Il y a
voilà, bien sûr, mais aussi, peut-être, surtout,
donc-voilà. Donc-voilà, je suis prof’ dans un lycée de ZEP…
Donc-voilà, on a enregistré cette émission…Donc-voilà, ce film nous donne à voir…
Plus une phrase livrée en public, aujourd’hui, non plus qu’en privé, sans l’introduction de ce curieux sésame qui, pour inaperçu qu’il soit — on ne l’entend même pas, en début de phrase, tant il a su se faire discrètement naturel —, contient beaucoup de choses et en dit long sur l’état du discours doxique et de la parole convenue.
À l’instar d’un de ses plus fameux concurrents, le redoutable c’est-vrai-que (dont Renaud Camus s’est fait le premier et plus grand pourfendeur), ce petit syntagme est miraculeusement révélateur, en sa formidable concision, d’un état d’esprit et d’une certaine manière de présenter les choses, issus à la fois d’une impuissance constitutive de la pensée contemporaine et d’une malhonnêteté inconsciente (parce qu’intériorisée au plus haut degré). Ce que l’on peut qualifier en somme de tautologie aporistique.
Mission : faire passer la contingence, le flou, la subjectivité, etc., pour l’évidence et pour la nécessité.
Qu’entend-on, en premier lieu, quand on (n’) entend (pas) donc-voilà ? D’abord, fort logiquement,
donc : on est immédiatement mis en présence d’une conjonction de coordination à valeur déductive, censée articuler entre eux les termes d’un raisonnement, d’un développement de faits et de causes. Mais il s’agit en réalité d’une causalité fantôme, d’une logique spectrale. On ne fait que mimer une argumentation rationnelle : on tire une conclusion du néant, et l’on enchaîne sur du vide. Première errance syntaxique. On donne suite à du rien, pour mieux asséner, dans un second mouvement immédiat, une conclusion elle aussi parfaitement vide :
voilà.
C’est que
voilà, ensuite, imparable vocable, sur le mode du présentatif (mais qui ne présente rien, puisqu’il est seul), est là pour boucler la boucle, clore le cercle vicieux et en boucher un coin ; Une fois
voilà dit, le débat est clos, la question est épuisée, la vérité est assénée. Il s’agit maintenant de présenter comme un résultat et/ou une démonstration ce qui n’est qu’une apposition, une énonciation simple. Instiller l’apparence de l’apodictique au sein de l’assertorique pur.
À noter que ce
voilà est toujours utilisé seul, on vient de le voir, et non complété par un autre terme. C’est qu’en effet, il est là pour conclure.
On a ainsi, à première vue, les apparences, dans le discours, du double mouvement dialectique — logique, déductif, rationnel — d’une démonstration (certifiée par « donc ») suivie d’une conclusion (entérinée par « voilà »). Sauf qu’il n’y a ni avant ni après, dans cette pauvre parodie, qui trompe avant tout son propre auteur. C’est qu’elle est tout entière contenue en elle-même, redondante en son insuffisance essentielle, instantanée, sans attaches logiques ni syntaxiques, flottant dans l’espace vide de l’absence de sens.
Malheureusement, comme toutes les chevilles inutiles du langage, elle semble proliférer à mesure de son inutilité…