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Pétain et l'Amérique (d'un paradoxe français)

Envoyé par Francis Marche 
On le savait, Henri Rebeyrol nous en avait entretenu ici, il y a longtemps, et il me semble qu'Eric Zemmour en parle dans l'un de ses derniers ouvrages: Pétain, toute sa vie, toute sa carrière a attendu l'Amérique, le son des tompettes de sa cavalerie, et n'a presque jamais rien fait d'autre.

Vu hier soir un épisode de la série spectaculaire sur la première guerre mondiale, intitulée Apocalypse et télédiffusée sur ce qui se fait appeler "la chaîne publique".

Automne 1917 : le général Pétain, est là, il détient le haut commandement des armées françaises; la possibilité d'une offensive finale des alliées se dessine, qui pourrait étouffer l'incendie, mettre un terme définitif aux hostilités par des forces nationales de pays européens. Elle pourrait être coûteuse en vies humaines, certes, mais la conclusion de cette guerre par des opérations militaires ne pouvait pas ne pas l'être. Que fit Pétain? Il choisit l'Amérique, il dit : "J'attends les chars et les Américains". Attitude qu'il devait réitérer vingt-cinq ans plus tard. Les Américains finirent par arriver, l'été suivant.

Qui dira ce paradoxe : Tout un pan de la droite française traditionnaliste (un très large spectre, qui court de l'Oeuvre française aux soraliens) qui se réclame, de près ou de loin, de l'héritage politique et idéologique de Philippe Pétain, vomit un pays, l'Amérique, cependant que la figure et le génie tutélaire de ce courant de pensée, durant toute sa carrière politique et militaire, ne fit qu'attendre les soldats, le secours et le salut dudit pays honni, source de toutes les détestations des épigones de ce chef en trompe-l'oeil.
"Chef en trompe-l'œil", vous y allez fort, cher Marche, du moins pour le Pétain qui fit arrêter Laval en novembre 40 après l'avoir empêché d'allier la France à l'Allemagne contre l'Angleterre (Montoire, "Verdun diplomatique").
Mais pour ses bonnes relations avec les Américains, vous avez parfaitement raison, sa proximité avec l'ambassadeur US Leahy l'attesterait à elle seule s'il en était besoin.
Son seul tort fut finalement de ne pas avoir rejoint ses amis naturels en Algérie, après l'assassinat à Alger de son dauphin, l'amiral Darlan, fin 42. Peut-être devint-il alors une ombre davantage qu'un trompe-l'œil.
Il n'en reste pas moins que l'essence même de la Révolution nationale (1940 - 1942) est maurrassienne, impériale et sociale. D'où l'adhésion des groupes que vous citez.
Merci de cette réaction cher Eric, que j'escomptais un peu de votre part. Je tiens à dissiper un risque de malentendu : je ne conteste en rien les décisions de Pétain en 1917 et pour tout vous dire, je crois même qu'il fit bien d'attendre les Américains, et qu'en tout état de cause, sur ce point, il eut tout lieu de se féciliter de ce choix stratégique, qui s'avéra payant.

Pas de "procès Pétain" ici, donc, mais le seul souhait de souligner ce paradoxe tout actuel : le tropisme pétainiste de certains milieux politiques français s'accompagne TOUJOURS d'une détestation de l'Amérique, de sa "culture", de sa philosophie de la liberté économique, de son libéralisme, et de toutes les manifestations spectaculaires de son être et de sa manière, du mâchage de chewing-gum au camp de Guantanamo en passant par ses politiques sociales et raciales; or la figure historique consensuelle la plus vénérable de ce courant de pensée politique, ne fit jamais rien sans l'Amérique! Pétain fut le plus "américain" de tous les chefs de guerre et personnages ayant présidé au destin de la France dans l'histoire moderne.

Il est parfaitement amusant de seulement constater ce paradoxe, que je ne m'aventurerai pas à commenter plus avant; il y faudrait un psychanalyste d'un calibre encore inconnu.
Peut-être, cher Francis, est-ce l'Amérique qui a changé. Et ce particulièrement depuis 1945, où elle incarna dès lors une domination, un empire et un mode de vie qu'elle voulut universel. Ne serait-ce pas précisément, comme pour les pauvres humains que nous sommes, l'ego de la surpuissance - réelle ou supposée - qui nous rend soudain, comment dire, imbuvables ?
Rappelez-vous l'attirance qu'exerçait avant guerre l'Amérique sur les esprits les plus fins, Morand, Sachs et tant d'autres que je n'ai plus à l'esprit. Alors, Pétain, why not ?
L'Amérique, aujourd'hui, n'a plus vraiment le beau rôle.
Pour bien comprendre les enjeux évoqués dans ce fil, il faut rétablir la chronologie.

C'est en mars-avril-mai 1917 que l'armée française - en fait les hommes politiques qui gouvernaient la France - a changé temporairement de stratégie, abandonnant l'offensive (artillerie, chars, aviation, assaut des commandos contre les successions de tranchées) : il s'en est fallu de peu que les lignes de défense allemandes ne cèdent. Effrayés par les pertes élevées et le mécontentement des soldats, les hommes politiques ont arrêté l'offensive, qui était bien pensée (compte tenu du matériel et des concepts stratégiques d'alors) et près de donner les résultats attendus, pour revenir à l'enterrement dans les tranchées, différant d'un an et demi la fin de la guerre. C'est à ce moment qu'ils ont fait appel à Pétain, "le vainqueur de Verdun" en 1916, partisan de la défense, spécialiste de l'artillerie, et qui déclarait attendre les Américains pour lancer l'assaut final.

Dans la cinquième partie du documentaire diffusé hier soir (dont la grande valeur tient aux images inédites, restaurées et colorisées, mais qui reste (trop) fidèle à une conception de cette première guerre qui prévaut depuis plus d'un demi-siècle, la guerre des soldats (de 80 à 90% des images montrées) au détriment de réalités presque aussi importantes : le matériel, les armes, la logistique, la stratégie militaire, la formation des officiers et leur univers mental), cette question - offensive ou défense - a été reposée à l'été 1918, lors de la grande offensive allemande (le front de l'Est n'existant plus) et au début de l'automne 1918, lors de la contre-attaque des alliés dans la Marne et la Somme. C'est alors que les hommes politiques ont préféré pour le poste ou la fonction de "maréchalissime" (chargé de coordonner la défense, puis l'offensive des différentes armées alliées) Foch à Pétain, et que le commentateur ou le récitant a cité cette boutade prêtée à Pétain : attendre les Américains, dont Pershing, ce en quoi il s'est trompé, pensait qu'ils ne seraient opérationnels qu'en 1919.
Vous avez peut-être raison Eric. C'est que, à cette époque, les Etats-Unis d'Amérique avaient un Sud dont l'esprit pouvait montrer des affinités avec un certain pétainisme ou esprit des tranchées et du retranchement. Pétain se rendit en Provence, en « pèlerinage » à Maillane, pour un éloge de cet esprit là, celui du Sud. Et les mânes du génie de Maillane, qui avait reçu chez lui, en Provence, des Indiens Sioux, et était fasciné par cette Amérique-là, reçurent la viste de Philippe Pétain dans le même esprit.

Guerre de mouvement vs guerre des tranchées/du retranchement : l'Amérique de Pershing refusa la tranchée, elle voulut, sur le théâtre italien et en Champagne, la guerre de mouvement, hyper-mécanisée, aux offensives décisives, comme l'avait souhaité De Gaulle, génie moderne, "general Motors", anti-mistralien au possible, détestant et méprisant le Midi, la Provence où il ne mit les pieds que contraint, très rarement, et étranger à tout ce qu'était l'Algérie.

La Camargue du Marquis Folco de Baroncelli avait beaucoup d'affinité avec un certain folklore Western de l'époque. Et la Camargue, c'est Mireio.

Pétain en Provence, 1940

On a dit parfois que les deux guerres mondiales qui se déroulèrent en partie sur le sol français furent des guerres civiles européennes. Et si, dans cette configuration de guerre civile, l'Europe avait été déchirée comme l'Amérique par sa Guerre de Secession (The Civil War en anglais) ? Ne peut-on supposer que deux philosophies politiques s'affrontèrent alors et par deux fois sur le sol européen, ou du moins en Europe de l'Ouest, qui, dans l'esprit de certains, reprenaient confusément la dichotomie fondamentale qui avait déchiré l'Amérique au siècle précédent ? En d'autres termes, l'américanisme de Pétain n'entrait-il pas alors en processus identificatoire inconscient avec l'esprit des Confédérés qui s'opposèrent aux Yankees ? Il se pourrait bien que cet élément archétypal fût présent dans ce curieux, persistant américanisme de Pétain.

Et si Pétain disait "attendre les Américains" pour vaincre, se peut-il que ce fût par ce jeu de miroir qui permettait de savoir, qui, assurément, gagnerait cette guerre pour avoir gagné la guerre civile américaine ? Ne fallait-il pas dès lors, dans l'esprit de ce soldat, pour abattre la bête des armées du Kaiser, recourir à une bête équivalente qui avait fait les preuves de sa capacité à emporter la décision dans une polémique armée laquelle, en Amérique, avait été cousine, voire jumelle, de celle-là ?

Edition d’un timbre français à l’effigie de Mistral, 1941 :


Lire cette page insolite sur les Indiens Iakota en Provence : [oklahoccitania.canalblog.com]

Fréderic Mistral chez lui, à Maillane, entouré de ses invités, des Indiens Sioux:

Merci de ces mises au point éclairantes, M. Rebeyrol.
On remarquera qu'à ce jeu dichotomique (Nord vs Sud) et homothétique (Europe et Amérique) se surajoute en 1940 une configuration géographique particulière qui en renforce les traits : la Zone Libre, contrôlée par Vichy, avait son territoire dans la moitié sud de la France.
M. Rebeyrol,

Votre point de vue est intéressant, mais je trouve qu'il est par trop favorable à Nivelle et trop peu à Pétain.

L'idée stratégique de Nivelle était sans doute bonne. Cependant, l'exécution fut, dans la pratique, désastreuse : Nivelle s'obstina une première fois en attaquant alors que les Allemands s'étaient repliés et fort solidement installés sur la Ligne Hindenburg, avec la charnière très forte du Chemin-des-Dames ; il s'obstina ensuite en poursuivant son attaque malgré les pertes initiales.

Pétain remporta plusieurs mois après cet échec la bataille de la Malmaison, il ne fit pas qu'attendre.
Oublions Nivelle, revenons à l'essentiel.

En 1917 et 1918, l'armée française a conçu l'esquisse d'une stratégie (en gros : utilisation concomitante ou quasiment simultanée des bombardiers, des blindés, de l'artillerie, des commandos pour briser les lignes de défense ennemies) qui, mise en oeuvre par les seuls Allemands en 1939, leur a valu d'immenses succès militaires et à la France, qui a renié ce qu'elle avait inventé en 1917 en matière de pensée stratégique, une défaite humiliante.

Forts de cette catastrophe malheureuse, les anciens de la France combattante ayant des responsabilités dans l'armée ont pendant près de trente ans imposé la mise à jour constante de la pensée stratégique, ce qui a donné, par exemple, la doctrine de la dissuasion.
Hélas, depuis trente ans, la pensée stratégique, comme entre 1917 et 1940, ne se renouvelle pas et, à l'exception de la projection extérieure, elle semble incapable d'affronter le grand défi du siècle, à savoir l'asymétrie des forces.
Peut-être, cher Francis, est-ce l'Amérique qui a changé. Et ce particulièrement depuis 1945, où elle incarna dès lors une domination, un empire et un mode de vie qu'elle voulut universel. Ne serait-ce pas précisément, comme pour les pauvres humains que nous sommes, l'ego de la surpuissance - réelle ou supposée - qui nous rend soudain, comment dire, imbuvables ?
Rappelez-vous l'attirance qu'exerçait avant guerre l'Amérique sur les esprits les plus fins, Morand, Sachs et tant d'autres que je n'ai plus à l'esprit. Alors, Pétain, why not ?
L'Amérique, aujourd'hui, n'a plus vraiment le beau rôle.


(É. Miné)


Il est à noter qu'aussi-tôt 1945 parût Le Cauchemar climatisé :

« J’avais l’impression de marcher dans le sillage d’un géant en folie qui avait semé la terre de ses rêves hystériques. Si seulement j’avais vu un cheval, ou une vache ou même une chèvre décharnée en train de mâchonner des boîtes de conserve, quel soulagement ç’aurait été. Mais on ne voyait rien qui appartint au règne animal, végétal ni humain. [...]
Les États-Unis, disons-nous, sont le creuset d'une vaste expérience humaine... Mais en fait, nous sommes une foule de gens vulgaires et arrivistes dont les passions ne demandent qu'à être éveillées par les démagogues, les journalistes, les faux prophètes et autres agitateurs.
C'est un blasphème que d'appeler cela une société d'hommes libres.
Qu'avons nous à offrir au monde sinon le prodigieux butin que nous arrachons frénétiquement à la terre, en baptisant cette activité insensée des noms de progrès matériel et moral ? »

(H. Miller)
Avec l'Amérique, celle de l'après-guerre, la liberté a touché le fond. Il est certain que la liberté n'est pas le tout de l'homme et que, pour indispensable qu'elle soit, elle ne suffit à rien. "Je fais la révolution pour que mes enfants puissent faire de la politique et mes petits-enfants de la philosophie" disait un révolutionnaire américain (je pense que c'était George Washington mais ne retrouve pas la citation exacte).

Il y avait au XXe siècle un formidable foyer d'énergie qui s'appelait l'Amérique, nation faite d'hommes affranchis de la vieille Europe. Ce foyer d'énergie libre a démontré sa force quasi-miraculeuse, y compris sur le théâtre européen (et asiatique) des opérations des deux guerres mondiales. C'est un fait. Henri Miller était un jeune américain prédateur opportuniste venu à Paris (et à Clichy) profiter auprès des Françaises du manque d'hommes causé par la tuerie de 14-18. C'est un autre fait. Il fut aussi l'inspirateur et le relanceur inspiré d'une certaine littérature d'avant-guerre (Cendrars, et je crois aussi Céline mais par symbiose, par retour -- Miller fut indiscutablement célinien, à savoir qu'il aida par effet de symbiose à faire connaître et goûter l'auteur du Voyage aux générations suivantes).

L'énergie américaine est exemplaire; elle fut dyonisiaque et devrait nous être encore source d'inspiration. Cette énergie se voulait au service du Bien le plus hautement recommandable par la philosophie occidentale. La décadence américaine, qui est aujourd'hui bien réelle, n'est qu'un reflet de notre usure morale, de notre manque d'appétit et d'engouement pour le Bien et l'énergie libre. L'énergie américaine, qui fut foudroyante au siècle dernier, décline et se meurt parce que cette liberté n'a pas trouvé à se convertir en construction spirituelle ni à en susciter aucune -- un état de fait qui appelle, à lui seul, le retour des chaînes, donc le progrès de l'islam et du djihad en Europe et ailleurs. L'échec de l'Amérique : le 11 septembre 2001, malheur sans solution ni explication.
En somme, les poilus du Chemin des Dames auront essuyé les plâtres de conceptions militaires encore trop neuves pour faire pièce à l'inertie du réel, et Nivelle fut un précurseur incompris plutôt que la ganache bouchère qu'on répute si volontiers ?...
Pétain était bien plus moderne dans ses conceptions : allier la puissance de feu à l'économie des pertes. Je pense que cette tactique fut comprise et appréciée dans l'entre deux guerres.

L'offensive à outrance peut briser l'ennemi, c'est vrai, mais elle fait perdre les meilleures unités, si elle s'enlise.

Près de notre époque, considérez la guerre d'Indochine.

De Lattre fut économe, il mit l'ennemi en difficulté. Navarre chercha à passer à l'offensive, ce fut Dien-Bien-Phu.
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