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Sur le paraître

Envoyé par Thierry Noroit 
24 mars 2011, 16:25   Sur le paraître
Extrait d'un livre de Jean Clair qui vient de paraître : Dialogue avec les morts (Gallimard, mars 2011)

La débâcle

Arrivée gare de Lyon. Chaos indescriptible. Les gens se bousculent, tombent sur les bagages abandonnés, crient, essaient de se dégager. Ils sont le plus souvent mal vêtus, d'habits à peu près identiques, la plupart du temps d'un gris ou d'un bleu déteint, toujours les mêmes polos et les mêmes jeans, comme les uniformes fatigués d'une guerre qui a été perdue.

Je n'aime pas beaucoup Jean Clair, sa description de notre débâcle pourrait paraître relativement banale, sans trop de relief, mais la dernière proposition comme les uniformes fatigués d'une guerre qui a été perdue prouve à mon avis que
c'est un écrivain.

Et dans le même livre, d'autres remarques vestimentaires pleines de sens :

En feuilletant les photos que Marc Riboud a prises des émeutiers de 68, je suis frappé de voir combien ces batteurs de pavé étaient souvent élégamment vêtus. Ces jeunes bourgeois qui brandissaient le poing, portaient des filles sur leurs épaules en braillant L'Internationale, avaient à peu près tous des vestes de tweed anglais de bonne coupe, des pantalons de laine légère à revers, des chemises claires et des cravates et, autant que je pouvais en juger sur les documents, des chaussures de cuir fauve achetées chez Old England.

Je me suis rappelé que Les Choses de Perec avaient été publiées en 1962. Je les avais lues, comme tout le monde, avec curiosité. (...) Six ans avant les émeutes du boulevard Saint-Michel, cette invocation à la société d'abondance, aux habits de bonne coupe et aux tissus de qualité, avait été la bible de notre génération. Qui pouvait imaginer que 68 en serait finalement le terme, avec l'adoption par les nantis du jean déchiré, du polo maculé et des baskets trouées ?


Bon, Jean Clair se trompe un peu sur l'année de parution des Choses, qui est 1965, mais cela n'invalide pas ses observations, qui renforcent ma vieille tendresse pour les élégants de 68, non pas du tout ceux qu'on a appelés plus tard les soixante-huitards, mais bien les émeutiers de Mai 68 proprement dits. Ils ne manquaient pas de classe.
24 mars 2011, 16:45   Re : Sur le paraître
Vous remarquerez que sur les images de Mai 68, celles des émeutes, personne n'était obèse. Les jeunes gens, bien mis, étaient sveltes, les jeunes filles étaient ravissantes. C'est Alain Geismar le dissident dans tout ça, c'est lui qui a démarré l'obésité, la charge pondérale, la brioche, chez les post-soixantards. Il fut le premier gros de l'immédiat post 68, le seul des années GP, et son empattement devait le conduire naturellement vers la mitterrandie. On devrait être plus méchant envers Geismar; il est injuste qu'en ayant versé dans l'oubli, il ait pu échapper à notre méchanceté. Par sa silhouette dégradée, et le seul à être ainsi chez les émeutiers, il était déjà traître au mouvement en même temps que révélateur de son essence: par sa mise, sa corpulence et sa graisse, il trahissait déjà l'avenir; il l'annonçait; il était un voyageur du futur infiltré dans les manifs. Il aurait dû être dénoncé comme tel, lui qui était plus en vue encore que Cohn-Bendit, lequel n'avait pas encore figure de sanglier et était, sinon beau gars, du moins normal, pour l'époque.
24 mars 2011, 17:18   Re : Sur le paraître
Sur la raison de l'échec politique de Mai 68.

Le tort des étudiants fut de tabler sur une classe ouvrière née pour la servitude et qui s'en accomodera toujours, n'importe le pays, cette alliance me paraît inconvenable... La classe pétendue laborieuse se moque de la liberté, la liberté n'est qu'un besoin d'artistes, de savants et d'écrivain bourgeois, et puis d'homme du monde, s'il en reste. On parle de la liberté des Grecs, en oubliant qu'ils vivaient du labeur de leurs esclaves et que la Grèce en fourmillait au temps du Marathon...
24 mars 2011, 17:35   Le troisième homme
C'est joli, cette expression, beau gars... C'est le troisième qui était beau gars, son nom m'échappe pour l'instant... (la génération des admirateurs (et trices) de ........ fait ses débuts dans l'Alzheimer).
Utilisateur anonyme
24 mars 2011, 17:39   Re : Le troisième homme
(Message supprimé à la demande de son auteur)
24 mars 2011, 17:41   Re : Le troisième homme
Le 10 Mai 1968, à 20h 40 les responsables de la manifestation, notamment Alain GEISMAR (SNESup) et Jacques SAUVAGEOT (UNEF) donnent l’ordre d’occuper le quartier Latin.

.
24 mars 2011, 17:49   Re : Le troisième homme
Ah oui c'est ça, Sauvageot, la chemisette au col échancré, les joues creuses, le regard pur, la mèche à la Jean-Pierre Léaud; il y avait de l'Antoine Doinel en lui. De manière générale, toute cette jeunesse était belle. C'est ce qui saute aux yeux, quand on revoit ce long métrage en couleurs de cette cinéaste anglaise dont j'ai oublié le nom sur Paris dans ces journées.

Même chose en Amérique s'agissant des images de l'été précédent -- alors que dans celles du festival de Woodstock, en 1969, on observe déjà une dégradation, des moeurs, des corps, un avachissement de mauvais augure, la pureté souillée.

La beauté ne fut jamais revendiquée en Mai 68, alors que tout le fut : c'est qu'elle était un donné, elle était acquise, elle allait de soi, elle ne manquait pas.
24 mars 2011, 19:23   à propos de Geismar...
... et de la beauté qui s'affiche, justement: I C I
25 mars 2011, 10:56   Re : Sur le paraître
Jacques Sauvageot, aujourd'hui :

[www.ina.fr]
25 mars 2011, 12:10   Re : Sur le paraître
La Beauté, oui...
Mes amis indiens, quand ils viennent en France, s'étonnent de voir dans un pays si beau, si somptueusement beau, des gens habillés si laidement.
Je n'en ai pas la capacité, mais une étude comparée sur l'enlaidissement vestimentaire des Européens depuis 30 ou 40 ans et la montée des dites "incivilités", la perte du "lien social", l'ensauvagement des moeurs - serait à faire, et passionnante.
L'étonnement est encore plus fort quand on observe les jeunes femmes. Les Indiennes ont des démarches de déesses, et le sari me semble le plus merveilleux vêtement féminin du monde. Les jeunes hommes aussi prennent un grand plaisir à attirer les regards, à se savoir admirables.
Dès l'arrivée à Roissy, le choc est rude.
Commentaire d'une jeune personne, devant une vidéo où Khadafi expose sa vision du monde, de son combat, son programme d'action contre ce qui le menace, son Weltanschauung :

"Khadafi, basically, c'est une rock star... Khadafi est cool (dans son style, son habillement, sa dégaine, sa présence devant les micros).

Khadafi, c'est Iggy Pop, Gary Glitter, Alice Cooper, qui dirigerait un pays, au lieu de faire des tournées. Même talent pour faire se pâmer les midinettes, même gueule de mâle infatigable, même succès face aux foules, aux poules, aux fans. Khadafi n'a pas de partisans, il n'a que des fans."

Je plussoie: Muhammar Khadafi a pris le pouvoir l'année du festival de Woodstock: 1969.

Khadafi, c'est Woodstock entré en politique: il n'y manque pas même le bandana, le bandeau au front. Khadafi est une sorte de hippy grande gueule, polygame, chef de secte, plus proche de Charles Manson que d'Anouar El Sadate.
26 mars 2011, 18:44   Re : Sur le paraître
Il est certain que sur la question du paraître, Khadafi en connait un rayon, du moins à l'aune de la platitude vestimentaire des chefs d'états contemporains.
26 mars 2011, 19:18   Re : Sur le paraître
Il me semble que le plus souvent il a davantage l'air d'un chef maffieux que d'un chanteur de rock.
Citation
...toujours les mêmes polos et les mêmes jeans, comme les uniformes fatigués d'une guerre qui a été perdue.

N'imagine-t-on pas au contraire les uniformes des perdants moins "uniformes" que ceux des vainqueurs, chacun ayant perdu son uniformité initiale de façon singulière au hasard du combat ?

"Les mêmes polos et les mêmes jeans" évoquent plutôt l'image d'une armée conquérante qui défile, comme la gare de Lyon en a d'ailleurs connu en son temps (la triste nouveauté sera l'armée conquérante et déguenillée).

Mais vous avez raison, Buena Vista, Jean Clair écrit très bien, notamment sur la peinture -- Je pense à Balthus, les Métamorphoses d'Eros, parmi bien d'autres textes.
27 mars 2011, 01:24   Re : Sur le paraître
Les chefs maffieux, c'est plutôt costar cravate, non ?
27 mars 2011, 13:32   Re : Sur le paraître
Chemise noire, cravate jaune...
Utilisateur anonyme
27 mars 2011, 14:09   Re : Sur le paraître
Et les mocassins en croco.
27 mars 2011, 17:12   Re : Sur le paraître
Oui, il y a bien une allure d'époque commune entre certains participants du festival de Woodstock et le colonel Khadafi. De là à dire que Khadafi est une sorte de hippy ou de rock star... C'est insultant pour la jeunesse hippie, qui quoique moutonnière et naïve, était du moins non violente et parfois belle. Depuis on a connu pire. La jeunesse étudiante n'a pas subitement enlaidi entre 1968 et 1969... Anecdotiquement, avez-vous remarqué que Renaud Camus évoque dans son Journal la fascination de sa propre mère pour le physique de Khadafi dans les premières années de son règne ?
27 mars 2011, 17:25   Re : Sur le paraître
Il a toujours existé chez les hippies, certains profils "meneur d'hommes", forts en gueule, qui généralement finissaient par verser dans le banditisme, très souvent en devenant trafiquants de stupéfiants. Khadafi a ce profil de voyou magnifique, qui émeut le beau sexe. Je ne raisonne que sur le plan du paraître, qui fait le sujet de ce fil. Khadafi appartient à la "génération Woodstock", c'est un fait. Pendant un certain temps (des années) il tint une rhétorique "gauchiste" (en tout cas néo-marxiste), toujours anti-occidentale, ce qui avait le don de séduire cette génération. C'est aussi une figure anti-patriarcale (prise du pouvoir à 27 ans) ce dont raffole un certain public pseudo-féministe, très en résonance avec la "génération woodstock".
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