Le site du parti de l'In-nocence

Bon à savoir

Envoyé par Thomas Rhotomago 
02 août 2012, 14:44   Bon à savoir
"Pour bien manger une figue, prenez-en la queue de la main gauche. Fendez le fruit en quatre quartiers longitudinalement, de manière que les morceaux demeurent adhérents par leur extrémité inférieure. Détachez successivement, dans chaque quartier, la chair de la peau, au moyen d'un couteau, et humez avec les lèvres. On peut cependant se dispenser de ces règles quand on mange de toutes petites figues."

In Politesse et convenances ecclésiastiques par L. Branchereau, ancien supérieur du grand séminaire d'Orléans. (1899).
02 août 2012, 21:40   Sur les regards
Du même :

"Il convient que les yeux expriment la modestie, la bienveillance et la douceur. Abstenez-vous de les rouler continuellement dans leur orbite : cela vous donnerait un air farouche ; ou de les tenir grands ouverts, immobiles, fixés sur un objet : vous paraîtriez absorbé et distrait. Il faut éviter aussi ces clignements d'yeux qui ressentent la minauderie. Quand vous conversez avec quelque personne, ne tenez pas continuellement le regard fixé sur elle ; outre que ce serait peu modeste, vous sembleriez par là vouloir plonger jusque dans les plus intimes replis de son âme, pour lire ce qui s'y passe. Toutefois, ne tenez pas, en conversant, les yeux constamment baissés : vous auriez l'air guindé et embarrassé. Enfin, n'affectez pas de fuir la rencontre du regard de votre interlocuteur : cette manière d'agir pourrait vous faire soupçonner d'hypocrisie et de dissimulation. On se défie des gens qui ne vous regardent jamais en face."

(Il est cependant des cas, non prévus par l'auteur de cet ouvrage, avec raison, parce que trop particuliers, où un regard peut être volontairement soutenu par une personne dans les yeux d'une autre, non pour tenter de découvrir les secrets de son âme, mais à seule fin d'imprimer fortement dans le souvenir le visage de quelqu'un à qui l'on tient et que l'on est pas certain de revoir de sitôt. Il en résulte une sorte de photographie mentale, souvent bien plus efficace que celle produite avec un appareil.)
02 août 2012, 21:53   Re : Bon à savoir
Le marchiannisme gagne...
"A la pureté de l'élocution il faut joindre la correction qui concerne non plus le choix des mots, mais leur agencement dans la phrase.

Un solécisme n'est pas moins répréhensible qu'un barbarisme, et c'est à tort que quelques personnes, sous prétexte qu'il ne faut pas être puriste, croient pouvoir s'affranchir, en parlant, des règles qui les gênent, et se permettre des constructions rejetées par la grammaire.

Ne soyons pas puristes sans doute, c'est-à-dire évitons l'afféterie, le pédantisme et la recherche ; mais soyons corrects, soyons-le même jusqu'à la sévérité. En soi, une phrase irréprochable n'est pas plus prétentieuse, et ne dénote pas plus d'affectation qu'une phrase mal tournée. Il ne faut pas craindre d'être trop exigeant en cela ; car l'oubli des règles de grammaire, s'il devenait général, entraînerait infailliblement l'altération de la langue."

Op. Cit.
26 août 2012, 16:32   Re : Bon à savoir
"12° Notons, en dernier lieu, les règles qu'il faut observer par rapport au boire :

On ne boit pas et on n'offre pas à boire avant le potage ou pendant qu'on le mange.

Quand on veut boire, on peut se servir soi-même. Pour cela, vous prendrez le carafon ou la bouteille, non par la panse, comme plusieurs le font mal à propos, mais par le col (1). Vous ne manquerez pas de remettre le bouchon. D'abord ce bouchon a sa raison d'être, et puis en ne le remettant pas, vous pourriez sembler aux yeux de quelques convives malins exprimer trop clairement l'intention d'y revenir souvent.
N'oubliez pas de mettre de l'eau dans votre vin.

(1) Dans un repas auquel j'assistais, quelques convives offraient à boire, en prenant la bouteille par la panse. Un de mes voisins, qui avait puisé dans ses traditions de famille le sentiment de la vraie politesse, se pencha vers moi et me dit à l'oreille : "Il y a quarante ans, un homme de la société polie se serait cru insulté si on lui avait offert à boire de cette manière."

Op. Cit.
26 août 2012, 17:39   Re : Bon à savoir
Citation
Fendez le fruit en quatre quartiers longitudinalement, de manière que les morceaux demeurent adhérents par leur extrémité inférieure.

Quelle trouvaille. Un vrai régal.
26 août 2012, 23:33   Re : Bon à savoir
"Bien qu'exacte et correcte, la prononciation ne doit pas paraître affectée.

Il y a une prononciation propre à la chaire et au discours soutenu; il y en a une autre qui convient au parler familier de la conversation, dont le caractère est la simplicité et l'abandon. Celle-ci diffère de la première principalement dans les points suivants :

1° Elle permet d'élider beaucoup d'E muets, qu'il faut faire sentir dans le parler soutenu. En général, quand il y a plusieurs E muets de suite, on les élide de deux en deux : Que n'le r'cevez-vous ? Quand il ne s'en trouve qu'un seul, on ne le fait sentir en lui donnant le son eu que dans le cas où, sans cela, l'articulation de quelque consonne serait difficile. Ainsi, dans cette phrase : Sa demande est raisonnable, prononcez : Sa d'mande; mais dans cette autre phrase : Cette demande est raisonnable, prononcez Cett' deumande."

Op. Cit
26 août 2012, 23:55   Re : Bon à savoir
Schwa alors...
27 août 2012, 17:16   Re : Bon à savoir
"Il est généralement déplacé de désigner celui que l'on salue en le nommant. On ne dira donc pas : Bonjour Monsieur un tel. Dans quelques circonstances, néanmoins, il est bon de le faire. Ainsi les gens de la campagne sont d'ordinaire flattés de s'entendre appeler par leur nom. Peut-être serait-ce encore convenable, si on avait quelque motif de montrer à ceux qu'on salue qu'on n'ignore pas leur nom. Ce serait une manière délicate de leur faire plaisir."

Op. Cit.
27 août 2012, 17:28   Re : Bon à savoir
Peuchère, il ne veut pas qu'on appelle les gens Escartefigue, ce particulier ?
27 août 2012, 19:02   Innocence
Il a bien d'autres soucis :

"Nous ne pouvons, en parlant de la soutane, passer sous silence la délicate question de la queue.

Il résulte de plusieurs décisions de la Congrégation des Rites que les simples prêtres n’ont pas le droit de porter des soutanes traînantes. […] On sait que, depuis un certain nombre d’années, une pratique contraire s’est établie parmi nous. Il est devenu d’usage, pour les ecclésiastiques du second ordre, aussi bien que pour les évêques, de porter la queue. C’est un abus que rien ne justifie. […] Que serait-ce si nous insistions sur la diversité de forme et de longueur que ces queues présentent ? Il y en a de rondes et de pointues ; celles-ci s’allongent sans mesure ; celles-là, à peine ébauchées, semblent honteuses d’elles-mêmes et n’osent presque se montrer.

Ajoutez à tout cela l’embarras qu’occasionne dans une cérémonie, où prennent part un grand nombre d’officiers, cette multitudes de queues déployées, les désastres auxquels elles sont exposées, la gêne même qu’elles causent à ceux qui les portent. Plusieurs, pour éviter ces inconvénients, tiennent leur queue relevée. Mais d’abord rien de plus disgracieux ; et puis, si la queue ne s’abaisse jamais, à quoi bon cet ornement prétendu ?

Laissons donc aux évêques et aux prélats la majesté et l’ampleur de la soutane traînante, et contentons-nous par modestie, de la soutane ronde, de la vestis talaris que les canons prescrivent. Ainsi tout sera dans l’ordre."
28 août 2012, 00:23   Re : Innocence
Humour involontaire à part, la lecture de cet ouvrage donne à penser.


Par exemple :


"Disons en dernier lieu, que la politesse bien pratiquée contribue puissamment à maintenir dans la société, et cela sans froissement ni violence, la hiérarchie qui doit exister entre les membres qui la composent. Chose digne de remarque, un des traits caractéristiques des moeurs et des habitudes, à l'époque de nos crises révolutionnaires, a été la suppression des règles de la politesse dans les relations. C'était la conséquence de l'égalité prétendue que l'on voulait établir entre les hommes. La politesse, en effet, est comme l'expression et la manifestation des inégalités sociales. Au moyen des formules de langage et des procédés qu'elle prescrit, elle fait très simplement et pourtant très nettement le discernement des classes; elle met chacun à sa place, subordonne l'inférieur au supérieur, et devient ainsi pour la société un principe d'ordre et d'harmonie. Supprimez-la, bientôt à cet ordre et à cette harmonie succédera la confusion. C'est donc avec raison que les hommes sérieux ne voient pas sans regret les vieilles traditions de la politesse française s'altérer parmi nous, et croient découvrir dans le sans-gêne qui tend à s'y substituer un symptôme de mauvaise augure. Il es impossible qu'avec la politesse, le respect dont elle est l'expression ne disparaisse pas plus ou moins. Or, on sent assez quelle funeste atteinte le défaut de respect porterait à la subordination et à la dépendance, sans lesquelles nulle société ne peut vivre."

(Et en effet, à lire ce guide, on s'aperçoit assez vite que la source de la politesse est à trouver dans la juste appréhension de la hiérarchie. Tout l'art du savoir-vivre pourrait se résumer à la capacité de distinguer avec pertinence qui est l'inférieur, qui le supérieur et qui l'égal (ce que n'est pas capable de faire Odette ni Madame Verdurin, qui n'a pas l'habitude), dans toutes les occasions de rencontres avec ses semblables, lesquels précisément ne le sont pas, semblables, ou ne le sont que devant Dieu, c'est-à-dire en aucun cas dans la vie en société, sur terre, ici et maintenant.

Dans ce guide des convenances ecclésiastiques, on pourrait extraire des recommandations qui iraient comme un gant au projet in-nocent. L'ancien supérieur du grand séminaire d'Orléans ne cesse d'insister sur le souci de ne jamais nuire à autrui. Certains passages sont vraiment cool, si je peux me permettre cette incartade lexicale, et j'y souscris entièrement. Cependant, après y avoir souscrit, il faut bien que j'admette que ce qui est écrit est entièrement dépendant du respect de la-dite hiérarchie sociale et c'est beaucoup moins cool, tout à coup.

Serais-je certain d'être vraiment sûr de me ranger de bonne grâce à ce type d'usage que, d'un autre côté, je crois nécessaires :

"Quand on a pris des engagements avec une domestique, il est essentiel de lui tracer son programme, et de circonscrire d'une manière bien précise les limites de son département. Non seulement elle doit être rigoureusement exclue de tout ce qui, de près ou de loin, tient au gouvernement spirituel ou temporel de la paroisse; même en ce qui regarde le temporel du presbytère, il ne faut pas qu'elle ait un pouvoir sans borne et sans contrôle. Qu'en tout, elle sache et elle sente qu'elle n'est pas maîtresse.

En attendant que l'application des utopies socialistes ait mis tous les membres de la société humaine sur le pied d'une égalité parfaite, il importe que la distance qui sépare les maîtres des domestiques soit maintenue. Au presbytère, plus qu'ailleurs peut-être, cette distance pourrait être franchie [ah bon ?]; et cependant, on le sent assez, là surtout, elle est éminemment nécessaire.

En conséquence, le pasteur évitera, avec le plus grand soin, tout ce qui pourrait faire oublier à sa servante le rang inférieur qu'elle occupe par rapport à lui."

Il est possible que, sous un trait accentué, telles soient en effet les conditions mêmes de la politesse, ce qui, au fond, fait tout dépendre de "l'inférieur" et de sa bonne volonté à se voir désigné comme tel. L'histoire montre que tel n'a pas été le cas, pour le meilleur et pour le pire.

Autrement dit, le projet in-nocent envisage-t-il un usage de la politesse qui ne passe pas par un sentiment aigu de la hiérarchie sociale ?
28 août 2012, 10:43   Re : Innocence
Prenez l'exemple de Des Esseintes : il loge son couple de domestique à l'étage, se réservant le rez-de-chaussée à son usage, ce qui n'est autre qu'une grande contrainte; jamais Des Esseintes ne connaîtra la moitié supérieure de son logis. La hiérarchie est une double contrainte acceptée. Le héros d'A rebours tapisse le plancher du quartier de ses domestiques de tapis profonds, les oblige à se chausser de mules de feutres et, ne voulant les voir pas plus que les entendre, les contraint à emprunter un escalier extérieur. Des Esseintes se comporte en tout point comme si lui-même n'était point digne de ses domestiques; il se traite en intouchable, et le sens de ce terme en est double: indigne d'être regardé ni touché / trop digne pour être ne serait-ce qu'entr'aperçu ou ouï à travers les cloisons.

Le supérieur, ainsi, s'oblige à se faire oublier autant qu'il oblige ses inférieurs à se rendre imperceptibles. On est loin de l'assommante dissymétrie des peoples qui, intouchables, vivent pour être vus.


28 août 2012, 18:47   Re : Innocence
Des Esseintes est un bon exemple, un exemple extrême. On pourrait montrer, à travers les romans de Huysmans, que le propre de la décadence, c'est de ne plus savoir se mouvoir avec aisance dans les rapports de hiérarchie. Bon nombre de héros huysmansiens s'empêtrent avec les domestiques. Les services qu'ils rendent ne compensent jamais la plaie de leur présence.

Avec Des Esseintes, il parait que les choses sont claires : il voudrait pouvoir les brancher et les débrancher à volonté. Des Esseintes est le client rêvé de la robotique. La présence humaine l'effare.
28 août 2012, 19:37   L'âme tortuée
Sa tortue (projection de son âme) meurt dans l'entière méconnaissance du lourd fardeau des richesses qui ornent sa carapace. (Il ne verra ses domestiques point davantage que la tortue ne voit ces pierres et ornements, l'animal devant périr sous un poids inaccessible à ses regards).

Oui, Des Esseintes ne veut pas de serviteurs -- il veut des robots. Et du reste peut-être est-il le premier grand moderne de la littérature, lui qui juge les locomotives plus belles que les plus belles créatures de Dieu.

C'est ainsi qu'il compose une tortue bionique, semi-artificialisée, comme son âme auto-façonnée mais demeurée aussi inaccessible à son regard que peut l'être à celui de l'animal le bouclier doré que forme sa carapace -- âme tortu(r)ée.
10 septembre 2012, 00:27   Re : Innocence
A la longue démaillée par la Paix, la politesse attend que la Guerre la reprise, comme il arrive, sachant qu’elle commence par rétablir la nécessité d’une hiérarchie entre combattants et prélude ainsi au lent rétablissement des manières.
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