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Un "vrai" livre électronique

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
03 mars 2008, 12:12   Un "vrai" livre électronique
Une bonne ou une mauvaise nouvelle, ce livre électronique lancé par Amazon ?
L’image de la page ne semble pas trop éloignée du touché visuel du papier, sans reflets, mais c’est à voir ! Cela pèse 300 grammes, est au format d’un livre (19 x 13,5 x 1,78 ); cela charge des livres, magazines, journaux, images, des courriels par le système Wi-Fi. Ajustement de la taille des caractères. Un clavier de commandes avec un moteur de recherche interne, possibilité d’annotations, de page cornée (!). Accès permanent à un dictionnaire. J’ai vu qu’il y a un logement pour carte flash : transformer sa bibliothèque en alignements de cartes flash ? Ma nostalgie va encore en prendre un coup. Moi qui avais abandonné autrefois avec regret l’exercice du coupe-papier, machette permettant d’avancer lentement à l’intérieur de ma jungle littéraire…
Encore cher (400 dollars l’appareil – 10 euros par livre), ce n’est qu’un début, l’écran sera encore plus plat, plus léger, on en trouvera, enroulés, dans des pochettes-surprise, à la caisse de notre Super préféré…

Bien le bonjour à vous tous !


ICI

Nous nous approchons peu à peu du livre unique, ou si l'on préfère, de la bibliothèque miniature, transportable. Il n'est pas loin le temps où l'on pourra télécharger n'importe quel ouvrage disponible dans l'espace numérique (et à terme, tous les ouvrages seront numérisés, soit rétrospectivement, soit, pour les ouvrages futurs, au moment même de leur publication, par un système de "dépôt légal numérique"). Il est problable d'ailleurs que le support technique imite un jour à la perfection la texture du papier, de telle sorte qu'on aura dans les mains un vrai livre, avec de vrais pages, mais recouvertes d'une sorte d'encre électronique permettant d'en modifier le contenu à l'infini. D'un certain point de vue c'est fantastique, mais je ne suis toujours pas convaincu que la rapidité et la facilité d'accès au savoir améliore la qualité du savoir. Je pourrai tout lire, mais j'aurai le plus grand mal à me fixer sur une lecture, sans cesse tenté de "zapper", sans cesse attiré par une nouvelle association d'idée, un désir d'assouvir ma curiosité. C'est un des risques majeurs de la Bibliothèque Virtuelle.
Utilisateur anonyme
04 mars 2008, 20:00   Re : Un "vrai" livre électronique
Je suis heureux que l'on engage, grâce à vous Olivier, une réflexion sur l'enjeu que représente, pour la liberté, le livre électronique. Le livre papier actuel donne une garantie d'authenticité par la permanence dans le temps qu'offre sa qualité matérielle (même son vieillissement naturel), il est toujours contrôlable. Qu'en serait-il d'une transmission électronique ?
J'aime savoir que tel livre est là, physiquement, à cet endroit, disponible pour moi, comme un support de ma mémoire, ou, ma mémoire. Il représente un investissement personnel bien supérieur à celui d'un texte virtuel obtenu par un clic, par le prix qu'il m'a coûté, la démarche mentale qui a amené son achat, la place dans l'espace qu'il occupe. Cette place a de l'importance. Une énorme bibliothèque, telle que la virtuelle, est presqu'inhumaine, car impraticable pour le commun des mortels. On fait des choix, on évolue avec ses livres, on se structure petit à petit, à son rythme. Combien de lectures différentes du même livre à des âges différents ! Le livre papier a une dimension dans la durée indispensable pour moi, sans lui, je pense que je serais "perdu".
Merci à vous d'avoir lancé cette discussion.
Tout ce que vous évoquez de votre expérience personnelle du livre, du livre en tant qu'objet porteur d'une mémoire, d'une valeur affective, d'une aura spécifique, constitue en soi une critique du livre électronique assez importante pour mériter au moins une réflexion préalable à son lancement tous azimuts (réflexion qui, toutefois, comme vous l'aurez remarqué, n'a jamais vraiment lieu, et c'est valable pour toutes les "nouveautés"). Si le livre électronique est un progrès, de quel nature est ce progrès? De quoi nous libère-t-il? Quel surcroit de valeur apporte-t-il à la lecture, au savoir, à la culture? Je parle évidemment de ce que j'appelais dans mon précédent message le livre unique, celui qui vient, celui qui est presque déjà là, la machine miniature de stockage de la totalité de la production intellectuelle de l'humanité, qui sera le point de jonction entre la bibliothèque traditionnelle et le "réseau". Quel miracle attend-on de ce merveilleux artefact? L'homme du futur sera-t-il un lecteur plus exigent, plus efficace ou plus subtil que le lecteur d'aujourd'hui, parce qu'il aura un accès plus rapide à un plus grand nombre de pages écrites (et même, admettons, à toutes les pages écrites)? En réalité, passé le premier effet de fascination de tous ces gadgets, on se rend compte de leur ineptie fondamentale au regard de la culture. Qu'ils représentent un progrès des capacités de stockage et de l'accessibilité de l'information, c'est indubitable. Mais en disant cela, on a tout dit. Il n'y a rien d'autre à attendre du livre universel que sa dimension pratique. Non seulement, d'ailleurs, son importance est nulle pour la qualité du rapport au savoir et à la littérature, mais encore ce qu'il nous fait peut-être perdre : le contact sensuel avec l'objet livre, le grain de la page, la beauté des reliures; la mémoire liée à cet objet; la sociabilité développée autour du livre; la connivence de l'oeil, du cerveau et du geste de tourner les pages; tout cela n'est que peu considéré par les marchands de poudre aux yeux numérique.
Ce qui me semble encore une fois caractéristique du fanatisme progressiste moderne, c'est le mépris général dans lequel on tient ces réflexions, et l'engouement systématique pour tout ce qui est nouveau, parce que c'est nouveau. Aucun promoteur de cette nouveauté, pourtant, ne semble réellement capable de dire en quoi son produit est une avancée. Il est toujours sous-entendu qu'un plus grand raffinement technique est bon pour tous, et que la moindre expression de méfiance est un réflexe de peur face à l'avenir, qui doit être corrigé.
Utilisateur anonyme
05 mars 2008, 00:33   Re : Un "vrai" livre électronique
Ah ! Mais quel formidable outil ! Que je dis.
Il va sans dire que, le jour où le réseau fait un gros caprice, votre outil, aussi formidable soit-il, vous est infiniment moins utile qu'un vieux livre de poche aux pages jaunies. Je n'aimerais pas qu'on transfère ma bibliothèque sur les ondes.
Utilisateur anonyme
05 mars 2008, 09:29   Re : Ne nous affolons pas...
Il faudrait peut-être selon moi dédramatiser les choses : il n'est pas dit que le livre électronique marque fatalement la disparition du livre papier. Il n'est même pas sûr que ce nouvel "outil" comme dit – ironiquement m'a-t-il semblé – Orimont rencontre un grand succès ; il faut se souvenir du e. book lancé naguère avec enthousiasme par Jacques Attali et qui, au bout du compte, n'a pas du tout concurrencé le livre "traditionnel". D'autre part, sans être un fanatique béat du progrès technique, on peut tout de même considérer que ce moyen nouveau peut rendre des services, sans que l'on doive forcément renoncer par ailleurs au "grain de la page" et à "la beauté des reliures"... Si l'on me permet cet exemple en ces lieux, le fait que l'on puisse accéder par des moyens électroniques aux Vaisseaux brûlés de Renaud Camus n'empêche pas d'avoir dans sa bibliothèque P.A., l'ouvrage qui est à l'origine des dits Vaisseaux. La consultation de l'un ou de l'autre offre simplement des possibilités et des plaisirs différents.
Utilisateur anonyme
05 mars 2008, 11:22   Vrac
Cher Alexis,

Mais le hibouc n'était pas pratique, ce n'était qu'une espèce de bouquin électrique sans aucune souplesse, il ne disposait pas de cette belle et bonne encre électronique qui va et vient entre les doigts sans laisser de tâche et vous permet de jeter un œil sur les cours du caca-rente, lesquels se métamorphosent au doigt et à l'œil en extrait de L'Enfer de Dante. Nous sommes tous des Harry Potter, pas vrai ?

L'argument P.A. est un modèle du genre. C'est toujours en mettant en avant UN aspect positif que les plus navrantes saloperies techniques se sont infiltrées. Rappelez-vous du téléphone mobile. On aurait dit que la France entière était occupée à traverser les océans ou les bois les plus embrouillés. Il ne se passait guère de semaine sans qu'un de ces hardis aventuriers ne soit miraculeusement sauvé parce qu'il avait un portable !

En définitive, la seule justification de l'existence de ce livre électronique, c'est la conquête spatiale. Il n'y a que dans l'étroit habitacle d'une cabine spatiale que ce livre trouve sa claire légitimité. Il en va d'ailleurs de même pour la majorité des innovations techniques : elles ne sont pas faites pour la vie sur terre mais dans le cosmos.

Très très personnellement, je prête à ces appareils un usage philosophique. Dans la perspective douloureuse mais fatale de devoir quitter un jour ce monde, ils facilitent grandement le détachement d'avec lui, lui ôtant méthodiquement, les uns après les autres, les charmes qu'il y a à vivre sur terre.
Utilisateur anonyme
05 mars 2008, 15:31   Re : Un "vrai" livre électronique
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Hibouc et wifibouc sont deux outils différents. Le premier en effet n'a pas eu le succès escompté et n'a point fait d'ombre au livre, parce qu'il n'avait pas d'avantage décisif sur ce dernier, il ne le faisait pas oublier. Pratiquement il ne le détrônait pas. Mais précisément je vous parle - et c'est pourquoi j'ai insisté sur ce point - du livre numérique de demain, dont celui qui est présenté plus haut n'est qu'une version primitive. Lorsque la conception ingénieuse du livre relié classique sera conjuguée à la technique informatique la plus élaborée, le livre et les bibliothèques tels que nous les connaissons disparaitront peut-être. Il est vrai que l'ebook n'a pas fonctionné et que la lecture sur écran d'un ouvrage entier, ou même partiel, est une pratique assez rare. Le papier conserve son empire. On imprime pour lire. Mais si vous pouviez immédiatement télécharger le dernier livre de Renaud Camus sur un support imitant le papier à la perfection à partir du réseau numérique, ne le feriez-vous pas? Vous le feriez probablement, et tous les amateurs de l'oeuvre de Renaud Camus le feraient, non pas par goût prononcé de la technologie, mais parce que ce serait simple, pratique et efficace. Vous me direz que cela est très bien, qu'après tout le but est toujours le même et qu'il est plus vite atteint : la lecture de l'ouvrage tant attendu du grand écrivain. Mais alors deux solutions doivent être envisagées : soit il est possible de fixer l'ouvrage, une fois téléchargé, sur le fac simile, afin de le conserver sur une étagère, à portée de la main, et nous avons simplement réinventé la bibliothèque avec des matériaux différents (dont la production ne sera sans doute guère plus "écologique" que le papier...); soit l'ouvrage est effacé après lecture, comme une page-écran fugitive, en étant éventuellement mémorisé, et c'est cette hypothèse qui m'intéresse et me semble plus problématique. Pourtant, là encore, rien d'inquiétant à première vue : au lieu de cinq mille livres encombrants, tellement lourds à déménager! je n'en possède plus qu'un, léger comme l'air, et je me promène partout avec ma bibliothèque en poche. Pourtant bien des éléments traditionnels de la lecture seront perdus avec la généralisation de cette solution :
1°) Le livre n'est plus visible, il n'est plus identifiable aisément par le regard et ne sera plus invoqué que par la mémoire ou le besoin immédiat. Il n'a plus de couleur, de taille, de poids, d'odeur, de présence physique (élements qui ont toujours participé au plaisir de la lecture).
2°) Le livre n'est plus facilement repérable selon son apparence extérieure, qui donnait de nombreux renseignements sur la qualité de son édition, sur la date et la nature de sa publication.
3°) Le livre n'est plus distingué physiquement des autres, il ne bénéficie plus de la différenciation des exemplaires. On ne peut donc plus lui donner un emplacement hiérarchique ou thématique visuellement efficace dans sa bibliothèque.
4°) Le livre n'a plus d'âge, il ne vieillit plus et n'est donc plus un souvenir.
5°) Le livre ne peut plus être échangé, égaré, manipulé à des fins diverses (de séduction pourquoi pas?), donné ou prêté; il perd une valeur sociale, qu'on peut trouver certes négligeable.
6°) Le livre n'est plus l' enveloppe d'un contenu que l'on peut fabriquer en vue d'exprimer ou de mettre en valeur ce contenu. Une part de l'imaginaire transporté notamment par les couvertures et les mises en page disparait, avec le désir de lecture qu'il pouvait susciter.
7°) Le livre n'existe plus qu'à travers un procédé technique moins aisément maitrisable que la reliure; en cas de panne du réseau, toute la bibliothèque est inaccessible.
8°) Le livre s'interpose entre tous les livres, dans un ensemble "liquide" où l'adhésion devient difficile. L'absence de tout obstacle matériel détourne l'attention sur un seul objet et contribue au phénomène de papillonnage (zapping) - phénomène déjà observable sur internet.

Cette énumération des pertes possibles n'est évidemment pas exhaustive.
Utilisateur anonyme
05 mars 2008, 20:03   Re : Un "vrai" livre électronique
"Cette énumération des pertes possibles n'est évidemment pas exhaustive."

En effet, cher Olivier. Peut-être avez-vous oublié ce point, essentiel pour moi, dans le cas bien sûr où se vérifierait l'hypothèse de la disparition des livres en livre, c'est la disparition des bibliothèques des autres, les merveilleuses bibliothèques des autres, les mystérieuses, les insolites bibliothèques des autres, quand on est reçu chez eux et qu'on attend l'instant propice pour promener un regard sur les rayonnages et le portrait fidèle qu'ils vous livrent de votre hôte, quand on est hébergé pour une nuit et qu'on vous installe, justement, dans la bibliothèque. Oh ! J'aimerais bien voir la bibliothèque de ces ingénieux bidouilleurs de wifiboucs. Ma foi, ils collectionnent peut-être les incunables avec l'argent que leur rapporte l'acquiescement universel à la passion triste du stockage, du pratique, du formidable outil !

Que de privations !
9°) Le livre n'est plus une trace dans la vie d'un individu, et la disparition des bibliothèques personnelles appauvrit l'âme des foyers.

Il faut cependant rendre à Alexis ce qui est à Alexis et ne point céder à la panique. Tout ce qui dans les inventions modernes relève du bluff sera nécessairement dévoilé, et nous cesserons de transférer sur la technique des espoirs et des désirs qu'elle ne peut combler.

Si certaines expériences, telle que l'élaboration des sites internet de Renaud Camus (j'inclus les forums), sont des réussites, c'est précisément parce qu'il n'y voit pas autre chose que ce qu'elles sont et ce qu'elles peuvent apporter en propre.

Ces livres virtuels seront des instruments de stockage et d'accès facile aux oeuvres, utiles et intéressants dans certains cas spécifiques, le plus souvent à la marge. Aucune révolution, aucune mutation profonde du rapport à la culture en perspective.
Utilisateur anonyme
05 mars 2008, 22:10   Re : Un "vrai" livre électronique
"Tout ce qui dans les inventions modernes relève du bluff sera nécessairement dévoilé, et nous cesserons de transférer sur la technique des espoirs et des désirs qu'elle ne peut combler."

Tout ce qui dans les inventions modernes relève du bluff est nécessairement et méthodiquement transformé en besoin, et quand bien même cesserions-nous de transférer sur la technique des espoirs et des désirs qu'elle ne peut combler, elle imposerait des impératifs auxquels il faut se soumettre.

Moyennant la très pratique fonction "copier-coller", permettez-moi de reproduire un message de l' anno scorso :

Pour mener à bien les recherches documentaires qui m’ont été confiées, je me suis rendu aux Archives départementales, dans l’intention d’y feuilleter le quotidien Le petit Niçois, numéros parus entre 1925 et 1929.

Je savais pouvoir consulter ces journaux sans sortir de chez moi, en me connectant sur le site du Conseil général, mais j’avais envie de tourner de vieilles pages, très délicatement, de parcourir ces articles périmés à la recherche des entrefilets qui me seraient utiles, non sans céder à la flânerie de l’œil, cueilleur impénitent d’anecdotes périphériques et hors sujet.

Arrivé aux Archives, ma requête fit sourire. Les exemplaires originaux ? Mais pensez donc ! Tous les numéros du Petit Niçois sont désormais consultables sur écran et n’attendent que les « clics » des curieux ou des chercheurs. J’opine à cela mais ajoute que je trouve plus commode de manipuler les exemplaires originaux. Cette fantaisie-là n’est plus possible, ce fameux « choix » qu’on nous assure qu’on aura toujours. C’est la consultation d’écran ou rien, mais on peut « zoomer », vous savez, à volonté, c’est bien plus pratique et puis, vous imaginez, les originaux sont bien mieux conservés comme ça parce qu’à la longue, vous comprenez bien, si on les prête à tout le monde…

Me voilà donc installé devant un écran et rien ne distingue ma position de celle d’une voisine, en face d’un autre écran. Quelque document que chacun consulte, chacun fait figure de tout le monde et c’est déjà un peu de diversité en moins dans le décor, un peu moins d’air et d’airs, moins de regards transversaux, moins de ce désordre charmant des recherches de l’autre, étalées sur une table. L’autre, il est semblable à nous, les yeux rivés sur l’écran et sa propre recherche n’éveille aucune curiosité, aucun mystère, n’offre aucun dérivatif. Rien ne dépasse.

Dans l’assiette du voisin, il y a la même chose que dans la nôtre, il n’y a plus qu’à mettre le nez dedans et voici qu’apparaît, sur l’écran, la première page d’un exemplaire du Petit Niçois dont la lecture est désormais tellement plus pratique, puisque on peut zoomer.

Je suis toujours frappé par ce très hypocrite et très caractéristique emploi du verbe «pouvoir» dans la bouche des camelots technolâtres, ce verbe « pouvoir » et tout ce qu’on se charge de lui faire signifier : choix supplémentaire, nouvelle puissance, extension du domaine de la liberté. On peut zoomer, nous ! Sauf qu’à l’usage, on s’aperçoit dans bien des cas qu’il aurait fallu dire on DOIT zoomer, on ne peut pas faire autre chose que zoomer, on y est obligé.

En l’espèce, la taille originale de la page du journal excédant celle de l’écran (qui pourtant n’est pas petit) l’image reproduite est nécessairement réduite, c'est-à-dire illisible. Ce n’est donc pas qu’on peut zoomer, on DOIT zoomer, agrandir tel ou tel détail de la page, ce qui a pour première conséquence de dérober à la vue l’ensemble. Il n'est plus possible de balayer du regard pour se faire une idée presque instantanée du contenu de la page, repérer en un clin d’œil si ce qu’on cherche peut s’y trouver, tourner la page, revenir en arrière d’un simple geste, feuilleter en somme !

La consultation sur écran et son prétentieux « zoom » se révèle, à l’usage, pour moi au moins, non seulement sans charme mais terriblement fastidieuse, soumise à des manipulations de « souris » bien moins efficaces, en définitive, que l’usage de mes cinq sens dans l’exercice de… lire le journal !
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Il y a aussi que je ne vois pas mon travail avancer. Je ne dépouille pas une pile de journaux, l’année 1925 par exemple, je fais apparaître des images sur un écran, extraites de l’intégralité invisible des milliers de numéros du Petit Niçois et les gestes que j’exécute n’ont aucun reste, aucune périphérie, ils n’offrent aucun des modestes dérivatifs qui naîtraient du rangement des exemplaires « papier » au fur et à mesure de leur lecture, de l’organisation du désordre qu’ils généreraient, posés sur la table, tous ces gestes annexes où l’esprit souffle un peu et où il se pourrait bien (personnellement j’en suis certain) que niche l’inspiration indispensable à toute recherche, tous ces petits riens ont disparu. Ici, je clique, la page apparaît, je zoome, je clique, elle disparaît, une autre la remplace, je zoome, je clique, c’est un exercice sans le moindre accident, un travail intégral pour lequel, bientôt, je n’ai plus le moindre goût, à l'égard duquel je n'ai pas le moindre choix, privé de la liberté de mon rythme, de ma curiosité, de ma façon personnelle de dénicher, je suis contraint et, bientôt, contrarié, agacé, porté à repasser en esprit les arguments du préposé vantant les mérites de cette méthode de consultation obligatoire et je les trouve de plus en plus mauvais, ces arguments, à commencer par celui selon lequel les originaux seraient protégés, de n’être plus confiés au public.

Je me souviens qu’il y a seulement quatre ans ou cinq ans de cela, j’avais déjà stationné dans ces Archives et observé des lecteurs d’exemplaires originaux de tel ou tel ancien journal local et m’étais demandé ce qu’ils pouvaient bien y chercher. Il y a quatre ans, on ne craignait donc pas de confier ces originaux. Que s’est-il passé ? Serait-ce que, depuis, des foules de curieux s’arrachent des exemplaires du Petit Niçois au point qu’il ait fallu prendre des mesures conservatoires et songé dare-dare à le mettre à l’abri de TOUTES les mains ?

Car n’est-ce pas supposer qu’il va de soi que TOUS les lecteurs, aux Archives, sont naturellement incapables de manipuler des pages un peu anciennes sans les endommager ? C’est peut-être vrai, hélas, d’un certain nombre d’étudiants qu’on veut bien croire ravis de « zoomer », « bidouiller », « copier-coller » à tour de bras (je ne m’en plains pas d'ailleurs, qu’ils zooment, bidouillent et copient-collent tant qu’ils veulent, qu’ils obtiennent une maîtrise et que le hasard les conduise à donner un texte en vue de sa publication dans un livre, c’est toujours du travail pour moi, chargé de remettre tout en français, comme j’ai eu souvent l’occasion de le faire pour des livres collectifs où neuf fois sur dix la contribution la plus à « retaper » est celle du plus jeune et du diplômé…)

Qu'ils zooment donc et bidouillent à satiété, les embarrassés du contact réel, toutes les façons sont dans la nature, mais que penser d’un système où il est impossible de faire valoir sa différence, impossible d’échapper à la règle commune, impossible de faire entendre qu’on sait manipuler un vieux journal sans le déchirer, impossible d’avoir le choix et que de surcroît on est prié, comme avec l'immigration, de remercier l'appareil qui vous prive, de le trouver « trop génial », un formidable « outil », une forcément chance pour l'homme ?
Simple question pratique: la résistance à la chaleur et à l'humidité des "livres en stockage électronique" n'est-elle pas très inférieure à celle des éditions papier? Est-ce qu'une goutte d'eau mal placée ne suffit pas à éteindre la mémoire et à handicaper à tout jamais son support magique? pour ne rien dire de la chaleur qui gondolera les moulages plastiques du support bien avant que ne s'enflamme le livre relié ou broché. Il est assez difficile de brûler les livres, qui ont survécu dans l'histoire à bien des tentatives en ce sens; je n'ose penser ce qu'une flamme de briquet est capable d'obtenir sur ces gadgets électroniques de poche.
Judicieuse remarque, Francis. J'ai même vu des "supports papier" survivre à des inondations (courantes, par exemple, à la BnF) - après passage aux ateliers techniques de restauration - qui auraient sans doute eu raison d'une machine à lire.

Cher Orimont ce texte est splendide et je le ferai lire à quelques amis. Il est bien vrai que le choix, dans tous les domaines de l'existence où triomphe la technique, se réduit à vue d'oeil. Certains périodiques du XIXe siècle reproduits sur microformes ne sont plus du tout consultables pour les chercheurs de la nationale, même sur demande motivée, pour la simple raison qu'ils ont été transférés dans un centre technique en banlieue, uniquement voué à la conservation. Bien sûr l'état physique de ces vieux journaux assez couramment consultés justifiait cette reproduction, mais la possibilité pour un lecteur tel que vous de consulter le papier, à titre exceptionnel, a été définitivement éliminée.

J'ai malgré tout la faiblesse de croire que les hommes ne pourront supporter indéfiniment cette extinction générale du choix, affront permanent à leur dignité.
Utilisateur anonyme
06 mars 2008, 10:01   Re : Un "vrai" livre électronique
Les libraires indépendants en Belgique ont presque tous disparus. Il faut savoir qu’un fond de librairie coûte cher en argent immobilisé. Ce sont les best-sellers, dont la rotation est rapide qui leur permettaient de survivre. Or tout ce qui est à rotation rapide a été exploité dans les grandes surfaces. D’où fermeture et faillite des petits libraires. Je suis un des leurs, très mal payé pour le savoir. Notez que la réflexion est la même pour les magazines, vous comprendrez, en y réfléchissant, que cela a son importance également.

C'est parce qu'il vend des piles de best-sellers qu'un éditeur peut se permettre de lancer des auteurs inconnus. Ces livres sont présents dans les librairies quelques mois, ils auront leur chance, ils auront eu une permanence. Je crains que la découverte singulière ne soit compromise par l'envahissement (inéluctable à terme à mon avis) du livre électronique. L'afflux de messages annonçant la parution de ces livres sera assimilé par l’esprit à de la publicité, le choix du public s'opèrera selon un critère de quantité (nombre de livres chargés) et pas de qualité. Ce sera la confusion, et me semble-t-il, un risque pour la variété de l'offre. Il y a un facteur Temps dans tout cela que je n'arrive pas ici à intégrer et à formuler, déjà bien abordé avec Olivier, notamment avec la confusion par le zapping. Le facteur espace lui est lié. Amazon propose d'ores et déjà l'envoi gratuit d'une partie du livre convoité, c'est peut-être bien pour cela. Il y aurait aussi un parallèle à faire dans le domaine musical.
Quant à la coexistence des deux types de livres, j'en doute un peu. C'est à partir d'un certain nombre de livres imprimés puis vendus que l'éditeur réalise son bénéfice; il est bien certain que la possibilité de son acquisition via le Net, y compris son "essai", réduira considérablement l'offre papier. En fin de compte existera-t-il encore des éditeurs (leurs lecteurs, leurs suivis, leur marque particulière, leur connaissance et leur passion) puisque tout et n'importe quoi pourra être offert à la vente par le premier marchand chinois de petits pois venu, beaucoup moins cher, par des canaux de vente bien plus puissants, puisque draînant d’autres produits avec de la publicité ? Sans compter le piratage, autre bouteille à encre. Il y aurait donc, me semble-t-il, en fin de compte, une diminution de l'influence de l'intelligentsia sur le livre, et en finale, du choix.
Utilisateur anonyme
06 mars 2008, 14:44   Re : Un "vrai" livre électronique
Rien de tel qu'un bon vieux livre, qu'une bonne vieille photo de nos grands-mères : le CD-R et autre DVD ont une durée de vie de 2 à 5 ans !
voir ici
Cher Orimont, bravo pour votre texte.
Cher Orimont,
Après mon billet de tout à l’heure sur un autre fil et la lecture de ce texte à sa suite, je me suis fait la réflexion, qu’avec vos constatations amères sur notre société, votre humour sceptique, la récurrence dans beaucoup de vos écrits du fantasme du piège, vous êtes un peu le Maupassant de ce forum… (Ouh la la, j'espère que vous l'appréciez! En tous cas, je me souviens d’une très belle nouvelle dont vous nous aviez régalés jadis: il s’agissait d’une dame qui peignait de manière hyperréaliste tout ce qui lui passait sous la main. Je croyais l’avoir archivée mais je ne la retrouve plus. À l’occasion, si vous pouviez me l’envoyer !)
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