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Enquête

Envoyé par Thomas Rhotomago 
12 septembre 2014, 18:28   Enquête
Il y a quelques jours, j’ai, pour la première fois, croisé un quidam – très probablement un touriste – qui portait une paire de « Google-Glass », du moins ais-je cru les reconnaître, pour les avoir vues en photo dans les nombreux articles qui leur sont consacrés. Et quand bien même j’aurais eu la berlue, il ne fait pas de doute que, si tout va bien, nous sommes amenés à croiser souvent ce nouveau type de promeneur, cela dans des délais assez brefs.

Il n’est pas certain, cependant, que ce nouvel appareil rencontre le succès escompté par ses concepteurs. Mais si tel était le cas, vivrions-nous dans le même monde si ces lunettes se répandaient à la façon des téléphones portables, c’est-à-dire si la majorité des gens autour de nous en étaient pourvus – et nous avec ?

On rechigne à trouver cela vraisemblable, malgré toutes les preuves du triomphe des précédentes trouvailles. Mais, précisément, on se dit que le téléphone, fixe ou mobile, la radio, la télévision, l’informatique et, bien entendu, l’automobile, répondaient au cahier des charges des rêves d’Homo sapiens. La mise au point et la commercialisation d’un appareil à voyager dans le temps ou qui rend invisible y sont encore inscrites, quand les « google-glass », elles, paraissent réaliser un rêve sans racine dans la succession des générations, un rêve que nous n’avons pas fait : filmer, être filmé, sans limites de temps ni de circonstances.

A ce propos, quelle attitude comptez-vous adopter le jour où on vous présentera quelqu’un, chaussant des « google-glass » ?
12 septembre 2014, 19:53   Re : Enquête
La résistance s'organise :

[www.lesechos.fr]

J'espère qu'elle aura la peau de cette nouvelle technique. Pourquoi ne pas créer des brigades anti-google-glass ?
13 septembre 2014, 08:05   Re : Enquête
» A ce propos, quelle attitude comptez-vous adopter le jour où on vous présentera quelqu’un, chaussant des « google-glass » ?

Empreinte de bienveillance, pour ma part, cher Thomas : si vivre consistera désormais de plus en plus à regarder vivre, puis à regarder regarder vivre, etc., alors en principe, si tout se passe bien, la spirale du sens devrait nous reposer doucement, comme une fleur, au point d'un certain départ, qui consistera à vivre tout court (whatever that may mean, que j'avoue ne pas savoir précisément).
14 septembre 2014, 23:29   Re : Enquête
Une empreinte de bienveillance... Pourquoi pas ?.

"Vivre tout court", c'est avoir la liberté de vivre sans laisser de traces.

Si elles se répandaient autant que les téléphones portables, les "Google-glass" nous contraindraient à devenir des saints... ou des robots (par "robot", j'entends un degré extrême d'étiquetage social.) Je ne fais pour ma part aucune différence entre le port généralisé de "Google-glass" et celui de la barbe et bâche islamiques.
15 septembre 2014, 17:22   Re : Enquête
Oui, en réalité, je crois que vous avez raison...
15 septembre 2014, 21:15   Re : Enquête
Tout est dans les points de suspension...
07 octobre 2014, 00:23   Re : Enquête
Les amoureux de la langue, de stricte obédience, ont un goût très modéré pour le genre littéraire du monde contemporain. Mais comme dans le même temps certains d’entre eux se plaisent à réfléchir sur leur époque, ils se trouvent empêchés dans leurs réflexions dès lors qu’elles les portent à se prononcer sur des avancées techniques, bien trop issues de cet univers qui ne les séduit pas : la science-fiction. Gloser sur les « google-glass », c’est s’exposer d’emblée à un lexique qui les rebutent. Ils préféreraient ne pas en avoir à discuter et ils n’en discutent pas.

Il en va de même pour le « personnel politique ». Ceux-là font du volontarisme, crainte de passer pour des retardataires, mais on sent bien que le cœur n’y est pas et qu’ils ne savent pas quoi dire sur les révolutions électroniques. C’est le domaine d’intervention politique où le manque de décision est le plus total.

Une entreprise aussi puissante que Google peut se prévaloir d’un programme d’action ouvertement transhumaniste et mettre en circulation des appareils qui transforment la perception de la réalité chez leurs propriétaires, sans se voir poser aucune autre limite que celle de l'échec commercial. Mais si le public en veut eh bien, on n'y peut strictement rien.

Il fera bon évoquer « l’épaisseur du temps » avec des google-glassés, sans même être certains qu’ils ont sous les yeux le même décor que nous… C’est de la science-fiction !
07 octobre 2014, 10:54   Re : Enquête
Mais la science-fiction n'est nullement incompatible avec la perception de l'épaisseur du temps ! Je dirais même volontiers que c'est plutôt le contraire ; il existe en tout cas de nombreuses œuvres appartenant à ce genre littéraire qui ont le temps comme axe central.
07 octobre 2014, 22:00   Re : Enquête
"Mais la science-fiction n'est nullement incompatible avec la perception de l'épaisseur du temps !"

Mon intention n'était pas de prétendre le contraire, cher Marcel, et je ne peux qu'être de votre avis.Le temps et ses paradoxes ont probablement fourni autant de matière à réflexion à la philosophie qu'à la SF. Si je parlais "d'épaisseur du temps", c'était en guise de clin d’œil à un autre fil de discussion, pour marquer mon étonnement à ce que, précisément dans ce fil, on n'envisage guère la responsabilité de l'expérience quotidienne de l'immédiateté dans la perte de repères chronologiques.

On semble incapable d'envisager le phénomène technologique contemporain comme, de tous, c'était celui auquel on ne peut vraiment rien, tandis que lui se propose de tout pouvoir.

Ici - et ailleurs - on va pouvoir parler immigration, nation, culture, grand remplacement, que sais-je, avec l'ambition que des mesures pourraient être prises, qu'un ultime sursaut pourrait avoir lieu, que tout espoir n'est pas perdu etc. Mais quant à l'invasion technologique, on ne fait pas même mine d'espérer l'endiguer ni même, la plupart du temps, de la faire figurer au banc des accusés. Non, la technologie bénéficie d'une sorte de bouclier à toute épreuve, d'une immunité complète : les appareils sont des appareils, des outils et, à ce titre, ni bons ni mauvais, il nous appartient de savoir nous en servir, ils ne peuvent en aucun cas être plus dangereux que des mouvements migratoires, des dispositions fiscales, des méthodes de transmissions du savoir... L'invasion technologique détient la palme de l'inéluctable incontesté.

Dans ces conditions, le programme transhumaniste parait le plus cohérent de tous les programmes car ce qui pourrait le stopper ne viendrait pas d'une décision politique s'attaquant ouvertement à lui mais ne dépendrait que d'un "dommage collatéral" : la folie humaine et sa capacité de "tout faire péter". En dehors de cette hypothèse, je ne vois pas comment on échapperait à un "Très Grand Remplacement"... de l'espèce, telle que nous en sommes les représentants actuels.
08 octobre 2014, 07:09   Re : Enquête
» L'invasion technologique détient la palme de l'inéluctable incontesté

Sans doute parce qu'incontestable, comme conséquence et prolongement direct d'une des caractéristiques humaines les plus remarquables du point de vue de l'évolution de l'espèce même : le développement de l'intelligence comme moyen privilégié d'adaptation à l'environnement. Et l'on imagine difficilement Hollande (révérence gardée, bien sûr) être capable, par des décisions politiques, d'influer de quelque façon sur un processus qui se situe à un tout autre niveau du réel, ni d'ailleurs aucun autre politique plus compétent en vérité.
À supposer même qu'il soit potentiellement efficace (ce dont je doute fort) de formuler des sortes de critiques morales ou axiologiques sur la façon dont ce processus — relevant probablement du même ordre que la "nature", l'évolution et l'Histoire — se déroule, espérant ainsi en infléchir le cours a minima, je crois qu'on est de surcroît très loin d'être unanime quant à l'appréciation qu'on devrait lui porter : il n'est pas du tout dit que l'humanité dans son ensemble ne se trouve très satisfaite de cette évolution, et que l'espèce ne soit en réalité dans une ère de prospérité et de "réussite" peut-être jamais aussi accomplies auparavant, quand d'ailleurs les problèmes posés par cette réussite semblent également pouvoir être résolus par cette même inventivité technique (je vous avais fait part de l'heureuse création du poopburger, puis il y a aussi le frankenburger, plus sage, et très prometteur !)...
Bref, peut-être s'agit-il d'un de ces deals à prendre ou à laisser, c'est du tout ou rien, on ne peut chipoter, et comme un arrêt volontaire total du mouvement de l'évolution technique semble aussi insensé qu'impossible...
08 octobre 2014, 15:33   Re : Enquête
"Bref, peut-être s'agit-il d'un de ces deals à prendre ou à laisser, c'est du tout ou rien, on ne peut chipoter, et comme un arrêt volontaire total du mouvement de l'évolution technique semble aussi insensé qu'impossible..."

Ce qui revient à dire que la direction transhumaniste prônée par Google est la seule direction logique qui se présente à nous, ou, plutôt, à ceux qui devraient, dans ce cas, nous succéder.
10 octobre 2014, 07:56   Re : Enquête
À tort peut-être, je n'en sais rien, mais je dois dire que l'éventualité d'un réel "remplacement" de l'homme par... un autre homme, de la disparition ou la modification significative et irréversible de ce qu'on pourrait appeler, faute de mieux, "l’humanisme de l'homme", qu'une telle éventualité donc ne m'a jamais vraiment inquiété, bien que j'aie en règle générale plutôt tendance à être complaisamment pessimiste : la raison principale en doit être qu'il me semble que l'âme a en fait la peau extraordinairement dure, inexpugnablement protégée par son atout majeur, qui est la très grande ignorance dans laquelle nous continuons d’être quant à sa nature et son mode de fonctionnement. Que quelques fabricotages improvisés d'éléments de matière, aussi ingénieux et malins soient-ils, parviennent à entamer la toute-puissance toujours renaissante d'un mystère, cela me paraît à vrai dire hautement improbable.
Mais cela n'est que de l'ordre de la conviction, ou même de l'impression...
10 octobre 2014, 23:08   Re : Enquête
N'y a-t-il pas, tout de même, une sorte d'accélération du temps ?

Quand ma grand'mère naît, en 1902 au Masnau, dans la montagne du Tarn, le monde dans lequel elle va vivre (importance de la religion, absence d'automobiles, d'électricité) n'est pas fondamentalement différent de celui de 1820, mettons.

En 2014, Le Masnau a perdu les quatre-cinquièmes de sa population par rapport à 1902. La religion est pratiquement morte avec ses pratiquants et internet atteint les foyers les plus reculés, le paysan (les quelques paysans qui restent) est devenu un industriel.
11 octobre 2014, 06:37   Re : Enquête
Ah oui Du Masneau, sauf que depuis le début du siècle "l'accélération des temps" s'est arrêtée, l'histoire ne bouge plus et la société est entrée en involution. Observez bien : quel est la grande nouveauté qui touche les sociétés d'Occident depuis le début du millénaire ? une décélération de l'histoire de ces sociétés, et leur retour lent, sûr et régulier dans le giron de la pré-histoire. L'accélération du temps, c'était naguère mon vieux ! Cette accélération, qui fut jusqu'en 2001 environ, le fait de l'histoire et des sociétés, en Occident, a été remplacée par celle des technologies, dont les lunettes Google donnent une belle illustration.

Depuis l'avènement d'Internet comme phénomène de masse, reconnaissez-le en regardant la réalité sociale et humaine en face et en toute objectivité, ce qui n'est pas facile : plus rien ne bouge ni n'avance, l'histoire des hommes pas davantage que leur pouvoir d'achat. On rappelle Juppé, Sarkozy, Jospin (semble-t-il), presque Giscard et bientôt on va voir ce qu'on peut faire pour électriser le cadavre de Pinay dans l'espoir de le remettre sur ses pieds. Le best-seller des livres politiques (5000 exemplaires vendus en un jour) est une tentative de réhabilitation de Vichy et des pans entiers de la jeunesse française rêvent d'aller faire le djihad au Levant, comme en image inversée des Croisés de l'an Mil. Le retour au haut moyen-âge est là, devant nous.

La pré-histoire est lente, il va falloir s'y faire. En général, elle dure cinq cents ans, autant de siècles que les doigts d'une main. Elle se caractérise par un régime "de la maisonnée" (Patocka, Ricoeur) et un sens non-problématique et donné comme extérieur, et c'est à ce dernier que l'islam s'apprête à pourvoir. Google, lui, s'occupera du quotidien et de l'intendance mondaine. Google évoluera pour nous et à notre place.
11 octobre 2014, 09:09   Re : Enquête
Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas d'accélération linéaire de l'histoire. Il suffit par exemple de relire Thucydide et notamment la célèbre Oraison funèbre pour sentir que les Grecs vivaient alors à un rythme historique rapide, parfaitement perceptible et perçu à l'échelle d'une vie humaine.
11 octobre 2014, 09:34   Re : Enquête
Les moments "d'accélération de l'histoire" reviennent par cycles. Mais ils participent d'un trompe-l'oeil, d'une illusion des sens (et du sens historique) : c'est la répétition en des segments courts -- les pas de temps (ou "chronons") inférieurs -- des moments longs qui produit l'illusion d'une accélération. C'est le dévidage en chronons courts des étants historiaux qui avaient d'abord été couchés en chronons longs, et le morcelage de ces derniers en segments fractaux presqu'à l'infini, qui font croire à une accélération de l'histoire. Un piétinement nerveux donne l'illusion d'un rythme trépidant quand tout tourne en rond et fait du sur-place. Place à la lenteur désormais, au ronronnement du frigidaire de la pré-histoire qui vient d'être branché en tant qu'objet connecté.
Utilisateur anonyme
11 octobre 2014, 09:39   Re : Enquête
F. Marche : "des pans entiers de la jeunesse française rêvent d'aller faire le djihad au Levant, comme en image inversée des Croisées de l'an Mil. Le retour au haut moyen-âge est là, devant nous."




Oui, l'archaïsme est là devant nous.
C'est comme si nous nous dirigions vers une convergence des catastrophes, un séisme de civilisation - la loi du monde de l’après-chaos sera un mélange détonant de techno-science et de retour aux valeurs ancestrales. Il nous appartient donc, à nous qui vivons dans l’interregnum, l’interrègne, de préparer dès maintenant la conception du monde de l’après-catastrophe.

Aussi faut-il redonner au mot “archaïque” son vrai sens, positif et non péjoratif, selon la signification du substantif grec archè qui signifie à la fois “fondement” et “commencement”, autrement dit “impulsion fondatrice”.

Osons l'archaïsme !
11 octobre 2014, 09:57   Re : Enquête
C'est en effet vrai : toute refondation de civilisation passe par une phase d'archaïsme et de constriction des étants historiaux qui s'ouvre sur une longue pré-histoire avant l'apogée, l'essaimage et l'éclatement, lesquels interviennent cinq siècles plus tard (s'agissant de l'Occident, de l'islam et de la Chine, ces trois là, tout au moins).

C'est là à mes yeux le seul thème de réflexion collective qui vaudrait d'être engagé aujourd'hui, par nous, en Occident.
11 octobre 2014, 19:20   Re : Enquête
Mais n'y a-t-il pas, Francis, en Occident, une rupture que je situe à la guerre de quatorze ?
11 octobre 2014, 19:59   Re : Enquête
Non, pas de rupture, mais une inauguration : la première des guerres proclamées ultimes par l'Occident qui en était le protagoniste majeur; plus exactement : la première d'une série d'épisodes belligérants d'Occident entièrement motivée, dictée, par l'impératif de paix future. Plus précisément encore : 14-18 fut le premier échange soutenu d'hostilités en Occident dont le gain d'ampleur, l'inflation dans l'embrasement, le saut d'échelle (mondial, pour la première fois) eurent pour cause non plus un casus belli mais un étant futur envisagé comme "sans guerre".

Ce mode de causalité inverse (en lequel la paix future dicte la guerre de maintenant) a duré près d'un siècle : dès le franchissement du millénaire, l'Occident s'est remis à la guerre à l'ancienne que déclenche une autre guerre déclarée ante, et comme de juste se passa de l'ONU (instance de rétrocausalité par excellence, qui ne fait la guerre que sous la promesse d'une paix future), avec la guerre du Golfe de 2003, laquelle fut entièrement motivée par des causes ante.

Ce régime belligérant nouveau post-fondationnel et à causalité unie à la temporalité qui s'est imposé au passage de l'an 2000 est celui de l'an Mil, où les causes de la guerre se situent ante la décision de belligérance, régime où la guerre, en 2003, fut, pour la première fois depuis un siècle, appelée non par la promesse ou la vision d'une paix future, comme on l'avait fait si souvent sous la bannière onusienne, mais par l'état de guerre déclaré (l'attaque djihadiste de 2001 en Amérique). La coalition occidentale en 2003 s'ébranla pour abattre un pouvoir et tuer son chef en représailles à un acte d'agression, comme on le fait en phase pré-historique typique du haut Moyen-Age; alors que dans le siècle rétro-causal, en 1991, la même coalition était demeurée fidèle à la-guerre-pour-la-paix, les forces occidentales s'étant abstenues de s'emparer de Bagdad.

La phase de causalité unie à la temporalité vulgaire est celle en laquelle nous nous étalons désormais en Occident, depuis treize ans, c'est la phase de pré-histoire telle que la définit Jan Patocka, cependant que le monde islamique et le monde chinois entrent en phase historique-problématique. Ces deux dernières civilisations pénètrent donc ces années-ci en histoire, cependant que nous nous mouvons en une autre (la cinquième depuis l'aube du christianisme) des phases de notre pré-histoire. Les phases de déploiement historiques/pré-historiques de l'islam et de la Chine sont parfaitement synchrones. Il y a des raisons à cela. Nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir.
11 octobre 2014, 21:02   Re : Enquête
Je pense que la Grande guerre causa bien des bouleversements :

- la preuve que la culture ne protégeait pas contre une boucherie (très largement confirmée trente ans plus tard) ;

- l'arrivée du communisme ;

- l'émancipation de fait des femmes ;

- et surtout, point méconnu, le renversement des générations. Un jeune homme de vingt-cinq ans en 1913 devait le respect aux hommes de soixante et n'opinait en leur présence que s'il y était invité. En 1920, mon grand-père avait vingt-cinq ans, et quatre ans de guerre derrière lui. Lui et ceux de sa génération avaient le pas sur les hommes de soixante ans, car le discours général parlait de dette de la Nation envers les Anciens combattants. Un homme âgé, sans décoration et ne portant pas le deuil d'un fils mort pour la France (ce qui changeait tout, mon grand-père avait le plus grand respect pour son beau-père, dont un fils officier fut tué en 17) avait au moins pour égal un jeune homme qui portait le ruban de la Médaille militaire à la boutonnière. On n'imagine pas le poids politique et moral des Anciens combattants, et la sorte de honte coupable de la vieille génération.
12 octobre 2014, 08:11   Pour une routine révélatrice
(À propos du surplace : il a ceci de prometteur qu'en étant rigoureusement observé, dans une répétition méthodique des actes et des parcours, dans une routine tatillonne qui ne veut en rien céder à la "nouveauté", l'on est raisonnablement en droit d'espérer qu'à force d'arpenter toujours de la même façon le même segment de monde, l'on parvienne par endroits à en user la surface jusqu'à la trouer ou l'ébrécher, et passer ainsi au travers de l'apparaissant.)
12 octobre 2014, 10:17   Re : Enquête
Oui, et le passage à travers l'apparaissant n'est pas événement si théorique qu'il y paraît : il opère une chute, un dévissage du présent qui laisse sur la face de l'histoire une strie verticale (à l'instar d'une griffure sur une paroi rocheuse que laisserait de ses ongles le grimpeur dans sa catastrophique chute), comme une coulure vers le passé. Exemple d'une décennie accélérée qui pour l'Occident fut tout un petit dix-neuvième siècle à elle seule : 1979-1989.

Chute dans le passé que cette trouée dans l'apparaissant ou bien résurgence ou surrection du passé dans les petits chronons contemporains ? Question oiseuse : le temps historial est un roc, un bloc, un édifice dont les faces, qui sont les modes de la temporalisation, sont toutes toujours présentes.
12 octobre 2014, 13:54   Re : Enquête
"[...] il me semble que l'âme a en fait la peau extraordinairement dure, inexpugnablement protégée par son atout majeur, qui est la très grande ignorance dans laquelle nous continuons d’être quant à sa nature et son mode de fonctionnement."

Avouez, cher Alain, que l'argument est à double tranchant. Puisque nous ne savons pas de quoi est faite l'âme, tout devient envisageable et rien n'empêche de penser que "quelques fabricotages improvisés d'éléments de matière, aussi ingénieux et malins soient-ils" ne puissent l'entamer.

Du reste, il me semble que la direction prise par certaines recherches en biologie va un peu plus loin que ce que vous nommez des "fabricotages improvisés". Personne, par exemple, ne s'oppose au clonage des mammifères et, bien que loin d'être parfaitement maîtrisé, il ne cesse de progresser. Le tabou qui empêche de l'essayer sur l'homme, c'est précisément, me semble-t-il, la question de l'âme qui habiterait un être humain cloné. Mais, de "traficotages" en "traficotages", de "google-glass" en nano-technologies médicamenteuses, de PMA sophistiquées en greffes exogènes (toutes ces innovations déjà passées, dans leur principe, comme lettre à la poste), il n'est pas impossible de concevoir une génération qui ne saurait même pas de quoi on parle avec cette histoire d'âme. L'homme de Neandertal n'en était-il pas pourvu ?
14 octobre 2014, 07:20   Si c'est un homme
"Tout devient envisageable", je ne sais pas... il ne s'agit pas après tout de remplacer un X inconnu par n'importe quoi dans un milieu complètement stérile et indifférent, mais bien un "homme", caractérisé par un ensemble de traits définitoires particuliers, dont des facultés mentales précises (raison, réflexivité, subjectivité, conscience etc., tout ce qui constitue l'"intelligence") par autre chose qui dans ces domaines pourrait le supplanter, qui serait donc capable d'être plus "performant" ou avantagé, selon certains critères, pour une meilleure adaptation à l'environnement (raison probable de la disparition de Neandertal, qui assurément était pourvu d'une âme) ; or si on ne sait pas en quoi consistent précisément ces traits et comment les reproduire, si le départ entre matière et esprit demeure si infranchissable qu'on ne puisse toujours pas modéliser les "états mentaux subjectifs" de façon à les recréer et proposer une version post-humaine véritablement concurrente, alors je ne vois pas qu'il puisse y avoir remplacement, au maximum, compte tenu de l'accroissement relatif des savoirs et techniques, modifications et changements au sein du même.
Après tout, même l'hurluberlu "google-glassé" est pourvu d'une âme, et ce doit être, mutatis mutandis, à peu près la même que la nôtre, aussi difficile à croire que cela paraisse...
Pour ce qui est des clonages divers et autres fleurons de l'intelligence artificielle, je n'y vois toujours que "fabricotages", parce que ce qui est modifié, dans le premier cas, n'est que le mode de fabrication, si l'on peut dire, pas l'être fabriqué (on peut éventuellement le modifier, mais alors de façon aberrante, monstrueuse, qui n'offre aucune chance de survie durable et autonome), être fabriqué qui, si c'est un homme, ne sera certainement pas identique à son prototype, étant de toute façon pourvu d'une conscience et donc d'un principe d'individuation ; quant à l'intelligence artificielle, pour revenir à ce dont nous discutions récemment, je persiste à croire qu'il ne s'agit encore que d'une course à l'imitation, pâle, fruste et aussi bête qu'un balai, à vrai dire, c'est-à-dire qu'une machine, pas de la véritable recréation du phénomène incommensurablement plus complexe de l'intelligence même.
14 octobre 2014, 15:07   Re : Enquête
Tant que l'homme ne se verra qu'incomplètement, il ne produira que des monstres à l'image de l'intelligence incomplète qu'il a de lui-même.

Le "fabricotage", entamé au siècle de Descartes et qui n'a rien perdu de son pouvoir de séduction sur les "scientifiques" (ces scientifiques qui ne pensent pas, comme osait l'affirmer Heidegger), et du reste, entamé par René Descartes lui-même avec sa Francine, est le fruit simple et prévisible de cette incomplétude et du regard absent du cogito.

Que dire de plus ? Rien, hélas.
15 octobre 2014, 07:09   Une façon d'optimisme
Sans doute, cher Francis, mais à mon très humble avis, l'intelligence ne peut être qu'incomplète, le regard borgne, et la perspective bouchée, alors... En attendant, tentons de tirer le maximum des Francine en nous amusant d'amours ancillaires.
15 octobre 2014, 14:40   Re : Si c'est un homme
C'est bien parce que tout ce qui procède des "fabricotages" biologiques n'est qu'une "course à l'imitation" que l' "être fabriqué (...), si c'est un homme, ne sera certainement pas identique à son prototype" et que, par conséquent, les "fabricotages" ne peuvent être sous-estimés dans leur capacité, à terme, non pas à "remplacer" Homo Sapiens mais à le métamorphoser en profondeur.

Que les innovations scientifiques qui touchent à absolument tous les domaines de la vie humaine puissent nous apparaître, avec un certain dédain, comme des "fabricotages improvisés d'éléments de matière", ne prouve peut-être qu'une chose : que nous ne nous sentons pas concernés, autrement dit, que ces innovations ne sont pas faites pour nous mais pour d'autres qui, eux, seront adaptés au nouvel environnement qu'elles imposent.
19 octobre 2014, 07:37   Re : Si c'est un homme
La "course à l'imitation" concernait précisément ces tentatives de bricolage qu'on nomme "intelligence artificielle", ne pouvant à ce jour que résulter en la manufacture de psittaciques machines exécutant des séries d'instructions*. Le robot est donc une "copie" nécessairement très incomplète et totalement dépourvue d'esprit, et le clone humain, s'il en sera jamais "fabriqué", réalisera probablement une copie physique somme toute assez satisfaisante mais sera lui absolument dissemblable en son âme et conscience, parce que pourvu d'esprit, constituant donc un homme individualisé à part entière. C'est ce que je voulais dire, cher Thomas...
À propos de "métamorphoses", il me souvient que Musil avait écrit je ne sais plus où que "l'homme moderne n'avait en réalité guère changé, humainement, depuis Ovide" (peut-être était-ce "Aristote", mais peu importe) ; il me semble que fondamentalement il avait raison, et je ne sais pas du tout si les petits gadgets innovateurs actuels induiront des modifications plus significatives que les répercussions qu'ont pu avoir l'invention du couteau à couper le beurre, de l'électricité, du moteur à réaction, de la pénicilline ou de la pilule, de la fission nucléaire et la maîtrise des ondes électromagnétiques, par exemple. Enfin, nous verrons...


* Dans son livre La Perspective de nulle part, Thomas Nagel propose une explication simplissime de la raison pour laquelle selon lui toute tentative de modélisation de l'esprit, et donc de restitution ou reproduction du phénomène de la conscience et des états mentaux subjectifs, est condamnée à échouer, car se fondant immanquablement sur ce qu'il appelle "la conception physique de l'objectivité", qui serait, par nature et par méthode, inapte à rendre compte des phénomènes subjectifs ; là encore, comme chaque fois que l'intelligence se heurte à un problème qui apparemment passe sa mesure, elle récolte un paradoxe en guise d'avertissement.

« Par commodité, je l’appellerai la conception physique de l'objectivité. [...] Le développement se fait par étapes, chacune offrant un tableau plus objectif que la précédente. Le premier pas consiste à s’apercevoir que nos perceptions ont pour cause l’action des choses sur nous, à travers leurs effets sur notre corps, qui appartient lui-même au monde physique. L'étape suivante consiste à réaliser que, puisque ces mêmes propriétés physiques qui causent en nous des perceptions à travers notre corps, produisent aussi différents effets sur d'autres objets physiques et peuvent exister sans causer aucune perception du tout, leur véritable nature doit pouvoir être détachée de leur apparence perceptuelle et n'a pas besoin de lui ressembler. La troisième étape consiste à essayer de former une conception de cette véritable nature, indépendamment de l'apparence qu'elle a, soit pour nous, soit pour d'autres types de percevants. Cela revient non seulement à ne pas penser au monde physique à partir de notre propre point de vue particulier, mais à ne pas y penser non plus à partir du point de vue plus général de la perception humaine : ne pas penser à ce qu'on y voit, à ce qu'on y sent, à ce qu'on y entend, à son odeur, à sa saveur,. Ces qualités secondes disparaissent alors de notre tableau du monde et l'on pense structurellement aux qualités premières sous-jacentes telles que la forme, la taille, le poids et le mouvement.
Cette stratégie s'est avérée extrêmement féconde. La compréhension du monde physique s’est considérablement étendue à l’aide de théories et d’explications qui ne sont pas attachés au point de vue perceptuel spécifiquement humain.
[…]
Aussi puissante qu’elle se soit montrée, cette conception physique décolorée de l’objectivité rencontre des difficultés si on la met en avant en tant que méthode de recherche d’une compréhension complète de la réalité. Car le processus a commencé lorsque nous avons remarqué que la manière dont les choses nous apparaissent dépend de l’interaction de nos corps avec le reste du monde. Mais cela ne nous donne aucun moyen d’expliquer les perceptions et points de vue spécifiques qui ont été négligés parce qu’ils ne sont pas pertinents pour la physique, mais qui, malgré tout, semblent exister au même titre que ceux des autres êtres vivants — pour ne rien dire de l’activité mentale qui consiste à former une conception objective du monde physique, qui, elle-même, ne semble pas pouvoir se soumettre à une analyse en termes physiques.
A la lumière de ces faits, on pourrait peut-être croire que la seule conclusion envisageable est qu’il y a dans la réalité davantage que ce que la conception physique de l’objectivité peut présenter. Mais aussi étonnant que cela paraisse, cette conclusion n’a pas été évidente pour tout le monde. Aussi la philosophie de l’esprit regorge-t-elle de prises de positions extrêmement peu plausibles.
J’ai fourni ailleurs des arguments contre les diverses formes de réductionnisme — behavioriste, causal ou fonctionnaliste — proposées par ceux qui cherchent à présenter l’esprit de telle façon qu’il puisse avoir une objectivité physique. Toutes ces théories sont orientées par un critère épistémologique de la réalité d’après lequel n’existe que ce qui peut être compris d’une certaine façon. Mais il est vain d’essayer d’analyser les phénomènes mentaux afin qu’ils puissent se révéler être des parties du monde "extérieur". On ne peut saisir les traits subjectifs des processus mentaux conscients — par opposition à leurs causes et effets physiques —en utilisant la forme de pensée qui est appropriée lorsqu’il s’agit de s’occuper du monde physique qui sous-tend les apparences. Non seulement les sensations brutes, mais aussi les états mentaux intentionnels — quelle que soit l’objectivité de leur contenu — doivent pouvoir se manifester sous une forme subjective pour être dans l’esprit d’une quelconque façon.
Le programme réductionniste qui domine les travaux actuels en philosophie de l’esprit est radicalement mal orienté car il est fondé sur l’hypothèse gratuite selon laquelle une certaine conception de la réalité peut épuiser ce qui est. Je crois qu’on finira par reconnaître que les tentatives actuelles destinées à comprendre l’esprit par analogie avec les ordinateurs fabriqués par l’homme et capables d’exécuter à merveille certaines tâches externes identiques à celles qu’accomplissent les êtres conscients sont de gigantesques pertes de temps. »
Utilisateur anonyme
24 octobre 2014, 13:44   Re : Enquête
La SNCF se met aux Google Glass. La Cour des comptes a justement rappelé à la SNCF qu'elle avait autre chose à faire de son argent. Plutôt des trains en bon état et ponctuels que le dernier cri technologique pour chouchouter son personnel.
24 octobre 2014, 23:40   Re : Enquête
Comprenne qui peut :

"La première mission des Google Glass est ici d'éviter à l'agent d'embarquement d'avoir le nez dans son assistant personnel lors du contrôle des billets à l'embarquement."

In Challenges.
16 janvier 2015, 13:56   Frein
16 janvier 2015, 14:43   Re : Enquête
Si on n’a même plus le droit d’avoir le nez dans son assistant personnel, maintenant...
Utilisateur anonyme
16 janvier 2015, 15:40   Re : Enquête
Il va se faire engueuler, le Patron, s'il ne revient que pour ce genre de messages…
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