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La dernière classe

Envoyé par Jean-François Daniel 
12 février 2014, 15:29   La dernière classe
Ce matin-là, j’étais très en retard pour aller à l’école, et j’avais grand-peur d’être grondé, d’autant que M.Hamel nous avait dit qu’il nous interrogerait sur les participes, et je n’en savais pas le premier mot. Un moment l’idée me vint de manquer la classe et de prendre ma course à travers champs.
Le temps était si chaud, si clair !
On entendait les merles siffler à la lisière du bois, et dans le pré Rippert, derrière la scierie, les prussiens qui faisaient l’exercice. Tout cela me tentait bien plus que la règle des participes, mais j’eus la force de résister, et je courus bien vite vers l’école.
En passant devant la mairie, je vis qu’il y avait du monde arrêté près du petit grillage aux affiches. Depuis deux ans, c’est de là que sont venues toutes les mauvaises nouvelles, les batailles perdues, les réquisitions, les ordres de la commandature ; et je pensais sans m’arrêter :
« Qu’est-ce qu’il y a encore ? »
Alors, comme je traversais la place en courant, le forgeron Wachter, qui étais là avec son apprenti en train de lire l’affiche, me cria :
« Ne te dépêche pas tant, petit ; tu y arriveras toujours assez tôt à ton école ! »
Je crus qu’il se moquait de moi, et j’entrai tout essoufflé dans la petite cour de M.Hamel.
D’ordinaire, au commencement de la classe, il se faisait un grand tapage qu’on entendait jusque dans la rue, les pupitres ouverts, fermés, les leçons qu’on répétait très haut tous ensemble en se bouchant les oreilles pour mieux apprendre, et la grosse règle du maître qui tapait sur les tables :
« Un peu de silence ! »
Je comptais sur tout ce train pour gagner mon banc sans être vu ; mais, justement, ce jour-là, tout était tranquille comme un matin de dimanche. Par la fenêtre ouverte, je voyais mes camarades déjà rangés à leurs places, et M.Hamel, qui passait et repassait avec la terrible règle en fer sous le bras. Il fallut ouvrir la porte et entrer au milieu de ce grand calme. Vous pensez si j’étais rouge et si j’avais peur !
Eh bien ! non, M.Hamel me regarda sans colère et me dit très doucement :
« Va vite à ta place, mon petit Franz ; nous allions commencer sans toi. »
J’enjambai le banc et m’assis tout de suite à mon pupitre. Alors seulement, un peu remis de ma frayeur, je remarquai que notre maître avait sa belle redingote verte, son jabot plissé fin et la calotte de soie noire brodée qu’il ne mettait que les jours d’inspection ou de distribution de prix. Du reste, toute la classe avait quelque chose d’extraordinaire et de solennel. Mais ce qui me surpris le plus, ce fut de voir au fond de la salle, sur les bancs, qui restaient vides d’habitude, des gens du village assis et silencieux comme nous, le vieux Hauser avec son tricorne, l’ancien maire, l’ancien facteur, et puis d’autres encore. Tout ce monde-là paraissait triste ; et Hauser avait apporté un vieil abécédaire mangé aux bords qu’il tenait grand ouvert sur ses genoux, avec ses grosses lunettes posées en travers des pages.
Pendant que je m’étonnais de tout cela, M.Hamel était monté dans sa chaire, et de la même voix douce et grave dont il m’avait reçu, il nous dit :
« Mes enfants, c’est la dernière fois que je vous fais la classe. L’ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l’allemand dans les écoles de l’Alsace et de la Lorraine. Le nouveau maître arrive demain. Aujourd’hui, c’est votre dernière leçon de français. Je vous prie d’être bien attentifs. »
Ces quelques paroles me bouleversèrent. Ah ! les misérables, voilà ce qu’ils avaient affiché à la mairie.
Notre dernière leçon de français !
Et moi qui savait à peine écrire ! Je n’apprendrais donc jamais ! Il faudrait donc en rester là ! Comme je m’en voulais maintenant du temps perdu, des classes manquées à courir les nids ou à faire des glissades sur la Saar ! Mes livres que tout à l’heure je trouvais si ennuyeux, si lourds à porter, ma grammaire, mon histoire sainte me semblaient à présent de vieux amis qui me feraient beaucoup de peine à quitter. C’est comme M.Hamel. L’idée qu’il allait partir, que je ne le verrais plus, me faisait oublier les punitions, les coups de règle.
Pauvre homme !
C’est en l’honneur de cette dernière classe qu’il avait mis ses beaux amis du dimanche, et maintenant je comprenais pourquoi ces vieux du village étaient venus s’asseoir au bout de la salle. Cela semblait dire qu’ils regrettaient de ne pas y être venus plus souvent, à cette école. C’ était aussi comme une façon de remercier notre maître de ses quarante ans de bons services, et de rendre leurs devoirs à la patrie qui s’en allait…
J’en étais là de mes réflexions, quand j’entendis appeler mon nom. C’était mon tour de réciter ; Que n’aurais-je pas donné pour pouvoir dire tout au long cette fameuse règle des participes, bien haut, bien clair, sans une faute ? Mais je m’embrouillai au premiers mots, et je restai debout à me balancer dans mon banc, le cœur gros, sans oser lever la tête. J’entendais M.Hamel qui me parlait :
« Je ne te gronderai pas, mon petit Franz, tu dois être assez puni… voilà ce que c’est. Tous les jours on se dit : Bah ! j’ai bien le temps. « J’apprendrai demain. » Et puis tu vois ce qui arrive… Ah ! ç’a été le grand malheur de notre Alsace de toujours remettre son instruction à demain. Maintenant ces gens-là sont en droit de nous dire : « Comment ! Vous prétendiez être Français, et vous ne savez ni nire li écrire votre langue ! » Dans tout ça, mon pauvre Franz, ce n’est pas encore toi le plus coupable. Nous avons tous notre bonne part de reproches à nous faire.
« Vos parents n’ont pas tenus à vous voir instruits. Ils aimaient mieux vous envoyer travailler à la terre ou aux filatures pour avoir quelque sous de plus. Moi-même, n’ai-je rien à me reprocher ? Est-ce que je ne vous ai pas souvent fait arroser mon jardin au lieu de travailler ? Et quand je voulais aller pêcher des truites, est-ce que je me gênais pour vous donner congé ?... »
Alors d’une chose à l’autre, M.Hamel se mit à nous parler de la langue française, disant que c’était la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide ; qu’il fallait la garder entre nous et ne jamais l’oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, tant qu’il tient bien sa langue, c’est comme s’il tenait la clef de sa prison…
12 février 2014, 17:54   Re : La dernière classe
On ne sait pas quand la dernière leçon de français a eu lieu au XXe siècle. A lire les "réactions des lecteurs" dans la presse nationale en ligne, (par exemple, celles du Figaro.fr) qui ne sont que bribes cacographiques ininterprétables, absconces, asyntaxiques, sans ponctuation, sans marqueurs d'accord, on se dit qu'il doit bien y avoir vingt-cinq ans pour que les choses en soient là aujourd'hui. Je crois qu'aucun pays d'Europe ne montre pareil désastre dans les rubriques de "réactions des lecteurs" de sa presse nationale. Ni en Espagne, ni au Royaume-Uni et pas davantage en Allemagne on ne constate pareil ravage de l'illétrisme et de l'abrutissement.

On approche des périodes de commémoration de la Guerre de 14-18. Et il faut à cet égard redouter le pire. Le pire sera quand on exhumera les lettres du front, couchées à la main par des piou-pious de vingt ans qui souvent n'étaient pas même titulaires du certificat d'études, qui étaient garçons vachers, ouvriers fraiseurs, maréchal-ferrands, paysans, pâtres dans les Landes ou en Corse, moissonneurs en Seine-et-Oise, etc. et qui décrivaient dans une langue claire, touchante, pure, le quoditien du combattant, qui couchaient la petite chronique de la guerre en termes limpides, la bêtise des chefs, la chaleureuse camaraderie du front, la cruauté des conditions de survie dans les tranchées, l'espérance de jours meilleurs, et qui s'épanchaient en des sentiments filiaux, fraternels, amoureux, de manière convaincante, touchante dans une langue simple mais irréprochable. Je crains ce moment où j'aurai honte d'être Français ressortissant et donc un peu représentant de ce que sont devenus la France et mes compatriotes ces cent dernières années.

Quand a-t-on perdu l'usage de notre langue ? et comment ? Comment se fait-il que depuis une bonne quinzaine d'années, les Français à l'étranger, les vacanciers, ne font plus l'effort de parler français, à la différence des hispanophones qui s'efforcent, et s'entêtent à vouloir se faire entendre en espagnol ?

Et l'on diffuse dans les écoles de l'Education nationale un livre destiné aux enfants, intitulé Tous à poil illustré de personnages qui ressemblent tous à des hominidés, car en plus de leur mettre des poils, l'illustrateur a pensé (avec quelle arrière-pensée ?) à leur rendre la peau uniformément brune. Qui se serait imaginé que la regression irait jusque là en l'espace d'une génération environ? Et c'est un ministre de l'Education, M. Peillon, spécialiste de Heidegger qui couvre cela.

J'espère vivre assez vieux pour assister au retour de bâton, que j'espère vigoureux à la mesure de cette ignominie.
12 février 2014, 19:21   Re : La dernière classe
Je ne connaissais pas ce beau texte d'Alhonse Daudet, et je vous remercie de l'avoir copié ici, Monsieur. Mais pourquoi l'avoir coupé en deux ?

Je me permets de copier la suite :



Puis il prit une grammaire et nous lut notre leçon. J'étais étonné de voir comme je comprenais. Tout ce qu'il disait me semblait facile, facile. Je crois aussi que je n'avais jamais si bien écouté, et que lui non plus n'avait jamais mis autant de patience à ses explications. On aurait dit qu'avant de s'en aller le pauvre homme voulait nous donner tout son savoir, nous le faire entrer dans la tête d'un seul coup.

La leçon finie, on passa à l'écriture. Pour ce jour-là, M. Hamel nous avait préparé des exemples tout neufs, sur lesquels était écrit en belle ronde: France, Alsace, France, Alsace. Cela faisait comme des petits drapeaux qui flottaient tout autour de la classe pendu à la tringle de nos pupitres. Il fallait voir comme chacun s'appliquait, et quel silence! on n'entendait rien que le grincement des plumes sur le papier. Un moment des hannetons entrèrent; mais personne n'y fit attention, pas même les tout petits qui s'appliquaient à tracer leurs bâtons, avec un coeur, une conscience, comme si cela encore était du français... Sur la toiture de l'école, des pigeons roucoulaient bas, et je me disais en les écoutant:

«Est-ce qu'on ne va pas les obliger à chanter en allemand, eux aussi?»

De temps en temps, quand je levais les yeux de dessus ma page, je voyais M. Hamel immobile dans sa chaire et fixant les objets autour de lui comme s'il avait voulu emporter dans son regard toute sa petite maison d'école... Pensez! depuis quarante ans, il était là à la même place, avec sa cour en face de lui et sa classe toute pareille. Seulement les bancs, les pupitres s'étaient polis, frottés par l'usage; les noyers de la cour avaient grandi, et le houblon qu'il avait planté lui-même enguirlandait maintenant les fenêtres jusqu'au toit. Quel crêve-coeur ça devait être pour ce pauvre homme de quitter toutes ces choses, et d'entendre sa soeur qui allait, venait, dans la chambre au-dessus, en train de fermer leurs malles! car ils devaient partir le lendemain, s'en aller du pays pour toujours.

Tout de même il eut le courage de nous faire la classe jusqu'au bout. Après l'écriture, nous eûmes la leçon d'histoire; ensuite les petits chantèrent tous ensemble le BA BE BI BO BU. Là-bas au fond de la salle, le vieux Hauser avait mis ses lunettes, et, tenant son abécédaire à deux mains, il épelait les lettres avec eux. On voyait qu'il s'appliquait lui aussi; sa voix tremblait d'émotion, et c'était si drôle de l'entendre, que nous avions tous envie de rire et de pleurer. Ah! je m'en souviendrai de cette dernière classe...

Tout à coup l'horloge de l'église sonna midi, puis l'Angelus. Au même moment, les trompettes des Prussiens qui revenaient de l'exercice éclatèrent sous nos fenêtres... M. Hamel se leva, tout pâle, dans sa chaire. Jamais il ne m'avait paru si grand.

«Mes amis, dit-il, mes amis, je... je... »

Mais quelque chose l'étouffait. Il ne pouvait pas achever sa phrase.

Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie, et, en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu'il put:

«VIVE LA FRANCE!»

Puis il resta là, la tête appuyée au mur, et, sans parler, avec sa main il nous faisait signe:

«C'est fini...allez-vous-en.»
12 février 2014, 22:48   Re : La dernière classe
Merci cher Jean-François Daniel pour ce texte que j'avais lu très jeune adolescente il y a fort longtemps et jamais relu depuis, et merci cher Franci pour votre message qui dit exactement ce que je ressens et pose les questions que je me pose désespérément.
13 février 2014, 06:07   Re : La dernière classe
Vous n'allez pas me croire mais ce texte de Daudet était enseigné dans les écoles à Hong-Kong (en anglais, en chinois) dans les années 60-70. Pourquoi et comment ? je n'en ai pas la moindre idée... Hong-Kong colonie anglaise, ayant la France Libre pour alliée, et haut lieu de la résistance militaire chinoise à l'offensive japonaise de décembre 41 se souvenait-elle de l'héroïque sacrifice des volontaires français qui s'étaient alors mobilisés dans la défense de la place (la "Bataille de Hong-Kong, du 8 au 25 décembre 1941 [fr.wikipedia.org]), au prix de leur vie ? C'est possible. La France était vénérée à Hong-Kong dans ces temps-là, et n'a guère cessé de l'être. Le drapeau tricolore flottait sur des barges dans le port, où une grande société française de dragages et travaux publics était active depuis les années 50.

Sur le sacrifice des volontaires français en défense de cette colonie anglaise :
[www.ufehongkong.hk]
13 février 2014, 07:17   Re : La dernière classe
» car en plus de leur mettre des poils, l'illustrateur a pensé (avec quelle arrière-pensée ?) à leur rendre la peau uniformément brune. Qui se serait imaginé que la regression irait jusque là en l'espace d'une génération environ? Et c'est un ministre de l'Education, M. Peillon, spécialiste de Heidegger qui couvre cela

Non, non, cher Francis, M. Peillon est "spécialiste" de Merleau-Ponty... et la corporalité, poilue ou pas, chez Merleau, ce semble être tout de même très important...
13 février 2014, 09:35   #retourdebaton...
"J'espère vivre assez vieux pour assister au retour de bâton, que j'espère vigoureux à la mesure de cette ignominie."

De quoi serait fait, selon vous, un tel "retour de bâton" ? Quelles pourraient en être le formes, après la succession de plusieurs décennies d'usagers de la communication électronique ?
13 février 2014, 11:11   Re : La dernière classe
Je l’ai coupé à ce passage par optimisme. Daudet l’a terminé sur un « Vive la France ! » par patriotisme. Je trouvais que ce petit conte traite de manière très abordable des thèmes souvent évoqués en ces lieux. Tant qu’il nous reste notre langue… Daudet a écrit de remarquables petites nouvelles qui ne sacrifient rien à la caricature et très compréhensibles par des enfants de cinq ou six ans,. La chèvre de Monsieur Seguin leur permet d’aborder les principes de sécurité et de liberté en les raccrochant à des choses simples qu’ils conçoivent facilement : le loup, la chèvre, le bon monsieur Seguin. Le secret de Maître Cornille qui décrit admirablement certaines conséquences funestes de l’industrilisation, etc.
Les in-nocents qui ont des jeunes enfants savent que ceux-ci devront mener des combats que leurs parents et leurs grand-parents n’ont pas su ou voulu mener. Je crois que pour les mener, ils n’auront d’autre secours que leur langue, mais M.Hamel nous enseigne que « quand un peuple tombe esclave, tant qu’il tient bien sa langue, c’est comme s’il tenait la clef de sa prison…».
13 février 2014, 11:13   Re : La dernière classe
Ah mon dieu c'est vrai, c'était Merleau-Ponty. Heureusement que vous êtes là Alain. Et ne me croyez surtout pas ironique quand je dis cela. Alors vous croyez vraiment qu'il y a un rapport ? Ca alors ! Je vais regarder Merleau-Ponty tout différemment moi. Enfin, Heidegger, à sa façon, avait fait bien pire dans ses associations d'idées politiques, dit-on. C'est l'ironie de Dieu, qu'il faut sans doute voir à l'oeuvre là-dedans: Quand Dieu s'avise d'un esprit fort, il le prend par l'oreille d'une pincée entre le pouce et l'index (il ne le prend pas par le tendon d'Achille, par l'oreille, mais l'oreille n'est-elle pas le tendon d'Achille du corps de l'intellectuel ?), et l'enduit de goudron avant de le rouler dans des plumes... C'est la façon qu'a Dieu de plaisanter avec les esprits forts, les maîtres du Siècle. Dieu, au fond, est un grand enfant, un rien potache.
13 février 2014, 11:18   Re : La dernière classe
Oui, le retour de bâton Rothomago, le coup sur les doigts, sur le cul, du plat de la grande règle de fer de maître Hamel, voilà ce que j'espère voir se produire, même symboliquement, sur les pédagos naufrageurs de l'Education nationale et leurs idéologues qui les fournissent en idées complaisantes, loufoques, en hypocrisie et en mépris du peuple. Quelque chose se produira, c'est certain; et je suis de ceux qui espèrent que ce quelque chose ne sera pas trop méchant et que les coups seront appliqués du plat de la règle.
13 février 2014, 12:05   Re : La dernière classe
Citation
Francis Marche
Ah mon dieu c'est vrai, c'était Merleau-Ponty. Heureusement que vous êtes là Alain. Et ne me croyez surtout pas ironique quand je dis cela. Alors vous croyez vraiment qu'il y a un rapport ? Ca alors ! Je vais regarder Merleau-Ponty tout différemment moi.
Monsieur Marche,
allez faire un tour sur les sites pédagogistes, vous comprendrez vite que Merleau-Ponty, d'autant plus joyeusement et sans vergogne instrumentalisé qu'il est mort prématurément, est l'une des cautions philosophiques régulières des "penseurs" IUFM. La "Phénoménologie de la perception" comme justification de l'apprentissage global de la lecture. Mais est-il le premier à qui l'on fait dire n'importe quoi?
13 février 2014, 22:24   Re : La dernière classe
Merleau-Ponty... il est bien oublié, celui-là...

Dire qu'on en parlait tant dans les années 70...

Un In-nocent ami des détails pourrait-il me dire s'il y a un lien entre Marianne Merleau-Ponty, l'avocate gauchiste de Goldman, et Maurice Merleau-Ponty ?
14 février 2014, 04:57   Re : La dernière classe
Quoi ! Vous n'allez tout de même pas nous dévoiler qu'ils ont été tous deux amants de Pierrette Dubost ou de Marie Dubois, ou que leur demi-soeur coucha avec Richard Antony durant l'été 1964, ou bien si ?

La France entière nous lit Du Masneau, et le sujet de la dernière classe n'est pas léger.
14 février 2014, 23:41   #Sinekuanon
Aucun retour de bâton tel que vous l'imaginez n'aura lieu, sauf panne d'électricité prolongée.
16 février 2014, 09:06   Re : La dernière classe
En réponse à Cassandre :

C'est à se demander s'il ne faudrait pas chercher la réponse dans l'économie.

En 1914, bien apprendre le français comportait un enjeu socio-économique vital: il fallait apprendre à bien écrire, sans faute, à parler correctement afin de pouvoir, plus tard, se faire respecter par les messieurs, et soi-même, si possible, en devenir un. Devenir quelqu'un: fonctionnaire, notable, notaire, professeur, avocat; telle était la carotte de l'apprentissage de la langue nationale. Et la carotte était réelle. L'analphabète était considéré comme un idiot, était socialement et économiquement un mort. Et il n'y avait, sur le territoire national, aucune autre langue vivante qui soit chargée de perspectives comparables, qui soit à ce point porteuse d'accès à une existence meilleure ou "augmentée", comme disent les crétins modernes d'aujourd'hui.

Aujourd'hui, dans la république des copains et du carnet d'adresses, bien écrire le français, s'appliquer à bien rédiger comme du temps de Péguy, peut, dans le meilleur des cas, vous faire obtenir un rendez-vous à Pôle Emploi. Cette différence fondamentale ne peut pas ne pas peser dans la déconsidération moderne de la langue nationale. Aujourd'hui, pour être "quelqu'un", un monsieur, une madame que l'on respecte, il faut se mettre la langue internationale en bouche, le globish, et comme le disait l'oncle de Marcel Aymé à l'écrivain : vous serez toute la semaine en souliers, quant à ceux qui baragouinent ou parlent bien, ça revient au même, la seule langue nationale, ils resteront en sabots à faire la queue devant les guichets de Pôle Emploi, à se presser et à devoir jouer des coudes avec tous les loqueteux et les paumés de la terre qui débarquent en France bardés de "droits", sans quotas d'arrivée mais avec des quotas pour les placer à des postes convoités et qui, bien entendu, n'ont pas 200 mots à leur vocabulaire français.

Comment peut-on avoir envie de bien écrire et de parler correctement la langue d'un pays, le vôtre, qui vous fait cela?

Le fait que la jeunesse d'un tel pays n'ait pas encore tout cassé, tout mis à feu et à sang, comme l'ont fait les petits bourgeois de 1968 constitue en soi un mystère, alors vous pensez bien, le respect de la langue française...!. Ceux qui affirment que le peuple n'est pas révolutionnaire, qu'il n'aime pas la casse et la révolution, qu'il est empreint de retenue et qu'il préfère s'effacer que se battre, au fond, doivent avoir raison.
16 février 2014, 11:03   Re : La dernière classe
Francis, dans une économie numérique, on ne peut pas apprendre à écrire sans fautes aux couches inférieures de la population, cela revient à leur remettre une arme chargée en prévision de braquages numériques. Combien de faux mails avez-vous reçu, prétendument de votre banque, de paypal, d’un ami sûr qui a déposé un gros fichier sur un site où il faut s’identifier, etc. ? Si vous mettez ces courriels de phishing au panier, c’est parce qu’ils comportent toujours des fautes grossières.

Il ne faut pas stigmatiser, répète la novlangue. Mais en voilà un, de stigmate, par exemple ! L’équivalent d’un trèfle au fer rouge, très visible, au milieu du front. Il flétrit les basses classes (celles qui ne peuvent pas payer à leurs enfants le répétiteur), à cause de l’imposition de méthodes de lecture inefficaces, du refus d’enseigner la grammaire, de la réduction des heures d’enseignement des lettres. Ce n’est pas chic pour les gens honnêtes appartenant à ces catégories sociales. En attendant, ce stigmate-là a son utilité, et je connais plus d’un prof du secondaire qui, devant la bouillie dysorthographique et agrammaticale produite par un jeune prodige, répond à une mère inquiète par un héroïque « ça va ».
16 février 2014, 11:48   Re : La dernière classe
Un exemple vécu dans mon entourage : une femme qui erre sur un site de rencontre (Meetic), y met sa photo et reçoit 400 réponses. Elle utilise alors comme critère de sélection l'orthographe, ce qui ramène son choix à 10 prétendants ayant écrit sans fautes trop grossières. Elle a rencontré son mari sur Meetic.
J'ai aussi entendu parler de grandes sociétés qui paient des spécialistes en français pour réécrire et corriger les rapports des hauts cadres et autres ingénieurs. Légende urbaine ?

Maintenant, cette prime à l'orthographe perdurera-t-elle ? N'est-elle pas le fait des anciennes générations (les plus de 40 ans) qui croient encore en cette marque de distinction ?
16 février 2014, 11:54   Re : La dernière classe
Chatterton, je viens de vous répondre mais mon message s'est volatilisé. En substance je vous disais que la République Socialiste des Copains (et des Potes) a démonnaitisé la belle langue qui n'est plus indispensable pour faire partie du cercle des Copains et devenir quelqu'un; au sens strict, la langue, comme un billet de banque retiré de la circulation, n'a plus cours; que par calcul cette république a retiré la plus-value qu'une langue soignée pouvait apporter afin d'y substituer l'appartenance organique et tribale au cercle des copains et c'est désormais le carnet mondain qui remplace le manuel de bien-écrire; le nom et le faciès de l'individu remplacent la valeur faciale et accessible à tous, donc anonyme, de la belle langue que chacun pouvait acquérir. Cette fausse république des Copains, profondément inégalitaire et élitiste dans le pire sens du terme, accueille à bras ouverts n'importe quel crétin monosyllabique qui sortira d'une "cité" et il sera accueilli chez les Décideurs et dans leur cercle au faciès. La promotion au faciès, soeur jumelle de la promotion canapé, relègue le souci de la langue au bas de l'échelle des préoccupations et des valeurs, et le Show-Biz prescripteur moral coopté et héréditaire, parfaitement analphabète, est là pour servir de tambour-major à la normalisation de cette injustice sociale.

Au passage, ceci, qui signe la réalité du G.R. : offrir des quotas d'accession aux postes enviables à la Diversité laquelle est alimentée par des arrivées libres de tout quotas produit, mathématiquement (demandez à Du Masneau) un Grand Remplacement et une éviction du peuple existant.
16 février 2014, 12:33   Re : La dernière classe
Le petit peuple de France ne pouvant plus compter sur une école qui ne lui apprend plus rien et n'ayant pas les moyens de pallier ce handicap, ne pouvant compter sur aucun piston ni réseau et se trouvant éliminé des métiers non qualifiés accordés en priorité à la diversité banlieusarde, n'a plus aucun avenir. Je le vois dégénérant dans l'alcool comme les Inuits ou les Indiens ou certains petits blancs imbibés de rhum perdus dans les "hauts" de la Réunion ; ce qui fera dire aux remplacistes avec mépris et jubilation : C'est donc çà ce peuple français dont on nous a rebattu les oreilles ? ! Quelle chance pour la France qu'il ait été éliminé par l'immigration !
16 février 2014, 13:23   Re : La dernière classe
Je ne sais pas pourquoi on ne revient pas aux réalités, aux réalités économiques, aux réalités de la production.

Le monde a changé en cinquante ans, aussi profondément qu'il avait changé depuis deux siècles.

En 1960, il y avait une classe supérieure, une vaste classe moyenne en cours d'ascension, une classe populaire devenant de moins en moins nombreuse et une petite "basse classe".

L'évolution des techniques et modes de production fait que l'écart entre la classe supérieure et la classe populaire se fait de plus en plus grand, et que la classe moyenne est laminée pendant que la basse classe s'étend comme jamais.

Pourquoi ? parce que cette classe moyenne n'est plus si nécessaire au processus productif. L'économie moderne, ce sont des personnes hyper-qualifiées et très bien payées et une vaste classe de soutiers, permettez-moi de vous le dire.

C'est un phénomène observé partout, de la Russie aux Etats-unis.

Voyez ce petit article sur les "Google bus" :

[internetactu.blog.lemonde.fr]

L'histoire nous montre qu'au bout d'un certain temps la classe supérieure ne se contente pas de l'argent et des montres Rolex, elle aspire à la culture. Mettons que dans dix ans la culture sera à la mode.
16 février 2014, 22:57   Re : La dernière classe
La classe supérieure veut la culture si elle a du temps. Mais une classe supérieure qui travaille 50 à 60 heures par semaine a peu de chances de développer le goût des rentiers d'antan ou des enfants perdus de la bourgeoisie...
16 février 2014, 23:11   Re : La dernière classe
Non, je ne crois pas. Ces personnes travaillent certes beaucoup. Vient un moment où elles travaillent moins, et essaient de se cultiver.

Plus concrètement, il y a une phase où le nouveau riche, le parvenu, étale ses Rolex et autres objets statutaires. Il est cependant conscient qu'il lui manque quelque chose et, pour ses enfants, il recherchera un bon enseignement (sans doute le privé hors contrat), qui servira de savonnette à vilain.

Au demeurant (Demorand ?), la thèse que je développe devrait plaire à certains ici : c'est en fait la mort de la petite bourgeoisie, la mort dans l'effondrement de son rêve social.

Pour le goût des rentiers d'antan, je ne suis pas très sûr. Le goût des Guermantes n'est pas très sûr... songez-y... qui est cultivé, réellement cultivé, dans la Recherche ? Charles Haas, dont les grands-parents vivaient dans le ghetto de Francfort.

Pourquoi ces juifs du XIXème étaient-ils si cultivés, comme la mère de Proust ? c'est qu'ils étaient de la seconde ou troisième génération à avoir pu émerger des bas-fonds où ils étaient confinés. Lisez "Requiem allemand", cela y est très clairement expliqué ("The Pity of it All"). Voyez, en France, Finkielkraut.
17 février 2014, 04:30   Re : La dernière classe
L'immersion des Juifs dans la civilisation occidentale durant les deux ou trois cents dernières années est un cas un peu à part : le fait est que la presque totalité des Juifs n’ont jamais réellement croupi dans un bas-fond intellectuel ou culturel, même si matériellement on serait tenté de le décrire ainsi : l'éducation religieuse juive prenait en charge toute la population, et faisait que tous les enfants étaient dés leur plus jeune âge confrontés aux commentaires talmudiques et à des extraits du Guide des égarés, en plus du fait que tous étaient par la force des choses polyglottes, parlant au moins le yiddish, la langue vernaculaire indigène et les langues nationales ou officielles ; la préparation et l'aptitude intellectuelles du paysan allemand souvent analphabète arrivant dans une grande ville au 18ème siècle étaient pratiquement nulles, en comparaison du remarquable potentiel dont était porteur le Juif venant d'un trou shtetlique perdu, qui pouvait déjà, s'il était un tant soit peu doué, lire Leibniz dans le texte et le comprendre...

Cela dit, je suis entièrement d'accord avec votre analyse quasi marxiste de la situation économico-culturelle, et le plastoc de ces parvenus hyper-qualifiés dont vous parlez ne suffira probablement plus à leurs surgeons... Peut-être sera-ce le retour du bâton dont parlait Francis, mais mû par les élancements d'une prétention un peu plus distinguée et de la cuistrerie, et après tout tous les moyens sont bons...
17 février 2014, 06:01   Re : La dernière classe
"Ces personnes travaillent certes beaucoup. Vient un moment où elles travaillent moins, et essaient de se cultiver."

Quelle bonne blague ! Ces personnes ont certes poussé très loin l'art de faire semblant de beaucoup travailler. Grâce aux moyens de communication modernes, elles sont joignables même quand elles coulent un bronze et personne n'ignore qu'elles sont au taf en permanence. Vient un moment où elles font un peu moins semblant de travailler et s'emploient alors, au moyen des mêmes grimaces et secondées par les mêmes appareils, à faire semblant de se cultiver. On peut leur faire confiance, leur culture aura le même fumet de réalité que leur travail.
19 février 2014, 21:36   Re : La dernière classe
Vous est-il venu à l'esprit que l'ordinateur avec lequel vous écrivez ce message a été conçu et développé par ces gens (vous utilisez peut-être un smartphone, il n'y a pas de mot français, c'est la même chose) ?

Vous est-il venu à l'esprit que les programmes avec lesquels vous écrivez ce message ont été conçus et développés par ces gens et qu'ils sont maintenus par eux ?

Vous est-il venu à l'esprit que les protocoles grâce auxquels vous nous faites bénéficier de ce message ont été conçus et développés par ces personnes ?

Avez-vous passé un examen médical et vu les scanners, les IRM ? préférez-vous crever la bouche ouverte faute de diagnostic comme il y a cinquante ans dans bien des cancers ?

Etes-vous passé sur une table d'opération et avez-vous subi une lourde opération ? il y a cinquante ans, on n'opérait pas certains problèmes cardiaques car on ne savait comment faire, et parmi les opérés à coeur ouvert, presque la moitié passait directement de la case "bloc" à la case "boulevard des allongés". Maintenant, on survit, grâce aux progrès des techniques et à la hausse de qualification des médecins.

Tout ce progrès est réel, et la sophistication des techniques exige toujours plus d'informaticiens, d'ingénieurs et de praticiens. Il est inadmissible de dire qu'ils ne travaillent pas. Savez-vous quel est le salaire d'embauche d'un jeune mathématicien à San Francisco qui va travailler dans les fameuses entreprises qui nous permettent de nous parler ? 160 000 dollars par an, et il les mérite. L'employé de fast-food, lui, gagne $ 10.10 de l'heure.

Pourquoi ? parce que des jeunes mathématiciens, vous n'en trouverez que peu. Des gens capables de glisser un bout de viande entre deux tranches de pain, il y en a des hordes.

Je fais le pari que les enfants du jeune ingénieur seront intéressés par la culture, quand bien même celui-ci serait ignare hors mathématiques.
19 février 2014, 23:25   Re : La dernière classe
Oui, Jean-Marc du Masnau, mais comment étayer ce pari (ou le pari inverse, d'ailleurs) ? Pour l'instant nous n'avons que des impressions, de part et d'autres...
20 février 2014, 01:29   Re : La dernière classe
On ne voit guère de quelle culture vous nous parlez Jean-Marc, dans le cas de ce mathématicien générique et théorique.

Pour compléter son portrait, la culture dans laquelle les enfants de l'intéressé seront le plus spontanément versés comprendra la consommation de canabis (qui sera tôt ou tard légalisée en Californie) compensatrice du laisser-aller affectif dont généralement souffrent les enfants de ce type de personne absorbée par leur monomanie professionnelle (ici la programmation informatique); les sports de glisse (de la planche à roulette au bobsleigh pour les plus obsédés); les jeux vidéos dans toute l'extension du terme; le satanisme rock-métal. Chez les moins paumés et "destroy" : le Paris-Dakar en Argentine et les sports mécaniques y associés.

Dans le meilleur des cas : le bénévolat écolo-humanitaire international lequel peut, en effet, conduire à l'apprentissage des langues étrangères.

Sur la planche à livres, et toujours dans le meilleur des cas : Isaac Azimov, la S.F. années 90 orientation Guerre des Etoiles, Dune et possiblement Wilhem Reich, Alan Watts et Aldous Huxley.
20 février 2014, 13:44   Re : La dernière classe
Euh Watts, Huxley et Reich ce n'est pas plutôt la génération des parents ou des grands-parents qui y accédaient ? Je vois mal des jeunes californiens de 25 ans les lire...
20 février 2014, 14:06   Re : La dernière classe
Justement Loïk: les petits-enfants adorent s'opposer aux parents, ou les contourner, par une association avec l'univers des grands-parents ou avec celui de la prime jeunesse des parents, quand ils sont à la recherche d'une culture. Une de mes filles née en 1983 vit entièrement dans les années 70 (rien que pour em*rder son père)
20 février 2014, 20:13   Re : La dernière classe
En fait, nul ne sait ce qui va se passer.

Une chose est certaine : la vaste classe moyenne, la petite bourgeoisie sont promises à une rapide déchéance. Au lieu de jouer le rôle de classe centrale, elle va être marginalisée : sa partie supérieure va surnager, ses parties moyennes et inférieures sombrer.

Si je comprends bien le propos du PI, la petite bourgeoisie est le symbole même de l'in-culture, le repaire des personnes qui aiment les musiciens pour gens qui n'aiment pas la musique. Elle dicterait ses goûts. Si son rôle s'efface, ne peut-on en imaginer les conséquences ?
21 février 2014, 02:42   Re : La dernière classe
Bon sang, Francis, ne nous dites pas que vous en avez quatre !
21 février 2014, 17:07   Re : La dernière classe
Son second prénom est Tevye, je crois.
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