Jean-Marc, permettez-moi de diverger quelque peu et de déceler dans vos propos ce qui risque fort d'être une confusion: Paris, par exemple, est une ville polyglotte depuis très longtemps, des siècles, depuis toujours en fait, et point seulement dans les conversations privées: des radios y émettent en portugais, en arabe, et dans d'autres langues, au moins partiellement, dont l'anglais; pendant des décennies le Herald Tribune y a été imprimé (et peut-être est-ce encore le cas); on y trouve des journaux en turc, en russe, etc.
Et c'est tant mieux!
Londres ne l'est pas moins. On dit qu'à Londres,
près de trois cent langues et dialectes sont parlés ! Or allez visiter cette ville fascinante, pénétrez dans un bureau où est proposé un service public, et tendez l'oreille, au bureau des postes les préposés, à la Tate Gallery la gardienne de musée, les services de sécurité dans les bâtiments publics, les bibliothèques, les Citizen Advice Bureau: voilà des lieux où, par ces employés, "la diversité" est fortement représentée et où
vous n'entendrez parler que l'anglais ! Pourquoi donc pareille différence entre Londres et Paris ? et bien parce que la diversité à la Française, en fait, n'en n'est pas une: elle fonctionne par regroupements ethniques cloisonnés qui font le contraire de brasser les individus et leurs origines et qui en opérant la coalescence ethnique ou nationale produit le résultat inverse du résultat londonien: les Africains entre eux parlent leur langue, ailleurs les Bengalis, ou les Turcs qui parlent la leur, etc..
Je vous propose comme groupe témoin de ce que j'avance -- l'hypothèse d'une cooptation ethnique officieuse dans le public et le parapublic en France -- ce qui se passe à Paris dans un sous-secteur du privé: la restauration, où la diversité des origines nationales couvre toute la planète. Le recrutement s'y effectue "au mérite", ou à l'expérience ou encore par la compétitivité à la baisse des tarifs horaires que sont prêts à accepter les intéressés: c'est ainsi que je connais un restaurant japonais dans le 1er arrondissement de la capitale qui emploie un Cinghalais, deux Chinoises, une Roumaine, un Turc et un Japonais (l'homme des sushis) et bien le résultat est là : tous communiquent entre eux, s'empoignent à l'occasion, nouent leurs complicités et amitiés éventuelles
en français et dans nulle autre langue. C'est que l'origine ethnique n'a pas de prise sur le travail véritable, l'économie de marché la plus brute, et qu'à l'inverse, le marché de l'emploi du public et du parapublic s'ethnicise, se racialise, se
nationifie et qu'il évolue ainsi paradoxalement sous le drapeau unitaire de la République.