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La question des différences

Envoyé par Gérard Rogemi 
19 septembre 2012, 11:38   La question des différences
Je suis en train de lire un livre remarquable écrit pas Georges Laffly et paru en 2000. Cet auteur nous propose dans cet ouvrage une analyse d'une grande acuité et d'une finesse rare.

ETAT DES LIEUX
Une société entre le rêve et la peur.


Page 192-199

"Cette question des différences se pose en France, et généralement en Europe, d'une façon particulière avec l'afflux de populations issues d'autres continents, formées par des cultures très étrangères à la nôtre. Une société repose sur des principes, une foi, des institutions qui en sont nées. Mais elle est fondée au moins autant sur des sentiments, des usages, une façon de vivre, qui sont le produit du temps passé ensemble. Ils varient d'un lieu à l'autre tout en gardant un fond commun, et cette souplesse corrige la rigueur d'une nécessaire cohérence.

Le choc de la technique détruit ces abris aménagés par le temps, ruine les rapports établis entre voisins. On suppose cette ruine assez complète pour que puissent cohabiter en paix des peuples qui ne se connaissent pas : ils trouveront un accord grâce aux machines qui leur seront communes, la télé, le supermarché, la moto et l'auto. La fraternité par la technique.

Notre monde, par la facilité des communications, la fascination qu'exercent les pays riches, favorise les brassages de population. Les décolonisés ne sont pas les derniers à se réclamer d'un lien avec l'ancien colonisateur. A première vue, la cohabitation d'hommes si différents a ses chances. C'est le voisin qu'on déteste, pas l'inconnu. Et la culture nouvelle est cosmopolite avec ostentation. La bigarrure s'impose.

Le sport, la musique, la danse, qui sont les principaux centres d'intérêt de l'homme de la machine, ont donné un prestige nouveau aux Africains, noirs ou blancs (n'oublions pas le Maghreb !). A mesure que le corps a été exalté par des citadins qui ont peu l'usage de leurs muscles, les champions de course, de boxe, de football sont devenus des vedettes. Héros au sens moderne, c'est-à-dire des hommes riches et dont la presse raconte la vie romancée.

Les Noirs sont nombreux dans la catégorie des champions. La musique de jazz et ses succédanés vient d'eux. Et leur danse nous a gagnés. Ils ont bouleversé le sens du rythme dans tout l'Occident. Cette mutation atteint le noyau de la sensibilité, et laisse une empreinte profonde, ne nous y trompons pas. Par la danse, dit Georges Buraud (les Masques), « l'homme se métamorphose et participe aux énergies éternelles du monde ». Il ajoute : « Les Noirs sont animés par le démon de la danse... ce rythme élémentaire, orgiaque, cette cadence et cette pulsation monotone, terrible, grandiose... » Exactement ce que recherchent les foules des rave-parties, la fusion dans une âme commune, la personne annulée, la vie accomplie dans l'instant. Et il ne s'agit pas seulement des raves. Partout dans la ville, on entend bourdonner le tambour de la forêt, contagieux, scandant, obsessionnel, nos jours et nos nuits. Huizinga affirmait, il y a seulement deux générations : « Chaque culture a ses propres conventions musicales, et partout l'oreille ne tolère que les formes acoustiques dont elle a été nourrie. » Mais justement, la nourriture a changé.

Ce sont là des atouts très réels. Cependant, malgré les nombreux couples mixtes que l'on rencontre, la greffe n'a pas pris. On ne parle plus d'intégration que du bout des lèvres, forcé qu'on est de constater la vitalité des coutumes et cultures disparates. La machine n'a pas réussi à unifier tant de communautés diverses.

Il est facile de rejeter la faute sur le pays d'accueil, et de dire que les Français refusent les nouveaux venus (un chanteur algérien affirme même que c'est à eux de s'adapter ; humour spécial). Le rejet vient plus encore des immigrés, qui veulent garder leur manière de vivre, leur identité, et entendent bien s'imposer sans avoir à changer. Ils éprouvent le besoin, à l'arrivée, de se grouper avec des compatriotes, pour se sentir moins isolés. Mais le vif sentiment de l'étrangeté persiste et devient choix chez les enfants. Ils n'y voient qu'avantage. Cela délie de toute obligation envers un pays avec qui on ne veut rien avoir de commun.

Le monde technique se croit trop facilement séduisant, et pense que sa puissance doit entraîner la décomposition et l'oubli des cultures anciennes. Cela a joué, et beaucoup, avec les vieux peuples européens, sur lesquels il opère depuis longtemps. Bien moins sur des peuples qui ont vécu le reflux de l'Europe, la ruine de son prestige, et participent de la résurgence actuelle des civilisations non-occidentales, il faut même dire : anti-occidentales.
Autre facteur : le modèle français est peu recherché (il se perd même souvent chez nos propres enfants). Le modèle dominant, films, technique, modes, nourriture même, c'est les Etats-Unis. Leur attraction étant si forte sur la vie française, il n'est pas étonnant que les jeunes immigrés la ressentent encore plus. Pourquoi perdre son temps avec un intermédiaire ? ils vont à l'original. Les voyous de nos banlieues imitent les voyous new-yorkais.
On cherche à s'intégrer à un pays vainqueur, pas à un pays qui se renie. La France a assimilé, et a été copiée, suivie, tant qu'elle était puissante et fière d'elle-même, au XIII siècle, aux XVIIe et XVIII e, et récemment encore, quand Espagnols, Italiens, Polonais, étaient heureux de devenir français, et de s'agréger à un noble pays. Cela n'est plus.

C'est une lourde responsabilité pour nos dirigeants, et pour « l'esprit du temps » à qui ils sacrifiaient, d'avoir laissé grandir des groupes importants à l'écart, vivant en sécession, convaincus que la loi du pays n'a pas à s'appliquer à eux. Ces populations, déshéritées de leur coutume jugée archaïque, et dont on ne se réclame que pour se séparer du pays d'accueil, vivent dans un vide culturel et social. Les conséquences sont meurtrières. Si on peut parler d'un échec de notre monde, c'est à cause de situations comme celle-là.

Quoi qu'on en dise, ce refus de voir dans l'autre un voisin, le fait de le prendre pour ennemi tient beaucoup plus à des faits de civilisation qu'à la couleur de la peau. La religion, la langue, l'accent même, la façon de traiter les femmes, l'importance du clan, la facilité à jouer du couteau, voilà ce qui sépare irréductiblement. Des Noirs et des Blancs catholiques, on le voit tous les jours, se sentent catholiques avant de se sentir Noirs ou Blancs;. Au contraire, nos guerres de religion, nos révolutions, furent des guerres inexpiables entre frères de sang dont les cultures divergeaient.

Comment se fait-il qu'en un demi-siècle ait pu s'évanouir la civilisation française, son art de vivre, son esprit? On croirait quelle n’a jamais existé. C'est que plus qu'aucun pays en Europe (seul continent atteint par le fléau), la France est rongée par la haine de soi. Dès l'école on inculque une culture de dénigrement, et par suite, de révolte.

Notre passé n'est qu'un abîme de ténèbres rappellent sans cesse livres, films, polémiques. Bienfaits, victoires, héros et saints ne comptent pas ou sont eux aussi dévalués. Foi, langage, légendes, fêtes, tout est jeté par-dessus bord. Tandis que les guerres, les camps, la torture, qui sont plus féroces que jamais sont présentés comme les derniers sursauts d’un passé aboli. «Seule la négation de tout ce qui occidental, de tout ce que l’occident a produit, peut aujourd'hui satisfaire les hommes de ce même occident. » (Jacques Ellul, Trahison de l’Occident, 1975)
Au contraire, tout ce qui vient! Des autres et d'ailleurs émerveille, fascine, devient sacré, de la spiritualité - celle des sorciers africains, des gourous d'exportation, des imams guerriers - à la musique et aux mœurs, y compris haschich et polygamie.

En fait les Français se sentent coupables de leur histoire, et d'être français. Ils n'avaient aucune conscience de ce crime avant 1940, défaite passionnément niée, mais qui les ronge encore. " L'armée a perdu la bataille " (disait Monnerot), et personne ne s'en est remis, malgré les F.F.I., Leclerc, et les armées bien plus nombreuses, mais dont on parle moins, de Juin et de Lattre.

L'homme de la rue se croyait innocent. Il a dû apprendre le poids de sa dette. La conquête du monde par la machine est aussi un crime très lourd. En fait tout le passé national est criminel. Des Cathares et des Templiers à la "collaboration", autant de raisons d'avoir honte. La série des " crimes des rois de France " a nourri, pourri, l'imagination du XIX siècle. Voici " les crimes de la France ", non moins nombreux, non moins inexpiables. Le but est le même : transformer le respect, la piété, en mépris, et nous libérer de toute fidélité.

Il est possible, nous en faisons l'expérience, d'inventer à un peuple un passé imaginaire et maudit. Par exemple le Midi se dit cathare, sans rien savoir de la haine de la nature, de la vie, qui animait ces manichéens, et sans vouloir penser aux sept mille églises romanes édifiées dans le seul Languedoc, ce pays divisé, plutôt qu'un bloc unanime, asservi par les barons du Nord.

La vanité, défaut national, a eu son rôle. Les Français se persuadaient aisément d'une primauté en tous domaines ; ils étaient les plus spirituels des hommes, les plus courageux, les plus inventifs. Ils n'ont pas supporté d'être déchus à leurs propres yeux. Obscurément, la France a éprouvé qu'elle aurait pu disparaître, dépecée par Hitler, dévorée par Staline ; elle s'efface d'ailleurs, absorbée dans une Europe américaine.

N'omettons pas non plus un mécanisme commode. Qui condamne une faute se sent meilleur, encore plus si cette faute n'est pas la sienne mais celle de ses pères. Il récupère ainsi une innocence qui lui permet de foudroyer et ses pères et ceux de ses contemporains qui refusent de se frapper la poitrine : il vaut mieux qu'eux. Il lui reste cependant à l'égard de l'héritage une mauvaise conscience. Il demeure le fils de ces crimes. Voilà qui suffit à se haïr. Sentiment soigneusement entretenu : celui qui se sent coupable est bien plus facile à gouverner."
19 septembre 2012, 15:22   Re : La question des différences
Excellent ! Merci cher Rogemi.
Je conseille à tout le monde d'acheter en occasion le livre de Laffly qui en vaut vraiment la peine.
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