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Kant, sur-moi de la démocratie procédurale

Envoyé par Loïk Anton 
"... le kantisme constitue la superstructure idéologique de la démocratie procédurale. En affirmant que les convictions métaphysiques n'ont de valeur autre que subjective et privée, le kantisme justifie l'exclusion de ces dernières hors de l'espace public, qui est un impératif majeur du régime démocratique européen. Ce régime se caractérise en effet par la mise à l'écart de la sphère publique non seulement de la religion, mais de tout engagement métaphysique sur le sens de l'existence, le fondement de la morale, la nature de l'homme, le but de la vie, la définition du bien et du mal (...) perçus depuis les Guerres de religion comme sources de querelles et ferments de guerre civile. Le Mal dans ce régime, c'est de prétendre définir le Bien et le Mal. (...) Ce régime est procédural en ce sens qu'il se borne à mettre en place les procédures permettant de faire coexister des individus poursuivant librement leurs fins particulières. (...)
Dans un tel cadre, les convictions métaphysiques sur l'existence de Dieu (...) le bien humain, sont admises à condition qu'elles n'aient as la prétention de se présenter comme vraies sur la scène publique. Elles doivent se présenter sur le mode subjectiviste "C'est mon choix !" (...) La seule conviction défendable sur la scène publique (...) doit être la thèse selon laquelle il n'existe pas de bien suprême en dehors de la liberté individuelle. (...)
Le problème est (...) que sous un tel régime les convictions cessent d'être des pensées pour devenir des passions. Voilà pourquoi aussi, dans ces régimes, on assiste à la révolte des convictions subjectives, non pas sous la forme de débats rationnels, tenus pour impossible en ces matières, mais d'oppositions frontales entre la Raison et la Foi, entre la Démocratie et la Conviction. C'est ce qu'on appelle sous la forme un peu niaise "la quête de sens" et sous la forme moins gentille "le réveil des fanatismes."

Suit dans l'ouvrage une critique acérée de la Critique, dont le succès en Europe est attribué à ses fonctions idéologiques autant sinon plus qu'à ses qualités intrinsèques.
» Dans un tel cadre, les convictions métaphysiques sur l'existence de Dieu (...) le bien humain, sont admises à condition qu'elles n'aient as la prétention de se présenter comme vraies sur la scène publique

L'auteur estime-t-il donc que pour autant que ces convictions soient présentées comme vraies sur la place publique, leur valeur de vérité serait de ce fait transformée ?
Plus loin dans cette citation il présente l'opposition entre la foi et la raison comme une conséquence de la "privatisation des métaphysiques" ; mais ne serait-il pas plus simple d'envisager que c'en est en fait la cause, c'est à dire que la raison pour laquelle ces "convictions métaphysiques" seraient devenues privées dans le climat intellectuel "moderne", est que leur vérité, entendue au sens plus strict que ce mot a revêtu dorénavant, soit devenue tout simplement impossible à établir ?
Bref, l'auteur nous convie-t-il, question veille comme le monde, à une critique de l'idée moderne de "vérité" ?
Il me semble que c'est la thèse centrale de Habermas ...
Que Kant soit un danger public est une chose assurée, mais il n'aurait pas dit de certaines choses, pour lui intangibles et démontrées a priori - bien sûr - qu'elles devaient être remises en question par la "démocratie". Voire, que le but même de la démocratie était la remise en question des choses intangibles.
Il me semble que certains "voient du Kant partout".
Cher Alain Eytan, l'auteur ne s'attarde pas dans son développement sur la démocratie ni même sur l'idée de vérité, mais s'attaque à la Critique de la métaphysique (son "impossibilité" supposée après Kant), établissant ou voulant établir qu'il n'y a pas d'antinomies de la Raison. Sans parler de sa critique de la théorie de la connaissance déployée par Kant - qu'il considère comme résultant d'un faux dilemme issu de l'empirisme.
Je suppose que ce livre ne suscitera pas débat parmi les kantiens qui se contenteront de ne pas le lire.
» Que Kant soit un danger public est une chose assurée

Ah bon, M. Barrique ??
Bien que vous ne fournissiez pas beaucoup de détails sur l'affaire, cher Loïk, et sur la façon, ne serait-ce que dans les très grandes lignes, dont votre auteur s'y prend pour démonter l'Idéalisme transcendantal et la distinction, qui nous paraît toujours si essentielle, entre le jugement d'existence et le jugement analytique, il reste cependant que je suis tout à fait prêt à convenir d'une chose : la restriction kantienne de l'usage pertinent de la raison et la délimitation du champ de l’expérience possible comme phénoménalité a, par la force des choses, rendu tout ce qui s’étend au-delà (la "métaphysique" ?) infiniment désirable ; je ne sais si c'est forcément une mauvaise chose pour cette dernière.
Utilisateur anonyme
20 juin 2013, 17:43   Re : Kant, sur-moi de la démocratie procédurale
Je viens de lire le livre dont vous parlez, Messieurs.
S'agissant de Kant, la tentative de l'auteur me semble être la suivante : montrer que les antinomies de la raison pure, dont Kant estimait qu'elles étaient la preuve par l'absurde de la fausseté du réalisme, et donc une forte incitation à opter pour son propre système (l'idéalisme transcendantal), sont en fait un montage bancal, qui ne pose rigoureusement aucun problème sérieux. Or si l'antinomie ne se pose plus, exit le système de Kant. Si la raison n'est pas malade, pas besoin de la potion kantienne. Les thomistes avaient tenté des choses de ce genre au début du siècle dernier.
Merci, Monsieur.
L'on pourrait aussi arguer que les géométries non euclidiennes "contredisent" certaines notions essentielles du kantisme (la synthèse a priori) et que la mécanique quantique est fondamentalement incompatible avec les présupposés de l'Idéalisme, etc.
Cette façon de procéder comme si le "système" tenait tout d'un bloc, ne pouvait être que vrai ou faux et serait infirmé en totalité si l'on arrivait à en dégager certaines difficultés ou inférences "boiteuses", ne manque pas de m'apparaître un peu rapide...

« Lorsque Kant déclara que notre entendement impose ses lois à la nature, il avait raison — sauf qu'il ne réalisait pas combien le plus souvent notre entendement échoue dans sa tentative : les régularités que nous essayons d'imposer à la nature sont a priori du point de vue psychologique, mais il n'y a pas la moindre raison de supposer qu'elles soient a priori valides... » (Popper, La Connaissance objective)
Oui, mais si les antinomies de la Raison ne sont pas valables - certaines des thèses se révélant nettement plus fortes que d'autres - et si la distinction du noumène et de phénomène est erronée elle aussi, on voit mal ce qui restera des éléments du kantisme qui "interdisent" la métaphysique.
En fait Guillaud a attiré mon attention sur un vaste mouvement qui dure depuis une vingtaine d'années dans le monde anglo-saxon et remet à l'ordre du jour la métaphysique :

[www.laviedesidees.fr]

La grande déculturation ne procéderait-elle pas de cet oubli névrotique de la métaphysique, bien moindre dans d'autres aires culturelles, qui sont de facto plus vivantes et résistantes que la nôtre ?
"(...) le philosophe analytique de la religion reste imperturbablement confiant dans notre capacité de produire, sur la base d’arguments, des affirmations justifiées au sujet de Dieu, de ses attributs, de ses intentions, des valeurs chrétiennes, de la Trinité, de la Rédemption ou de l’Incarnation. Tout comme au bon vieux temps. Certes, il existe aussi une voie sceptique en philosophie analytique, mais elle est elle-même argumentative à souhait".

Roger Pouivet, in Meta-philosophie de la religion, Revue ThéoRèmes, 2, 2012.

[theoremes.revues.org]
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