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Le bonnet s'est resserré sur ses tempes

Envoyé par Thomas Rhotomago 
« « Gill, caricaturiste mordant et très populaire du Second Empire, avait renoncé à s’engager dans le mouvement insurrectionnel de 1871. Le calme revenu, considérant son rôle d’opposant comme révolu, il se consacre à la peinture. La perte d’un enfant, la frustration de voir son tableau Le Fou mal exposé au Salon déterminent plusieurs épisodes délirants qui l’envoient à l’asile. Il mourra à Charenton en 1885.
[Voici comment Jules Vallès interprète ce destin (les découpages dans la citation sont de l’auteur de l’essai) :]

« S’il pouvait, ce décapité qui fut mon ami, s’il pouvait, quoi qu’en aient dit les médecins, retrouver la raison, je lui conterais comment, malgré la douleur et la misère, on ne devient pas fou – tandis qu’on peut perdre la tête dans le bonheur et la gloire ! […]
En tout cas, bourreaux ou victimes, tous ceux qui vivent des sensations de la place publique, ceux-là durent longtemps, gardent le cerveau frais, l’esprit ferme, qu’ils s’appellent Dufaure ou Blanqui, Senard ou Raspail. – La fièvre de la lutte les tient debout et droits jusqu’à ce qu’ils s’écroulent comme des arbres ou qu’on les tue ; les coups de lance qu’on leur porte les clouent à la vie au lieu de les pousser dans la mort.
[…] Il faut prendre parti. Il ne le voulut pas, il repoussa tous les képis et se contenta de coiffer le bonnet de l’artiste. Le bonnet s’est resserré sur ses tempes et est devenu la coiffure d’un galérien de Sainte-Anne ! » »

In L’homme qui se prenait pour Napoléon de Laure Murat (2011)
10 janvier 2012, 15:42   Direction Cinémonde
« Je note, dans la seule année de 1871, l’ouverture de sept salles de spectacles nouvelles et de trois salles de bal. Un théâtre, celui de la Porte-Saint-Martin, a été incendié pendant la Commune. De ses ruines fumantes, on en relève deux. […]
Les mascarades recommencent. L’opposition s’était moquée des cortèges exotiques du second empire, des réceptions de la reine de Madagascar, de ses cavaliers hovas, des ambassadeurs nègres d’Haïti. La France républicaine, malgré la protestation de Hugo, qui ne veut pas qu’elle montre son armée avant qu’elle ne soit réhabilitée par une victoire, se précipite au cortège du Shah de Perse qu’elle acclame et lui fait le sacrifice de sa fête nationale. Le 15 août n’est plus de saison. On décide que les lampions s’allumeront le 30 juin, bonne précaution pour les empêcher de renaître au 14 juillet, comme si la prise de la Bastille était rayée de l’histoire, ce qui fait murmurer : « Ah ! que la république était belle sous l’empire ! » et Rimbaud de s’écrier :

Société tout est rétabli ! Les orgies
Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars.


[…]
La peinture n’accapare plus seule l’attention. On en discute encore, mais avec moins de fureur. […] A l’aristocratie des peintres a succédé l’aristocratie des gens de théâtre.
C’est un monde neuf, tout frais promu à l’exercice de ses droits civiques, et qui se rue à l’existence avec d’autant plus de force qu’il fut longtemps comprimé. La révolution avait affranchi les comédiens de la servitude, du bon plaisir, des grands seigneurs, de l’excommunication et du For-l’Evêque, mais il avait fallu cette suite ininterrompue de talents […] pour faire tomber les dernières préventions, et créer autour de la rampe un mouvement d’attention sympathique dont leurs successeurs de l’heure présente vont recueillir les fruits. Le monde officiel leur ouvre ses portes. Gambetta ne rougit pas du commerce des frères Coquelin. Sarah Bernhardt s’honore d’hommages princiers. Ce sont les idoles du jour. La presse les encense. C’est à eux que les poètes vont demander l’investiture. Seul, ce qui touche au théâtre importe. Sarcey lui doit d’être considéré comme le grand critique national ; mais si le monde du théâtre a ses vertus, il a ses défauts. Le théâtre vit de réclame et de bruit. La vanité s’exaspère. Il répand le goût des applaudissements immédiats et des succès faciles. Les comédiens en arrivent à exiger des rôles sur mesure. Ils accaparent. On ne va plus écouter un auteur, mais applaudir une étoile. Et du théâtre le cabotinage passe aux lettres. »

Ernest Raynaud - La Bohème sous le second empire – Charles Cros et Nina (1930)
Le Lapin à Gill :
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