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Les deux grands fleuves se meurent

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
18 mars 2013, 18:39   Les deux grands fleuves se meurent
« Je pense qu’il y a deux grands courants dans la France éternelle, et c’est une grille de lecture que l’on peut étendre à tous les domaines : un grand courant souterrain, moyenâgeux, organique, désordonné, anarchique (pas anarchiste), bernanosien, colérique, sale, gaulois, mortellement vivant, ou d’une vitalité déchainée, etc, et un autre grand courant classique, froid, mesuré, modéré, un peu mort, ou d’une vitalité contenue, syntaxé, panachard, romain, etc. Mais les deux traditions sont françaises, et l’une ne l’emporte pas sur l’autre ; tout d’abord parce que l’une n’est pas supérieure à l’autre, mais encore plus parce qu’aujourd’hui ces deux grands fleuves se meurent en même temps. »

Joseph de Saint-Mann, aujourd’hui.
Je souscris entièrement à cette opinion. Elle rappelle la polémique un peu vive entre culture populaire et culture savante qui a opposé Davoudi et quelques autres dont moi il y a peu sur ce forum. Les deux sortes de culture, à condition qu'elles soient de qualité, sont necessaires à la survie d'une nation comme la France. Or force est de reconnaître qu'elles se meurent, en effet, toutes les deux.
Je ne vois pas du tout en quoi le second courant est romain, les Romains n'étaient ni tristes, ni compassés. D'ailleurs, ce côté "pisse froid" est récent, je n'en connais guère d'exemple avant le XVIème.
L'Apollinien et le Dionysiaque en quelque sorte... Dès lors, ce qui est dit de la France peut s'appliquer à nombre de pays européens, et même occidentaux.
On peut toujours pinailler sur un détail ou deux mais c'est vrai pour l'essentiel.
Je ne suis pas de votre avis, Cassandre : considérez le courant classique en France, pensez-vous que Racine ou Corneille fassent preuve de mesure, de modération ?
Formellement, entendus avant tout comme maîtrise, oui, probablement...

« La grandeur d'un artiste ne se mesure pas aux "beaux sentiments" qu'il excite, mais elle réside dans le "grand style", c'est-à-dire dans la capacité à se rendre maître du chaos que l'on est soi-même, à forcer son propre chaos à devenir forme ; devenir logique, simple, sans équivoque, mathématique, devenir loi, voilà en la matière la grande ambition. (Nietzsche, La Volonté de puissance)
Considérez Flaubert, où le classez-vous ?
Vus à la distance qu'impose l' histoire, distance qui gomme les détails, nul doute que ces ces deux "fleuves" différents existent. Dans l'un la forme compte plus que le fond à l'inverse de l'autre, plutôt torrent sauvage, qui charrie en désordre l'immondice, l'ordure ainsi que les débris de roches,de terre et de branches arrachés sur son parcours à ses rives et aux entrailles de la terre et qui finiront en limon fertile dans un fleuve enfin domestiqué.
J'insiste, Cassandre : voyez-vous Flaubert dans la première catégorie, ou dans la seconde ?
Quand on définit des catégories il est de règle ou en tout cas très courant et normal que se présentent des cas intermédiaires et une foule d'autres qui, tout en relevant clairement de l'une, présentent des traits caractéristiques de l'autre. Cela n'invalide pas, en soi, la pertinence de la classification.
"J'insiste, Cassandre : voyez-vous Flaubert dans la première catégorie, ou dans la seconde ?"

Damned ! Collée ! Figurez-vous que je n'en sais fichtre rien !
Suis bonne pour recopier cent fois : je n'avancerai plus rien sur ce forum que je n'en ai les preuves irréfutables jusqu'au moindre détail.
J'ai un peu pratiqué Flaubert ces derniers temps et je le range sans hésiter dans la première catégorie. Le livre auquel il tenait le plus était La Tentation de saint Antoine, qui passe difficilement pour une oeuvre classique. Il ne faut pas se fier à Madame Bovary, qui est d'une forme plutôt classique, c'était loin d'être le livre qu'il préférait et c'est celui qui lui a coûté le plus d'efforts tellement son écriture allait contre ses instincts naturels.
Certes, Marcel, mais si dans la première série on met Céline et Rabelais, par exemple (je ne les imagine pas dans la seconde), je vois mal comment on peut la placer sous le patronage de Bernanos...
Jean-Marc, Flaubert ne se laisse pas "catégoriser" et trancher si facilement...
S'il vous faut absolument une tendance, je pencherais pour la seconde catégorie, étant donné l'importance proprement démiurgique du "style", grand ordonnateur de la création.

« La passion ne fait pas les vers. - Et plus vous serez personnel, plus vous serez faible. J'ai toujours pêché par là, moi ; c'est que je me suis toujours mis dans tout ce que j'ai fait. - A la place de saint Antoine, par exemple, c'est moi qui y suis. La tentation a été pour moi et non pour le lecteur. - Moins on sent une chose, plus on est apte à l'exprimer comme elle est (comme elle est toujours, en elle-même, dans sa généralité, et dégagée de tous ses contingents éphémères). Mais il faut avoir la faculté de se la faire sentir. Cette faculté n'est autre que le génie.
C'est pourquoi je déteste la poésie parlée, la poésie en phrases. - Pour les choses qui n'ont pas de mots, le regard suffit. - Les exhalaisons d'âme, le lyrisme, les descriptions, je veux de tout cela en style. Ailleurs c'est une prostitution, de l'art, et du sentiment même.

Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l'air, un livre qui n'aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut. Les œuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière ; plus l'expression se rapproche de la pensée, plus le mot colle dessus et disparaît, plus c'est beau. » (Lettres à Louise Colet)
Alain,

Il me semble qu'il n'y a pas deux courants, il y a un ensemble, français. Qui dit fleuves dit séparation, alors que je vois une continuité.
J'ai "copié-collé" les deux citations de Flaubert de ce site, et je m'aperçois tout à coup que Flaubert y pèche aussi par l'hameçon (J'ai toujours pêché par là, moi) ; j'ai bien un volume des Lettres dans une édition de poche, mais je ne le retrouve pas.
La faute est-elle originale ?
(Non, elle ne l'est pas...)
Ah oui, c'est une très bonne grille de lecture, d'ailleurs plutôt que de la cantonner aux pays européens, je crois qu'il vaudrait mieux en faire un dualisme universel, celui que mon arrière-grand-oncle Oswald tente souvent de nommer avec des couples de mots genre totem-tabou, et que les différents assemblages humains mettent en scène chacun à leur manière.
Le problème actuel, justement, c'est que la France s'était habituée, pour des raisons singulières et vitales, à nier cette dualité, soit en étendant indéfiniment le lexique d'un courant pour recouvrir l'autre, soit l'inverse. Et même dans le si transparent nom Etat-Nation, personne ne veut voir qu'il y a deux choses.
Quant à la métaphore du fleuve, qu'on l'assume ! Un fleuve finit dans la mer (ou dans le désert), puis l'eau, etc.
Bernanos dit en 1944 : "Il y a vingt ans, le petit bourgeois français refusait de laisser prendre ses empreintes digitales, formalités jusqu'alors réservées aux forçats. Oh ! oui, je sais, vous vous dites que ce sont là des bagatelles. Mais l'homme de mon pays, l'homme de l'ancienne France attachait à ces bagatelles une importance énorme. Chaque citoyen, chaque corporation, chaque état, chaque confrérie, chaque ville et presque chaque village, avait ses privilèges et les maintenait coûte que coûte. Durant des siècles pas un homme de police n'eût franchi le seuil inviolable de l'université de Paris, sans être massacré par les étudiants." Sympa.
Mais tout va bien, un jour il pleut de nouveau, car il disait aussi en 1938 : "Tout ce qui a une fois existé peut renaître. Et puisqu'il existe une chevalerie totalitaire, une fausse chevalerie, pourquoi l'autre ne surgirait-elle pas tout à coup ? Il y a seulement dix ans, qui eût pu imaginer de revoir un jour l'Inquisition ? Je l'ai revue. (...) Que, d'une manière ou d'une autre, la Barbarie nouvelle enfante une nouvelle Chevalerie, l'idée peut vous paraître drôle. Mon Dieu, la vie ne donne pas tant d'occasions de s'amuser un peu, ne comptez donc pas sur moi pour vous empêcher de rigoler."
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