Voici quelques extraits d'un texte de Philippe Muray publié dans la Revue des deux mondes en décembre 1999 et intitulé
Les ravages de la tolérance. Le texte évoquait un massacre du même genre.
L'excès de tolérance est une forme de dépossession ou de déprivation auprès de quoi la vieille aliénation des temps historiques fera bientôt figure de douce plaisanterie, au même titre que la frustration ou l'angoisse de castration de l'époque freudienne, et contre laquelle de nouvelles formes monstrueuses et inconnues de ripostes ne cesseront plus de s'organiser. Il existe désormais un déspotisme des valeurs de positivité, d'amour, de " respect de l'autre ", capable de rendre enragés ceux qui ne se résignent pas à vivre sous ce régime comme sous une nouvelle espèce de dictature contre laquelle, à l'inverse de ce qui se passait avec les tyrannies de l'âge historique, personne ne peut rien, même pas se fantasmer en résistant ou en rebelle. L'Empire de la tolérance n'admet pas non plus qu'on ruse avec lui. Il ne laisse aucune place au compromis ni aux faux-fuyants. On ne peut pas, jouer d'une manière ou d'une autre, avec ses commandements et son idéal. Et la moindre accusation d'intolérance, le moindre soupçon d' " exculsion ", la moindre ébauche de dogmatisme, deviennent sous son contrôle des objets d'horreur et de répulsions.
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La civilisation actuelle s'est engagée dans la besogne titanesque consistant à éradiquer l'instinct de mort, quel que soit le nom qu'on lui donne ( par maudite, hostilité primaire, violence, pêché, négativité, Mal, etc. ) au profit de l'édification d'un monde abstrait, stylisé, épuré, nettoyé de toute irrégularités, de tous les accidents, de tous les écarts, de toutes les perturbations, de toutes les velléités de destrucion ou d'autodestruction des siècles révolus. Très longtemps, l'intolérance aura fait partie, et de manière sanglante, des entreprises de l'homme pour se prouver qu'il était autre chose ( quelque chose de meilleur ou de pire ) qu'un simple animal ( les animaux ne tuent que pour survivre ). Elle n'a plus sa place là où règnent, comme à Pangbourne village, "
la tyrannie de l'amour et de la tendressse ", ou encore "
la tolérance et la compréhension illimitée ". Avec tous les risques, bien entendu, de réaction violente que cela comporte: la multiplication des crimes commis par des enfants a sa source principale dans l'inflation de bons sentiments sous laquelle l'humanité chemine, à présent courbée comme sous les rafales d'une tempête qui n'aurait pas de fin.
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La tolérance illimitée rend fous ceux qui n'ont pas la capacité de s'y plier comme à une nouvelle servitude inévitable. C'est exactement la condition du criminel telle que la décrivait Nietzsche, c'est-à-dire l'homme fort placé dans des conditions défavorables, l'homme fort que l'on rendu malade, à qui l'on a retiré la jungle, à qui manque la jungle, et dont les capacités sont désormais mises au ban de la société. Dans le cas des enfants du
Massacre de Pangbourne, et aussi bien dans celui des adolescents tueurs de Littelton ou d'ailleurs, la " jungle " qui a été retirée, sous l'effet des inombrables formes de convivialité, de rapprochisme, de générosité, de conctatophilie, de solidarité, de créolisation ou de métissage qui prolifèrent et asphyxient tout, c'est simplement la vieille tragédie formatrice de l'oedipe, faite d'agressivité et de castration, dont l'absence interdit désormais aux jeunes êtres humains la moindre possibilité d'évolution, le moindre espoir d'accès à l'âge adulte, et les voue à un état d'infantilisme perpétuel.