Je recommande aux membres de l'honorable assemblée de lire Terres de sang : l'Europe entre Hitler et Staline (Bibliothèque des histoires, Gallimard, 2012, 32 € : on peut en lire le résumé dans un n° du "Débat" de 2010 et un florilège des questions qu'il a suscitées, surtout à l'étranger, dans la livraison "hiver" du "Débat" 2012 - les "historiens" français, quant à eux, sont pour la plupart d'entre eux "silencieux"), ouvrage dans lequel l'auteur, Timothy Snyder, exhume des faits auxquels les Français, abreuvés d'idéologie, n'ont quasiment jamais eu accès, sinon par la bande et partiellement (Conquest, Soljenitsyne, Rossi, Grossmann, Courtois), parfois par des écrivains ou par des historiens étrangers : les massacres de masse, dans des territoires que se disputaient l'Allemagne et la Russie soviétique et que l'un et l'autre de ces empires ont successivement ou alternativement gouvernés pour les "purifier", par la famine, les balles dans la tête, les gaz, etc. de quatorze millions d'Ukrainiens, de Polonais, de Lituaniens, de Biélorusses, de Juifs.
Les versions de ces "meurtres politiques de masse", auxquelles nous, Français, avons été autorisés (par les fonctionnaires de l'histoire) à avoir accès pendant un demi-siècle, sont quasiment toutes corrigées, redressées et replacées à la fois dans un espace géographique nettement délimité et dans un moment de l'histoire. Snyder, dans cet ouvrage, procède à une révision, et non pas une négation : au contraire même, puisque tout ce qui faisait l'objet d'un sordide silence (exterminations de Polonais, d'Ukrainiens, de Biélorusses, de Lituaniens et autres), est replacé dans la lumière de la connaissance. En racontant les événements qui ont bouleversé l'Europe - l'Europe de l'Est essentiellement - entre 1930-32 et 1945, il renoue (pour nous Français, habitués à lire en lieu et place d'histoire de l'anthropologie "pittoresque" au rabais ou des sous-sciences sociales ("histoire" des "représentations" ou des "maladies mentales"), c'est une libération) avec ce que l'histoire devrait être ou a cessé d'être en France : une grande narration, dans laquelle tous les faits, militaires, criminels, géographiques, géopolitiques, économiques, idéologiques, avérés, établis, examinés, sont intégrés pour élaborer, hors de toute idéologie et conformément à ce que permet le logos, un vaste récit chargé de sens (ce qu'ont fait Allemands et Soviétiques était réfléchi, raisonné, cohérent), empreint de compassion envers les victimes et (ce qui n'est pas un paradoxe) plein d'humanité.