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Nourritures d'antan pour le corps et l'esprit

Envoyé par Thomas Rhotomago 
"Ces restaurants de notre jeunesse !... Comment des estomacs humains purent-ils y résister ? Les garçons, pris de pitié, nous soufflaient parfois : "Non, non, ne prenez pas ça... C'est impossible, je vous assure : je vous rends un service !" Un autre renverse, en nous servant, le litre de vin rouge qui fait sur la nappe la tache violette de l'encre répandue... Une odeur nauséabonde monte : "Vite, enlevez ça !" Et le garçon de nous répondre : "Je vais vous apporter un autre litre. Pour la nappe, rien à faire, vous aurez double parfum, voilà tout !"
Vingt et un sous : hors d'oeuvre, poisson, plat de viande, fromage et dessert... Sombres rumstecks, venant de pégases fourbus. On maltraitait les chevaux, même à la cuisine ! [...]

Entre un simili-boeuf, noir pour la viande et rose clair pour la sauce, et un brie crayeux, Max Maurey, qui tenait le courrier des théâtres dans un quotidien du soir, me proposa notre première collaboration. [...] un camarade, survenant, jeta une ombre sur notre joie.
"Méfiez-vous du café-concert, nous dit-il. Hier, on donnait dans un de ces endroits la première d'une petite comédie de moi. On n'a pas pu entendre un mot ! Le numéro qui précédait mon acte était constitué par un comique de troisième ordre qui chante des paysanneries. Cet idiot avait eu l'idée de se présenter sur la scène avec un cochon de lait sous le bras. Au refrain, il pinçait le cochon qui se mettait à crier. Succès formidable. Quatre rappels ! L'idiot en était exténué et le porc complètement aphone... Mais pendant toute la durée de mon acte, le public réclamait : "Le cochon ! Le cochon !" Et cela jusqu'à la fin. Après l'annonce de l'auteur, ils demandaient encore leur cochon !..."

Henri Duvernois - Apprentissages (1930)
Ce qui tendrait à montrer, mon cher Rotho, que les divertissements populaires n'étaient parfois guère meilleurs qu'aujourd'hui. Quant aux à la restauration populaire, elle était peut-être (encore) pire que celle de maintenant. Cependant vous remarquerez que lorsque pour vingt-et-un sous 1930, soit, en monnaie constante, à peine un euro d'aujourd'hui, on vous sert hors d'œuvre, poisson, plat de viande, fromage, dessert et vin rouge, il ne faut quand même pas trop chipoter sur la qualité...
Cher Marcel,

Je crains que Duvernois ne se réfère à sa jeunesse. Dans ces conditions la somme est de l'ordre de l'ordre de quatre ou cinq euros...
Je me disais aussi que ça ne faisait vraiment pas beaucoup...
En effet, ce sont des souvenirs des années 1885-1900.
Sans compter qu'au-delà des prix il faut aussi considérer la question du pouvoir d'achat.

En 1900, le salaire annuel moyen d 'un ouvrier est de 1163 Francs (source Piketty : piketty.pse.ens.fr/Annexes/TabAnnexeE.xls).

Cet atroce repas représente le tiers du salaire de l'ouvrier. Etonnez-vous dans ce cas des progrès du socialisme à la Belle époque, qui n'était pas belle pour tout le monde. A ce sujet, une intéressante chanson de Béranger.



Cela m'amène à apporter quelques précisions, pour ce qui est de ces calculs économiques.

Renaud Camus nous parle, au fil de son Journal, de la question des prêts et des coûts de crédit, et s'étonne qu'on ne parle que de taux d'intérêt et pas de coût total (par exemple, un emprunt de 100000 € sur 15 ans à un taux de 2% a un coût de 15832 €).

Cette approche suppose qu'on raisonne à valeur constante, ce qui est peut être le cas cette année, mais ce qui est historiquement très rare.

Prenons un prêt à 15 ans contracté en 1970 à 6% (situation fréquente à cette époque). Son coût est de 51895 Francs pour 100000 Francs, ce qui semble énorme. Or, l'emprunteur ayant remboursé, en 1985 donc, aura vu ses remboursements ramenés à un montant ridicule par l'inflation (les prix ont été multipliés par 4 en 15 ans) et les 151895 Francs ne font plus, à son regard, que moins de 40000 Francs.

La seule donnée pertinente est en fait le taux d'intérêt réel, c'est à dire la différence entre le taux nominal et l'inflation supposée.
Je ne comprends pas votre calcul, Jean-Marc.

21 sous valent 1,05 F
Si le salaire annuel moyen d 'un ouvrier est de 1163 francs, le salaire mensuel est de 96,92 francs (on trouve des salaires ouvriers de 100 à 130 francs mensuels, mais peu importe)
Le repas représente donc 1% de ce salaire mensuel
1% du SMIC mensuel net cela représente aujourd'hui une dizaine d'euros.

D'autre part 1 (ancien) franc 1900 vaut selon l'Insee, 3,85 euros de 2013
Le repas de 1900 à 21 sous vaut donc 4,04 euros d'aujourd'hui
Je ne me suis pas exprimé clairement : l'ouvrier, eût-il déjeuné tous les jours dans ce bouge, aurait dépensé 21*365/20 francs, soit à peu près le tiers de son salaire annuel.

Oui, effectivement, j'avais un ordre de grandeur de 4 à 5.

Cela nous donne une idée du salaire ouvrier : moins de 400 Euros par mois en 1900.
Soit, mais c'est à peu près pareil aujourd'hui : si l'ouvrier au SMIC déjeune tous les jours pour dix euros (ce qui n'est pas très facile et ne lui permettra certainement pas de consommer hors d'œuvre, poisson, plat de viande de cheval, fromage, dessert et gros rouge) ça lui coûtera 300 euros soit pas très loin du tiers de son salaire net.
Oui et non, Marcel.

On voit, effectivement, que le prix du repas est, en proportion, du même ordre. Cela étant, l'ouvrier de 2014 bénéficie d'avantages "invisibles" : par exemple, les fameux "tickets restaurants" ou les restaurants d'entreprise. Savez-vous à combien me revient un déjeuner de bonne qualité (et je ne suis pas ouvrier, donc moins subventionné) ? à moins de 4€ dans le restaurant interentreprises que je fréquente.
Sans doute, sans doute, mais enfin, cent ans de progrès social pour un ticket restaurant... Cela dit il y a eu d'autres conquêtes plus sérieuses, que nous connaissons tous et que personne ne songe à nier. Mon propos concernait surtout la Belle Époque. Elle l'a été, incontestablement, y compris pour les classes populaires — elles revenaient, il est vrai, de loin.

Il y a une mode idéologique, lancée jadis par les communistes, dénigrant la Belle Époque sous prétexte qu'elle n'aurait été belle que pour les bourgeois, mais c'est faux, il y a bien eu là l'un des trois apogées de l'histoire de France (avec les XIIe-XIIIe siècles et les XVIIe-XVIIIe) Cela qui ne signifie pas que la vie ait été facile pour tout le monde, mais les gens étaient plutôt gais et optimistes.
Je suis d'accord avec vous pour dire que c'était une époque de progrès : les avancées techniques rendaient les gens optimistes, aussi bien les bourgeois que les ouvriers, qui voyaient des perspectives intéressantes s'offrir à eux.

Je pense cependant que la situation réelle des ouvriers était peu enviable, même si elle était en rapide amélioration (la situation en 1914 est bien meilleure qu'en 1900, on sortait alors à peine de la crise).
Quelqu'un pourrait il nous dire quand est apparu le terme de "belle époque"?Mon idée du moment est qu'il est né en opposition à la grande guerre.Comme les années folles ne seront ainsi nommées qu'après la seconde guerre mondiale du moins c'est ce que je crois.
Comme dit Brassens "il est toujours joli le temps passé" surtout s'il est en paix et riche d'opportunités économiques.
Un de mes ancêtre ,chassé par la misère, a quitté le causse du Lot,vers 1880, pour tenter sa chance en Algérie .Il reviendra 15 ans plus tard dans son village pour y épouser l'institutrice du village .Ils repartiront ,6 mois plus tard , vers l'Algérie ou il occupait un poste de régisseur.
La belle époque c'était sans doute la possibilité de s'en sortir avec les colonies dans un contrat social accepté par tous.
Sans vouloir me lancer dans la provocation, cette Belle époque ne fut-elle pas aussi celle de l'ascension de la petite et de la moyenne bourgeoisie, et la fin du primat social de la noblesse qui se mêla, quand elle le put, à la haute bourgeoisie ?
Aucun de vous deux ne mentionne l'évolution différentielle des prix selon les secteurs (primaire, secondaire, tertiaire) : comme la productivité dans les services augmente peu, le prix relatif d'un service augmente avec le développement économique, tandis que baisse le prix relatif d'un bien industriel (et, dans une moindre mesure, d'un bien agricole).
Dans le coût d'un repas au restaurant compte essentiellement le service.
Un ouvrier de 2014 ne peut pas se payer beaucoup plus de repas au restaurant qu'un ouvrier de 1900, mais il peut acheter beaucoup plus de nourriture, ou beaucoup plus de chaussures ou de bicyclettes. En 1900, une famille petite-bourgeoise pouvait employer une bonne. Je ne sais plus où dans Balzac, on trouve la description d'un restaurant où certains pauvres mangent tous les jours.
De même, dans le Tiers-Monde, telle famille qui emploie une bonne n'a pas de quoi se payer une voiture, ou tel petit-bourgeois - pauvre selon nos critères - va tous les jours chez le coiffeur se faire raser.
Ceci induit d'ailleurs une modification du genre de vie : plus un pays est développé, moins on y consomme de services.
plus un pays est développé, moins on y consomme de services


C'est une évidence quand on voyage aux Etats-unis.
"plus un pays est développé, moins on y consomme de services"

Je ne suis pas certain de bien comprendre cette assertion. Est-ce à dire que plus un pays est développé, moins on est servi ? Ou bien : plus un pays est développé, plus on doit faire les choses soi-même ? (trier ses poubelles, faire le plein de sa voiture, remplir ses dépôts de chèques ?)

Si c'est le cas, comment concilier cela avec cette autre affirmation selon laquelle les emplois de service seraient les seuls à pouvoir se développer ?
M. Pagé confond service et service réalisé par des personnes en contact direct.
Citation
Jean-Marc du Masnau
M. Pagé confond service et service réalisé par des personnes en contact direct.

Non, mais je prenais comme exemple d'activité de services (ou tertiaire) l'activité de services à la personne. Dans le secteur tertiaire, ce sont celles qui à la fois sont les plus parlantes et les plus stables.
Parce que, par exemple, l'activité marketing d'une entreprise industrielle (secteur secondaire) peut être sous-traitée, et alors elle devient comptabilisée comme activité de services, alors qu'elle était comptabilisée jusque là comme activité industrielle. Et parce que les gains de productivité, dans les services à la personne, sont plus faibles que dans les autres activités de services, or cette différence de gains de productivité entre activités de services et activités industrielles est une des origines de la distinction faite entre activités de services et activités industrielles : un médecin ou un coiffeur traitent un client dans le même temps qu'il y a deux mille ans, un journaliste ou une agence de voyage sont bien plus productifs qu'il y a cent ans, même si leurs gains de productivité ont été inférieurs aux gains de productivité dans les activités industrielles..
[Mon nom s'écrit sans accent aigu]
Citation
Thomas Rothomago

Si c'est le cas, comment concilier cela avec cette autre affirmation selon laquelle les emplois de service seraient les seuls à pouvoir se développer ?
Le phénomène est complexe.
1° Du fait du développement des communications, les activités industrielles tendent à être effectuées dans les pays à bas salaires (nous achetons pas mal de biens industriels en Chine...), et maintenant, du fait du progrès des télécommunications, pas mal d'activités de services autres que de services à la personne tendent aussi à être délocalisées dans les pays à bas salaires. Restent les activités de services à la personne (au sens large, y compris les vendeurs).
2° De fait des progrès de la médecine et de l'augmentation de la durée de la vie, les dépenses médicales augmentent considérablement.
3° Du fait de la hausse du niveau de vie, il y a une augmentation des dépenses touristiques.
4° Par ailleurs, le phénomène est, partiellement, purement comptable : du fait du développement des télécommunications, les entreprises industrielles tendent à externaliser des tas de tâches, dont les tâches de marketing, informatique, qui de ce fait sont comptabilisées dans les activités de services alors qu'elles ne l'étaient pas auparavant.
Citation
Thomas Rothomago
"plus un pays est développé, moins on y consomme de services"

Je ne suis pas certain de bien comprendre cette assertion. Est-ce à dire que plus un pays est développé, moins on est servi ? Ou bien : plus un pays est développé, plus on doit faire les choses soi-même ? (trier ses poubelles, faire le plein de sa voiture, remplir ses dépôts de chèques ?)

En gros, un certain lave-vaisselle se vend le même prix dans le monde entier. Par contre, l'heure de femme de ménage coûte peut-être vingt fois moins cher en Inde qu'en France.
Si bien qu'en Inde il est peut-être plus rentable de faire laver sa vaisselle par une femme de ménage plutôt que d'acheter un lave-vaisselle.
Ceci est un exemple où une personne peut rendre le service que rend un bien industriel.
Mais, même quand ce n'est pas le cas, l'arbitrage entre deux consommations, en Inde, se fait plus souvent en faveur de l'emploi d'une personne, et en France plus souvent en faveur de l'achat d'un bien. En France, une certaine voiture vaut, disons, trois ans de femme de ménage à tiers de temps. En Inde, une voiture équivalente vaut, disons, vingt ans de femme de ménage à plein temps.
Du coup les Français tendent à acheter des voitures, les Indiens tendent à employer des femmes de ménage...
Et depuis cinquante ans, je pense, la proportion de Français qui ont une voiture a beaucoup augmenté, le nombre d'heures de femme de ménage consommées par Français, par contre, je pense, a dû sensiblement diminuer : plus un pays est riche, moins les gens emploient des femmes de ménage, moins ils vont au restaurant, et plus ils consomment des biens qui sont perfectionnés et coûteux (maisons, voitures, vêtements, équipements...). Et plus ils ont intérêt à faire les choses eux-mêmes plutôt qu'à les faire faire par d'autres (s'ils sont capables de les faire à peu près aussi bien...).
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