"Un autre événement se produisit dans le camp. Nous fûmes transférés des baraquements d’Allendorff à des constructions en dur dans le camp de Neustadt. Les Américains libérèrent alors beaucoup de généraux et d’officiers d’état-major allemands, parmi lesquels l’ancien aide de camp d’Hitler, le général Gerhard Engel, qui pendant des années avait été à son service au quartier général et qui passait pour un fidèle parmi les fidèles. Je l’avais connu, dans le ressort de mon armée, alors qu’il était commandant de division lors de l’offensive des Ardennes. J’avais constaté qu’au contact du front son jugement sur le national-socialisme avait beaucoup changé.
Quelques jours après la libération d’Engel, le commandant américain du camp qui portait un nom juif allemand me convoqua pour me demander ce que je pensais de cette libération. Je lui répondis que je me réjouissais pour lui de tout cœur, mais que j’étais étonné que des résistants aussi convaincus que le général von Falkenhausen ou moi-même fussent maintenus en détention. Le commandant du camp m’expliqua : « Je vous ai fait venir pour vous expliquer cela. Voyez-vous, le général Engel a montré dans toute sa carrière militaire que la seule chose qu’il savait faire, c’était d’obéir aux ordres. C’est pour cela que dans la vie civile, il ne montrera aucune résistance et ne sera pas un danger pour nous. Mais vous, qui avez montré que vous suiviez votre conscience, vous pourriez dans certains cas refuser nos instructions. C’est pourquoi des gens comme vous ou le général Falkenhausen sont dangereux et doivent rester sous surveillance. »"
Cette logique diabolique mais terriblement efficace me coupa le souffle ; je ne pus que lui répondre : « Dans ces conditions, c’est un honneur de rester encore un peu en prison. »"
Rudolph-Christoph von Gersdorff –
Tuer Hitler – Confession d’un officier allemand antinazi (1977)
