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Avec Agésilas, hélas.

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
30 janvier 2012, 17:51   Avec Agésilas, hélas.
"La voix et l'ombre" M. Richard Millet

Il y a assez peu de substance dans cet ouvrage et il la bat tant qu'il en fait de la crème fouettée.

M. Millet longtemps menacé par une certaine enflure de style me semble y avoir définitivement succombé. Quelqu'un aurait-il lu "La fiancée libanaise" et m'en donner quelque idée?
30 janvier 2012, 20:19   Re : Avec Agésilas, hélas.
Cher Brunetto,

Qu'avez-vous lu de Millet ?

Allez télécharger i c i l'enregistrement d'une conférence donnée par Richard Millet à la revue Les Epées.
Utilisateur anonyme
30 janvier 2012, 22:01   Re : Avec Agésilas, hélas.
Cher Rogemi,

J'ai lu :

Arguments d'un désespoir contemporain,
Fatigue du sens,
Désenchantement de la littérature,
La voix et l'ombre
Lauve le pur.

Je vous remercie du lien.

Pourriez-vous me dire ce qu'il vous semble vraiment digne d'être lu chez Millet?

Les Epées n'ont-elle pas cessé de paraître?
30 janvier 2012, 22:50   Re : Avec Agésilas, hélas.
Les Epées apparemment ont re-démarré mais la conférence de Millet date de 2008.
31 janvier 2012, 10:07   Re : Avec Agésilas, hélas.
Je partage, caro Brunetto, votre jugement sur Richard Millet. Tant qu'il eut conscience de ses talents comme de ses limites, il fut un écrivain très estimable. Depuis qu'il a pris la pose du Dernier Grand Ecrivain Occidental (ou du dernier grand écrivain blanc, catholique et hétérosexuel), il se ridiculise.
L'enflure de sa prose surpasse celle du jeune M. Defalvard, ce qui n'est pas peu dire !
31 janvier 2012, 10:23   Re : Avec Agésilas, hélas.
Citation
Pourriez-vous me dire ce qu'il vous semble vraiment digne d'être lu chez Millet?

Millet est très inégal et tout n'est pas vraiment recommandable. Le livre qui m'a le plus séduit c'est L'opprobre. Pour le reste c'est une question de goût. Je suis en train de lire la "Fiancée libanaise" mais je n'accroche pas. Cependant pour être honnête il faut bien dire que mon esprit en ce moment vagabonde vers d'autres horizons.

Par contre je trouve le jugement de Kiran excessif et même déplacé. L'oeuvre de Millet n'a pas l'ossature et la qualité de celle de R. Camus mais dans le désert littéraire actuel il ne démérite pas et je dirais même qu'il est indispensable.
"L'enflure de sa prose surpasse celle du jeune M. Defalvard, ce qui n'est pas peu dire !"

Quant à ce parallèle, on pourrait dire qu'il est préférable (et presque la moindre des choses) de commencer par l'enflure que de se laisser gagner par elle, c'est-à-dire aller du plus vers le moins plutôt que l'inverse. Defalvard, s'il poursuit et produit une oeuvre, ne peut aller que vers l'élagage, quand Millet se laisse envahir.

Il est probable que si son éditeur n'avait pas flairé une occasion de mettre en avant un "phénomène", le roman de Defalvard serait resté dans les tiroirs, au titre, précisément, d'oeuvre de jeunesse. De même, si Millet, aujourd'hui, à son âge, avait proposé comme premier roman La fiancée libanaise, je doute s'il eût trouvé un éditeur.
31 janvier 2012, 12:56   Re : Avec Agésilas, hélas.
Orimont, je suis tout à fait d'accord avec vous.
31 janvier 2012, 15:08   Re : Avec Agésilas, hélas.
Moi aussi.
Permettez-moi d'ajouter que l'éditeur Grasset a sans doute pensé avant tout à ses propres intérêts à court terme plutôt qu'à ceux d'un futur auteur en publiant une si flagrante oeuvre de jeunesse, plus difficile à faire oublier qu'un recueil de poèmes. Quelle tournure eût prise l'oeuvre de Flaubert si Novembre avait été publié en fanfare ?
01 février 2012, 11:19   Re : Avec Agésilas, hélas.
Encore une fois, tout à fait d'accord.
Et pensez : si Novembre avait reçu un ou plusieurs prix littéraires, si le jeune Gustave avait été applaudi dans les salons, fêté par les Académciens, si on lui avait offert une place dans un journal, etc. Toute l'oeuvre majeure de Flaubert a été écrite contre ce qu'il était à dix-huit ans. J'espère que notre ami MD saura, dans ses prochains livres, écrire contre lui et être assez fort pour faire la sourde oreille aux câlineries de ses éditeurs.

Sur Richard Millet, d'accord là aussi. Hélas.
01 février 2012, 23:23   Re : Avec Agésilas, hélas.
Et pourquoi estimez-vous que l'élagage serait préférable à l'enflure ? Ne peut-il y avoir de belles enflures, flottant aussi légèrement dans leur élément qu'une danse dans le sien, pour paraphraser Musil ?
De toute façon, la seule devise qui semble valoir, c'est "ça passe ou ça casse" ; je ne crois pas que quiconque ait jamais été en mesure de justifier soigneusement, par mesures de précaution préalables et consciencieusement appliquées, la beauté ou plus modestement la réussite qu'il a été en mesure de produire. Même si ça casse, d'ailleurs, il peut y avoir de beaux débris, de somptueux éboulis...
Utilisateur anonyme
02 février 2012, 00:38   Bouton sur la langue
Il se pourrait bien que l'enflure du style résulte d'une réaction allergique à la rusticité de la langue de l'époque. Si je me souviens bien, Defalvard, lorsqu'il était invité chez M. Field, comparait son livre à une boule de mots... Une boule, une enflure donc, une ampoule, une tuméfaction.
02 février 2012, 00:47   Re : Bouton sur la langue
Ah, c'est l'écume aux lèvres....
02 février 2012, 08:28   Re : Avec Agésilas, hélas.
Citation
Alain Eytan
Et pourquoi estimez-vous que l'élagage serait préférable à l'enflure ? Ne peut-il y avoir de belles enflures, flottant aussi légèrement dans leur élément qu'une danse dans le sien, pour paraphraser Musil ?
De toute façon, la seule devise qui semble valoir, c'est "ça passe ou ça casse" ; je ne crois pas que quiconque ait jamais été en mesure de justifier soigneusement, par mesures de précaution préalables et consciencieusement appliquées, la beauté ou plus modestement la réussite qu'il a été en mesure de produire. Même si ça casse, d'ailleurs, il peut y avoir de beaux débris, de somptueux éboulis...

Vous avez raison : Claudel, Audiberti, Ghelderode en sont la preuve. Avec M. Defalvard, pour moi, ça a cassé très vite.
02 février 2012, 09:39   Re : Avec Agésilas, hélas.
Citation
de somptueux éboulis...

Großartig !
02 février 2012, 09:49   Re : Avec Agésilas, hélas.
L'enflure est facile, elle est naturelle. Un concours d'enflure serait facile à organiser, les concurrents n'auraient qu'à se laisser aller à produire de grosses pièces montées dégoulinantes de caramel adjectival antéposé, dans des phrases à incises en quinquonces, n'importe quel apprenti marmiton en est capable. Le lauréat aurait fait la plus fleurie. On lui remettrait un gros oeuf en chocolat noué d'une faveur dorée. La technique n'y entrerait pour aucune part. Il y a des machines textuelles à enfler, comme il est des programmes d'écriture amphigourique, que l'on avait expérimentés ici même il y a quelques années (chercher le mot clé "amphigoureur", si ce jeu n'a pas eu lieu sur l'ancien forum, on devrait pouvoir le retrouver).

L'élagage en revanche réclame une sacrée technique, ce qui peut expliquer que seuls les grands artistes (en arts plastiques aussi, comme en cuisine) y parviennent sur leurs vieux jours.
02 février 2012, 10:58   Re : Avec Agésilas, hélas.
ART POÉTIQUE.



De la Musique avant toute chose !
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air
Sans rien en lui qui pèse et qui pose.

Il faut aussi que tu n'ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'Indécis au Précis se joint.

C'est des beaux yeux derrière des voiles,
C'est le grand jour tremblant de midi ;
C'est, par un ciel d'automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !

Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la Nuance !
Oh ! la Nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !

Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L'Esprit cruel et le Rire impur
Qui font pleurer les yeux de l'Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !

Prends l'Éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d'énergie
De rendre un peu la Rime assagie ;
Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où ?

Oh ! qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d'un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime.

De la Musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée
Vers d'autres cieux à d'autres amours !

Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym !...
Et tout le reste est littérature.

Paul Verlaine
02 février 2012, 12:31   Re : Avec Agésilas, hélas.
"Ne peut-il y avoir de belles enflures, flottant aussi légèrement dans leur élément qu'une danse dans le sien, pour paraphraser Musil ?"

Ah mais bien sûr ! D'ailleurs, j'ai écrit dans le fil "Un entretien étonnant" que le roman de Deflavard m'avait comme envoûté et fait retrouvé un certain type de lecture de jeunesse, comme il y a des oeuvres de jeunesse. Du reste, Defalvard lui-même semble mesurer - non sans quelque complaisance - les limites de son style et celles de la littérature en général :

"Je n'ai jamais autant lu qu'alors. Les volumes s'empilaient avec des couleurs affreuses, beigeâtre, marron, brun, les mêmes que je retrouvais dans les gâteaux secs, dans l'agonie du ciel, dans... Ce que je cherchais, c'était un mode d'emploi, et j'avais bien compris que la littérature n'était pas un mode d'emploi. La littérature, c'étaient des gens qui avaient essayé de monter la machine, qui n'y étaient pas parvenus, et qui venaient enquiquiner le service après-vente ; l'un se plaignait de tel boulon, l'autre des instructions, l'autre de la garantie, et le dernier, derrière, avec la moustache, du prix des réparations. En aucun cas ils ne nous expliquaient comment monter la machine : ils ne savaient pas, personne ne savait."

Et, dans les dernières pages du livre :

"Je rendais ma copie, un peu déçu. Il y avait des passages brillants qui tournaient à vide. Pas mal de remplissage. D'incompréhensibles oublis. Pourtant je connaissais ma leçon. Un début rimé, quelques gentils versets, des sonnets d'amour, une longue prose gluante, la page blanche pour finir : sa paresse, son dédain."

On peut lever les yeux au ciel, à lire ces citations. Affaire de goût, de sensibilité. Il en va de même pour la musique, je crois. Je pourrais volontiers me rendre à l'opinion avisée d'un musicien qui, dans le panthéon des compositeurs, refuserait de placer Verdi au-dessus de Wagner, par exemple, et, cependant, je n'en continuerais pas moins à être immédiatement plus transporté aux accents du Trouvère qu'à ceux de Lohengrin.
03 février 2012, 21:57   Re : Avec Agésilas, hélas.
C'est que l'exhortation de Kiran à se tenir dans les sages limites consenties des régimes maigres et de l'estimable fonctionnalité d'impeccables phrases tendues comme des courroies de transmission m'avait paru relever un peu du correctly writing, sorte de pendant esthétique au politically correct... On peut, peut-être le doit-on ? vouloir porter les anneaux de Saturne en sautoir sur la poitrine ; tant pis pour le ridicule.


» L'enflure est facile, elle est naturelle

Bien sûr Francis, mais là nous ne parlons pas d'apprentis marmitons, mais d'écrivains, de ces sortes de gens qui n'ont que les mots à la bouche, et dont le premier mouvement est au contraire, me semble-t-il, de contrôler, de formaliser, de cadencer et de différencier, bref de rendre présentable une inquiétante matière qui pourrait sinon, God forbid, érupter en d'insortables flatulences.
Tout artiste ne fait-il en premier que donner ou rendre forme ? Son mouvement le plus spontané est d'élaguer. Un semblant de naturel retrouvé et la bonne conscience rendue à la facilité, cela ne vient-il pas après ?
Ne peut-on dire que Millet est pléthorique ?
04 février 2012, 01:48   Re : Avec Agésilas, hélas.
Après tout peut-être, cher Alain, il y a mille façons de s'endimancher et il est possible que tout ça ne soit en dernier ressort qu'affaire de goût personnel, ou d'appétit du moment. Je ne peux pas dire que je ne goûte pas la langue de M. Flavard, à minuscules doses, seulement que je m'en voudrais d'écrire comme lui, je ne me l'autoriserait pas; je n'envie pas cette écriture, alors même qu'en matière d'écriture je suis un grand envieux. Mais je ne doute pas que cet auteur ait les moyens d'écrire contre lui et qu'il saura le montrer l'heure venue.
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