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Mai 68 : une légitimation des "limites".

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
03 mars 2008, 15:53   Mai 68 : une légitimation des "limites".
Dans le prolongement de ce qui s'est dit sur le forum à propos de Mai 68, Cornelius Castoriadis ("La montée de l'insignifiance", Seuil, 1996) souligne que si les "Ecrits" de Lacan - Lacan qui selon lui était tout sauf révolutionnaire, mais seulement et invariablement lacanaire, et lacaniste - "vendent 30 000 exemplaires avant 68, et qu'ils vendront 300 000 après," cela est dû, selon lui, plus encore qu'à "l'habilité médiatico-mercantile du personnage", à "l'échec de Mai 68", sachant pertinemment que personne, connaissant l'homme et ses écrits, n'aurait osé penser sérieusement que Lacan eût pu avoir affaire en quoi que ce soit avec un mouvement social et politique. Et Castoriadis de conclure : "Ce que les idéologues fournissent après coup, c'est à la fois une légitimation des "limites" (des limitations, en fin de compte : des faiblesses historiques) du mouvement de Mai : vous n'avez pas essayé de prendre le pouvoir, vous avez eu raison ; vous n'avez même pas essayé de constituer des contre-pouvoirs, vous avez encore eu raison, car qui dit contre-pouvoir dit pouvoir, etc." (p. 33)
Dans les années cinquante, il fallait avoir dans sa bibliothèque L'être et le néant de Sartre ; vingt ans plus tard, c'était les Ecrits de Lacan. Dans les deux cas, la proportion de ceux, parmi les possesseurs de ces indigestes pavés, qui ont lu plus d'une page ou deux est paraît-il infime. Et pourtant, l'influence intellectuelle des deux auteurs fut grande mais elle passait par d'autres canaux, d'autres vecteurs.
Utilisateur anonyme
03 mars 2008, 17:00   Re : Les Aveux
En tout cas, le message de M. Wagner me fait cruellement prendre conscience de mes propres limites : j'ai eu beau le relire trois fois, je n'y ai toujours rien compris...
Utilisateur anonyme
03 mars 2008, 17:14   Re : Mai 68 : une légitimation des "limites".
"Dans les deux cas, la proportion, parmi les possesseurs de ces indigestes pavés, qui ont lu plus d'une page ou deux est paraît-il infime. Et pourtant, l'influence intellectuelle des deux auteurs fut grande mais elle passait par d'autres canaux, d'autres vecteurs.



Oui, et on ne peut expliquer si forte (et tenace) "influence intellectuelle" par la seule "habilité médiatico-mercantile" de ces deux personnages... Aujourd'hui l'"influence intellectuelle" est plus lâche, sans visage, toujours anonyme. On pourrait parler d'une "influence médiatico-intellectuelle diffuse".
Utilisateur anonyme
03 mars 2008, 17:24   La schize d'Alexis.
" j'ai eu beau le relire trois fois, je n'y ai toujours rien compris..."


La présence pertubatrice de Lacan, peut-être... dont on sait que la thèse centrale à toujours été que la schize (le clivage) du sujet (ici Alexis) vaut aliénation structurale et donc insurmontable.
03 mars 2008, 19:23   Re : Les Aveux
Cher Alexis, il y a moins de dix ans est paru " Impostures intellectuelles " de Sokal et Bricmont, les explications de Lacan y sont analysées par des scientifiques (je ne suis pas en mesure d'être plus précise n'ayant pas ce livre sous la main), et démontées sans passion partisane...Quel tollé dans la classe intellectuelle mondaine : il y en avait d'autres à avoir été débusqués pour leurs métaphores farfelues.
Si Lacan vous tombe des mains, je me demande si ce n'est pas un bon signe.
Utilisateur anonyme
03 mars 2008, 20:19   Re : Les Aveux
Chère Anna, je tiens tout de même à préciser que ma remarque portait sur le message de M. Wagner et non sur l'oeuvre de Lacan. Je vous accorde toutefois que la confusion était possible, dans la mesure où nous restons dans un cas comme dans l'autre dans le domaine des esprits de très haut vol.
03 mars 2008, 20:38   Re : Les Aveux
» les explications de Lacan y sont analysées par des scientifiques

Mince, alors !
03 mars 2008, 21:26   Re : Les Aveux
Euh...il s'agit cher Bernard des métaphores que Lacan puise dans le domaine des mathématiques.

Cher Alexis, merci pour votre gentille réponse, pourtant le message de M. Wagner m'a semblé clair, sur la façon d'utiliser des faits (dont L. utilise...) une fois dans un sens et quelques années plus tard dans l'autre, au gré des besoins de la démonstration, et sans se soucier d'une vérité ou même vraisemblance la plus ténue.
Utilisateur anonyme
03 mars 2008, 21:28   Re : Les trois premières pages....
Oui, Castoriadis est très bien dans l'Institution imaginaire de la société (je cite de mémoire : la lecture de Castoriadis est un souvenir des années quatre-vingt), mais combien de pénibles ouvrages de marxiste bon teint auparavant ? Quant à Lacan ? Ciel, suis-je passé à côté de quelque chose ? Ma vieille animosité à l'égard de la psychanalyse sans doute... Pour l'Etre et le Néant, j'apprends avec plaisir, grâce à M. Meyer, que j'appartiens, pour une fois, à une majorité. On se sent moins seul à fréquenter ce forum.
» Dans les deux cas, la proportion de ceux, parmi les possesseurs de ces indigestes pavés, qui ont lu plus d'une page ou deux est paraît-il infime. Et pourtant, l'influence intellectuelle des deux auteurs fut grande mais elle passait par d'autres canaux, d'autres vecteurs.

Exactement, cher Marcel. Il y a aussi ceux qui le lisent, mais uniquement dans un but carriériste. Je les ai assez fréquenté (et cela m'a fait perdre assez de temps) pour savoir les éviter. Mais Lacan, s'il est parfois difficile, n'est pas indigeste. Ou Mallarmé est-il indigeste ? Et l'Être et le Néant est rempli de descriptions phénoménologiques passionnantes. Je pense que ces auteurs ne sont indigestes que lorsque l'on considère qu'il faut les avoir lus, et non qu'il faut les lire.
Utilisateur anonyme
03 mars 2008, 23:54   Cornelius Castoriadis.
Oui, cher Corto, il s'agit selon moi d'un penseur majeur (souvent cité par A. de Benoist), et je regrette que son nom n'apparaisse jamais (?) sur le forum du PI.
Utilisateur anonyme
04 mars 2008, 00:24   Lacan.
"Mais Lacan, s'il est parfois difficile, n'est pas indigeste."


Oui, il y a une langue, et une recherche du "beau langage" (c'est parfois pédant, souvent "lourdingue") que j'apprécie vraiment chez Lacan - à mon sens, c'est un pur esthète avant que d'être un psychanalyste. Mais est-ce suffisant pour nous faire oublier que tout le discours lacanien n'est jamais qu'une grandiose fumisterie ? - mais quelle fumisterie !...
D'accord avec Bernard: l'Etre et le Néant, livre par endroits agréable à lire , n'est pas dénué d'humour; on y sent le jeune Sartre, alors un tantinet carriériste, tenter par les moyens du bord "d'accrocher" et parfois même de séduire le lecteur. Ce livre n'est pas un complet rattage, ne serait-ce parce qu'il donne envie, par exemple, de lire Kierkegaard.

C'est la Critique de la Raison Dialectique, duquel on se demande comment Raymond Aron a pu le lire jusqu'au bout et même le commenter (voir l'entretien de ce dernier avec Michel Foucault mis en référence ici dans un autre fil) qui est imbit... imbuvable, avec ses placards de notes et cet auto-enfermement dans l'incontournable obligation de passer par le marxisme pour se sentir exister; ouvrage d'une très grande inutilité et l'on a mal de songer à ce malheureux Sartre qui dit-on s'est adonné à la mescaline et à la consommation d'amphétamines pour tenter d'en arriver au bout - au bout de l'échec - la grâce salvatrice tenant au fait que le projet resta inachevée et qu'au bout de l'échec, par conséquent, il ne parvint pas tout à fait...

Sartre n'a jamais su avoir tort tout à fait jusqu'au bout, sa mauvaise foi demeurant chroniquement incomplète.
» mais quelle fumisterie !

Vous avez une haute idée de la fumisterie. En tout cas, quand on préfère l'avoir lu que le lire, ou pire : pouvoir dire qu'on l'a lu, on n'y voit, en général, que de la fumée...
Je crois me souvenir que Bricmont et Sokal démontraient, pour ce qui est de Lacan, que l'utilisation que celui-ci faisait de la notion mathématique ou de topologie de "tore" et de tous autres les concepts (ou notions) de topologie relevait au mieux de la fumisterie poétisante, au pis, comme les oracles dans les anciennes religions, de la tromperie ou de l'abus de confiance.

Lacan a les apparences contre lui : un style un peu précieux, souvent obscur et incompréhensible, de belles formules, dont on se demande si elles ont un sens (l'inconscient est structuré comme un langage, un discours qui ne serait pas du semblant), le pillage auquel il se livre et qui semble gratuit des dernières notions ou concepts mathématiques, etc. Dans les années 1980, des psys invitaient à Bologne chaque mois un membre français (ou européen) de l'école dite lacanienne (souvent, un chargé de cours à Paris VIII), pour y exposer une notion propre à la théorie de Lacan ou à la révision que Lacan faisait de la théorie freudienne. 4 h le samedi matin ou le samedi après-midi. L'institution où avaient lieu les séances de ce "séminaire" (l'inscription coûtait très cher) était déserte. De 30 à 40 psys y assistaient : visage grave, fermé, comme s'ils contemplaient leur espace intérieur, ils avalaient la parole (rigoureusement incompréhensible : j'ai suivi un séminaire pendant une heure) du conférencier, comme des croyants l'hostie. C'est une des expériences les plus désagréables que j'aie faites de fanatisme intellectuel.

De Lacan, je n'ai réussi à lire que des extraits de sa thèse de doctorat en médecine (publiés dans la livraison que la revue l'Arc a consacrée à Lacan au début des années 1970) : c'est la description du "cas Aimée", une paranoïaque érotomane qui écrivait beaucoup et assez bien; l'analyse qu'en fait Lacan, quand on la lit en amateur, est claire et plate et elle semble insignifiante.

Or, il se trouve que j'ai eu pendant quelques années pour collègue un maoïste ou ex-mao, pur et dur, de la GP, qui avait suivi les séminaires de Lacan à l'ENS et qui était capable d'exposer l'essentiel de la théorie clairement (le travail de l'inconscient se fait, non pas avec des contenus, du sens, des signifiés, mais avec ou sur des signifiants, des formes, des structures, et que tout signifiant peut valoir pour tout autre signifiant ou qu'un signifiant en cache toujours un autre et même beaucoup d'autres : des chaînes de signifiants). et surtout de rendre compte de textes ou de faits de langue en recourant aux concepts lacaniens : c'était subtil et parfois lumineux. C'est pourquoi j'éprouve toujours quelque scrupule à me gausser (ce qui serait ma pente) de Lacan.

Il reste une énigme. Lacan, qui avait conservé, semble-t-il, de la sympathie pour les royalistes et "l'extrême droite", aurait dû être étiqueté, suivant les règles verbales de l'après-guerre, "affreux réac" - comme Blanchot et Pichon (celui du Damourette et Pichon). Non seulement cela ne lui a jamais été opposé ou reproché, mais il a été perçu comme un subversif ou un révolutionnaire et il était tenu par les maos ou par les intellos de l'ultra gauche comme un maître à penser. Comprenne qui pourra.
Cher JGL, après avoir eu une excellente introduction à l'œuvre de Lacan à l'Université de Louvain (maintenant Leuven), où Alphonse De Waelhens, Jacques Schotte et Antoine Vergote l'avaient intégrée à leurs enseignements, j'ai suivi, moi aussi, pendant longtemps, les séminaires de l'école lacanienne à Bruxelles et partiellement à Paris. Je crois pouvoir dire que j'en suis parti pour les raisons que vous évoquez : cela tournait à la secte religieuse, avec, même, les travers auxquels vous faites allusion – l'aspect rémunérateur des soi-disant gourous. Ne parlons pas des luttes fratricides. Sans vouloir être à mon tour héraclitéen, je dirais que tout cela n'a rien, et à tout, à voir avec Lacan.

Lacan est autant un philosophe qu'un psychanalyste. Lorsqu'une théorie s'attache aux fondements même de l'esprit, et qu'il est, par la psychanalyse, associé à une pratique (au sens même de la Raison pratique), comment éviter ces dérives ? Lacan en jouait, s'en amusait beaucoup, avec, parfois un peu de mépris pour les gogos. Il était aussi un grand comédien, et jouait au mage. Il y avait chez lui un aspect "Dali", sinon dadaïste, non dissimulé, mais que beaucoup ne voulaient pas voir.

Puisque l'on parle beaucoup de mai 68, souvenons-nous de sa prophétie, au cœur des événements : « vous cherchez un maître, vous l'aurez ! »

L'on posait la question à un gourou indien : que pensez-vous de ces faux prophètes, qui hantent les lieux de pèlerinage, recrutent des adeptes, ouvrent des "ashrams" très rentables, etc. Réponse du gourou : « s'ils n'étaient pas là, où se cacherait-on ? »

Quant à Sokal et compagnie, accordez-moi que le canular est plutôt de leur côté. Prendre les formules d'apparence mathématique de Lacan, ou ses modèles topologiques, comme argent comptant révèle soit une énorme naïveté, soit une grande malhonnêteté intellectuelle, soit un sens du marketing éditorial sans scrupule.
Utilisateur anonyme
04 mars 2008, 10:25   Freud/Lacan.
Retour à Freud, pour un peu mieux cerner Lacan.

Tout comme Freud Lacan fut avant tout un créateur de notions, mais Lacan n'a pas eu la même descendance que Freud. Autant la création freudienne a été l'occasion en tous sens de créations très diverses, autant la création lacanienne, tout aussi authentique, tout aussi foisonnante de culture, a davantage donnée lieu à des répétitions, des actes thuriféraires ou, au contraire, de simples calomnies sans grand intérêt. On peut dire que Lacan se tenait sur un ligne de crête, avançant leçon après leçon, mais si inventif fut-il lui-même, il fut le seul à pouvoir faire ses inventions, avec des aides de philosophes en particulier, mais sans réelle filiation.
Utilisateur anonyme
04 mars 2008, 10:27   Re : Mai 68 : une légitimation des "limites".
(Message supprimé à la demande de son auteur)
04 mars 2008, 11:03   Re : Freud/Lacan.
» cerner Lacan

Vous en avez de bonnes ! (Ici une binette sympathique.)

Je voudrais encore ajouter, pour en finir avec les accusations de mystification, que l'on voudrait pouvoir (à des fins sans doute utilitaires) ouvrir Lacan à n'importe quelle page, et tout comprendre comme s'il s'agissait d'un chapitre des Trois Mousquetaires. Et encore, là, il vaut mieux avoir lu les chapitres précédents, ce dont on voudrait pouvoir se passer, apparemment, lorsqu'il s'agit de Lacan. Je ne voudrais pas avoir l'air de crâner, mais Lacan m'a donné et me donne encore beaucoup de plaisir. On fait ce qu'on peut.
Utilisateur anonyme
04 mars 2008, 12:12   La matelas
Finalement, personne ne sort de son Lacan-t-à-soi.
04 mars 2008, 12:38   Re : La matelas
... dit-il à la cantonade...
04 mars 2008, 16:08   La matelas
Je l'ai vu récemment dans un film anglais sur la reine Élisabeth. Il y tenait le rôle de M. de Foix, gentilhomme de l'entourage du duc d'Alençon.
Utilisateur anonyme
04 mars 2008, 17:50   Re : Mai 68 : une légitimation des "limites".
"Lacan en jouait, s'en amusait beaucoup, avec, parfois un peu de mépris pour les gogos. Il était aussi un grand comédien, et jouait au mage. Il y avait chez lui un aspect "Dali", sinon dadaïste, non dissimulé, mais que beaucoup ne voulaient pas voir."

Pour illustrer les propos de M. Lombart qui me semblent particulièrement pertinents, voici un extrait d'[url=
]une conférence[/url] donnée par Lacan à l'Université de Louvain en 1972.

Je signale aussi, à propos des rapports entre Lacan et le mouvement étudiant de 68, [url=http://aejcpp.free.fr/lacan/1969-12-03.htm]cette transcription[/url] d'un échange hilarant entre Lacan et des étudiants de l'Université de Vincennes en 1969. C'est à cette occasion que Lacan a prononcé la fameuse sentence : [b]"Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un Maître. Vous l’aurez."[/b]
J'étais à cette conférence de Lacan, à Louvain, en 1972, évidemment !
Le plus drôle était peut-être la saynète suivante : Lacan s'adresse à un auditoire bondé ; tellement bondé que deux rangées d'étudiants avaient trouvé place sur l'estrade, derrière lui. À un certain moment, Lacan en vient à parler « de ce qu'il est convenu... » (il se tourne d'un quart de tour) « ... d'appeler » (il parle maintenant aux étudiants derrière lui, presque à voix basse, mais le micro compense) « ... la com-muni-cation ». (Rires.)
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