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Hokusai

Envoyé par Henri Rebeyrol 
04 janvier 2015, 15:56   Hokusai
Il est un constat qui occupe, et à juste titre, une place importante dans la pensée de Renaud Camus et qui consiste en ceci: l'art (l'architecture, l'entretien de la nature, les paysages de la main de l'homme, le dessin, le costume, la peinture, la maîtrise de la langue) révèle beaucoup plus de choses pertinentes sur un pays ou sur une civilisation que toutes les thèses et autres pensums qu'écrivent sociologues, historiens, penseurs, idéologues, etc.

L'oeuvre du peintre et dessinateur japonais Hokusai confirme, s'il en était besoin, ce constat. Certes, ce qui est montré au Grand Palais, c'est l'oeuvre par le truchement d'une exposition, une exposition admirablement bien conçue, en dépit de la difficulté que l'on peut parfois éprouver à voir distinctement dans une demi-pénombre de petits dessins ou des pages de petit format placés dans des vitrines autour desquelles se pressent de nombreux visiteurs, et très ambitieuse, parce qu'elle embrasse la totalité de la longue carrière de ce peintre, qui est sans cesse mise en relation avec la réalité de la civilisation japonaise que cette oeuvre tente de représenter. Ce qui s'en dégage, c'est un état brillant de cette civilisation et qui dément ce qui a pu être enseigné jadis (quand, dans les lycées, étaient enseignées les civilisations de l'Asie) de cette ère, supposée obscure ou "barbare", des shoguns (1760-1840), d'avant l'ère Meiji, quand le Japon, fermé sur lui-même (déjà sévissait l'idéologie sans frontières de "si tous les gars du monde"), mais un Japon japonais et même japonisant, n'avait quasiment pas de relations avec les autres pays, proches ou lointains, et bien avant l'ouverture à l'Occident, qui aurait donné le signal d'un vrai développement du Japon.

Le Japon "féodal" ou supposé féodal (moyenâgeux ?) que montre Hokusai est un Japon cultivé, raffiné, élégant, délicat (même les classes "populaires" d'artisans, de portefaix, de marchands participent de cette culture) - surtout à Edo, ville qui va devenir plus tard la capitale sous le nom de Tokyo, où les "divertissements" sont le théâtre, le chant, la lecture de recueils de poèmes illustrés, la lecture de "mangas" (ces livres se vendaient et Hokusai en vivait bien - ce qui indique que de nombreux Japonais maîtrisaient la lecture et la poésie) et un Japon où des corporations d'artisans ont développé un art admirable de l'estampe sur bois et de l'estampage en trois couleurs (à la même époque, en France, les fabricants d'estampes faisaient "colorier" les estampes).

D'un point de vue technique, l'art d'Hokusai (et il n'est pas le seul peintre qui, à cette époque, maîtrise l'art de la représentation des espaces profonds ou l'art des mangas ou l'art des kakemonos) est comme la quintessence du savoir-faire accumulé au fil des générations, non pas seulement par une corporation, mais par plusieurs corporations d'artisans : ainsi la maîtrise de la profondeur sur des surfaces réduites (une page de livre ou un kakemono de soie), l'inscription dans l'espace ainsi délimité d'une scène dramatique. Il faudrait être japonisant pour juger de la justesse de l'interprétation des poèmes par les dessins qui les illustrent.

Beaucoup de commentateurs en géopolitique s'extasiaient dans les années 1970-80 sur le miracle japonais, sur le savoir-faire industriel et commercial des Japonais, sur la qualité des produits japonais, sur l'art de vivre des Japonais. En fait, tout ce qui a semblé évident aux Occidentaux dans les années 1970-1980 était déjà la réalité du Japon des années d'Hokusai ou du Japon tel qu'Hokusai le montre ou tel que l'exposition parfaitement raisonnée de l'oeuvre d'Hokusai le montre. Il reste à espérer que le médium (l'exposition) n'est pas plus pertinent ou plus riche que l'oeuvre.
04 janvier 2015, 21:10   Re : Hokusai
Grand merci, mon Cher Rebeyrol, de ce commentaire passionnant. À défaut de pouvoir voir l'exposition j’en possède le splendide catalogue (cadeau de Noël !) et je me dis — mais peut-être n’est-ce là que préjugé d’occidental — que la déperdition par rapport aux œuvres est moindre que ce ne serait le cas pour Fragonard, mettons, ou Constable.
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