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Journalisterie et ignorance ordinaire

Envoyé par Francis Marche 
[www.lemonde.fr]


Comment une intelligence imparfaite ou mal dégrossie de l’anglais, ou disons de « l’international », chez un journaliste du Monde contribue à brouiller l’entendement, à noyer l’information qui n’atteint plus le lecteur francophone. Ce journaliste « correspondant à Pékin », qui use pour sources à son travail des dépêches d’agence ou la presse anglophone spécialisée, au lieu de puiser aux sources chinoises, officielles ou dissidentes, soit ne comprend qu’imparfaitement l’anglais, soit s’épargne l’effort minimal de traduire correctement ce que lui disent ses sources :

Car, note M. Potter, les alliances entre les groupuscules islamistes ouïgours longtemps isolés et la mouvance Al-Qaida retranchée dans les zones tribales du Pakistan ont donné lieu à une« fertilisation croisée » qui diffuse en Chine de nouvelles tactiques.

Ce terme de « fertilisation croisée », obscur en français, est une reprise littérale de l’anglais cross-fertilization, qui signifie hybridation ou croisement.

Malgré l'idéologie officielle d'union sacrée des « nationalités » – le vocable vient de l'Union soviétique –, la cohabitation entre Ouïgours et Hans est devenue beaucoup plus tendue depuis les évènements d'Urumqi de juillet 2009, qui avaient fait près de 200 morts, en majorité des Hans. Le gouvernement chinois, qui est largement acquis à la « circonscription han », comme l'expliquait le chercheur Kendrick Kuo dans Foreign Affairs en janvier dernier, veut toutefois éviter d'attiser la haine contre les Ouïgours.

Qu’est-ce donc que cette « circonscription han » habillée de guillemets ? Rien, bien sûr, il n’y a aucune «circonscription» ici, seulement le terme anglais constituency qui signifie, reconnaissons le, bien des choses, et qui, dans un contexte électoral, en effet, peut désigner une "circonscription". Mais dans le cas sur lequel se penche l’article, il ne s'agit nullement une circonscription électorale ou administrative, surtout pas : the Han constituency veut dire « la composante han » d’une population donnée, voire « les intérêts des Hans » dans la région.

Le correspondant à Pékin du Monde lit la revue Foreign Affairs et n’y comprend pas en français, se montre incapable de penser, la notion française que recouvre ce terme essentiel en anglais des sciences politiques, qui est constituency. C’est grave ? Non, c’est seulement habituel.

Voilà, c’est tout pour la frustration linguistique du jour. C'est fort peu, c'est l'ordinaire, et c'est peut-être là que gît la gravité du phénomène : sa quotidienne ordinarité.
Le problème de fond : lorsqu'un Français apprend quatre mots d'anglais, ce sont quatre mots français retirés de son vocabulaire. La substitution et la perte sont absolument automatiques et irrévocables. L'enseignement de matières "en anglais" (ou ce qui se fait passer pour tel) dans les établissements français tels les Instituts d'Etudes Politiques s'annonce de fait non point comme "enrichissement" ou "augmentation", mais bel et bien comme substitution, remplacement, éradication des moyens linguistiques de penser en français. C'est là un fait incontestable pour lequel je ne possède pas d'explication : le bilinguisme n'existe pas dans la partie européenne de la sphère francophone, il s'avère une franche impossibilité; est-ce parce que la race y montre toujours et de tous temps une adhésion monolinguistique farouche (depuis la romanisation de ces territoires ?) -- race qui, ataviquement, mordrait totalement et avec une féroce exclusive à l'apport extérieur à tel point qu'il ne peut être d'apport civilisationnel autre que substitutif ? Ne sais pas.
Sans compter que le terme anglais "fertilis(z)ation" n'a pas exactement le même sens qu'en français : durant mes études, on appelait cette "fertilisation croisée" une allogamie, c'est à dire plutôt une fécondation croisée, comme on dit "fécondation in vitro" et "in vitro fertilization".
Vous avez tout à fait raison Du Masneau, dans un article (je crois qu'on dit désormais "un papier") de revue spécialisée dans la recherche en biologie, allogamie serait le terme. Ici nous sommes sur un tout autre terrain. Fertilization c'est la fécondation, bien entendu (sauf en agriculture où cela peut désigner l'épandage d'engrais). Donc oui, "fécondation croisée" aurait été explicite ici.
Je voulais dire, Francis, que le journaliste utilisait le concept sans le comprendre, sans même savoir ce que "cross fertilization" voulait dire, et voyant sans doute passer, comme vous l'indiquez, des tonnes à lisier.

Pour le vocabulaire, je ne suis pas très sûr : il me semble que ce sont plutôt des mots du registre "normand" qui nous reviennent, déformés, et non point des mots du registre "saxon".

Par exemple, "manager", "management" ne sont pas très loins du sens français qu'on trouvait chez Saint-Simon, à propos de Genlis :

"Genlis avait de l'esprit et du manége et n'avait d'autre protection que celle dont il avait tout reçu"

Littré nous donne comme définition : Il se dit aussi des moyens, des ressorts, des ruses par lesquelles on s'efforce d'arriver à son but, ce qui n'est en effet guère loin du maneidjeumantt.
Sur l'hybridation, Francis, je ne sais si vous connaissez le petit roman en joual de Kérouac, "Sur le Chemin", dont voici deux courts extraits :

«Dans l'mois d'Octobre 1935, y'arriva une machine du West, de Denver, sur le chemin pour New York. Dans la machine était Dean Pomeray, un soûlon; Dean Pomeray Jr. son ti fils de 9 ans et Rolfe Glendiver, son step son, 24. C'était un vieille Model T Ford, toutes les trois avaient leux yeux attachez sur le chemin dans la nuit à travers la windshield.»

...

«Le pauvre tigas ava pas mangé d'la journée, son père avait eu une coupole de drinks et ne pensa pas manger comme a coutume, et Ti-Jean le suiva dans ça, dans leur aventure.»


Notez le "coupole", calque phonétique dépourvu de sens.
Non Jean-Marc, je ne connaissais pas ce texte de Kerouac, je savais qu'il s'exprimait oralement en joual ou "dans son français" mais ignorais qu'il le fît aussi par écrit. Je crois qu'il s'agit d'une "langue-masque", qui sert (ou servait ?) à ne pas être entendu des tiers, en Amérique, un peu comme l'argot des truants, voire le verlant à ses débuts. Chez Kerouac, il y avait sans doute de cela.

S'agissant de l'"hybridation" qui serait un enrichissement : ce fragment de Kerouac le démontre -- l'hybridation est une opération de substitution et le fruit hybride est un monstre infécond. Au fond, ce fruit est l'aboutissement terminal et mortifère d'un processus qui révèle en lui son absence d'avenir.

Substituer "windshield" à "pare-brise" ne mène à rien, n'enrichit rien, nous sommes en présence d'une recombinatoire qui, à l'instar du verlant qui ne crée point, est une impasse sans génération ultérieure, sans descendance. L'hybride est un être infécond ou plus précisément le dépositaire d'une fécondité qui s'est épuisée en amont dans un art recombinatoire vain et qui trouve en lui son point d'arrêt.
C'est en effet, je crois, la fonction du joual, langue populaire, non codifiée, qui est différente de celle du bourgeois francophone de Montréal, mais aussi de celle de l'industriel anglais, et qui n'est comprise ni par l'un, ni par l'autre, à moins d'un effort de réflexion.
Infécond, intestat, tératogène, tout ce que vous voudrez, mais l'impasse n'en demeure pas moins l'état le plus achevé de tout aboutissement possible.
Non. Le bout de la langue, par exemple, loin d'être une impasse, est un tremplin pour la parole, le chant, la pensée. L'achèvement de ce "bout du corps", point d'arrêt apparent, tient tout entier à sa nature de commencement de tout ce qui n'est pas le corps, à sa nature, si vous voulez, de fin de la corporéité. (Voyez ainsi qu'il est des aboutissements qui sont autres que des points d'arrêt, qui sont zones de transition, comme le sont les zones érogènes où l'on doit passer, qu'il faut franchir sans jamais s'y arrêter pour de bon ou immobiliser son geste, et que "l'état le plus achevé de tout aboutissement possible" risque fort d'être un état de transition entre fin et commencement).

Tandis que "l'impasse abouti", absolu, aboutit dans l'inachèvement (le rien d'autre que le connu et le déjà-là) et se solde par l'installation de soi prisonnier de soi.

La langue hybride (du reste mutique, interdite aux tiers, ce qui est symptome de stérilité) que Kérouac s'est amusé à coucher sur le papier est une langue prisonnière, tenue dans ses propres filets, arrêtée, sans dérivation ni fuite possible hors de soi dans une quelconque évolution, condamnée à n'exister que dans son jus et par la vertu d'une machine lexicologique à substituer des emprunts à d'autres emprunts, une machine trop primaire pour durer sans lasser.

(message modifié)
Ma come no ?!? Ecoutez, Francis : oui.
L'impasse est un point d'aboutissement ultime. Il n'y a rien à faire, vous aurez beau tortiller la phrase dans tous les sens, la jeter violemment à terre, elle est incassable. C'est comme ça.

Quant au "bout de la langue", ce n'est pas une impasse, tout simplement.
"Fin de la corporéité", dites-vous ? Il est amusant que Quignard s'évertue à montrer exactement le contraire.

« Écrire, trouver le mot, c'est éjaculer soudain. Ce sont cette rétention, cette contention, cette arrivée soudaine.
Le poème est ce jouir. Le poème est le nom trouvé. Le faire-corps avec la langue est le poème. Pour procurer une définition précise du poème, il faut peut-être convenir de dire simplement : le poème est l'exact opposé du nom sur le bout de la langue. »

Pascal Quignard, Le Nom sur le bout de la langue
Toujours non : un exemple pris au corps de la femme : l'utérus. Bel impasse n'est-ce pas. Où va-t-on ? Où peut-on bien aller au-delà de l'utérus qui est une cloche fermée, qui n'est le conduit corporel que de lui-même et vers rien ? Quel meilleur "point d'aboutissement ultime" n'est-ce pas ? Pourtant ce lieu, cette chambre noire et close, noire et rose, est le contraire d'un point d'arrêt : un point de départ. Un point de départ vers autre chose que ce corps, vers un corps tiers qui lui sera indépendant, ou qui sera appelé à lui être indépendant, le point de naissance d'un inconnu issu du connu, et cette impasse se révèle alors débouché, point de sortie de l'impasse d'une corporéité singulière ou du corps prisonnier de lui-même et enfermé dans ses extases circulaires.

Le bout de la langue, la pointe de la langue est le Finistère du corps, le commencement des grands voyages océaniques du verbe en allé du corps.

Je déteste les quignarderies. Et le fait que Quignard me donne tort constitue une preuve éclatante de plus que j'ai raison.
A noter que la citation de Quignard constituait le sujet de l'épreuve de composition française l'année dernière au Concours général.
03 mars 2014, 16:45   Page loisirs
Retrouve dans les Mémoires de Saint-Simon l'origine de cet extrait :


"Il existe une tendance de fond au pricing au volume, avec un volume de data limité et, de plus en plus, une coupure de l'accès data quand le plafond est atteint d'un côté, et de l'autre des options permettant d'ajouter de la data à son forfait à un prix plus avantageux que les recharges", observe Tariq Ashraf, manager Télécoms au cabinet de conseil Bearing Point" (L'Expansion, 2013)
Tiens, il n'y a pas de fautes d'orthographe ni de syntaxe au Cabinet de conseilingue. Est-ce possible ?
Ils ont recruté Quignard à la relecture. Il faut bien qu'il serve à quelque chose.
Ah ! Je vous sens mûrs pour postuler à ce genre d'offre d'emploi :

"Interlocuteur privilégié du client, vous serez en charge de la gestion complète du projet : design, planning, phasing, delivery, accompagnement."
Ils ont employé "accompagnement" au lieu de support. Ah les lâches! ils ont reculé au dernier moment. Ils n'ont pas osé la totale. Modernoeud n'a aucune suite dans les idées. La conversion-substitution est chez lui chroniquement imparfaite. Fort heureusement, c'est ce qui le perdra.
Tout cela, Francis, me confirme dans mon idée : une sorte de conquête de l'anglais "managérial" par des termes "latins" (romans, plutôt).

Voyez : data ; design, planning, phasing, delivery, support... et les omniprésents resources, duration, dependency et le magnifique competence... il y avait une phrase là-dessus chez Brown & Atkins, le pape et la papesse de l'éducation, il faudra que je la retrouve...

Evidemment, des perroquets utilisent directement ces termes sans penser à utiliser le terme français... j'ai même entendu un "riçorsis"...

Il ne reste plus qu'à fonder une association prônant l'usage de "bird lore" pour "ornithology"...


En tout cas, vous, interprètes, avez bien du travail qui vous attend : de récentes réunions m'ont montré que de plus en plus d'entreprises recherchent la précision dans la traduction (ou plutôt la précision dans la compréhension, si je puis dire) parce qu'il y a beaucoup de problèmes dus à une compréhension "à moitié" de l'anglais. De plus, bien des gens assez jeunes croient bien parler et bien comprendre, alors qu'ils ne comprennent pas. L'avantage des gens de mon âge est que nous savons que nous parlons mal et comprenons encore moins bien, et nous demandons en général à ceux qui savent, ou faisons se répéter nos interlocuteurs...
"Bird lore", je trouve ça assez joli, pour, par exemple, donner une version anglaise du Catalogue d'oiseaux de Messiaen... on y entend déjà le mot, magique pour Messiaen, de Loriot, qui était le nom de sa femme.

Pour le reste, mon bon monsieur Du Masneau, vous n'avez pas idée du malheur dans lequel la communication internationale est plongée à cause de ce faux bilinguisme ambiant.

Tenez pas plus tard qu'hier, un commentaire d'un lecteur de ma traduction anglaise de "assurer l’administration quotidienne du projet" : la personne est affectée à ce poste 48 jours sur les six mois que doit durer le projet. J'ai traduit ce "administration quotidienne" comme il est normal, soit par "on a daily basis"; j'aurais pu aussi user de l'expression " in charge of the daily administrative tasks of the project". Je ne pensais pas que le choix du terme anglais pour traduidre cette notion puisse avoir une quelconque incidence, que pareille nuance puisse être signifiante vu le niveau de langue désastreux et la loi d'approximation générale dans lequel ce type de document est couché. Eh bien j'eus gravement tort: le lecteur de ma traduction, une forte tête, objecta que cette personne ne pouvait assurer ces tâches "on a daily basis" sachant qu'elle sera employée seulement 48 jours sur les 180 que compte le projet.

Parfois, les bras m'en tombent, d'autres fois, je suis tenté de baisser les bras.
Effectivement... vous auriez pu lui répondre que le Quotidien de Référence auquel on aime donner de l'argent en s'abonnant ne paraît pas tout les jours...
"je suis tenté de baisser les bras".

Cela porte certainement un nom, en faux bilinguisme de vieilles racines.


Le latin aurait-il trouvé dans l'anglais managerial l'occasion de redire une messe ?
05 mars 2014, 05:40   Le mot de la fin
» Où va-t-on ?

Nulle part, dans cette conversation aussi : l'on vous parle d'impasses où l'on aura abouti, trouvé le terme, et vous répondez en invoquant des exemples d'"impasses" qui selon vous n'en sont pas.
L'impasse n'a qu'une issue, celle par laquelle on y a pénétré. Or, si cette issue est utilisée, il en ressort autre chose que l'être qui s' était enfermé dans l'impasse. Le fût du canon, par exemple, est une impasse, l'utérus, le point d'orgue dans une portée musicale sont des impasses (le point d'orgue est marqué d'un signe en cloche, il a, comme l'utérus, la forme d'un cul-de-sac), mais ce qui naît ou ressort de ces impasses est neuf, est autre. Comment le dire plus simplement ? Ce qui voyage à rebours, opère un mouvement translatif inverse, et en n'ayant point perpétué son mouvement initial, renaît autre, L'impasse est une rampe de lancement ou n'est point impasse (elle cesse d'être impasse ou se révèle autre qu'impasse lorsqu'on y découvre une issue secrète qui permettra de se perpétuer en perpétuant son mouvement translatif avant, etc.). Souvent, le retour est explosif hors l'impasse où le voyage avait abouti (mise au monde de l'enfant qui jaillit hors sa rampe de lancement utérine, tir d'obus, départ du troisième mouvement de la symphonie, insurrection populaire après que toute les issues politiques avaient été bloquées, etc.)

Ce qui reste à noter : c'est le mouvement vers l'arrière qui est violent et créateur de nouveauté radicale, et non le mouvement vers l'avant! c'est le mouvement retour, l'inversion de la vapeur, qui propulse le système (le système obus-fût du canon; le système femme-enfant, le système symphonique, le renversement de l'ordre social et politique), les sorties d'impasse par retour vers l'entrée sont toujours très fortement énergétiques et à valeur propulsive pour le système qui avait généré l'impasse. L'enseignement politique à tirer de cela pourrait être édifiant : l'inversion d'un cours, le retour en arrière, la réaction, sont énergisants et créateurs.

Je n'ignore pas que certains lisent cela comme élucubrations, tantôt amusantes, tantôt vaines et navrantes, et qu'Alain Eytan est de ceux là, pourtant, son pays, l'Etat d'Israël, fut créé exactement comme je le dis ici soit en réaction, en rebond contre la butée que faisait le fond d'une impasse, par un recul hors l'impasse; le dégagement hors de l'impasse fut effectué à l'instar du boulet quittant la bouche à feu par où il était entré, soit une inversion brutale du processus ayant conduit à l'impasse; cette impasse, dans les années ayant immédiatement précédé la seconde guerre mondiale était constituée par le refus d'immigration des juifs d'Europe voulant fuir les persécutions, refus que leur opposa alors la plupart des nations, de l'Afrique du Sud au Brésil, et qui de la part de l'empire britannique prit la forme du coup d'arrêt aux flux migratoires que l'administration de cet empire imposa en Palestine sous mandat. Certains juifs décidèrent alors de prendre les armes, et de sortir de l'impasse avec violence, par un mouvement de recul, de remontée dans l'histoire, jusqu'au point d'entrée qui avait été leur dispersion originelle, mouvement qui devait les ramener près de deux millénaires en arrière, et ce mouvement de recul, cette forte réaction, débouchèrent sur une création et une naissance, celles de l'Etat juif. Où l'on voit, une fois de plus, que l'impasse se révèle matrice, lieu de gestation d'un violent retour en arrière vers la nouveauté, que cette matrice est celle du recouvrement d'un cours originel qui avait été dévoyé dans l'impasse, laquelle aura été jusqu'au moment du dégagement vers son entrée lieu d'emmurement où l'inconnu avait perdu tous ses droits au profit de la borne et de l'archi-connu.
Je voudrais en profiter pour indiquer une possible homologie, une anti-symétrie si l'on veut, elle aussi signifiante et chargée d'enseignement : si le retour à la nouveauté eut pour matrice une impasse migratoire dans le cas de la création d'Israël (blocage de l'immigration juive en Palestine dans les années 30 et 40), il est concevable que l'impasse migratoire inverse à celle-là (un excès d'immigration) dans laquelle se trouve plongée l'Europe d'aujourd'hui et la France en particulier trouve son issue dans une remontée vers l'origine du problème, son point d'entrée, à savoir dans l'inversion du processus migratoire ayant abouti à la situation présente, en d'autres termes, que le recouvrement du cours originel de l'histoire européenne soit possible par une inversion des flux migratoires qui l'ont dévoyé; il ne serait en effet que logique que ce mouvement réactif conduisant à une rémigration soit re-créateur d'Europe aujourd'hui comme fut re-créateur d'Israël celui de la remontée aux origines par déblocage de l'immigration juive en Terre Sainte au milieu du siècle dernier.

(message modifié)
Bel exemple de charabia modernœud produit par l'AFP ici.

Exemple : « Seules des traces du virus ont été détectées par des analyses génétiques » (au lieu de "Seules des analyses génétiques ont permis de détecter des traces du virus"). On n'est même pas sûr qu'il reste à l'AFP et au Monde des gens capables de comprendre la différence entre les deux formulations...
Autre irritant : ce avec (qui est le with anglais) et qui signifie chez (le chez de "chez ce patient"). Le possessif français chez est très particulier à cette langue, très étranger à l'anglais (qui utilise le cas possessif : Le restaurant "Chez Marion", deviendra Marion's dans le monde anglophone comme Tiffany's signifie littéralement Chez Tiffany).

Du fait de son étrangeté face à l'anglais, il disparaît peu à peu du français en se faisant remplacer par "avec", calque de "with".

Le Monde et cette maudite AFP se portent bien entendu à l'avant-garde de ce remplacement :

Ce qui est le plus remarquable avec ce bébé, c'est la rapidité avec laquelle le virus a disparu...

qui devrait être, si l'on daignait continuer à parler et à écrire la langue nationale de la France : ce qui est remarquable chez ce bébé, etc..

Autre classique dans cet article, la traduction pléonastique de potentially par potentiellement alors que le modal "peut" est présent, ce qui donne le très élégant ce qui peut potentiellement conduire à une forme de guérison. Potentially n'est pas à traduire, ou si on y tient, on traduira "can potentially" par est susceptible de.

Autre cas de corruption typique du français subjugué par l'anglais, dont les verbes n'admettent aucune forme pronominalisée, et se pliant à ce trait morphologique:

le risque d'être infecté par un partenaire sexuel séropositif pouvait réduire de plus de 90 %, une approche appelée « prophylaxie avant exposition »

au lieu de "pouvait se réduire de plus 90%", mais le verbe "réduire" est là pour "diminuer" bien sûr, et sa présence ici ne peut s'expliquer que par l'emploi de "reduce" dans l'original anglais, et bien entendu, on a calqué sa construction sur celle de l'anglais.

A ma connaissance (je n'ai pas le temps d'aller vérifier), le verbe réduire intransitif ne s'emploie guère qu'en cuisine ("Faire réduire à feu doux"), cependant qu'en anglais il admet couramment de l'être (ici, probablement : could reduce by more than 90%)

Autre anglicisme patoisant, "donner une injection", pour "faire une injection" ou "administrer une injection" : les chercheurs ont donné une injection mensuelle d'un antirétroviral expérimental à effet prolongé,

On goûtera à cette occasion le style du "journal de référence", qui, quand il le faut, sait s'illustrer avec éclat :
Après simulation de plusieurs simulations de rapports sexuels avec un mâle infecté, aucune des femelles traitées n'est devenue séropositive.

On note toutefois que le pataquès signalé par Marcel a été corrigé, et que le rédacteur a su éviter de nommer le control group par le terme erroné très souvent employé de "groupe de contrôle" en utilisant le terme français correct : groupe témoin. Deux bons points donc. Keep up the good work!
Francis,

J'ai fait les recherches dont vous parliez.

Pour réduire, il n'y a aucun exemple classique de l'usage que vous dénoncez.

Pour avec, en revanche, j'ai trouvé ceci dans Littré :

Avec vous, avec lui, il n'y a jamais rien de fait ; c'est-à-dire si l'on s'en rapporte à vous, à lui. "Le plus désolant est qu'on ne peut compter sur rien avec elle". [Rousseau, Julie, ou la Nouvelle Héloïse]

Larousse et Robert disent "avec" licite dans le sens de "en ce qui concerne", ce qui est voisin.

Exemple personnel :"Avec vous, on n'est jamais déçu, ça c'est sûr !".

Pour l'injection, je me demande si la source de la corruption est bien là et si "donner une injection" ne vient pas de "donner un médicament", qui est correct, ce qui est très proche effectivement d'administrer, au sens de "donner l'extrême onction".

Allez en paix.
Merci de vous être livré ainsi à ces vérifications et recherches, cher Jean-Marc.

Votre objection à mon objection relative à avec dans le sens de chez appellerait des développements subtils auxquels mon actuelle condition grippale avancée me conduit à renoncer, toutefois, veuillez noter que, s'agissant de l'extrait de la Nouvelle Héloise, le remplacement de avec par chez apparaît difficile sinon impossible :

*Le plus désolant est qu'on ne peut compter sur rien chez elle

La subtilité ici tiendrait à la présence d'une relation prédicative sous-jacente ("compter avec elle"; "la compter parmi nous", etc.) qui place l'énonciateur comme sujet et le sujet apparent comme tiers dans cette relation, ce qui autorise "avec".

Tandis que si "avec" doit s'effacer devant le français "chez" dans *ce qui est remarquable avec ce bébé, etc.. c'est parce que l'énonciateur n'est nullement impliqué comme agent au sein de la prédication. Le chez s'impose parce que l'énoncé déclaratif est d'ordre objectif et clinique sans que l'instance énonciatrice soit partie prenante du constat, à la différence du on de "on ne peut compter sur rien avec elle", ou encore du on de "on n'est jamais déçu avec vous".

Le chez de l'énoncé clinique ne renvoit à rien d'autre qu'au comportement du sujet animé visé dans l'énonciation : ce qui est remarquable chez ce patient, c'est ...; ce qui est affligeant chez ma belle-mère est sa manière de vous ignorer quand vous êtes accompagné de sa fille, etc.

Faire une injection vs donner une injection :

L'Anglais dit I gave him an injection at 6 a m; le Français : je lui ai fait une injection à 6 heures.

NB: notez cet emploi du chez "clinique" dans le Balzac du Traité des excitants modernes:
N'oubliez pas de constater chez le buveur l'action d'une soif dévorante le lendemain, et souvent à la fin de son orgie.
» les sorties d'impasse par retour vers l'entrée sont toujours très fortement énergétiques et à valeur propulsive pour le système qui avait généré l'impasse. L'enseignement politique à tirer de cela pourrait être édifiant : l'inversion d'un cours, le
retour en arrière, la réaction, sont énergisants et créateurs.



Cher Francis, c'est un peu le principe du moteur à réaction, votre histoire, non ?
Toujours est-il qu'aux sortes d'"impasses transitives" que vous évoquez, assurant la permanence du mouvement par la poussée vers l'arrière, j'opposai l'impasse bloquante, le figement dans un stupor sans issue, jusqu'à l'étouffement, la pétrification formelle d'un arrêt sur image qui signifie tout simplement la tangence à la limite, infranchissable, point d’aboutissement et d'achèvement sans retour ni avancée, qui sera aussi bien un climax qu'une fin.
Esthétiquement même cela me botte davantage en ce moment, et d'ailleurs généralement depuis toujours, mais, que voulez-vous, chacun ses trucs...
Il y a l'impasse en laquelle existe la possibilité de rebrousser chemin; et il y a impasse qui se referme derrière soi, autrement dit la nasse, à mes yeux l'inertie définitive, soit la mort, pour faire simple. Je ne sais pas si l'Histoire peut mourir. Et si "la fin du monde" est chose concevable, je ne la conçois guère comme cela : l'arrêt total par inertie. Je suis resté attaché aux visions d'apocalypse fortement chargées d'événements et de feux d'artifice, voyez-vous. Mais peut-être est-ce encore une question de goût.

Pour en revenir à l'impasse où il est possible de rebrousser chemin, jusqu'à opérer des remontées dans l'histoire d'une très forte vélocité, je vous réponds oui, c'est bien le principe du moteur à réaction. En politique, comme en physique, la réaction est motrice. On le perd de vue trop souvent.

Je ne sais si l'on peut aller jusqu'à théoriser cette vélocité du "rebroussement de chemin", lequel, parce qu'il y a remontée dans le temps, est contraint de s'opérer avec célérité et dans un laps de temps très bref faute de quoi le temps de la remontée devrait lui-même être inclus dans la remontée du temps (!), un peu comme dans le cas des intérêts augmentés par la durée consacrée à payer les intérêts dans le système qu'imposent les banques occidentales (pas au Japon) offrant des prêts immobiliers (problème évoqué récemment); la révolution réactionnaire si elle devait s'opèrer lentement deviendrait une aporétique mise en abyme pour cette raison : la remontée dans le temps, la reprise du cours perdu, si elle traînait en longueur, obligerait à être elle-même reparcourue.

Tandis que l'avancée linéaire, mono-directionnelle, celle des "avancées sociétales" prônées par le Parti socialiste en France, par exemple, offre le luxe dispendieux (et passablement illusoire) de pouvoir s'étaler dans le temps, de viser l'entropie égalitaire, l'inertie finale où toute l'humanité égale est étale et où l'Histoire est comme une mer d'huile agitée à l'occasion de frémissements festifs. C'est la vision de l'histoire et de l'humanité à avancée constante qu'entretiennent les Anne Hidalgo, les Bertrand Delanoë, dans laquelle des humains tous égaux, tous également métis, sans identité marquée, sans historique ni histoire propres, sans violence identifiable (dont la violence est niée), jouent indéfiniment sur les pelouses des Jardins du Luxembourg comme des petits lapins, c'est l'histoire prise comme nasse, antithétique à l'impasse matricielle des réactionnaires.
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