Charles Koechlin était fasciné par Rudyard Kipling. Il a composé de très belles musiques sur le
Livre de la jungle, où se trouve un éléphant enchaîné prénommé Nag qui se lamente de ne rejoindre jamais ses frères de jungle. C'est ainsi que son admiration pour Kipling conduisit Koechlin à devenir un peu le Douanier Rousseau de la musique française. Voilà à quoi vous porte l'admiration pour les écrivains : à vous perdre loin de vous-même, et généralement dans l'absurde, quand ce n'est pas le ridicule de l'égarement donquichotesque. Ecoutez plutôt
El Barberillo de Lavapiès de Francisco Asenjio de Barbieri, c'est léger, entraînant comme
La Vie parisienne, pas moins exotique que Kipling et généralement moins triste que Koechlin -- et c'est tout rempli de voix fruitées habillées de jupons et d'un ténor qu'emporte l'orchestre symphonique de Ténérife dans de puissantes et viriles extases, bref de la musique comme on en composait, et en interprétait encore quand les nations, les pays, les peuples existaient dans leur distinction et leur territoire. Profitez-en il n'y en a plus pour longtemps :
la musique disparaît avec les nations. Comme l'expliquait récemment un musicologue ayant contribué aux Cahiers de l'In-nocence n°1 (encore disponible chez l'Editeur, hâtez-vous les stocks ne sont pas inépuisables) la meilleure musique, et souvent la plus révolutionnaire, fut encore tout le 20e siècle
la musique des nations. Personne ne sait pourquoi. Est-ce parce que la musique est indissociable de la notion même de corps collectif constitué ? No sé.