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De quel amour blessée

Envoyé par Michel Le Floch 
14 janvier 2015, 11:35   De quel amour blessée
Alain Borer vient de publier des réflexions passionnantes sur le piteux état de la langue française. Il le fait sur certains points en des termes très proches de ceux de Renaud Camus : les questions du "c'est vraiquisme" et du "surcommentisme" sont même évoquées sans, ce qui est étrange, que le Répertoire pour un livre où les notes et les références abondent ne soit mentionné.
Un entretien de l'auteur accordé à l'Express : [www.lexpress.fr]
Le dernier Journal de Paul-Marie Couteaux, téléchargeable sur le site de Radio Courtoisie, lui est consacré.
14 janvier 2015, 13:20   Re : De quel amour blessée
A ce propos, deux termes horripilants qu'on lit et entend partout :

1. le jour d'après, qui, à la faveur d'un titre de film américain (The Day After) mal traduit en français il y a quarante ans environ, est parvenu à enterrer le lendemain (comme l'avenir a été enterré par le futur, lequel du reste, en tant que temps de la conjugaison, n'existe pratiquement plus en français, remplacé par le futur proche "je vais faire" au lieu de "je ferai") ;

2. dévasté. Les Américains (et les Anglais) disent couramment dans leur langue "J'ai été dévasté en apprenant la nouvelle", et sous l'influence des doublages de séries télévisées confiés à des incapables et des ignorants, c'est partout en France que l'on dit à présent que l'on est "dévasté" par la mort d'un proche, quand le français d'avant le désastre offrait "je suis anéanti". Le terme français "être anéanti", qui recouvre très exactement l'expérience et le référent dans le réel de l'expression anglaise to be devastated, frappé de nécrose, chute du langage, et s'en va rejoindre la "langue fantôme" dont nous parle Richard Millet, celle qui fait souffrir d'une perte, littéralement, indicible.
14 janvier 2015, 14:09   Re : De quel amour blessée
Pour les séries américaines, il y a plus comique que le doublage, c'est le sous-titrage, puisqu'il permet d'entendre l'original tout en lisant la “traduction” proposée. C'est ainsi que, depuis déjà quelques années, lorsqu'un acteur dit “No problem !”, le traducteur (ou l'adaptateur ?) propose : “Pas de souci !”.
14 janvier 2015, 14:32   Re : De quel amour blessée
Quelqu'un a-t-il une explication pour ce voilà ! qui, tous les quatre mots environ, ponctue toutes les phrases de nos compatriotes depuis une poignée d'années ?

Ce voilà est terriblement contagieux, je dois me clouer la langue au palais pour éviter de m'y soumettre dans mon commerce avec les natifs du pays de Chateaubriand et de Grand Corps Malade.
14 janvier 2015, 19:37   Re : De quel amour blessée
Quel beau livre que celui de Borer, je le recommande chaudement aux lecteurs de ce forum. Je viens à peine de le refermer. Le plus grand plaisir que nous donne son auteur est de ne jamais céder à l'esprit de l'époque, ni à aucune facilité intellectuelle. A cela s'ajoute une remarquable érudition et une connaissance intime de la langue française -- dont il se fait un fervent défenseur.
14 janvier 2015, 20:14   Re : De quel amour blessée
Citation
Michel Le Floch
Alain Borer vient de publier des réflexions passionnantes sur le piteux état de la langue française. Il le fait sur certains points en des termes très proches de ceux de Renaud Camus

Les idées, travaux et formules de Renaud Camus se répandent, mais en perdant en chemin le nom de leur auteur. J'ai trouvé sur internet un article qui créditait Alain Finkielkraut du "Communisme du XXI°s", alors que j'étais sûr d'avoir rencontré l'idée et son développement ici même.
Il me semble que la formule est de Finkielkraut, après les émeutes de 2005, mais peut-être est-ce un emprunt.
14 janvier 2015, 20:26   Re : De quel amour blessée
J'ai moi aussi été frappé par le ton camusien du livre de Borer, mais je n'ai pas remarqué d'emprunt inavoué à Renaud Camus. Il est trop rigoureux pour ce genre de légèreté.
14 janvier 2015, 21:56   Re : De quel amour blessée
Finkielkraut use souvent d'idées empruntées à Renaud Camus, mais le plus souvent il le cite.
14 janvier 2015, 22:07   Re : De quel amour blessée
La formule « le communisme du XXIe siècle », pour désigner l’antiracisme, est d’Alain Finkielkraut.
Citation
Francis Marche
Quelqu'un a-t-il une explication pour ce voilà ! qui, tous les quatre mots environ, ponctue toutes les phrases de nos compatriotes depuis une poignée d'années ?

Ce voilà est terriblement contagieux, je dois me clouer la langue au palais pour éviter de m'y soumettre dans mon commerce avec les natifs du pays de Chateaubriand et de Grand Corps Malade.

Clémentine Célarié est, des personnalités publiques, celle qui emploie de la manière la plus systématique et redoutable le fameux Voilà. L'usage qu'elle en fait, et qui s'accompagne toujours d'une expression muette et médusée du visage, surligne, ponctue l'évidence absolue du propos tenu. Propos nécessairement "humain", de "gauche", battant, d'une bonne foi appuyée, le rappel des valeurs gentilles/antiracistes/autruiphiles/droitophobes/vivrensemblistes,etc. Ce Voilà veut dire, Mais comment, comment peut-on penser autrement et autre chose que ce que je viens de rappeler, et qui est le Naturel même, pour la millième fois...Face à certaines personnes et réalités, ces gens-là, missionnés par le Bien, semblent être nés pour ne pas en revenir. Puis il y a en effet le Voilà qui salit les micro-trottoirs. Sa fonction serait plutôt de combler les blancs de locuteurs qui calent presque immédiatement après avoir ouvert la bouche (timidité, "bêtise"?). L'interview de l'homme de la rue, en France, est très souvent une catastrophe.
15 janvier 2015, 15:55   Re : De quel amour blessée
Le second “voilà” identifié par M. Comolli est beaucoup employé par Yves Calvi, me semble-t-il.
Je confirme. Il est quasi interrogatif, se substituant à une sorte de, Oh! qu'est-ce que vous en pensez? j'ai plus rien à dire là moi, vite!
15 janvier 2015, 21:04   Re : De quel amour blessée
Voilà au degré d'ubiquité qui est désormais le sien dans la langue parlée doit être la ligne porteuse de plusieurs fonctions. C'est un constatatif (c'est comme ça et pas autrement), c'est "voilà, je vous l'ai dit comme je le pense", c'est un signe de ponctuation (remplaçant progressivement le "point barre" des années 2000) et au fond c'est aussi l'équivalent dans le dialogue du "à vous" des conversations en talkie-walkie, homologue de l'anglais "over". On émet un énoncé, affirmatif, que l'on clôt sur un voilà qui donne la parole à l'interlocuteur (équivalent au over prononcée dans un talkie-walkie ou un téléphone soit dans un canal de communication où la parole ne peut être ni ne doit être interrompue ni coupée), et quand voilà est prononcé à mi-phrase ou en cours d'énoncé, il sert d'emphase sur le point, le mot auquel l'interlocuteur devra s'accrocher pour articuler sa réponse, voilà.

En clair, voilà est le symptôme ou l'indice que la conversation ou le dialogue se déroulent entre demi-sourds, comme au téléphone ou dans un appareil monovocal (les voix ne peuvent ni ne doivent se mêler afin de préserver l'intelligibilité des signaux linguistiques échangés -- tu ouvriras ton clapet quand j'aurai prononcé voilà, voilà.).

Donc, oui, c'est, là encore, comme pour le "on fait quoi ?", ou le "t'es où ?" un vice de communication dérivé du téléphone ou du twitter, un produit de leur contamination, over.
Il y a voilà, bien sûr, mais aussi, peut-être, surtout, donc-voilà. Donc-voilà, je suis prof’ dans un lycée de ZEP…
Donc-voilà, on a enregistré cette émission…Donc-voilà, ce film nous donne à voir…
Plus une phrase livrée en public, aujourd’hui, non plus qu’en privé, sans l’introduction de ce curieux sésame qui, pour inaperçu qu’il soit — on ne l’entend même pas, en début de phrase, tant il a su se faire discrètement naturel —, contient beaucoup de choses et en dit long sur l’état du discours doxique et de la parole convenue.
À l’instar d’un de ses plus fameux concurrents, le redoutable c’est-vrai-que (dont Renaud Camus s’est fait le premier et plus grand pourfendeur), ce petit syntagme est miraculeusement révélateur, en sa formidable concision, d’un état d’esprit et d’une certaine manière de présenter les choses, issus à la fois d’une impuissance constitutive de la pensée contemporaine et d’une malhonnêteté inconsciente (parce qu’intériorisée au plus haut degré). Ce que l’on peut qualifier en somme de tautologie aporistique.
Mission : faire passer la contingence, le flou, la subjectivité, etc., pour l’évidence et pour la nécessité.

Qu’entend-on, en premier lieu, quand on (n’) entend (pas) donc-voilà ? D’abord, fort logiquement, donc : on est immédiatement mis en présence d’une conjonction de coordination à valeur déductive, censée articuler entre eux les termes d’un raisonnement, d’un développement de faits et de causes. Mais il s’agit en réalité d’une causalité fantôme, d’une logique spectrale. On ne fait que mimer une argumentation rationnelle : on tire une conclusion du néant, et l’on enchaîne sur du vide. Première errance syntaxique. On donne suite à du rien, pour mieux asséner, dans un second mouvement immédiat, une conclusion elle aussi parfaitement vide : voilà.
C’est que voilà, ensuite, imparable vocable, sur le mode du présentatif (mais qui ne présente rien, puisqu’il est seul), est là pour boucler la boucle, clore le cercle vicieux et en boucher un coin ; Une fois voilà dit, le débat est clos, la question est épuisée, la vérité est assénée. Il s’agit maintenant de présenter comme un résultat et/ou une démonstration ce qui n’est qu’une apposition, une énonciation simple. Instiller l’apparence de l’apodictique au sein de l’assertorique pur.
À noter que ce voilà est toujours utilisé seul, on vient de le voir, et non complété par un autre terme. C’est qu’en effet, il est là pour conclure.

On a ainsi, à première vue, les apparences, dans le discours, du double mouvement dialectique — logique, déductif, rationnel — d’une démonstration (certifiée par « donc ») suivie d’une conclusion (entérinée par « voilà »). Sauf qu’il n’y a ni avant ni après, dans cette pauvre parodie, qui trompe avant tout son propre auteur. C’est qu’elle est tout entière contenue en elle-même, redondante en son insuffisance essentielle, instantanée, sans attaches logiques ni syntaxiques, flottant dans l’espace vide de l’absence de sens.
Malheureusement, comme toutes les chevilles inutiles du langage, elle semble proliférer à mesure de son inutilité…
16 janvier 2015, 10:45   Et voilou
Mission : faire passer la contingence, le flou, la subjectivité, etc., pour l’évidence et pour la nécessité.

En effet. Qu'on me pardonne cet autre lacanisme mais, finalement, dans une société en islamisation galopante, le pullulement des voilà ne s'apparente-t-il pas à une multiplication symbolique des voilées.
Ce Voilà que nous décrivons est effectivement conclusif de rien. De la même manière, l'envahissant En fait ne redresse aucun tort argumentatif, ne rétablit aucune vérité, ne corrige aucune erreur. "En fait, les attentats ont fait que j'suis plus déterminée que jamais à devenir journaliste. Parce que la liberté d'expression, voilà quoi, c'est nos valeurs et que...", disait à peu près une jolie manifestante.

Quant à la quasi homonymie Voilà-Whallah...
L'usage de ces lacanismes n'a pas être pardonné! Cette technique expressive est tout à fait pertinente pour expliquer les événements actuels.
16 janvier 2015, 13:04   Je suis confused
Le patois national évolute ! chiqued alorsss !

[fr.news.yahoo.com]
Ça match avec ce que dit un autre titre, qui est sur les mêmes sujets que Slate et qui lui aussi check avant toutes les news qu'il publie. Juste trop bien.
Comme c'est énervant ce que je viens d'écrire.
16 janvier 2015, 17:50   Re : De quel amour blessée
Et voilà, quoi.
17 janvier 2015, 09:21   Re : De quel amour blessée
Parmi les anglicismes que je suis à peu près le dernier à ne pas admettre :
. "dédier" pour "consacré" : un site dédié à la défense de la langue française.
. "bannir" pour "interdire" : la publicité bannie à Grenoble.
. "choqué" pour "bouleversé" : choquée par le meurtre de son compagnon.
17 janvier 2015, 10:44   Re : De quel amour blessée
Cette phrase de Faulkner donnée en français en "citation du jour" dans le Figaro.fr d'aujourd'hui. Elle est extraite de "Le bruit et la fureur", 1929 :

« Aucune guerre n'est jamais remportée. Elles ne sont même jamais combattues. Le champ de bataille ne fait que révéler à l'homme sa folie et son désespoir. »

Qu'est-ce qui cloche dans le vocabulaire ? Le lecteur francophone qui fait confiance au traducteur le sent mais ne le voit pas de prime abord, il s'interroge, puis très vite se désintéresse de la question, insaisissable. "Combattre la guerre"? par le pacifisme ? Oui, peut-être.

C'est qu'un calque insidieux s'est glissé dans la traduction, qui fausse le sens de l'énoncé, le dissout, le pervertit, l'assomme: l'anglais dit "to fight a war". Le traducteur voit fight et traduit combattre, quand "to fight a war" c'est livrer une guerre ou faire la guerre. Mais le traducteur probablement n'en sait rien, ou bien ne sait pas ou a oublié qu'en français, une guerre ça se livre, ça ne se combat pas. Il ne s'agit donc pas dans le texte anglais de "combattre la guerre" mais de la livrer ou de la faire.

Il fallait lire cette bribe du Bruit et la fureur comme « Aucune guerre n'est jamais gagnée. Elles ne sont même jamais livrées. Le champ de bataille ne fait que révéler à l'homme sa folie et son désespoir. »

Le sens s'est perdu et tout le monde s'en fiche. Les exemples comme celui-ci fourmillent au quotidien, dans votre quotidien, et plus personne n'y fait attention, tout le monde babille du n'importe quoi, les journalistes, les politiciens, les hommes et les femmes de marketing, qui ne produisent qu'un bruit de fond où rien ne se dit vraiment, en contrepoint duquel rien ne se fait vraiment, si ce n'est la couvaison de la prochaine explosion de violence générale. La barbarie commence ici : dans la traduction linguistique, la violence du non-sens dont elle est le foyer, partout avalé sans discuter.

[www.lefigaro.fr]

Autre exemple de faux sens ou de noyade des expressions françaises sous l'avalanche des mauvais calques de clichés anglais, et toujours à partir de "fight" : on entend de plus en plus, s'agissant de blessés graves qu'ils "luttent pour leur vie", calque du cliché fighting for his life, quand l'expression française était "être entre la vie et la mort". Et à ce propos, "l'unité de soins intensifs", calque de l'anglais intensive care unit a enterré et fait oublié "l'unité de réanimation", il y a bien trente ans maintenant. Si bien que le beau verbe français "réanimer" vient bien moins facilement sous la langue que jadis.

Une langue nationale et de culture ancestrale, jadis présente sur tous les continents, qui rayonna bien avant que ne le fasse le "global" que tout le monde se met en bouche aujourd'hui, est en passe de devenir un patois national, une langue fantôme. Je sais cela et reconnais le phénomène pour avoir connu le patois provençal dans mon enfance, devenu fantôme intégral entre temps, et dont le français, avec la complicité de tous ses locuteurs, est en train de prendre la voie, inexorablement mais en causant à chacun la même sourde et indicible douleur que ressentaient alors ceux qui voyaient leur provençal s'en aller.
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