Dans Giono, cet extrait d'un récit de battue au loup pour laquelle tout le village a été mobilisé sous le commandement d'un lieutenant de louveterie, avec cors, crécelles, torches, deux lignes de tirailleurs et un seul chien, dans un maquis enneigé (
Un Roi sans divertissement est un livre d'hiver, pour, sur, et dans l'hiver, dont l'hiver est le personnage central, de saison donc), nous sommes en 1863 :
Et si je vous disais qu'à ce moment-là on s'est redressé comme des chevaux à qui on asticote la croupe. Et qu'on s'est bourré en avant et que, plus il y avait de bruit, plus on voulait en faire, et qu'on aurait été capable (peut-être) de déchirer un loup avec les dents. En tout cas, l'envie y était. Et pire que l'envie : pendant que ce cor cornait, que les crécelles craquaient, qu'on guettait les buissons là-bas devant pour voir si, de l'un d'eux, n'allait pas jaillir le fuseau noir et rouge d'un loup, gueule ouverte, nous nous regardions furtivement les uns les autres, et si je ne sais pas de quelle qualité était mon regard je sais de quelle qualité était le regard des autres posé sur moi. Oui, sur moi. Qui n'ai jamais fait de mal à personne.
Ce
là-bas devant serait en français national peut-être un "loin devant nous" voire un insipide "au loin" (chez les auteurs les plus maigres et sans saveur). Je ne crois pas que
là-bas devant soit de la langue littéraire, et ce n'est pas non plus une invention de l'auteur, ce ne peut être guère autre chose qu'
une bribe fantôme de langue de terroir, que l'on trouve chez Giono tant dans la bouche des personnages que sous la plume du narrateur, l'une et l'autre le plus souvent confondues, il est vrai.
Je ne résiste pas à vous faire partager la description du
chien de cette chasse, donnée comme un rite :
C'est un chien beaucoup plus gros que les nôtres. Au moins le double. C'est un chien dressé exprès, c'est un mastiff. Il a un énorme collier à pointes pour lui protéger la gorge. Il a des pectoraux comme un âne de meunier. Il n'a pas d'oreilles. Il a la tête ronde comme une courge. Il marche à pas comptés comme le procureur. Il a toute l'épine dorsale en arête de poisson. Il a la queue raide comme une tringle. Il est superbe!
Et c'est ainsi, une fois que Curnier [son maître] l'a détaché, qu'il entre dans les taillis devant nous sans manifester ni peur ni joie.
Le film de 1963, dans son intégralité, avant que ne fût jamais imaginée la cauchemardesque fiction et le règne annoncé de la
diversité artificielle :
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www.youtube.com]
(la battue commence à la 32ème minute)
Cette page d'étude sur
Un Roi, plutôt bien faite, qui montre une carte du Trièves (confins de la Drôme alpine et de l'Isère) : [
www.site-magister.com]
Il est probable que
Un Roi ait inspiré la pièce
La Fête noire d'Audiberti, créée à Paris en décembre 1949, qui aborde les mêmes thèmes et le même univers (une partie de chasse et la chasse à la cruauté) :
Dans la
Fête noire, on trouve ceci :
Quand l'esprit de la justice et de la vérité, pour primer sur la violence aveugle et criminelle, parvient à susciter une force efficace, cette force, par la grossièreté de son essence, par l'importance de son volume, par la vibration de son intensité, s'apparente fâcheusement aux déchaînements mêmes qu'elle entend réprimer.
[
www.gilles-jobin.org]