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Religere ou religare ?

Envoyé par Quentin Dolet 
12 septembre 2008, 23:27   Religere ou religare ?
Il est un sujet d'étymologie que j'aimerais soumettre à l'assemblée et qui concerne l'origine du mot "religion".

Une seule et même hypothèse semble s'imposer partout : "religion" proviendrait du latin "religare", qui signifie "relier". Cette hypothèse, d'ailleurs, n'est pas sans intérêt pour les propagandistes d'un christianisme traditionnel, je dirais : de soumission, d'obéissance, d'oecuménisme.

J'ai lu cependant que Jung voyait dans cette hypothèse étymologique un contresens, et que le terme latin religere était davantage susceptible de correspondre à la généalogie véritable de l'expérience religieuse. Religere exprime "une prise en considération soigneuse, une observation en conscience" du numen (l'élément transcendantal, selon Rudolf Otto).

En ce sens, l'attitude religieuse sortirait de l'imaginaire pour s'enrichir d'une signification d'approche rationnelle et d'évaluation (privilégiée par Jung).

Quelque Docteur de l'In-nocence peut-il nous apporter ses lumières sur ce problème... crucial ?
13 septembre 2008, 00:10   Re : Religere ou religare ?
Le terme fait l'objet d'une entrée spécifique dans le Vocabulaire des institutions indo-européennes de Benveniste (T. 2, p. 267-272.) Pour lui, aucun doute, le terme se rapporte à legere, non à ligare. Il faut lire, bien entendu, son argumentation, passionnante.

« Il n'est pas fortuit que ce soit seulement chez les écrivains chrétiens qu'apparaît l'explication de religio par religare » (p. 272).
13 septembre 2008, 00:36   Re : Religere ou religare ?
« Il n'est pas fortuit que ce soit seulement chez les écrivains chrétiens qu'apparaît l'explication de religio par religare »

Merci Cher Bernard, voilà qui est extrêmement intéressant. Je vais essayer de lire ces pages.

Depuis que j'ai lu cette mise au point de Jung, le recours systématique à l'étymologie dès qu'il est question de religion (dès qu'elle "fait l'actualité" ou "fait débat") me semble en effet signifier quelquechose.
Utilisateur anonyme
13 septembre 2008, 01:06   Re : Religere ou religare ?
"Nous sommes livrés, comme des primitifs, à un monde ténébreux et à ses virtualités imprévisibles. C'est pourquoi nous avons besoin de la religion, c.a.d. d'accorder une attention scrupuleuse à ce qui nous arrive ("religio" vient de "religere" et non de "religare"), et de moins ratiociner et surestimer la rationalité de l'intellect."

C. G. Jung, lettre à Piero Cogo, 21 septembre 1955.
13 septembre 2008, 12:40   Religion
Cela dépend, à mon avis, de ce qu'on veut dire par "religion" :

- soit c'est l'observance stricte d'un ensemble de rites codifiés, sens romain ;
- soit c'est le sens que nous donnons actuellement au terme.
14 septembre 2008, 10:05   Re : Religere ou religare ?
L'étymologie du mot ne dit pas tout de la chose. Votre question m'a fait ouvrir le Dictionnaire des religions édité sous la direction du Cardinal Poupard, et l'article propose une histoire intéressante du mot, né dans la Rome républicaine au sens de scrupule, et au pluriel, au sens de rites. Pendant les crises finales de la République romaine, apparaît un éloge de l'état d'esprit que l'on appelle la religio, et dont les arguments marqueront toute l'histoire occidentale, dit l'auteur (Michel Despland).

Selon Cicéron, religio est le respect que ressent l'individu au plus profond de lui devant tout être qui en est digne, divin en particulier. Mais Enée, qui est le modèle du respect filial, est appelé pius parce qu'il s'occupe de son père. Ce respect se manifeste par l'attention scrupuleuse à adopter une conduite rituelle appropriée.

Pour Lucrèce, contemporain de Cicéron, religio est un système de menaces et de promesses qui cultive et développe le fonds craintif de l'humain, qui écrase l'homme et contre lequel un être noble doit se révolter, au nom du respect qu'il se doit et en se servant de la science et de la philosophie. L'auteur de l'article signale que Cicéron et Lucrèce ne donnent pas à religio le même sens, car, pour aller vite, on ne trouve nulle idée de crainte dans la réflexion cicéronienne.

Un cours que j'ai suivi il y a des années, fondé sur un certain nombre de sources talmudiques et post-talmudiques, soulignait que dans l'aire spirituelle biblique, la religion n'existe pas. Dieu ayant trouvé Israël esclave en Egypte, il le rachète pour son propre service : le même mot sert à désigner l'esclave du Pharaon et le serviteur de Dieu (que ce soit le même mot dans une langue sémitique est d'une autre conséquence qu'une étymologie dans une langue indo-européenne), et ce n'est pas une petite chose que ce renversement sémantique opéré par le texte hébreu sur le mot eved, esclave, bien résumé dans le commentaire traditionnel donné de Josué I-1, sur la formule "Moïse, esclave/serviteur de Dieu". En d'autres termes, de même qu'il n'y a aucune limite légale aux devoirs de l'esclave, aucune limite n'existe à ceux du Juif serviteur de Dieu. Sa vie entière est "religion", il n'est rien qui ne soit "religieux" dans les moindres détails de son existence, nul besoin de mot pour désigner cela. Significativement, c'est au moment où le mouvement sioniste sécularisa l'existence juive que le mot religion apparut en hébreu moderne, dat, comme modalité particulière de l'être au milieu d'une société laïque. Ainsi, le lien qui est peut-être présent dans l'étymologie latine a-t-il disparu et religieux signifie-t-il séparé des autres, menant une existence distincte. Cette potentialité existait déjà dans l'univers de la Tora, d'ailleurs.

Les premiers chrétiens avaient hérité de cette conception juive totale du service divin, et ne pouvaient que se heurter aux autres conceptions en cours dans l'Empire romain, qui d'ailleurs donna à leur foi le nom de religio illicita. Ils adoptèrent le mot religio, jusqu'à ce que les édits de 313 et 392 fassent du christianisme la religion de l'Empire, à savoir : l'ordre public maintenu par l'Empereur (sens cicéronien), qui instaure sur terre la législation voulue par Dieu (sens mosaïque), dans le but de sauver les âmes de la damnation (la notion de crainte et de salut discutée par Lucrèce revient ici).

Ceci prévaut pendant toute la durée de l'Empire romain, à savoir, il faut le rappeler, jusqu'en 1453, et même en Russie jusqu'en 1917, dans une certaine mesure. En Occident catholique romain, religion ne désigne plus au Moyen-Age que les ordres monastiques, car ils incarnent l'appel d'un idéal exigeant. L'article que je résume souligne que tout le Moyen-Age est l'histoire de la démocratisation de cet idéal, à travers les voeux des laïcs (tiers-ordres, croisades), la naissance d'une piété personnelle, la devotio moderna, les béguinages... Religieux devient un titre envié que l'on s'efforce de conquérir par son comportement. La Renaissance voit apparaître la conscience de la religion comme systèmes cohérents et distincts les uns des autres, de croyances, de rites et de pratiques ; les guerres entre catholiques et protestants, ou les controverses entre Juifs convertis de force et catholiques, font apparaître le relativisme, qui justifie cette définition de Durckheim donnée en début d'article: " Une religion est un système solidaire de croyances et de pratqiues relatives à des choses sacrées. "

Marie-Françoise Baslez a écrit un livre intéressant, Les persécutions dans l'Antiquité, où elle analyse en termes juridiques et d'histoire des mentalités l'apparition de ce concept, à Athènes et à Rome.
14 septembre 2008, 14:20   Re : Religere ou religare ?
Merci beaucoup Docteur Henri pour ces précieux renseignements.

Le Trésor de la langue française indique, dans la partie consacrée à l'étymologie du mot religion :

"Empr. au lat. religio « attention scrupuleuse; conscience »; spéc. « scrupule religieux, sentiment religieux, crainte pieuse; vénération, pratique religieuse, culte; croyance religieuse, religion » et « caractère sacré; engagement sacré; chose sainte, objet sacré".

En somme le problème de savoir ce que signifie, à l'origine (quelle origine ?), le mot religion est complexe.
C'est pourquoi le recours systématique à l'équation religion = lien ou relier (religare) est simpliste (mais bien pratique pour certains).
14 septembre 2008, 17:35   Re : Religere ou religare ?
L'explication que j'ai souvent entendu exposer pour ce qui est (ou ce qui serait) du sens vrai du lien qui justifierait ou nourrirait le concept de religion est la très immanente explication sociologique : le lien serait un lien entre les hommes, il aiderait à faire société ou il ferait société, etc. la religion étant ce qui relie les hommes, etc. (en fait, elle les sépare plus souvent qu'elle ne les unit).
Or, l'autre lien (le lien oublié et dont on ne parle guère et que nous a rappelé Henri Bès) est celui qui attache un individu à son Dieu - au point que le fidèle en devient le serviteur / esclave. "Entrer en religion", c'était bien cela. Ce lien est exprimé plus clairement en arabe (et dans l'arabe actuel encore) que dans les langues européennes ou même en latin par le mot "abd", serviteur ou esclave, qui sert à former des noms (prénoms) : abdallah (abd allah), abdedlwahad (abd el wahed : serviteur / esclave de l'Unique), abdalhaq (abd el haq : serviteur / esclave de la Vérité (ou de la Justice ?) celui qui dit le Vrai), abdenour (abd el nour : esclave / serviteur de la Lumière), etc. Dans les pays arabes, les serviteurs noirs (esclaves ou anciens esclaves ou descendants d'esclaves) sont ou étaient très souvent nommés Abdou : serviteur / esclave.
Religare a-t-il jamais signifié "réunion de démons" ?
01 juillet 2018, 13:57   Re : Religere ou religare ?
"Réunion de démons".

J'ose espérer qu'il ne s'agit pas là d'une charge morale à peine voilée, M. Pamphile, qui viendrait doubler la vile attaque internétique qui vient de nous frapper.
01 juillet 2018, 17:52   Re : Religere ou religare ?
01 juillet 2018, 17:55   Re : Religere ou religare ?
Test 2.
Attention. Je constate que la page est ouverte à tous. Je ne suis pas inscrit et peux commenter.
01 juillet 2018, 18:08   Re : Religere ou religare ?
Des messages menaçants de M. Teste à présent.
01 juillet 2018, 18:17   Au choix test
"Messages menaçants" alors que je vous alerte, que je vous mets en garde contre un débarquement possible de parasites ?
01 juillet 2018, 18:18   Test 4
Alors débrouillez-vous !
03 juillet 2018, 17:30   Re : Test 4
Bravo pour ce bel effort de ressuscitation du site.
Mais enfin, qui est l'attaquant, ce vil nuisible ??
03 juillet 2018, 17:37   Dix ans après
« Significativement, c'est au moment où le mouvement sioniste sécularisa l'existence juive que le mot religion apparut en hébreu moderne, dat, comme modalité particulière de l'être au milieu d'une société laïque. »

À cela on peut ajouter que le mot dat est un emprunt de l'hébreu ancien au perse, mot dont la racine semble bien être "data" (selon le Wikipédia en hébreu (?)), et qu'il figure avec le sens de "loi", et surtout "loi régalienne" dans les livres d'Esther, de Daniel et d'Ezra. Il a conservé ce sens de loi dans la littérature rabbinique, avec l'accent donné toutefois sur la loi en un sens déjà plus strictement "religieux", comme "loi de Moïse".
Aussi la nécessité de traduire le mot de "religion" dans un contexte moderne en l'hébreu ressuscité a également coïncidé avec un véritable retour aux sources, si l'on peut dire, puisque charriant avec lui le sens originel du phénomène religieux monothéiste, juif en particulier : Loi donnée à Moïse, scellant l'alliance des hommes avec Dieu.
09 juillet 2018, 10:06   Re : Religere ou religare ?
Je me vois sorti des limbes informatiques par je ne sais quel étrange hasard !
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