en pose tant), c’est à cause de pauvreté et de “différences culturelles”. Les immigrés qui viennent massivement en France, qui viennent
en tant que peuple (et ont bien l’intention de rester des peuples) et non pas en tant qu’individus (l’individualité étant la seule modalité de l’immigration où celle-ci n’est pas un danger pour la terre d’accueil, pour la
société d’accueil plutôt — car la “terre”, elle, se fiche bien de qui la peuple et le peuple de souche, encore aux commandes en France, est seul responsable de l’enlaidissement révoltant des paysages, de la campagne, de la terre du pays), ces immigrés sont des pauvres, des prolétaires même, ils font partie du “prolétariat mondial”. Quant aux “différences culturelles”, leur mention, si je puis me permettre, me semble un peu tautologique. L’immigration implique nécessairement des “différences culturelles” — l’immigration
moderne, en tout cas, car entre ceux qu’on appelait, du temps de la Révolution française, les émigrés et la société qui les accueillait, il n’y avait certainement pas de grandes “différences culturelles”. Qu’avons-nous à gagner à accueillir « toute la misère du monde », pour reprendre une formule célèbre de Michel Rocard, ou même à n’en accueillir qu’une partie (ce qui est l’intention de Rocard, ce que les exégètes occasionnels du Premier Ministre oublient souvent un peu vite...) ? Et d’ailleurs, le pouvons-nous seulement, les accueillir ?
Si on parle des problèmes de pauvreté des immigrés, ce qu’il faut comprendre c’est qu’il s’agit de
leur pauvreté, de la pauvreté qu’ils apportent avec eux en venant et qu’ils installent chez nous ; et pas de pauvreté dont ils seraient affligés
à cause de nous et du système fiscal français, par exemple, ou à cause des structures économiques de la France. Le problème de la pauvreté des immigrés, c’est le problème de la présence d’immigrés pauvres. Et ce problème est lié aux avantages délirants qu’il y a à être un immigré en France, un “clandestin” d’une part (ces situations-là, malgré leur précarité, étant bien souvent tout à fait préférables à celles auxquelles les immigrés sont confrontés dans leurs pays de départ) et d’autre part à être Français, à devenir citoyen français, à obtenir la jouissance des mêmes droits que tous les autres citoyens français (et dans ce cas, on voit bien que la différence entre cette nouvelle situation-là et la situation dans le pays d’origine est immense). Nous mourrons de notre générosité, Raphaëlle. Peut-être nous honore-t-elle, mais elle nous tue (c’est tout le sujet du
Camp des Saints de Jean Raspail).
Quant aux “différences culturelles” (je reviens un instant à elles), elles pourraient n’être rien — ou du moins moins de chose que ce qu’elles sont effectivement — si nous n’étions pas englués de façon terrifiante dans le plus obtus relativisme, aux yeux duquel tout se vaut, tout est égal à tout et, surtout, tout est égal à tout
partout. Comprenons-nous bien, je ne suis en aucune manière un “suprémaciste” français (ou blanc). Je sais simplement que les Français sont la meilleure population possible pour la France et que le caractère
français de la France est la meilleure chose possible pour les Français. Comme disait Paul Morand lors d’un entretien réalisé dans le parc de sa maison de Rambouillet le 1er août 1970 (et visible sur le site de l’INA), « je suis inquiet pour la race blanche
parce que c’est ma race ». Il n’y a pas d’
objectivité, pas d’
universalité. Il y a le point de vue, le sentiment, l’attachement sentimental. Oh, on peut parfaitement envisager une
France d’après où il n’y aurait plus trop de Français
français (le substantif renvoyant à une appartenance administrative, l’adjectif à une appartenance ethnique et culturelle) — nous vivons déjà partiellement dans cette France-là (pour notre plus grand malheur) et c’est la raison de vivre de l’In-nocence (comme parti politique) — mais cette France-là, qui changerait peut-être de nom pour devenir El Frandjat ou le Frankistan (noms que l’on rencontre sous la plume des chroniqueurs arabes des Croisades, cf. le “discours d’Orange” de Renaud Camus), ne serait plus la France. Seulement ce relativisme culturel existe et ne fait qu’exacerber les “différences culturelles”. Comme l’explique parfaitement Éric Zemmour (dans
Mélancolie française, notamment), ce qui faisait le creuset français, c’était l’assimilation. L’assimilation, c’est renoncer à donner un prénom étranger à son enfant, par exemple (car la
francité d’un nom passe beaucoup plus par le prénom que par le nom ; exemples : “Alain Finkielkraut” est un nom parfaitement
français alors que “Shlomo Finkielkraut” ne le serait pas ; “Mohammed El Kadiri” ne serait pas du tout
français alors que “Philippe El Kadiri” ou “Charles El Kadiri” deviendraient automatiquement parfaitement, et de façon tout à fait intéressante, enrichissante certainement,
français). Or, toute volonté (je ne parle même pas de politique) d’assimilation des étrangers arrivant sur nos terres a été abandonnée. Le résultat est désastreux et peut être nommé “changement de civilisation” (puisque l’onomastique, pour revenir à mon exemple, détermine au plus haut point une civilisation). À ces phénomènes d’abandon détestables s’ajoute toute une éducation à la haine de la France, à la dépréciation de son histoire — à la déconstruction d’icelle —, à l’affirmation d’origines très souvent de plus en plus virtuelles (tel immigré qui, malgré le fait qu’il soit de la troisième génération, s’appelle
toujours Abdelkader, et qui s’entendra dire qu’il doit être très très fier d’être marocain, ou algérien (ou que sais-je encore))... Cette éducation est notamment le fait des dégénérés trotskistes, eux-mêmes haineux de la France, le plus souvent parce que juifs, ils voient en la France un “collaborateur” ignoble au régime nazi qui a pu tuer leurs ancêtres. À cela s’ajoute tout le travail de sape mené depuis trente ans par S.O.S. Racisme mais je pense que je ne vais pas m’étendre sur cette question-là.
Tout ceci étant dit, comprenons-nous bien, le “changement de civilisation”, c’est autant le fait que des parents très “gaulois” nomment leur fils Kévin ou Christopher (quel sens peut avoir le patronyme Christopher Dupont ? Quelle est sa
francité ? (Réponses : aucun ; elle est nulle.)) que le fait qu’on considère très allègrement Montreuil comme une “ville malienne” d’importance.
*
L’adjectif “gaulois” m’offre une transition idéale vers des réponses aux questions levées par le second paragraphe de ton message. Tu dis que te gêne le fait que l’emblème du parti de l’In-nocence soit un casque gaulois stylisé. Renaud Camus est très attaché à cette image, pour des raisons esthétiques (il trouve les gaulois très “sexy”) et pour des raisons civilisationnelles. Il a
proposé que ce graphisme devienne l’emblème du parti et cette proposition a été
rejetée. Le casque gaulois n’est donc pas l’emblème du parti de l’In-nocence, même si on a un instant pu croire qu’il le deviendrait.
Je suis heureux de te voir écrire que la nation française n’est pas née en 1789 (d’aucuns diraient que c’est à ce moment qu’elle est morte — non, pas la
nation française, la France) et je partage ton idée selon laquelle elle n’est pas non plus née en 52 av. J.-C. Cependant, l’idée que les gaulois soient une “invention” (de Napoléon III) me semble un peu plus discutable. Qu’il y ait eu un usage propagandiste du passé gaulois de la France, de ses origines gauloises, par l’intelligentsia du Second Empire, je n’en doute pas un seul instant et me fie totalement à toi puisque je n’ai pas étudié le sujet dans le détail. De là à utiliser le mot
invention (même avec des guillemets)... La propagande de Napoléon III pour opposer la France “gauloise” à la Prusse “germanique” est une bêtise puisque la France est née d’invasions germaniques et que si elle se nomme France, justement, c’est parce que des Francs conquirent son territoire. En relation très directe avec ce sujet, je te recommande également la lecture de l’
Alésia de Jean-Louis Brunaux, paru dans la collection “Les journées qui ont fait la France” de Gallimard...
Soudain, dans ton texte, on passe des gaulois à l’islam et à une « relation hautement dérangeante » que le parti de l’In-nocence entretiendrait avec cette religion. Tu cites le communiqué n° 1478 (quelle précision et quelle attention remarquables à la production
communicante du parti (sa seule production à peu près)) où le parti dénonce l’« abîme de civilisation » où se trouveraient les manifestants qui témoignent de leur joie après la mort d’Israéliens (c’est bien de ça qu’il s’agit, non ?). Tu dis qu’il y aurait dans cette formulation un amalgame entre « l’histoire d’une civilisation, ses fondements, ses valeurs d’une part et d’autre part ce que certaines personnes à un moment donné et dans certaines conditions laissent transparaître ». Je crois que cette conclusion procède d’un regrettable malentendu. Une idée fondamentale, chez Camus, est celle des “moments de civilisation”. Ce qui compte le plus, ce ne sont pas les civilisations elles-mêmes, ce sont les
moments en leur sein, ce que les membres d’une “civilisation” ont fait d’elle. Le temps compte autant à cet égard que l’espace, que les concepts que... Les “moments de civilisation” définissent des “états de civilisation”. En ce sens, on peut comparer “une civilisation” à elle-même en étudiant les différents
états où elle s’est trouvée. C’est ainsi que l’on peut, chose qui semble si difficile, parler de “progrès”. L’appareil conceptuel ainsi mis en place est le seul à même de rendre possible un
progressisme raisonné fondé sur les faits et l’examen critique de l’Histoire (à commencer par notre propre Histoire). Et ce “progressisme”-là ne mène pas à la honte du passé, à la haine des anciens, à l’idée que tout ce qui s’est joué avant nous était obscurantiste et sombre ; il permet au contraire la claire conscience de la grandeur de notre pays et de nos ancêtres, puisque l’on voit que de grandes choses furent accomplies et que d’autres grandes choses leur succédèrent. Le passé est fondamentalement supérieur au présent en cela qu’il a rendu le présent possible ; il a fait ses preuves ; il n’a pas de comptes à nous rendre parce que “les comptes”, c’est nous. Le présent, lui, n’a rien prouvé. Nous pouvons disparaître demain. Nous sommes déjà en train de disparaître. Ceci dit, il est évident que l’étude comparative des “états de civilisation” peut également se faire entre différentes civilisations, différents “foyers de civilisation”. Et à cet égard, je pense qu’on doit pouvoir dire du “monde musulman” qu’il n’est pas dans un “moment de civilisation” de très intense grandeur... D’ailleurs, un intellectuel comme Amin Maalouf ne dit pas autre chose (cf.
Le Dérèglement du monde).
Tu dis que « si les valeurs de la Révolution française ne font pas tout, elles font partie des fondements de notre civilisation ». Je crois que c’est une double erreur. La Révolution française ne fait en aucun cas partie des
fondements de notre civilisation. Elle est une création des
modernes et notre civilisation trouve ses fondements chez les
anciens. C’est un contre-sens. La Révolution s’est développée contre les fondements de notre civilisation, justement (contre certains seulement, peut-être — mais une civilisation peut-elle survivre sans certains de ses fondements ?). Quant à ses valeurs, auxquelles tu te dis « attachée », elles ne m’intéressent que peu,
en fin de compte. Certes, la liberté m’est chère ; certes il existe une nécessité d’égalité politique (et cette nécessité était probablement très grande au moment de la Révolution — mais les récoltes avaient été mauvaises, aussi...). Cependant, je note que dans la devise nationale (la devise révolutionnaire), la fraternité arrive à la fin alors que c’est la valeur qui, des trois, me séduit le plus... C’est peut-être parce qu’elle n’est pas politique qu’elle est reléguée là, parce qu’elle est la plus difficile à atteindre. En revanche, l’égalité ne nous a que trop montré de quoi elle était capable, depuis deux siècles. Sortie de son lit “politique” la rivière Égalité, devenant la coulée de boue hyperdémocratique et égalitariste, a tout ravagé sur son passage. Il ne reste déjà presque plus rien. Suis-je égal à Marcel Proust ? Non. L’égalité n’existe pas en Art. L’égalité n’existe pas. Elle est un idéal politique et elle est un monstre lorsqu’elle est autre chose que ça. Ensuite, tu parles de la laïcité et me fais part de ton attachement à elle. Admettons qu’elle soit si importante... Le professeur Jean-François Chemain, chrétien passé par Sciences Po et l’ENA, devenu
trader et reconverti en professeur d’Histoire en banlieue explique bien que la laïcité est la dernière chose dont nous ayons besoin en France (dans
Kiffe la France — bon, le titre...). Ne pas comprendre que la France est fondamentalement, charnellement catholique, que le catholicisme est la vérité de la France, que sans catholicisme la France n’est rien, c’est être fou, c’est s’être perdu. Une autre vision des choses me semble incompréhensible (et je ne suis pas spécialement religieux (ce qui n’a rien à voir avec mes relations avec Dieu et mon éventuelle connaissance de Ses desseins pour moi)). Bien ; si la laïcité est quand même si importante, je ne pense pas vraiment que des dangers pour elle se présentent du côté du catholicisme
if you see what I mean... Pour finir, deux mots de la « vision de la nation » (Renan, Fustel de Coulanges que tu cites). J’ai déjà partiellement répondu à ces questions en parlant de l’“identité française”, cette pauvre chose si maltraitée... J’ajouterai enfin que la France me semble tout à fait géniale dans la mesure où elle est capable de faire se fondre en son sein des gens venus de partout, de susciter pour elle de l’amour chez n’importe qui, pour peu que ces personnes soient disposées à l’aimer. La France est une mère sévère — à qui l’accès est difficile — et juste — elle récompense de ses trésors innombrables qui l’aime. C’est ce génie universaliste qui faisait de la France la Grande Nation que l’on a détruit, que l’on continue de détruire chaque jour, en la méprisant, en méprisant son peuple historique, en l’insultant, en la moquant. Je suis révolté d’assister à ce triste spectacle. Je ne suis pas seul. Au parti de l’In-nocence nous sommes quelques-uns.
Tu demandais au début de ta lettre ce que je trouvais au parti de l’In-nocence. Je lui trouve beaucoup de qualités. C’est un petit groupe de gens cultivés, les échanges y sont en général courtois et de bonne qualité intellectuelle, la brise de l’esprit y souffle souvent. La figure du Président fait beaucoup, évidemment, mais je fais déjà trop souvent son éloge pour le refaire ici. C’est un des plus grands écrivains français actuels — sinon LE... Je crois que tout cela donne un certain poids à sa parole. Et puis cette absence de poids réel, en même temps, c’est-à-dire son insuccès commercial — et l’insuccès politique du parti (mais le succès serait-il envisageable parmi les foules, avec un tel nom ?) — ont aussi leur séduction propre. Je crois que j’ai un certain goût des causes perdues... « Nous vivons sans doute les dernières heures de l’absolutisme. C’est aussi ce qui le rend irrésistible. » (“Quatrième de couverture” de
Septembre absolu — ce titre, mon Dieu, ce titre... et ces deux phrases...)
En espérant te lire bientôt, en espérant que cette lettre apporte à tes questions à moi formulées des réponses, en espérant que tu ne me juges pas trop sévèrement, je suis, ma chère Raphaëlle, ton très dévoué
Jean-Michel.