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Communiqué n° 1540 : Sur les scandales alimentaires et la surpopulation

Communiqué n° 1540, samedi 2 mars 2013
Sur les scandales alimentaires et la surpopulation

Le parti de l’in-nocence est bien conscient de tout ce que les révélations récentes sur le chaos de l’alimentation industrielle implique de cynisme financier, de malversations internationales et d’indifférence affairiste à la santé publique. Il souhaite néanmoins rappeler, à un autre niveau, que l’horreur du système et le dégoût qu’inspire la réalité des nourritures les plus communément distribuées sont étroitement liés à la nécessité de répondre aux besoins d’une population globale beaucoup trop nombreuse pour la planète, et qui continue de s’accroître. Les consommateurs écœurés peuvent s’en prendre, certes, aux industriels et aux distributeurs qui leur font avaler des horreurs, mais il serait tout aussi pertinent de leur part d’incriminer les démographes et les économistes fous qui poussent à un développement démographique perpétuel, les politiques inspirées par ces apprentis sorciers et les parents qui donnent le jour à des enfants en nombre déraisonnable, souvent pour profiter d’avantages sociaux et pécuniaires aberrants (l’un des principaux facteurs, en France, du changement de peuple).
C'est un des effets calamiteux de l'antiracisme. Le thème de la surpopulation de la planète est devenu totalement tabou, et cela à une échelle mondiale. Chaque nouveau milliard d'habitants de la planète est célébré comme une fête, alors que c'est un désastre.
C'est particulièrement stupéfiant pour les gens de ma génération. Voyageant en Inde dans les années 70, je voyais partout des affiches de la famille heureuse, les souriants visages de quatre personnes, la maman, le papa, et deux enfants pas plus. Me trouvant au Cambodge en 2013, je ne remarque aucun indice de contrôle des naissances, je vois au contraire des foules de gamins loqueteux et des jeunes couples fiers de convoyer deux ou trois bébés sur leur petit scooter. L'Afrique a dans les 850 millions d'habitants, les projections démographiques lui en donnent 2 milliards 500 millions pour 2050, mais personne n'a le droit de s'en inquiéter publiquement.
Le "Camp des Saints" est déjà là, il ne fera que croître et enlaidir.
Cher Alain,

Quand vous voyagiez en Inde dans les années 70, le Cambodge, alors Kampuchea, appliquait une forme de contrôle des naissances particulièrement brutal, comme vous ne l'ignorez pas. La clique alors au pouvoir, tant avant qu'après la prise de Phnom Penh, s'était fabriqué la vision d'un Cambodge "à démographie allégée", c'est François Bizot qui nous l'apprend, dans son dernier opus Le Silence du bourreau, à l'occasion du procès Douch. On a su un peu tard comment cet objectif de "démographie allégée" avait été accompli dans ce pays. Les générations de Khmers qui n'on pas connu cette époque "compensent le déficit démographie" volontairement créé alors. C'est humain et c'est compréhensible : une réaction au génocide, d'inspiration aussi primaire qu'avait pu l'être ce dernier.

D'une part il est normal, il est sain, qu'un certain "contrôle des naissances", soit un contrôle du nombre des vies humaines, soit tabou, (il est juste que la vie humaine soit taboue, aussi tabou que doit l'être le cannibalisme), d'autre part hélas, il est malsain de faire naître des être humains dont on sait que l'on ne pourra ni les nourrir, ni les éduquer, ni même les vêtir. Mais bah, dans le cas du Cambodge, la communauté internationale y pourvoira. Au Cambodge, la communauté internationale, c'est Dieu, c'est l'autre nom de Dieu. Il aurait pu en aller autrement (si l'ONU n'avait pas décidé de prendre en main ce pays il y a trente ans), mais c'est trop tard. Il faudra s'en remettre encore à ce dieu là, au drapeau bleuté comme les casques de ses soldats, pour espérer faire entendre à ce pays que la voie de la "démocratie allégée" sans killing field, pourrait bien être celle de son salut. Ne rien espérer de personne sinon.

La surpopulation mondiale est une réalité de tous les instants, oppressante, à qui voyage aujourd'hui après avoir vécu dans le siècle dernier. C'est un régime d'existence tout autre qui nous est désormais imposé: la génération Y, celle qui va avec deux fils qui lui pendent des oreilles et qui doivent l'isoler de congénères en surnombre, semble être née avec cette volonté de survie dans l'isolement artificiel (ne rien voir, ne rien entendre, être fermé à tous, n'être présent pour personne) qui lui aurait fait pousser ces deux fils de la coque des oreilles comme organe d'adaptation néodarwinien (les cornes du taureau, la mâchoire du crocodile) à l'existence en foule, à l'indifférente et permanente cohue du surnombre où il n'est désormais plus question jamais de se faire connaître de son prochain.

Ceux qui se plantent des bouchons filaires dans les oreilles, qui vivent ainsi, ou qui vivent toutes les occasions du vivre-ensemble les deux yeux plantés dans l'écran de leur réseau social qu'ils tiennent dans la main, appartiennent à ce régime d'existence en surnombre. La surpopulation a créé Facebook et on lui doit aussi tout l'autisme de l'existence commune dans le virtuel. A terme cette surpopulation ne tolérera plus d'autre existence humaine que virtuelle, c'est à présent déjà le cas, pour 40 à 50 pour cent de l'humanité. Les hommes et les femmes sont déjà si nombreux qu'on les voit occuper la majorité de leur temps à se fuir par écrans interposés.
Cher Francis,
Je reconnais l'art de la diagonale inattendue et qui donne à penser dans le rapprochement entre la surpopulation et la création de petites tribus sur Facebook. Comme ces Indiens de "Tristes Tropiques" qui compensent les distorsions de leur société par la symétrie de leurs peintures faciales.
Google m'a un peu rassuré sur le Cambodge : 2,5 enfants par femme, c'est la moyenne mondiale. Sur la liste, c'est évidemment l'Afrique qui remporte la palme du délire démographique (6 enfants par femme au Niger). Le Cambodge est tout de même presque en tête pour l'Asie, à peine devancé par l'Afghanistan et Timor occidental, qui a aussi des massacres à rattraper.
La thèse du babyboom cambodgien consécutif au génocide khmer rouge est parfaitement recevable. Je ferai deux objections. Les Khmers Rouges ont perdu le pouvoir en 79 (je sais bien qu'ils ont plus longtemps sévi dans certaines zones), cela fait un babyboom de 33 ans, bien long dans les annales de ce genre de rattrapage.
Vous mettez en cause la communauté internationale et la déresponsabilisation que son maternage produit chez les Cambodgiens. Soit. Je mettrai aussi en cause les élites locales qui détournent une large partie de cette aide. A cet égard aussi, le Cambodge se trouve plutôt en Afrique qu'en Asie ( ah ! L'uniforme bien repassé des enfants thaïs qui vont en rangs serrés dans les écoles omniprésentes, sous le regard orwellien du roi partout figuré sur les affiches-photos !) Le problème de surnatalité des pauvres ne doit pas trop tracasser les gouvernants à Phnom Penh, ça fera de la main-d'oeuvre à bon marché.
La province de Kep est une sorte de Côte d'Azur hantée par les villas détruites et noircies des colons français (il devait y avoir des mondanités à la "India song", d'ailleurs "Un barrage contre le Pacifique" se passe par ici, il me semble). Dans cette jolie province, on trouve des maisons flambant neuves celles-là : Office de Tourisme, Office des Mines de la Province de Kep etc. où nulle activité ne se décéle. Selon la rumeur publique, elles fournissent d'agréables logements aux chouchous du pouvoir.
Tiens, un pays où les fonctionnaires exploitent sauvagement le reste de la population ? L'influence française est donc restée si forte ?
Moi ce qui me fait frémir, c'est la vue il y a deux jours de quatre jolies jeunes femmes occidentales, assises en croix autour d'un guéridon de terrasse de café, ici, à Siem Reap, à l'heure de l'apéritif: toutes quatre plongées dans ce qui devait être leur réseau social, le regard abîmé dans leur appareil à écran (je ne crois pas que l'on puisse encore appeler cela un téléphone) de la taille d'une petite tablette de chocolat. Aucune ne "faisait la tête" aux trois autres mais toutes les quatre étaient entièrement absentes, projetées dans le néant virtuel. Le paradoxe est saisissant: les cosa ditte réseaux sociaux ont réussi à rendre une part désormais majoritaire de l'humanité entièrement asociale. C'est un effet de la surpopulation qui pousse chacun à écarter ses congénères proximaux, à leur tourner le dos pour prétendûment s'intéresser aux siens, à ceux de sa tribu imaginaire, son réseau, en fait, bel et bien le néant virtuel et animé par le mime conventionnel de l'agitation réticulaire. C'est un isolement de survie dans la masse, la foule permanente, identique dans sa fonction et ses effets à celui, tout aussi délibéré même si constituant parfois un geste d'isolement ostentatoire, de l'enfoncement de deux bouchons d'oreilles reliés par un fil à un diffuseur de sons.

La surpopulation générale de la planète Terre a fini par produire -- et le phénomène est récent (quinze ans à peine) --, une formidable dégradation des normes de comportement social dans l'espace public, où chacun se comporte comme si son prochain n'existait pas, je ne vois pas comment dire cela plus simplement. Le sans-gêne est enfin devenu universellement normal -- il a cessé d'être repérable comme tel. Ce qui frappe est l'universalité du phénomène dans tous les pays, tous les lieux publics, et qui force à considérer que la cause ne peut en être que profonde, socio-biologique, non exclusivement culturelle.

Ce phénomène, la brutale surpopulation et les normes nouvelles de comportement qu'elle entraîne, se trouve croisé aujourd'hui par ce bouleversement technologique du réseau numérique, comme il y a un demi-siècle alors qu'il ne faisait que débuter, il l'avait été avec "la vie automobile". Cette dernière, déjà, avait créé cet habitus, cette soumission au fait que les congénères les plus lointains devenaient accessibles cependant que le voisin de rue, et à plus forte raison celui qui loge de l'autre côté de la voie exprès, à cinquante mètres de distance seulement, devenait parfaitement insaisissable, inabordable, jamais qu'à peine entrevu. L'automobile, avant l'i-phone, avait commencé ce qu'il complète aujourd'hui: réduire les distances pour mieux couper tout lien social dans la sphère proximale. Mais l'automobile pouvait encore charger quatre personnes ou plus, cependant que l'i-phone, qui en (télé)-charge des millions, n'emporte dans sa micro-caisse que son propriétaire jaloux et i-solé.
« Gombrowicz a eu une idée aussi cocasse que géniale. Le poids de notre moi, dit il, dépend de la quantité de population sur la planète. Ainsi Démocrite représentait-il un quatre-cent-millionième de l'humanité; Brahms un milliardième; Gombrowicz lui-même un deux-milliardième. Du point de vue de cette arithmétique, le poids de l'infini proustien, le poids d'un moi, de la vie intérieure d'un moi, devient de plus en plus lèger. »

Milan Kundera, L'art du roman


Par manque de temps, je ne reproduirai pas ici les propos évoqués par Milan Kundera; ils correspondent aux pages 240-243 de l'édition Folio: Witold Gombrowicz, Journal 1959-1969.
Alain Finkielkraut citait récemment cette idée (je ne sais plus s’il effectuait le détour par Kundera — je crois que non), dans une émission intitulée Que veut la Chine ? (qui a tout de même déjà quelques mois...).
Idée cocasse et géniale ? Plus cocasse que géniale, à mon avis. Et même, pas géniale du tout. D'une part parce que l'on voudrait adhérer toujours au propos de Montaigne : Tout homme porte en lui l'humaine condition. Et d'autre part parce qu'il faudrait aussi - et surtout - compter les morts qui, espérons-le, pèsent sur notre moi et le façonnent bien plus que les sept milliards de vivants.
Le poids des morts s'efface (plus facilement que celui des vivants à l'innombrable et imposante présence). Longtemps j'ai moi-même entretenu cette idée, ou cette représentation mentale, que le monde chinois aussi populeux soit-il, ne l'est qu'à l'image de l'océan de ses morts; car l'écrit chinois, habité de fantômes, par le nombre très considérable de ses lettres -- les grands thésaurus chinois se nomment "océans des lettres" (ci hai 詞 海) -- est à l'image du nombre incalculable de ses morts. Et l'on voit cet océan rétrécir, les individus qui composent sa population se laisser oublier, être abandonnés, livrés à eux mêmes comme de mauvais fantômes, et ce très vaste cimetière ne plus être entretenu. Les morts, les mots, ainsi, s'effacent et la surpopulation moderne n'en surgit que plus appauvrie et plus nue de tout antécédent.
Hum, je suis d'accord bien sûr pour reconnaître la dégradation des relations sociales mais, d'un autre côté, j'apprécie beaucoup d'éviter la socialité imposée et de pouvoir en construire une "virtuelle" à laquelle je trouve des qualités que je n'ai jamais trouvées ni même cherchées chez mes voisins de café ou d'immeuble (et bien avant même que je ne fréquente le net).

Si "la civilisation a été créée pour permettre la solitude", internet permet de choisir sa socialité au sein de la foule et rend celle-ci plus supportable : en surfant sur le net dans une rame de métro, je peux ne plus penser à mon voisinage quand il ne me plaît pas (et c'est fréquent), m'absenter de la démographie subie.
Tout ceci renvoie aux premières pages du XIXème siècle à travers les âges, et aux développements de Muray sur l’importance du transfert des morts du cimetière des Innocents aux Catacombes, en 1786...
« Démocrite... Combien ? Mettons, Démocrite, 400 000.
Saint François d'Assises, 50 000 000.
Kościuszko, 500 000 000.
Brahms, 1 000 000 000.
Gombrowicz, 2 500 000 000.
[Eytan, 7 114 125 517]
Les chiffres placés après chaque nom représentent l'"horizon" du personnage envisagé, c'est-à-dire à combien à peu près il évaluait la population de son temps — comment il se voyait lui-même en tant qu'"un parmi beaucoup d'autres". Combien d'autres ? Je mets des chiffres au hasard... mais j'estime qu'il serait judicieux d'associer des chiffres à chaque nom de façon qu'on puisse connaître non seulement le nom d'un homme mais aussi sa "place parmi les autres".
C'est ce qu'on pourrait appeler le "nombre" d'un individu, sa "quantité". Vais-je me faire comprendre ? Je dis que jamais encore l'homme n'a abordé le problème de sa quantité. Il ne s'est pas encore pénétré de cette notion quantitative. Je suis un homme — certes. Mais un parmi bien d'autres. Combien ? Si je suis un parmi deux milliards, ce n'est pas la même chose que si j'étais un parmi deux cent mille.
La conscience qui vit en nous est celle, solipsiste, d'un Adam. Notre philosophie est une philosophie adamique. Notre art est un art adamique. Deux choses m'étonnent lorsque je songe à la façon dont l'homme s'est exprimé dans l'art jusqu'à nos jours : que son expression artistique ne se soit pas dissociée en deux phases correspondant à celles de sa vie, l'ascendante (la jeunesse) et la descendante ; et qu'elle n'ait pas été davantage imprégnée de quantité. »
Mais les grands nombres sont abstraits, ou irreprésentables. Les peuples archaïques comptent un, deux, trois et "beaucoup"...
Savoir que Paris et la région parisienne comptent 1 million ou 10 millions d'habitants, est-ce que cela fait une différence ?
On l'a discuté ici, il est possible que la densité de personnes ait été plus grande il y a 30 ans à Paris qu'aujourd'hui. Alors, ces grands nombres, par quoi s'invitent-ils dans nos vies ? Par quoi leur pression s'exerce-t-elle ?
Oui, il y a des files d'attente partout, le manque de logement, le tassement du métro ou du RER. (N'existaient-ils pas déjà il y a 20 ou 30 ans ?). Et puis ?
Ce qui me frappe le plus, c'est de ne plus croiser d'amis ou de personnes de connaissance dans Paris ; avant, il suffisait de sortir "dans le centre" et on avait des chances, une fois sur deux, de croiser un visage connu. Depuis des années, ce n'est plus le cas, les gens partent de leur travail pour aller loin, dans des directions opposées.
Mais en dehors de cet élément concret, en quoi "le nombre" pèse-t-il et se fait-il sensation sur chacun de nous ?
En ceci peut-être que les âmes ne sont pas encore si parfaitement dissociées des corps, qu'elles ne puissent subir le contrecoup de la perte de valeur inhérente à toute surproduction matérielle affectant le support qui les constitue ou les exprime.
Tout ce que vous dites est passionnant. Je suis d'avis que la surpopulation oppresse l'individu jusqu'aux fibres de son âme, surtout dans certaines situations que je qualifierais de "milletiennes". Chacun en a fait l'expérience, les Amis du Désastre se bouchent les yeux et les oreilles dans ces moments-là, et je ne peux même pas imaginer ce qu'ils pensent ou sentent. Vous vous trouvez dans un RER ou sur certaines lignes de métro, et la multitude est d'autant plus oppressante qu'elle est ostensiblement étrangère, ostensiblement originaire, directement ou indirectement, d'un continent situé au sud de l'Europe.
Vous me direz : quelle différence d'être écrasé par une foule blanche ou bien une foule noire ? Eh bien si, il y en a une. La seconde situation illustre clairement ce qui a de grandes chances de se passer : l'Afrique exportera sa surpopulation dans toute l'Europe, comme elle le fait déjà à Londres et Paris. Avez-vous déjà vu des cartes "à échelles relatives" (j'ai oublié le mot technique) de la population du monde en 2050 ? L'Afrique y apparaît une baudruche énorme au-dessous d'un petit poulet étique et tordu qui est censé être l'Europe.
Revenons à Raspail, pas la station de métro, l'écrivain. "Le Camp des Saints" est déjà à la station Châtelet, à la gare du Nord, dans l'île de Lampedusa, sur Mayotte recouverte de Comoriennes sur le point d'accoucher sur le bon sol. Au point où en sont les accords de circulation internationaux et la doxa antiraciste, je ne vois pas ce qui empêchera en 2100 les "Lapons" d'avoir la peau noire, les "Irlandais" d'être polygames et de pratiquer la charia et les "Françaises" de l'époque de piler le mil tout en portant des bébés dans leur dos.
Citation
Alain Eytan
« Démocrite... Combien ? Mettons, Démocrite, 400 000.
Saint François d'Assises, 50 000 000.
Kościuszko, 500 000 000.
Brahms, 1 000 000 000.
Gombrowicz, 2 500 000 000.
[Eytan, 7 114 125 517]
Les chiffres placés après chaque nom représentent l'"horizon" du personnage envisagé, c'est-à-dire à combien à peu près il évaluait la population de son temps — comment il se voyait lui-même en tant qu'"un parmi beaucoup d'autres". Combien d'autres ? Je mets des chiffres au hasard... mais j'estime qu'il serait judicieux d'associer des chiffres à chaque nom de façon qu'on puisse connaître non seulement le nom d'un homme mais aussi sa "place parmi les autres".
C'est ce qu'on pourrait appeler le "nombre" d'un individu, sa "quantité". Vais-je me faire comprendre ? Je dis que jamais encore l'homme n'a abordé le problème de sa quantité. Il ne s'est pas encore pénétré de cette notion quantitative. Je suis un homme — certes. Mais un parmi bien d'autres. Combien ? Si je suis un parmi deux milliards, ce n'est pas la même chose que si j'étais un parmi deux cent mille.
La conscience qui vit en nous est celle, solipsiste, d'un Adam. Notre philosophie est une philosophie adamique. Notre art est un art adamique. Deux choses m'étonnent lorsque je songe à la façon dont l'homme s'est exprimé dans l'art jusqu'à nos jours : que son expression artistique ne se soit pas dissociée en deux phases correspondant à celles de sa vie, l'ascendante (la jeunesse) et la descendante ; et qu'elle n'ait pas été davantage imprégnée de quantité. »

Et, un peu plus loin (où il est moins question de morts que de démons et de vaches):

« Assis à mon bureau, ici, je concentre tout mon amour et toute -- comment dire? -- mon importance, moi, Adam, pour que tu deviennes Eve à mes yeux, mais quelque chose vient se mettre en travers... mille milliards de mille démons! milliards de vaches! milliards de femelles!... Lorsque je prends conscience d'une quantité, je tombe dans un certain nombre d'états étranges parmi lesquels le dégoût et la répulsion ne viennent qu'en seconde ligne. Il y a l'indiffrence olympienne qu'implique l'interchangeabilité d'une femelle contre une autre, d'une paranoïa contre une autre. A quoi vient encore s'ajouter l'ennui...
Je me répète à haute voix: "La souffrance à pareille échelle m'ennuie", et je prête l'oreille au contenu de ces paroles, étrange, insolite même, mais qui me ressemble tellement (tellement humain).
Et, vous pouvez me croire ou non, mon âme me fait bien rire, et mon esprit, un parmi tant d'autres. Si je ne m'apitoie pas sur la servante Helena, qui d'autre va s'apitoyer sur la servante Helena? La pitié, elle aussi, prolifère -- rien qu'à Buenos Aires il y a quelque cente mille esprits qui en sont convenablement pourvus. Ca me fait bien rire...
Je répète à haute voix: "La souffrance à pareille échelle me fait rire" et je prête l'oreille au contenu particulier, particulièrement humain, de mes paroles. »
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