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Belliqueuses humanités

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
04 mars 2008, 09:50   Belliqueuses humanités
Sur l'enfance de son père, Michel, Marguerite Yourcenar relate :

“La première lacune concerne l'école, le lycée ou le collège. Rien de tout cela ne l'intéressait. [...] Il avait gardé, très en gros, le souvenir des rivalités, des passe-droits et des astuces, des farces grossières, des jeux brutaux ou violents auxquels il excellait sans que l'envie lui soit venue plus tard de s'en vanter, au contraire; il se rappelait même sans plaisir ses succès de chef de bande. Pas un nom de professeur assez aimé, respecté, ou haï pour qu'on s'en souvienne; pas de maître à qui l'on sache gré d'avoir fait aborder ou d'avoir aidé à élucider une grande oeuvre; [...] Dans ce désert, deux souvenirs surnagent comme à titre d'échantillons. La violence d'abord : le jeune jésuite chargé de la classe de latin lit à haute voix les thèmes des élèves sur un ton de persiflage, pour faire rire. Michel en particulier, nouveau venu expulsé depuis peu par une institution laïque, sert de cible.

Voici, Messieurs, du latin de lycée.
Cela nous changera de votre latin de sacristie.

L'élève fonce sur sa copie et la lacère avec rage : des papillons qui ont été du Montalembert traduit dans la langue de Cicéron flottent au gré d'un courant d'air et se posent sur les pupitres. Le jeune maître croit faire cesser le chahut en envoyant chercher le supérieur, qui prendra des sanctions. Michel tira son couteau de poche. Le latiniste en soutane s'enfuit, relevant ses jupes qui battaient contre ses jambes maigres; des portes à intervalles réguliers divisaient le quadrangle; on l'entendait les ouvrir à la volée, puis les reclaquer derrière lui, ouvertes et reclaquées ensuite par le poursuivant et sa meute. Au bout du couloir béait la porte des lieux. La victime s'y précipita et poussa le verrou dans les rires et les huées. L'élève au couteau fut renvoyé le lendemain.”

Archives du Nord.
Cher Orimont,

Voulez-vous nous prouver que les illusions dans lesquelles nous nous bercons, sur un passé qui aurait été meilleur, sont vaines?
Utilisateur anonyme
04 mars 2008, 12:06   Re : Belliqueuses humanités
Non, cher Rogemi, je ne veux rien prouver du tout. Cette anecdote m'a amusé, voilà tout. Mais si je voulais prouver quelque chose, ce serait au bénéfice du passé. Ce qu'il a pu, à mes yeux, avoir de meilleur, ne tient pas pour moi à ses mœurs supposées plus "civilisées" mais, plutôt, à la présence assumée de la violence des rapports, à son éventualité, avec toutes ses conséquences, ses risques, sa prise en compte tempérée, la drôlerie qu'elle peut faire naître, etc (sono stanco).

Ce jeune Michel de Crayencour, aujourd'hui protagoniste de l'anecdote que raconte sa fille, qu'adviendrait-il de lui, dans nos sociétés où, paraît-il, la barbarie gagne du terrain ? Quel cinéma on en ferait !

"Dans ce désert, deux souvenirs surnagent comme à titre d'échantillons."
Je n'ai recopié que le premier mais le deuxième est peut-être, lui aussi, significatif. "D'abord la violence..." :

"Ensuite le désir. Dans une autre boîte, Michel, nul en algèbre, prend des leçons dans le bureau d'un jeune professeur en soutane. Ils sont côte à côte. Sous la table, le jeune prêtre pose doucement la main sur la jambe nue de l'élève, remonte un peu plus haut. L'air bouleversé du garçon lui fit cesser son jeu. Mais Michel n'oubliera jamais ce visage de supplication et de honte, cet air d'absorption et de quasi-douleur qui est celui du désir et du plaisir à demi accompli."

Auprès de quels réchauffeurs perpétuels de traumatismes se sentirait-il pratiquement obligé d'aller "en parler", aujourd'hui, ce jeune écolier ?
04 mars 2008, 16:02   Cellules psychologiques
Ah, très fort, les "réchauffeurs perpétuels de traumatisme"...
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