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Hiérarchie des religions

Envoyé par Jean-Marc du Masnau 
Dans son Journal d'aujourd'hui, Renaud Camus soulève l'intéressant thème de la hiérarchie des religions.

L'exemple qu'il prend (celui de la religion des Incas et du taoïsme) permet, à mon avis, de bien voir les problèmes de méthode qui se posent quand on veut établir une hiérarchie en ce domaine.

Les religions américaines comportaient des sacrifices humains, c'est tout à fait exact, et ces sacrifices étaient tout à fait centraux. Les Espagnols furent horrifiés par cela et la pensée occidentale reste horrifiée par cela.

Cela dit, une chose horrible n'est pas forcément inférieure. Ces sacrifices s'inscrivaient dans un cadre très élaboré, dans celui d'une religion cohérente et fortement intellectuelle.

Le taoïsme n'a, à ma connaissance, sacrifié personne. Cela étant, on ne sait pas trop ce que c'est : une morale ? une religion ? un ramassis de superstitions ?

Une chose est en tout cas certaine, si on veut établir une hiérarchie : du point de vue religion, le taoïsme est très inférieur au bouddhisme (je parle là de l'aspect strictement religieux) et du point de vue philosophie ne saurait même pas être comparé au confucianisme.

Les intellectuels chinois, depuis au moins quatre cents ans, ont dénigré le taoïsme : ils étaient soit athées, soit bouddhistes. J'avais eu cette "révélation" il y a plus de trente ans en lisant les "Voyages d'un vieux décrépit". Lieou Ngo (orthographe ancienne) nous montre en fait à travers Lao Ts'an la décrépitude de la Chine et l'effondrement du monde de l'intellectuel Lieou Ngo. Le taoïsme en prend beaucoup pour son grade.

Qu'en pense Francis ?

Il me semble que la religion la plus élaborée, celle du moins sur laquelle on a le plus réfléchi, est la religion juive. Nul n'irait dire que cette religion n'est pas une religion supérieure. Elle ne prévoit pas, je vous rassure, de sacrifices humains. Il me semble cependant qu'elle prévoit le sacrifice de substitution, dans le cadre du korban (les juifs au temps de Jésus sacrifiaient au Temple). Les sacrifices (Alain ou Marcel, vos lumières) ne sont, il se peut que je me trompe, que suspendus et ils pourront à nouveau être réalisés quand l'ordre ancien sera rétabli.


Dès lors, quels critères se donner pour juger de cette supériorité ? ceux de la morale occidentale ("les sacrifices humains") ou ceux de l'anthropologie ?

La religion des scandinaves, par exemple, jugée "amorale", n'était pas forcément "inférieure" au christianisme, bien des intellectuels germaniques la défendaient au XIXème et au début du vingtième par comparaison au caractère "inférieur" des religions judéo-chrétiennes, jugées en quelque sorte efféminées, jusqu'à ce que ce courant soit emporté dans les flots du nazisme.

Donc, je renouvelle ma question : quels critères peut-on avoir pour établir cette notion de supériorité ? ceux de la morale ?
Le taoïsme est constitué de ce que l'on pourrait désigner (et c'est ainsi que les Chinois modernes le désignent) comme tissu de croyances populaires (point limité à la superstition) qui serait doublé, ou qui aurait pour ciel, un système philosophique assez complexe et élaboré, comme peut l'être le courant spirituel né du Corpus Hermeticum en Occident. Je ne sais pas à quelle aune juger, ou à quelle aune R. Camus juge, dans son texte, de l'infériorité éventuelle d'une religion, peut-être à celle des oeuvres sociales des spiritualités qui en sont à l'origine, qui pourraient être regardées comme composant le critère objectif par excellence ? La notion de charité universelle, par exemple, n'est pas le fait de toutes les religions, en tout cas pas dans une mesure commune. Aucun pays, à première vue, et sans être allé le vérifier, n'a eu le taoïsme comme religion d'Etat, tandis que le christianisme, le mahométisme, le bouddhisme ont accédé à ce statut. La question sinon, est très complexe, probablement indémêlable (par exemple, quid du pythagorisme ? où et comment spiritualité et religion doivent-elles être dissociées dans l'établissement de pareille hiérarchie, etc.)
10 janvier 2015, 17:57   Re : Hiérarchie des religions
Comme Francis, je trouve difficile de comparer les religions entre elles pour établir des hiérarchies, à moins de recourir à des critères "universels" non-religieux (respect de la vie humaine, protection des faibles etc) qui sont, bien souvent, de lointaine origine religieuse eux-mêmes. A partir de là, on risque l'anachronisme et l'ethnocentrisme : on peut s'y livrer quand on est journaliste comme Plenel (l'idée vient de lui, il est cité dans le Journal de Renaud Camus), ou rhéteur poliiticien, ou polémiste, ou ... quand on écrit son journal, mettant les idées à l'essai de la vie et du temps : ce n'est pas comme si l'on faisait un traité de philosophie des religions.

Quant aux sacrifices humains, centraux en effet dans les religions amérindiennes (mais l'exemple des Incas surprend un peu, les maîtres du genre, dit-on, étant plutôt les Aztèques), ils ont horrifié les Espagnols. Pour eux, la mort sacrificielle dans le culte religieux, celle du Christ, était symbolique, invisible, objet de foi, non un acte matériel renouvelé à chaque messe sur une victime différente. Autrement dit, les Espagnols n'incluaient pas le massacre matériel d'Indiens dans leur culte : c'était de l'ordre profane pour eux, tandis que pour les Indiens, l'effusion de sang humain était de l'ordre du sacré. Ce qui distingue la catholicisme des Conquistadors du polythéisme des Indiens, c'est le tracé différent des frontières entre sacré et profane, à l'intérieur d'activités humaines identiquement cruelles. Où et comment hiérarchiser ?

Il est intéressant de lire Une sainte horreur de Franck Lestringant, qui fait l'histoire de la découverte des Indiens du Brésil cannibales et du débat eucharistique que cette rencontre suscita parmi les colons français catholiques et huguenots. Ces derniers voyaient dans le cannibalisme indien une sorte de catholicisme traduit en actes concrets. De même que les catholiques mangent réellement Dieu dans l'hostie, de même, voyez, ces Indiens mangent de la chair humaine.
Un examen un peu serré peut montrer que l'islam n'est pas une "religion", au sens où les différentes religions chrétiennes en sont. Il s'agit d'un ordre juridique : un ensemble de lois, fondées sur un principe simple "licite" (hallal) vs "illicite" (haram), et qui sont censées régir tous les rapports que les hommes ont entre eux, privés ou publics, tous leurs comportements et façons d'être, jusqu'aux façons de parler. Cet ordre juridique a été imposé par le sabre : à force de têtes tranchées, il a fini par devenir une réalité, et surtout, il est impossible d'en débattre. Il prétend même devenir universel - d'où la mort pour les "blasphémateurs" (ceux qui blasphèment contre l'islam). Cet ensemble de lois a pour source les forces militaires et politiques qui ont pris le pouvoir en Arabie à partir de 622, puis dans le reste du monde ou une partie du reste du monde, à compter de 635. Comparer l'islam aux différents christianismes en les rangeant sous la même "rubrique", dite "religion", c'est s'exposer ne pas comprendre grand-chose à l'islam et c'est rabaisser les christianismes, qui ne sont pas des ordres juridiques, même si tel ou tel principe chrétien a pu inspirer telle ou telle loi.
La supériorité d'une religion se mesure à sa capacité d'amener ses fidèles à pouvoir la renier.
Citation
Thomas Rothomago
La supériorité d'une religion se mesure à sa capacité d'amener ses fidèles à pouvoir la renier.

Ou, cela revient au même, à sa capacité d'amener ses fidèles à en sortir (Marcel Gauchet, à propos du christianisme duquel, effectivement, on peut sortir).
11 janvier 2015, 05:27   Re : Hiérarchie des religions
Le judaïsme ne constitue pas moins un "ordre juridique" que l'islam, probablement plus encore, chaque aspect de la vie du croyant étant rigoureusement codifié et ordonnancé dans l'office divin généralisé qu'est sa vie (comme dans l'islam, les Mitzvot sont divisées en asé ("tu feras", le licite) et al taasé ("tu ne feras pas", l'illicite)); le judaïsme ne serait donc pas, en ce sens, une religion non plus ?
Nous retombons alors dans la difficulté d'établir des critères pour juger des différentes religions : pourquoi dès lors instituer le seul christianisme en critérium de ce que devait être une "vraie" religion, parmi les monothéismes ? et pourquoi le fait de constituer aussi un ensemble de lois, et même la Loi, serait-il un "rabaissement" ??

On pourrait tout au contraire penser que la foi qui s'actualise en mode de vie, en façon d'être strictement ritualisée réalise le degré maximum de sens dont peut être porteuse une religion, parce qu'elle oblige absolument, elle engage le plus concrètement et pratiquement possible à payer de sa personne, à signer en actes, par son comportement et son action, la dévolution de son existence comme tropisme : l'orientation, c'est le sens au plus littéral. Tandis que les seules "idées", la foi abstraite, si l'on peut dire, dégagée de l'obligation contraignante de la forme de la loi, c'est très bien, mais cela n'engage pas à grand-chose, donc ne veut pas dire grand-chose, et ça ne mange pas de pain...
11 janvier 2015, 09:47   Re : Hiérarchie des religions
C'est un peu comme l'homéopathie : il faut y penser toute la journée, prendre les pillules d'une certaien façon et pas d'une autre, à certaines heures et à certains jours et pas à d'autres, conditions siné qua non pour être guéri.
A ce propos, je suis en désaccord avec ceux qui affirment que l'islam n'est pas une religion, c'est le cas par exemple de groupes comme Résistance républicaine / Riposte laïque. Si l'on ne devait retenir qu'un critère, le plus empirique qui soit, pour décider ce qui est religion et ce qui ne l'est pas, il faudrait sans doute le faire en fonction de la reconnaissance de ce statut qu'accordent à la spiritualité considérée les représentants officiels de ce que nous reconnaissons comme religions : si les hauts représentants de l'Eglise et du judaïsme, et du bouddhisme dans notre pays reconnaissent l'islam comme religion, alors le débat est tranché : l'islam est religion, il n'est ni idéologie, ni simple philosophie. C'est là une approche, et une solution, purement laïques du problème de l'ontologie religieuse de l'islam. Et il faudrait ajouter à cela que si une hiérarchie doit être établie entre les religions, celles-ci, en 2015, n'en reconnaissent aucune. Les religions ne hiérarchisent pas les religions : de tout temps, elles se sont soit entre-reconnues, soient niées.
11 janvier 2015, 10:55   Re : Hiérarchie des religions
C'est bien, comme l'écrivait Lévi-Strauss, une religion de corps de gardes.
Quittons un peu le terrain de l'islam pour revenir au fond du problème.

Il semble donc qu'il soit très difficile de dire, entre deux religions, laquelle est supérieure à l'autre, faute de critères pertinents.

Je crains même que, dans l'absolu, ce soit impossible, et ce quels que soient les critères (je veux dire des critères qui prouveraient la supériorité -- il y a des critères numériques, par exemple le nombre de fidèles, qui sont sans valeur dans la débat).

Pourquoi ? parce que, dans deux sociétés données, la religion peut avoir des contours fort différents et, qui dit contours différents, dit impossibilité de comparer. Voici un exemple plus proche de nous que celui du Tao et des Incas.

Considérons, au moment de la naissance de Jésus, les mondes romano-hellénique et juif. La religion juive apparaît au premier abord supérieure (on peut même se demander si les Romains avaient une religion et non un ensemble de pratiques destinées à répondre à des situations pratiques). Or, juger ainsi serait méconnaître la place différente des deux religions : la religion juive traite de tout. La religion romaine a un périmètre très restreint et laisse, par exemple, le droit aux citoyens -- et ce droit est remarquable, c'est le père du notre. De même, elle permet sans aucun problème (cette religion romano-hellénique) l'existence d'une philosophie connue de tous. Dans ces conditions, comment dire qu'une religion est supérieure ?
Utilisateur anonyme
11 janvier 2015, 21:42   Re : Hiérarchie des religions
« Quittons un peu le terrain de l'islam pour revenir au fond du problème. »

Sacré Jean-Marc !
Parlez de l'islam si vous voulez, c'est à vous de voir.

Il se trouve que cette question des hiérarchies est, pour moi, intéressante. Je conçois qu'il n'en soit pas de même pour tous.
25 janvier 2015, 10:26   Re : Hiérarchie des religions
Une bonne religion, me semble-t-il, c'est une religion à laquelle on peut croire (comme un bon tableau, c'est un tableau qui est beau et non pas qui est moral, socialement instructif, etc.).
Depuis au moins vingt-cinq siècles, l'humanité a de plus en plus de mal à croire aux religions de l'en-deçà, et les religions sont largement devenues des religions de l'au-delà.
Ce mouvement vers les religions de l'au-delà (ou du salut) correspond certainement à une rationalisation.

Religions de l'au-delà (relativement à celles qu'elles ont supplantées, bien entendu : il n'y a pas de religion qui soit purement de l'en-deçà, pas de religion qui soit purement de l'au-delà - en-deçà/au-delà, je veux dire d'un côté l'ici-bas, de l'autre côté l'au-delà de la mort) : christianisme, islam, hindouisme (versus brahmanisme, auquel il a succédé), en Chine et au Japon bouddhisme (qui s'est ajouté aux religions antérieures sans les éliminer).
Et le mouvement s'effectue également à l'intérieur d'une religion donnée : par exemple le christianisme européen contemporain est beaucoup plus exclusivement concerné par la question du salut après la mort, et beaucoup moins concerné par la prière pour guérir des maladies, que ne l'était le christianisme médiéval.

Ces idées ne me sont pas propres et se trouvent un peu partout, au point que je ne sais plus où je les ai lues la première fois, chez Mircea Eliade peut-être ?

Quant à la comparaison entre ces religions "modernes" (apparues en fait pendant la "période axiale de l'humanité" (Jaspers), il y a entre vingt-cinq siècles et quinze siècles), elle doit être faite, me semble-t-il, pas en se posant la question de savoir laquelle est la plus sympa, la plus pacifique, la plus propice à l'art, etc., mais laquelle est le plus susceptible d'être crue, laquelle est le plus compatible avec la rationalité qui est la nôtre.

Il me semble que là l'esprit peut hésiter : certains prôneront la supériorité du monothéisme sur le polythéisme (hindouiste), d'autres vantent la supériorité du strict monothéisme (musulman) sur la foi trinitaire (et d'autres au contraire voient dans la doctrine de l'Incarnation une supériorité sur le monothéisme strict), d'autres celles de l'athéisme bouddhiste sur tout théisme, et je suppose qu'il y a des hindouistes pour vanter la supériorité du polythéisme (encore que je n'en ai jamais entendu parler).

Pour ma part, la seule confession dont je peux m'imaginer devenir un fidèle est l'unitarisme-universalisme, qui n'existe à peu près qu'aux Etats-Unis. J'ai assisté à un culte en Arizona. Cela ressemblait à un culte protestant anglo-saxon (témoignage, invitation à la charité (7% des revenus me semble-t-il), chant, salut au voisins, sermon). La pastoresse a affirmé l'agnosticisme de l'Eglise et le sien propre (au sens originel : sur la question de l'existence de Dieu, elle était incertaine). L'Eglise ne croit en aucune révélation (elle n'est pas chrétienne, donc), et utilise des textes d'origines religieuses diverses. Pendant les chants, il y avait sur scène une jeune femme qui dansait une danse dont je ne savais pas si elle était d'inspiration taoïste ou amérindienne, danse qui semblait "rituelle-cosmique", que j'ai appréciée. .
Les fidèles de la confession ne représentent plus qu'environ un demi pour cent de la population des Etats-Unis.
25 janvier 2015, 14:19   Re : Hiérarchie des religions
Quelques idées reçues:
 
Les religions n'ont pas toujours existées, elles s'inscrivent dans la révolution 'néolithique': sans sédentarité, il ne peut y avoir de religion. Les premières religions remontent à -7000 avant JC dans au moins trois régions connues qui produisent un 'jardin d'Eden': le croissant fertile, les contreforts Indiens de l'himalaya, et la Chine.
Ni le chamanisme, ni le pantheisme ne sont des religions, s'il y a une divinité celle-ci fait preuve d'une grande variabilité. Pour autant, il peut y avoir des arrière-mondes (paradis, enfer, temps des rêves, ...).
Religion et Culture sont indissociables (Catal Höyük)

Les dieux archaïques sont sans représentation.
- dans la forme la plus ancienne le dieu est 'immortel'. Il a même une famille, nait, vit, mais ne mourra jamais.
- une évolution du dieu 'immortel' est le dieu 'éternel'. Pour devenir éternel, il faut avoir perdu 'sa famille', moyennant quoi, il n'y a plus de naissance possible. Pour autant, le dieu éternel a une vie.
- La dernière bouture du dieu est le dieu 'transcendant'. Ce dieu-là est récent, la transcendance est un emprunt à la philosophie grecque. Le dieu transcendant n'a pas de famille, il ne peut donc, ni naître, ni mourrir, mais pour pouvoir être transcendant, encore faut-il qu'il n'ait qu'une 'existence' et pas de 'vie'. Conséquement, il ne doit pas être représenté (si vous voyez à qui je pense).

La religion a deux carburants, le temps qu'elle prend aux individus, l'espace qu'elle occupe.
Les religions sont cannibales (nous aussi), par exemple Notre Dame de l'Hermitage, Hermitage comme Hermès.
 
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