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Communiqué n° 1704 : Sur le rôle de la France face aux massacres rwandais

Communiqué n° 1704, lundi 7 avril 2014
Sur le rôle de la France face aux massacres rwandais

Le parti de l’In-nocence juge manifestement insuffisante la ligne de défense du gouvernement français en réponse aux nouvelles et très graves accusations du président rwandais, Paul Kagamé, sur ce qu’il dépeint comme le rôle de la France dans les massacres de 1994 et 1995 au Rwanda. Se contenter de déclarer officiellement que ces accusations sont étonnantes et déplacées eu égard au processus de réconciliation prétendûment en cours n’est évidemment pas une réaction convenable, eu égard à la gravité extrême de l’incrimination, qui ne peut, par son insistance, que troubler les Français comme elle trouble la communauté internationale. Une enquête objective doit être menée, de préférence, hélas, par des personnalités ou des organisations étrangères, présentant les plus grands garanties d’impartialité. Elle est d’autant plus nécessaire, et ses résultats d‘autant moins assurés, que l’accusateur lui-même est bien loin d’offrir tous les gages de neutralité et d’innocence.
J'ai fait part, lors du vote, de mon opposition à ce communiqué. Je pensais qu'il faisait la part belle aux affirmations de M. Kagamé. J'apprécierais, en effet, que celui-ci avance le début du commencement d'une preuve avant de mettre en cause la France. Je considère que l'on ne peut pas demander à quelqu'un de prouver son innocence.

La France et le PI devaient à mon sens envoyer paître ce monsieur comme il le mérite.

Pour nourrir le débat (et non pour remettre en cause la décision prise à la majorité par les adhérents in-nocents), je mets ici le contenu d'un article paru sur le site de Causeur.

Il me semble qu'il dit parfaitement l'honneur de la France dans cette tragédie et qu'il met parfaitement en avant le discours victimaire de Kagamé, désireux de piéger la France, comme d'autres, en lui demandant de faire repentance (qui plus est pour des faits qu'elle n'a pas commis).

"La France n’a pas à rougir de son action au Rwanda - Kagame en quête d’un bouc émissaire

C’est un triste anniversaire que le Rwanda célébrait le 6 avril dernier. Vingt ans plus tôt, jour pour jour, le pays devenait le théâtre d’un génocide emportant avec lui des centaines de milliers de victimes, sur fond de combats ethniques, de pillages, d’exactions, de tortures et d’exodes en série.

Les portes de l’enfer se sont ouvertes le 6 avril 1994 au soir, quand l’avion qui transportait le Président rwandais Habyarimana ainsi que son homologue burundais est abattu alors qu’il allait se poser sur le tarmac de l’aéroport de Kigali. Aujourd’hui encore, l’identité des commanditaires reste sujette à débat. Mais à, l’époque, pour certains cercles du pouvoir rwandais dirigé par la majorité hutu, il n’y a pas de doute : derrière l’assassinat se trouvent les Tutsis dont les forces armées, entrées dans le pays en octobre 1990, ne sont plus qu’à une dizaine de kilomètres de la capitale. Pendant une centaine de jours, les tutsis sont massacrés dans des conditions abominables par les hutus. Partout dans le pays, les cadavres des tutsis s’empilent. Dans la plupart des cas, les assassins sont les voisins de leurs victimes, armés de machettes. Chauffés à blanc par une propagande génocidaire quasi-officielle et dans un climat de « grande terreur » face à l’avancée exponentielle des forces tutsies du FPR, de nombreux hutus, souvent simples paysans, vont se transformer en véritables fauves.

En Occident, les images des horreurs défilent sur les écrans de télévision. Mais seule la France semble résolue à s’interposer. À peine six mois auparavant, les forces françaises ont quitté le pays après trois ans de présence, laissant la place à la force onusienne de la MINUAR, conformément aux accords de paix d’Arusha, Les casques bleus se révèlent impuissants et, par la voix du général canadien Roméo Dallaire, multiplient les demandes urgentes de renfort. Cet officier ne sera pas écouté, condamné à devenir le témoin d’un génocide qu’il croyait pouvoir sinon empêcher, du moins atténuer.

Dans l’urgence et face à la dégradation générale de la situation – la faillite des accords d’Arusha, la panique des proches du président assassiné et l’arrivée des forces tutsies à Kigali – la France déclenche l’opération Amarillys. Celle-ci, longue d’une semaine, a pour objectif l’évacuation des ressortissants français et internationaux. À maintes reprises, on reprochera à la France de ne pas être intervenue au cours de cette opération pour arrêter le massacre. Il faut signaler que le commandant en chef de l‘ONU n’y était pas favorable et que même les forces tutsies, aussi nombreuses que les troupes françaises, n’ont pas pu faire grand-chose. Autres critiques adressées à la France : avoir fourni des munitions aux milices hutues et avoir appliqué des critères forcément sélectifs pour l’évacuation des citoyens rwandais. Ces accusations, certes compréhensibles, se sont souvent appuyées sur des témoignages douteux voire carrément faux. Tout au plus peut-on peut reprocher aux forces françaises quelques erreurs de jugements dans des circonstances extrêmement compliquées.

C’est donc après plus de deux mois de massacres et d’impuissance onusienne que, le 22 juin 1994, la diplomatie française arrache à l’ONU un feu vert pour une intervention limitée à deux mois. La France lance l’opération Turquoise et dépêche trois groupements opérationnels qui prennent position dans l’Ouest du pays, avec pour mission de « mettre fin aux massacres partout où cela sera possible, éventuellement en utilisant la force. »

Fin août 1994, l’armée française se retire, remplacée par la MINUAR II. Son action de soixante jours aura tout de même permis d’interrompre les massacres et de sauver des milliers de vie – tutsies mais aussi hutues, menacées à leur tour par les rapports de force changeants. Elle aura aussi permis à environ deux millions et demi de personnes déplacées de rester dans leurs pays, leur évitant ainsi le sort tragique des réfugiés expatriés.

Mais malgré ces faits, la France se retrouve aujourd’hui sur le banc des accusés, pointée du doigt – le comble – par Paul Kagame, actuel président et ancien chef de la rébellion. Un homme que de nombreux indices concordants désignent comme le commanditaire de l’attentat de 6 avril 1994 ! Que reproche-t-il à la France dont les forces, rappelons-le, n’ont pas été sur le terrain entre la fin de 1993 et juin 1994 ? Ni plus ni moins que d’avoir entraîné et armé à dessein les assassins, pendant les trois années de sa présence militaire aux côtés des forces armées rwandaises.

Or, si l’on peut débattre de la logique qui a guidé la décision de François Mitterrand d’aider le gouvernement rwandais en octobre 1990, on ne saurait nier la légalité et la légitimité de la démarche. Si l’on peut convenir que les instructeurs français ont sans doute parfois outrepassé le cadre strict de leur mission de formation et de conseil auprès des unités combattantes de l’armée rwandaise, cela ne nous autorise pas à accuser les militaires français de complicité dans la préparation d’un génocide. Et d’ailleurs, quand on connaît la réalité de ce génocide, perpétré le plus souvent à l’arme blanche, par des gens sans aucune formation militaire, on se demande si ces assassins improvisés avaient réellement besoin d’un savoir-faire acquis à Saint-Cyr… Il y a d’autres questions autrement plus pertinentes qu’on ne pose jamais : pourquoi la MINUAR n’a-t-elle pas reçu les renforts nécessaires qu’elle demandait au moment même où les atrocités se déroulaient ? Pour quelles raisons a-t-il fallu attendre deux mois et demi avant de permettre à la France d’intervenir? Les réponses sont sans doute trop évidentes.

En instrumentalisant le génocide dont il pourrait porter une certaine responsabilité, Kagame tente de légitimer son autorité, aujourd’hui ébréchée. Après s’être emparé du pouvoir en 1994, il est confronté au problème politique fondamental du Rwanda : sa démographie. Aussi longtemps que la politique du pays sera structurée par le clivage ethnique, les Hutus, largement majoritaires, détiendront le pouvoir. Pour le tutsi Kagame, la démocratie est un piège dont la seule issue est un mélange de discours victimaire et d’alliance avec Washington. Dans ce contexte, la France est le coupable idéal. C’est peut-être cela, le prix de la démocratie."
Kagamé voit des génocidaires partout, c'est un malade.
"La France n’a pas à rougir de son action au Rwanda"

Monsieur Kagamé est sans conteste un dictateur.
Cela n'empêche qu'il a raison en affirmant que l'implication de la France dans le genèse du génocide est indéniable - le Quai d'Orsay soumis aux affairistes de la France-Afrique, délires d'un l'Etat-Major chauffé à blanc ("Khmers noirs") ...-.

Vous cherchez des preuves ?

L'entrainement des milices Hutus par des soldats de la France est démontrée. L'engagement de troupes au sol avant le 6 avril 1994 est certaine (j'ai eu les preuves en main) et, plus grave, la fourniture d'armes après le 6 avril (Goma, mai 1994) est également bien documentée.

right or wrong my country ? J'attendais mieux de ce forum que ce révisionnisme cocardier.
Sur le sujet, je conseille le livre de Benoit Collombat & David Servenay << Au nom de la France >> ed. La Découverte mars 2014.
Citation
Pierre Billen
"La France n’a pas à rougir de son action au Rwanda"

Monsieur Kagamé est sans conteste un dictateur.
Cela n'empêche qu'il a raison en affirmant que l'implication de la France dans le genèse du génocide est indéniable - le Quai d'Orsay soumis aux affairistes de la France-Afrique, délires d'un l'Etat-Major chauffé à blanc ("Khmers noirs") ...-.

Vous cherchez des preuves ?

L'entrainement des milices Hutus par des soldats de la France est démontrée. L'engagement de troupes au sol avant le 6 avril 1994 est certaine (j'ai eu les preuves en main) et, plus grave, la fourniture d'armes après le 6 avril (Goma, mai 1994) est également bien documentée.

right or wrong my country ? J'attendais mieux de ce forum que ce révisionnisme cocardier.


Voir Mediapart et l’interview du Général Jean Varet.
FRANCE - ENQUÊTE
Pour la première fois, un général reconnaît la «faute» de la France au Rwanda
14 MARS 2019 | PAR DAVID SERVENAY
Jamais un officier de si haut rang de l’armée française n'avait dressé un bilan aussi sévère de l’action de la France avant et pendant le génocide de 1994 au Rwanda. Dans un entretien à Mediapart et à la cellule investigation de Radio France, le général Jean Varret dénonce les « fautes » de la France commises sous la pression d’un « lobby militaire ». Premier épisode d’une série d’enquêtes et de reportages que nous publions vingt-cinq ans après la tragédie rwandaise.
Il a longuement hésité avant de parler. Est-ce le temps qui passe ? Ces heures interminables à cogiter sur un lit d'hôpital, à la suite d'un accident de montagne ? Voire le souci de laisser à ses proches le souvenir d'un homme resté fidèle à ses convictions ? C’est en tout cas la première fois qu'un officier de si haut rang de l’armée, le général de corps d'armée Jean Varret, dresse un bilan très sévère de l'action que la France a menée au Rwanda, à partir d'octobre 1990 et jusqu'au génocide de 1994.


Le général de division Jean Varret. © Benît Collombat, de la cellule investigation de Radio France
Pour Mediapart et la cellule investigation de Radio France, le militaire, aujourd’hui âgé de 84 ans, raconte les origines d'un fiasco politique et militaire qui, selon lui, aurait pu être évité.
Ce fiasco, c'est celui du dernier génocide du XXe siècle, qui, en cent jours, a fait un million de morts au Rwanda, au printemps 1994. Soit un dixième de la population de ce pays grand comme la Bretagne, au milieu de la région des Grands Lacs. Depuis maintenant vingt-cinq ans, la France se débat dans des accusations de compromissions multiples avec le régime génocidaire, avant, pendant et après les massacres de masse dont la minorité tutsie a été la principale victime.

Pour le général Varret, auteur de l'ouvrage Général, j'en ai pris pour mon grade (éditions Sydney Laurent), cette tragédie était annoncée. Une partie de l’armée française et la présidence de François Mitterrand ont été, dit-il, « aveuglées » par l'aile extrémiste du régime rwandais. Un quart de siècle après les faits, le militaire parle d’une « faute » commise au sommet des institutions politiques et militaires françaises, qui a « débouché sur un génocide ».

Le premier avertissement a lieu dès novembre 1990, alors qu'il vient tout juste de prendre ses fonctions de chef de la Mission militaire de coopération (MMC). Le général Varret est à Kigali pour faire le point avec ses homologues rwandais qui présentent ce qu’ils nomment leur « liste de courses ». Face à la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR), arrivé un mois plus tôt aux portes de la capitale pour prendre le pouvoir, le régime hutu est aux abois. Même s'ils se savent provisoirement protégés par deux compagnies de parachutistes envoyées sur ordre de l'Élysée, les haut gradés des Forces armées rwandaises (FAR), au pouvoir, ont conscience de leurs faiblesses.

Aussi le colonel Pierre-Célestin Rwagafilita, chef d'état-major de la gendarmerie, demande-t-il le maximum au général Varret : des mitrailleuses et des mortiers pour faire du maintien de l'ordre. Pas question, répond l'officier français : « Devant mon refus catégorique, se souvient-il, le chef de la gendarmerie dit : “Messieurs, vous pouvez partir, je reste avec le général.” Et là il me dit : “On est en tête à tête, entre militaires, on va parler clairement… Je vous demande ces armes, car je vais participer avec l'armée à la liquidation du problème. Le problème, il est très simple : les Tutsis ne sont pas très nombreux, on va les liquider”. »

Quatre ans avant le génocide, un officier rwandais dévoile explicitement les intentions meurtrières du régime à son homologue français. Un message à prendre au sérieux, car Pierre-Célestin Rwagafilita est un homme du premier cercle du président rwandais en exercice Juvénal Habyarimana.


De retour à Paris, le général Varret rend compte, sans ambiguïté, du risque pour les civils qu'il y a à soutenir un pouvoir obsédé par la menace d'une « cinquième colonne » tutsie. Ses rapports sont lus au ministère de la coopération, mais aussi au ministère de la défense, dont il dépend organiquement. Il est lu, mais personne ne l'écoute, en particulier pas ceux qui « occupent des postes-clés ». Jean Varret connaît personnellement ces chefs militaires qui entourent François Mitterrand : le général Christian Quesnot, chef d'état-major particulier du président, et son adjoint, le colonel Jean-Pierre Huchon, ou encore l'amiral Jacques Lanxade, chef d'état-major des armées.

L'officier de cavalerie, passé par Saint-Cyr, sait qu'il se heurte à un courant très influent dans l'armée de terre : celui des troupes de marine, toujours très actives et présentes sur les théâtres d'opérations extérieurs, notamment en Afrique. Ses camarades de la « colo » n'ont jamais digéré sa nomination à la tête de la Mission militaire de coopération, dont ils estiment qu'elle est leur chasse gardée. Qui plus est, dans ce cénacle, personne n'est prêt à aller contre les avis du président de la République.

Les accusations de Jean Varret, très graves, sont totalement réfutées par l'amiral Jacques Lanxade, que Mediapart a aussi longuement interrogé pour cette enquête. Ce marin fut très proche de François Mitterrand, qu'il a côtoyé au sommet de l'État, d'abord comme chef d'état-major particulier (1989-1991), puis comme chef d'état-major des armées (1991-1995).

Son démenti s'appuie sur l'argument d'un choix politique fait par le président de la République dès le début de la crise, en octobre 1990 : « Notre rôle était de faire en sorte que ceci [le génocide – ndlr] n'arrive pas. Nous ne voulions pas la déstabilisation du Rwanda. On a donc fait trois choses : une action politique sur Habyarimana pour qu'il accepte de démocratiser son pays, ce qu'il a commencé à faire. Puis, on négocie et on est très impliqués dans les accords de paix d'Arusha, et par ailleurs on soutient l'armée régulière de ce pays pour que le FPR n'entre pas et que la déstabilisation n'intervienne pas. »

« Quand des informations comme celles de Jean Varret arrivent, répond l'amiral Lanxade, eh bien, elles justifient notre présence. Varret a eu raison de dire ce qu'il a dit, mais on ne peut pas en tirer la conclusion que nous avons été imprudents. » Au contraire, pour l'ancien patron des armées françaises, ce message conforte le choix politique du chef de l'État : « Mais qu'est-ce qu'on aurait pu faire à ce moment-là ? ajoute l'amiral Lanxade. On n'allait pas se retirer. On était là justement pour empêcher ce que Varret pensait comme une éventualité possible, par une coopération technique avec la gendarmerie, avec les FAR. Notre intervention visait à éviter que le gouvernement s'effondre et ne tombe dans la guerre civile. Qu'aurions-nous dû faire ? Partir ? Mais alors c'était la guerre civile tout de suite. »

Petit à petit, à Paris, deux camps vont clairement se dessiner autour du dossier rwandais. D'un côté, les “colombes” essaient de tirer la sonnette d'alarme sur les excès de la politique africaine de l'Élysée. De l'autre, les “faucons” poussent, à chaque offensive du FPR, à un renforcement de l'aide à l'armée rwandaise. Ce qui a pour effet de durcir le clan des extrémistes au sein de la classe politique rwandaise. Pierre Joxe, ministre de la défense, est l’un des premiers responsables politiques français à alerter François Mitterrand sur les dangers encourus à soutenir trop fermement le régime du président Habyarimana.

Dans une note au président datée du 26 février 1993, il met en garde l'Élysée : « Le seul moyen de pression un peu fort qui nous reste – l'intervention directe étant exclue – me semble l'éventualité de notre désengagement. » Son directeur de cabinet adjoint, Louis Gauthier, était plus précis lorsque nous l'avions interrogé en 2014 : « Pierre Joxe avait une réserve assez marquée à l'égard de la cellule africaine de l'Élysée et du général Quesnot. Il y avait une cellule parallèle avec laquelle Joxe entendait rompre. » Il ne sera pas suivi.

De fortes dissenssions au sein des services secrets

Lorsque la France bascule dans la cohabitation entre un président socialiste et un gouvernement RPR de droite, après les législatives de mars 1993, Matignon devient la place forte des “colombes”. Édouard Balladur, premier ministre, essaie de limiter l'intervention française, sans toujours pouvoir l'emporter sur l'Élysée. Le chef des armées reste bien le président de la République, jusque dans les conseils de défense restreints où se tranchent les oppositions les plus vives.

Même clivage dans les services de renseignement, où l'une des principales réformes voulue par Pierre Joxe est, paradoxalement, à l'origine du renforcement du clan des “faucons”. Tirant les enseignements des ratés de la guerre du Golfe en matière de renseignement, le ministre de la défense a créé, en juin 1992, deux nouvelles structures. Le Commandement des opérations spéciales (COS) vise à regrouper sous une même entité les forces spéciales de toutes les armes, tandis que la Direction du renseignement militaire (DRM) doit être l'œil et les oreilles de l'état-major, là aussi dans une approche inter-armées.


L'ancien président rwandais Juvénal Habyarimana, assassiné en 1994, ici en 1980.
Or la DRM nourrit ses analyses du réseau des troupes déployées au Rwanda, dans le cadre de la coopération militaire. Elle va donc avoir une vision très proche de celle des officiers de la coopération militaire, qui adhèrent aux thèses extrémistes du régime Habyarimana. Là où la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) tente, dans ses notes, d'avertir des dangers de la radicalisation du conflit.

Le deuxième avertissement au général Varret a lieu début 1993. Cette période est un tournant dans la politique française, qui va s'enfoncer de manière irrémédiable dans une position jusqu'au-boutiste. Encore une fois, la mécanique du génocide monte d'un cran. Début janvier, une commission d'enquête emmenée par la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) recueille de nombreuses preuves des massacres ethniques commis les mois précédents.

Une fois la commission partie, de nouveaux massacres sont perpétrés par des extrémistes du « Hutu Power » liés au parti du président Habyarimana, le MRND. Ils font 300 morts dans le nord du pays. En réaction, le 8 février, le FPR lance une offensive vers Ruhengeri et Byumba, deux fiefs du président. Les rebelles enfoncent les lignes adverses et avancent jusqu'à 30 kilomètres de la capitale. Un million de réfugiés se massent autour de Kigali, coincés entre les deux armées. Les Français renforcent leur dispositif, puis envoient un nouveau détachement du 1er RPIMa, commandé par le lieutenant-colonel Didier Tauzin, pour épauler l'armée rwandaise. Avec succès : en quinze jours, les “marsouins” stoppent l'avancée des rebelles.

C'est dans cette période que le général Varret va être à nouveau désavoué. « Un jour, dans le parc de l'Akagera. j'inspecte le Détachement d'assistance militaire et d'instruction (DAMI) du 1er RPIMa, qui était donc sous mes ordres. Et là, j'apprends qu'ils font des interventions que je n'admettais pas – à savoir qu'ils avaient été en Ouganda, derrière les lignes ennemies, pour essayer d'avoir du renseignement sur le FPR. » L'acte est grave, car les troupes françaises ont l'interdiction absolue de s'engager directement dans le conflit. Une ligne rouge à ne pas franchir. « Donc, j'apprends cela, poursuit Varret, renseignement sûr, je les engueule. Je rentre à Paris et trois jours après, je trouve un message disant : “Les unités DAMI ne sont plus sous vos ordres.” » Jean Varret ne saura jamais d'où est venu ce camouflet.

« J'ai pris cela comme un désaveu, analyse-t-il aujourd'hui. Et je m'en suis expliqué récemment par téléphone avec l'amiral Lanxade en lui demandant : “Pourquoi m'avoir retiré le commandement du DAMI ?” Sa réponse a été : “On venait de créer le COS et le 1er RPIMa passait sous ses ordres.” Donc, il se peut fort bien que ce manque de confiance tenait au fait que le COS avait pris le commandement des unités, y compris de celles présentes au Rwanda. » Dans le doute, Jean Varret préfère s'en tenir à cette version. Il sait pourtant que ses jours sont comptés.

C'est Michel Roussin, le tout nouveau ministre de la coopération, chiraquien, gendarme et ancien de la DGSE, qui va lui communiquer la mauvaise nouvelle, quelques semaines plus tard, en avril 1993 : Jean Varret ne sera pas reconduit pour un an comme chef de la MMC, comme il le souhaitait. Le « lobby militaire » est parvenu à ses fins. « Le lobby militaire, explique-t-il, c'est une connivence entre certains militaires, qui n'étaient pas majoritaires, mais à des postes-clés : l'état-major particulier, la DRM, l'état-major des armées… Ce groupe, dont je connaissais certains éléments, faisait pression, y compris pour m'évincer de mes responsabilités. »

Ces militaires ont-ils trop poussé l'engagement de la France au Rwanda ? « Je le pense. Pas l'institution, mais certains militaires à des postes-clés ont été trop loin, parce qu'ils n'ont pas voulu prendre en compte les risques de cette politique de soutien à Habyarimana. De soutien effectif, c'est-à-dire qu'il y a eu forcément des manquements. La coopération avait pour mission d'aider à former, d'équiper, mais certainement pas à combattre. Et je pense que ce lobby militaire a été plus enclin à aider au combat. »

Jean Varret sait de quoi il parle lorsqu'il évoque cette tension au sommet de l'État. Sorti de Saint-Cyr en 1959, il a commencé sa carrière d'officier en Algérie, sous le béret rouge des parachutistes. Deux ans dans les montagnes à batailler contre les rebelles du FLN. S'il refuse l'usage de la torture, en revanche, il n'hésite pas longtemps, en avril 1961, à basculer dans le camp des officiers putschistes contre le général de Gaulle. « Le putsch était stupide, dit-il aujourd'hui. De cette expérience malheureuse, je suis revenu convaincu que, dès qu'un militaire touchait au politique, il avait tort. Nous sommes des techniciens et nous ne devons pas utiliser notre technique, qui est très particulière – c'est le droit de la guerre –, au profit des politiques. Des putschs ? Plus jamais. »

Or son récit de la politique menée par la France au Rwanda a tout d'un putsch interne à l'État, où les militaires prennent le pas sur les politiques.


Hubert Védrine, ancien secrétaire général de l'Elysée sous François Mitterrand. © Reuters
Pourquoi ? La question revient sans cesse. Pourquoi donc le Rwanda a-t-il fait l'objet d'un tel acharnement politique à l'Élysée ? À cette question, Jean Varret répond par l'esquive : « Il faudrait être dans la tête du président et des responsables de l'époque… »
Au premier rang de ces « responsables » figure le secrétaire général de l'Élysée. Hubert Védrine était alors la tour de contrôle de l'Élysée, celui qui filtrait les notes présentées au président. Pour le général Varret, l'ancien haut fonctionnaire devrait s'expliquer sur les « erreurs politiques et les erreurs militaires » commises. Hubert Védrine n'a pas répondu à la sollicitation de Mediapart.

Jean Varret ne verra pas la fin de l'histoire. Débarqué de son poste au printemps 1993, il refuse le placard doré que lui propose l'Élysée et quitte l'armée. Avec le recul, ce fut une chance, car jamais il n'aurait assumé l'obligation d'être solidaire du « lobby militaire » dans la crise qui se déclenche le 6 avril 1994, après l'attentat contre le Falcon du président Habyarimana, abattu par deux missiles sol-air à son arrivée à Kigali.

À la question de savoir comment qualifier ce fiasco politique, le général quatre étoiles n'hésite pas : « Malheureusement, dit-il, l'histoire a prouvé que c'était une faute, plus qu'une erreur, puisque cela a débouché sur un génocide. » En toute logique, il estime donc que « certains » ont bien « une responsabilité » liée à cette « faute » : « Il y a eu quand même un aveuglement. C'est-à-dire qu'aucun civil ou militaire n'aurait souhaité le génocide. Aucun. Par contre, certains n'ont pas pris le risque au sérieux. »

Lors du déclenchement du génocide, ce « risque » est tellement minoré que le premier geste de l'armée tricolore, le 9 avril 1994, consiste à poser en pleine nuit un avion Transal bourré d'armes destinées aux FAR, alors qu'il s'agit – officiellement et uniquement – d'évacuer les ressortissants européens du bourbier rwandais.

Le double jeu continue, comme si le génocide n'avait pas commencé.

Si vous avez des informations à nous communiquer, vous pouvez nous contacter à l’adresse enquete@mediapart.fr. Si vous souhaitez adresser des documents en passant par une plateforme hautement sécurisée, vous pouvez vous connecter au site frenchleaks.fr.

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David Servenay, qui signe ici son premier article pour Mediapart, est journaliste indépendant. Il a travaillé pendant plusieurs années pour Radio France internationale (RFI), Rue89 et La Revue dessinée. Il collabore également avec le quotidien Le Monde. David est l'un des meilleurs spécialistes français du génocide au Rwanda, auquel il a consacré deux ouvrages aux éditions de La Découverte : « Au nom de la France », guerres secrètes au Rwanda (avec Benoît Collombat) et Une guerre noire, enquête sur les origines du génocide rwandais 1959-1994 (avec Gabriel Périès).

PRECISION.- Il a été indiqué dans une première version de cet article que Jean Varret était général de division. Sa fonction exacte était général de corps d'armée.
A la lecture appliquée de ce long texte, je n’ai toujours pas compris en quoi la France aurait une responsabilité dans ce génocide. Si une âme charitable voulait bien me faire une synthèse.
Aujourd’hui Renaud Camus a les honneurs du journal de référence.
Il paraît qu’il aurait une responsabilité dans les crimes de Nouvelle-Zélande.
On apprend aussi que la théorie du Grand Remplacement est totalement fausse parce que “on peine à obtenir 5% de la population d’origine non -européenne en France”.
A vue de nez, quand je me balade en ville, j’aurais dit plus, mais si Le Monde le dit ...
Citation
Serge Diot
A la lecture appliquée de ce long texte, je n’ai toujours pas compris en quoi la France aurait une responsabilité dans ce génocide. Si une âme charitable voulait bien me faire une synthèse.

parce que cher Serge Diot, fournir des armes, former des troupes, supporter un régime alors qu’un génocide est en cours du fait de ce même régime, cela s’appelle de la complicité. Oui, le régime de l’époque a trempé dans une très sale histoire.

Quant à l’ignominie qui consiste à mêler Renaud Camus au massacre de Christchurch, sous prétexte qu’il a nommé ce que certains se refusent toujours à voir, elle ne m'étonne guère venant du camp du Bien. Je pense d’ailleurs que nous n’avons encore rien vu en matière de récupération et que les prochains jours seront fertiles en dégueulasseries.
Enquête publiée sur Mediapart Suite... ( comme je n’ai pu copier le lien, je mets l’intégralité. Désolé)

FRANCE - ANALYSE
Rwanda: l’ère du mensonge
24 MARS 2019 | PAR DAVID SERVENAY
Vingt-cinq ans après le génocide, les fantômes du Rwanda divisent encore profondément l’armée française: d’un côté, les tenants de l’honneur de la France qui aurait tout fait pour ramener la paix ; de l’autre, les pourfendeurs des « fautes » inavouées de la politique menée par l’Élysée de François Mitterrand.
Comme tous ceux qui ont vu le génocide en face, le regard de Walfroy Dauchy finit par se perdre dans le vide à un moment de la conversation. Comme si toutes les images revenaient d’un seul coup : un voile gris passe dans les yeux, indélébile souvenir d'une horreur que les mots n'arrivent pas à décrire tout à fait. Le silence dure longtemps, plusieurs secondes, achevé par un soupir d'impuissance. Puis la conversation reprend, comme si de rien n'était.

Lorsque la porte de l'avion-cargo s'ouvre sur la chaleur humide de l'aéroport de Goma, en cette fin juillet 1994, Walfroy Dauchy, 30 ans, ne sait pas exactement à quoi s'attendre. Bénévole de la Croix-Rouge, il doit assurer la logistique de la mission « purification d'eau » envoyée par l'ONG française pour secourir les victimes du choléra qui s'est déclenché dans les camps de réfugiés du Nord-Kivu.

Il ne sait rien de plus du génocide en cours que les reportages lus dans la presse, mais ce jeune entrepreneur dans les nouvelles technologies a une certaine habitude du monde militaire. Polytechnicien, il a fait son service militaire dans les commandos de l'air. En débarquant à Goma, il retrouve, parmi les officiers de l'opération Turquoise, quelques connaissances.

Ces contacts sont très utiles à la réussite de sa mission, car tous les jours, il lui faut trouver de l'essence et des vivres pour assurer la logistique de la Croix-Rouge. Tous les jours, Walfroy Dauchy est donc à l'aéroport, pour décharger les avions qui livrent le matériel nécessaire à la purification de l'eau du lac Kivu.

Et voici comment, début août 1994, il voit débarquer un jeune Français qui vient réceptionner une cargaison d'armes, selon le témoignage qu’il livre à Mediapart et à la cellule investigation de Radio France.


Pour l'amiral Lanxade, chef d’état-major de l’armée au moment des faits, ce témoignage n'a pas de valeur probante. Le militaire affirme n'avoir jamais eu la moindre information de ce type (voir ici) : « C’est un sujet qui n’est jamais venu en discussion au conseil restreint [de défense]. Pour une raison simple : c’est que les livraisons d’armes étaient interdites par l’embargo décrété par les Nations unies. Donc on peut raconter tout ce qu’on veut sur ces livraisons d’armes, il y a des soi-disant témoignages, je n’en sais rien… En tout cas, vu par le chef d’état-major français de l’époque, il ne s’est rien passé. »

Cette réponse est-elle crédible ? « Que l'amiral Lanxade ne soit pas personnellement informé de ces livraisons d'armes, c'est tout à fait possible, répond Walfroy Dauchy. Que l'armée française, que des officiers aient donné leur feu vert à ces livraisons, c'est obligatoire. Quelqu'un l'a su. Est-ce qu'il y avait une schizophrénie dans l'armée française, des gens qui livraient à l'insu du commandement ? Je n'en sais rien, c'est possible. »

L'enjeu est d'importance : il pourrait établir juridiquement la « complicité de génocide » reprochée aux militaires dans plusieurs enquêtes judiciaires.

Mais l'enjeu principal de ces livraisons d'armes sur l'aéroport de Goma pendant l'opération Turquoise est révélateur du double sens de la politique française. Officiellement, il s'agit « d'arrêter les massacres » liés à la guerre, en restant « neutre » vis-à-vis des protagonistes, alors même que Paris soutient depuis plusieurs années le régime de Kigali qui a basculé dans le génocide des Tutsis. Dès lors, l'action de la France sera toujours entachée du soupçon de vouloir continuer à aider son ancien allié, alors que celui-ci porte désormais l'étiquette de criminel de guerre.

Comme Walfroy Dauchy, Pierre Conesa ronge son frein en cet hiver 1995. Voilà déjà six mois que le génocide des Tutsis a eu lieu et le traumatisme est toujours aussi vif. Avec sa longue tignasse blanche ébouriffée, cet analyste réputé est un poil à gratter de la communauté du renseignement. Historien, énarque, il est passé par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) avant de bifurquer vers la Direction des affaires stratégiques (DAS).

Sur le Rwanda, Conesa a tenté à plusieurs reprises d'inverser le cours de l'Histoire. En vain. Comme le général Varret (voir ici), il a compris en 1993, un an avant les massacres, l'aveuglement de la politique africaine. Il en a fait une note d'analyse, classifiée, qui remettait totalement en cause la politique de l’Élysée. La note a terminé dans les oubliettes de la DAS.

Persuadé d'avoir vu juste avant tout le monde, Pierre Conesa veut maintenant tirer les leçons du drame rwandais. Et répondre à quelques questions simples : 1) L’État français avait-il les bons outils pour voir monter le péril génocidaire ? ; 2) Quelle image l'opinion publique va-t-elle garder de ce fiasco politique ? ; et 3) Quelles leçons peut-on tirer de cette gestion de crise ?


François Mitterrand, le 30 septembre 1993. © Reuters
Pour répondre, Conesa relit l'ensemble de la production des services de renseignement, mais aussi les premiers livres critiques parus sur les événements du printemps 1994. Puis il refait une note d'analyse, datée du 25 février 1995, où toutes ces interrogations sont longuement décortiquées, pour en arriver à la conclusion suivante : « De la sorte, les erreurs de la politique française au Rwanda semblent, pour l'essentiel, être imputées au rôle joué par les “militaires”. La multiplicité des décideurs politiques agissant à travers la présence d'officiers aboutit à faire porter à ceux-ci, pratiquement en tant que catégorie sociale, l'essentiel de la responsabilité. »
À nouveau, cette note classifiée termine dans un tiroir, alors qu'il ne faudra pas attendre longtemps avant qu'elle ne se réalise : les militaires vont bientôt porter « l'essentiel de la responsabilité ».

C'est la réunion qui a scellé le mensonge originel. Une réunion dont personne n'aurait jamais dû avoir le moindre écho. Nous sommes au printemps 1998 à l'Assemblée nationale. Les députés ont créé une mission d'information parlementaire (MIP) « sur les opérations militaires menées par la France, d'autres pays et l'ONU au Rwanda entre 1990 et 1994 ». Cette mission est présidée par Paul Quilès, un fidèle de François Mitterrand (et éphémère ministre de la défense, pendant six mois, en 1986), assisté de deux rapporteurs, les députés socialistes Pierre Brana et Bernard Cazeneuve.

Les politiques n’ont qu’une ligne : celle du déni

Pour répondre aux questions soulevées par une retentissante enquête du Figaro – en particulier sur les ambiguïtés de l'affaire de Bisesero –, les députés entendent l'ensemble des acteurs du dossier rwandais : hauts fonctionnaires, politiques et militaires. Ces derniers sont convoqués, souvent à huis clos, pour expliquer leur mission.


Les collines de Bisesero. © Thomas Cantaloube/Mediapart
Mais juste avant de répondre à ces auditions, les anciens du Commandement des opérations spéciales (COS), qui ont participé à Turquoise, sont dûment « briefés ». Le colonel Rosier en fait l'aveu lorsqu'il est interrogé par les policiers de la brigade criminelle en 2007 : « Nous avons entamé une sorte de discussion sur les polémiques qui enflaient sur notre intervention au Rwanda. »

Soudain, la discussion dérape : « Alors que je demandais à Gillier [un militaire du COS – ndlr] la chronologie exacte de l'intervention sur Bisesero, Duval [autre militaire du COS – ndlr] est intervenu. Il m'a dit qu'alors, en juin 1994, il m'avait lui-même rendu compte de cette découverte, et ce quelques jours avant le 30 juin. J'en étais resté stupéfait et je lui ai dit que jamais il ne m'avait rendu compte d'une telle chose. »

La polémique est simple : qui dit vrai ? Duval, qui affirme découvrir les rescapés tutsis de Bisesero le 27 juin et en rendre compte à son supérieur direct, Rosier, le soir même ? Ou Rosier, qui prétend n'avoir été alerté que deux jours plus tard, avant d'envoyer Gillier, le 30 juin, sauver les derniers survivants ?

Dans un cas comme dans l'autre, il y a un menteur. Et ce mensonge a coûté la vie à 1 200 Tutsis, tués par les milices pendant ces trois jours d'attente. « Sur le moment, poursuit Rosier, j'ai pensé que Duval, qui était alors retraité de l'armée, avait voulu se donner une certaine contenance, une certaine importance. Je me rappelle lui avoir dit que jamais je ne pouvais cautionner de telles assertions. »

Lorsque la mission d’information parlementaire rend son rapport, en décembre 1998, la restitution qui en est faite par Paul Quilès parvient à noyer la polémique, comme le reconnaît le général Rosier : « Les choses en sont restées là et les conclusions de la mission parlementaire faisaient état de ce que si, réellement, trois jours s'étaient écoulés lors de la découverte des rescapés de Bisesero, ce délai n'était pas intentionnel. » L'honneur de la France est sauf, l'armée n'a rien à se reprocher.

Sauf que deux lignes de fracture vont alors se faire jour. La première ligne concerne l'opposition marquée entre le discours des responsables politiques et celui des militaires. Cette différence apparaîtra nettement aux observateurs des travaux parlementaires. Lorsqu'ils sont interrogés, les militaires font un récit factuel de leur mission, récit qui ne « colle » pas avec le sens donné à cette même mission par les politiques.

Par exemple, comment comprendre que les soldats d'élite du COS, surarmés, soient envoyés en première ligne si ce n'est pour contrer les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), perçu comme les ennemis ataviques de la France ? Qui plus est, la cohabitation entre un président socialiste et un premier ministre de droite a scellé une sorte d'unanimité dans la classe politique qui, dès qu'elle est mise en cause, conteste et rejette les voix discordantes. Les politiques n'ont qu'une ligne : celle du déni. Dans ces conditions, le dialogue entre militaires et politiques va vite s'avérer conflictuel.

La seconde fracture s'ouvre, au sein même de l'armée, entre les opérationnels et les décisionnaires. Petit à petit, officiers et sous-officiers prennent la parole pour battre en brèche la défense d'une poignée de généraux et de hauts fonctionnaires qui ont “fait” la politique de la France au Rwanda. Au départ, le terrain de cette lutte se limite à quelques livres de mémoires, où chacun défend sa version de l'histoire. Puis le champ de bataille va se déplacer… vers les juges d'instruction. D'abord ceux du Tribunal aux armées de Paris (TAP), une juridiction strictement militaire, puis vers ceux du pôle génocide. Et là, l'affaire devient sérieuse.

Ce changement, on le doit en partie à l'association Survie qui, après les commémorations de 2004, a décidé de judiciariser les dossiers rwandais. Survie tire les leçons de son échec à porter le débat dans l'opinion publique. Pour faire réagir les Français, pensent ces pourfendeurs de la Françafrique, il faut mettre en cause, pénalement, les responsables publics.

En février 2005, six rescapés de Bisesero portent plainte avec constitution de partie civile pour « complicité de génocide » ; la plainte est déposée contre X, mais elle vise clairement la chaîne hiérarchique de Turquoise. Concrètement, cela signifie que des hauts gradés, désormais retraités, pourraient avoir à répondre de leurs actes devant une cour d'assises, pour un crime imprescriptible.

Cette épée de Damoclès est insupportable pour ceux qu'elle menace. Pour ces officiers ayant participé à l'opération Turquoise, cela revient à mettre en cause leur honneur et leur probité. Mais surtout à leur reprocher d'avoir exécuté des ordres donnés par les politiques. Le sentiment d'injustice est terrible. C'est la raison pour laquelle, depuis plus de dix ans, cette affaire de Bisesero ressemble à une nouvelle affaire Dreyfus : elle incarne ces fractures profondes qui divisent l'armée française autour du dossier rwandais.

Dans la figure de l'être malfaisant et comploteur, le Tutsi a remplacé le Juif. La nation ennemie n'est plus l'Allemagne bismarckienne, mais l’Ouganda soutenu par la puissance du lobby anglo-saxon. La police secrète de l'Empire germanique s'est transformée en CIA, doublée du MI6.

Bien sûr, la comparaison a ses limites, un siècle sépare les deux « affaires ». Néanmoins, la polémique de l'implication de la France dans le génocide des Tutsis met en jeu des ressorts identiques : l’honneur de la France, la tension entre militaires et politiques, la responsabilité partagée des uns et des autres, l'omerta entretenue par les institutions autour du « secret défense ». Un secret qui ne tiendra plus très longtemps, sauf à vouloir maintenir une vision de l'Histoire très éloignée de la réalité.

Au nom de la raison d’État.

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