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Marceline Loridan-Ivens

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
07 février 2015, 14:05   Marceline Loridan-Ivens
Marceline Loridan-Ivens était cette semaine l'invitée de F. Busnel à l'émission "La grande librairie" sur France 5.
Elle y raconte sa déportation à Auxchwitz, son père, et son effroi devant la renaissance de l'antisémitisme.

Ecoutez en particulier ce qu'elle dit à la 11éme minute et ensuite tout à la fin à partir de la minute 54.
07 février 2015, 19:58   Re : Marceline Loridan-Ivens
Marceline Loridan-Ivens, une vingtaine d'années après avoir été rescapée de l'enfer d'Auschwitz s'en est allée avec son mari, Joris Ivens, filmer la gloire de la Révolution culturelle en Chine maoïste, là même où l'on enfermait les gens dans des bagnes pour civils afin de les rééduquer par le travail, autant dire, les libérer par le travail forcé. Dans ces camps et en-dehors de leurs enceintes, des millions de pauvres gens périrent. Le cannibalisme fut encouragé, dans la Chine dont Marceline et Joris chantaient les louanges caméra au poing.

Le XXe siècle était comme ça : certains que l'on avait tirés des camps adolescents, n'eurent rien de plus pressé, une fois atteint l'âge adulte que d'aller applaudir aux mêmes misères infligées dans un mode exotique où le nazisme avait trouvé à renaître de ses cendres, et dans son essence, sous un habit neuf et tout aussi séduisant.

Le XXe siècle ressemble trait pour trait au cinquième quatuor à cordes de Bartok, qui en dit à peu près tout : joyeusement et génialement atroce et accompli.

Pour en savoir plus et mieux comprendre le XXe siècle : [ccrma.stanford.edu]
07 février 2015, 20:06   Le révolution du cinéma
"(...) filmer la gloire de la Révolution culturelle en Chine maoïste (...)"

Le cinéma excelle dans l'atroce, c'est sa nature.
07 février 2015, 20:12   Re : Marceline Loridan-Ivens
C'est probablement vrai, Thomas. La nature de la musique lui est opposée : elle n'est qu'exceptionnellement atroce, juste avant de cesser d'être musique. Alors que le cinéma, lui, n'est jamais plus lui-même que quand il est atroce.
07 février 2015, 20:16   Re : Marceline Loridan-Ivens
... et puis si le cinématographe est bien cette invention par excellence de l'atroce XXe siècle, il faut bien que sa nature s'en ressente : la consubstantialité de la matrice et du fruit se donne à lire sur le linteau de l'atrocité.
Utilisateur anonyme
08 février 2015, 13:24   Re : Marceline Loridan-Ivens
C'est bien parce que Mme Loridan-Ivens était aussi allée filmer la gloire de la Révolution culturelle qu'il m'est apparu intéressant de signaler sa position sur l'antisémitisme actuel. Beaucoup de ses anciens camarades n'ont pas fait ce chemin, pour ne rien dire d'un Badiou, d'un Hessel. En témoigne d'ailleurs le regard ébahi de F. Busnel, bien pensant parmi d'autres qui a dû regretter sa question. On peut changer au cours d'une vie, non ? Moi cela ne me dérange pas. Bien au contraire.
08 février 2015, 14:22   Re : Marceline Loridan-Ivens
Certes : mieux vaut tard que jamais. J'en suis du reste un autre (quoique n'ayant tout de même jamais été polpotiste).
Citation
Hervé Renard
C'est bien parce que Mme Loridan-Ivens était aussi allée filmer la gloire de la Révolution culturelle qu'il m'est apparu intéressant de signaler sa position sur l'antisémitisme actuel. Beaucoup de ses anciens camarades n'ont pas fait ce chemin, pour ne rien dire d'un Badiou, d'un Hessel. En témoigne d'ailleurs le regard ébahi de F. Busnel, bien pensant parmi d'autres qui a dû regretter sa question. On peut changer au cours d'une vie, non ? Moi cela ne me dérange pas. Bien au contraire.

Libération ne pouvait décemment pas louper l'évolution de Mme Loridan-Ivens: "L’ancienne gauchiste a le discours à droite et le vote abstentionniste. Elle en veut à la gauche pour ses compromissions, son laxisme, pour n’avoir pas voulu voir revenir au galop l’antisémitisme qui, pour elle, est une donnée fixe de l’histoire et de son ressac. «Elle peut être gonflante quand elle est dans la provoc réac», reconnaît volontiers Yves Jeuland, documentariste ami, qui voit en elle une «punk», une «flamme debout». "

La niaiserie de l'ami est consternante, aussi.

Quant à Et tu n'es pas revenu, c'est un ouvrage bouleversant. Il prolonge le cri de Charlotte Delbot et inaugure une nouvelle réflexion sur le retour du camp.
08 février 2015, 15:10   Re : Marceline Loridan-Ivens
Avant que l'on ne m'accuse "d'insulter" une victime d'Auschwitz, je tiens à préciser que mes commentaires supra n'ont "rien de personnel" contre Marceline Loridan-Ivens; ils sont des remarques d'ordre général sur le XXe siècle où, quand on expulsait les camps de l'Histoire par la grande porte, ils rentraient par la fenêtre (chinoise, exotique) avec la même devise: le travail (forcé) est libérateur.

La similitude ou la continuité d'un phénomène à l'autre (d'Auschwitz au camp de rééducation maoïste, et aux purges de masse) sont incontournables, ainsi du réel trop pur pour être crédible : dans un cas, celui d'un camp nazi, il arrivait fréquemment que les rescapés, certains qui avaient pu s'en évader, lorsqu'ils narraient les atrocités commises, n'étaient pas crus de leurs contemporains. Même chose en Chine maoïste où les amis de Mme Loridan-Ivens ne croyaient pas ce que rapportaient les victimes du régime, y voyant de la "propagande impérialiste", ce qui, de la part de propagandistes eux-mêmes, tombait sous sens (et le cinéma est par essence de la propagande, un choix de vision ou d'un certain regard porté sur le réel)

Ainsi certains, de n'avoir pas assez été crus, ou crus trop tard, répercutèrent cet aveuglement, en furent victimes à leur tour, devant d'autres victimes dont ils s'appliquèrent à nier le martyre.
08 février 2015, 15:15   Re : Marceline Loridan-Ivens
Merci à M. Renard : ça commence très mal, avec les mines graves et grotesques du présentateur, et puis le discours de Loridan-Ivens emporte tout. Ses sorties sur l'antisémitisme musulman, arabe et noir, sont, dans le contexte télévisuel, inouïes. En 2015, il faut avoir connu les camps d'extermination pour avoir le droit de dire ce que cette femme dit, car la simple judéïté ne protège plus (cf. le procès intenté au fils Klarsfeld).
08 février 2015, 17:17   Re : Marceline Loridan-Ivens
Citation
Jean Rivière
car la simple judéïté ne protège plus (cf. le procès intenté au fils Klarsfeld).

Arnaud Klarsfeld a été convoqué pour "atteinte à l'honneur et à la considération des «jeunes de banlieue»". Il aurait déclaré «Non la France n'est pas antisémite, il y a un noyau dur de l'extrême droite qui l'est vigoureusement, une partie de l'ultra-gauche et les islamistes et une partie des jeunes de banlieue».

Arnaud Klarsfeld dit ce qu'il avait à dire, et il le dit très bien.
D'ailleurs, je n'aurais pas mieux dit.
Mais pourquoi diable faut-il que ce soit à la judéïté de protéger, car, quand même, celà conduit à un étrange sous-entendu.
Pourriez-vous m'éclairer ?
 
08 février 2015, 18:29   Re : Marceline Loridan-Ivens
C'est très simple : critiquer les "jeunes de banlieue" sans être exclu du "cercle républicain" (et subir procès sur procès) est à peu près impossible et seuls quelques juifs, protégés par leur statut de minorité victime, ont pu y parvenir. Le procès Klarsfeld et la violence accrue des attaques contre Zemmour et Finkielkraut montrent que ce privilège est en train de disparaître. Prenons une phrase du type "Une partie des jeunes de banlieue issus de l'immigration musulmane est antisémite" :

– Richard Millet ou Renaud Camus ne peuvent pas la prononcer publiquement, simplement parce qu'ils ne sont plus invités nulle part.
– Alain Finkielkraut ou Zemmour peuvent prononcer cette phrase : ils sont encore régulièrement invités sur les plateaux de télévision ; mais ils risquent désormais un procès, comme Klarsfeld.

Je ne sous-entends donc rien : j'affirme que la pensée minoritaire est régie comme n'importe quel marché : selon le lieu et le moment, telle minorité est au maximum de son pouvoir symbolique et peut se permettre des choses que la majorité, ou d'autres minorités moins en vue, ne peuvent pas se permettre si elles veulent continuer d'appartenir au cercle magique des Républicains. Il est plus facile pour un juif, a fortiori s'il a lui-même été déporté, d'accuser un musulman, un noir, un arabe, d'antisémitisme que pour un chrétien blanc. Mais la roue tourne et ce privilège-là est peut-être en train de disparaître sous nos yeux au profit d'autres minorités.
08 février 2015, 18:45   Re : Marceline Loridan-Ivens
...et ce privilège-là...

Tu parles d'un privilège ! Parlons plutôt de possibilité...
08 février 2015, 19:54   Re : Marceline Loridan-Ivens
C'est vrai, les tribulations israéliennes d'Arnaud Klarsfeld sont connues, et l'influence de la communauté juive n'est plus à démontrer. Mais Arnaud Klarsfeld dit une chose qui est le bon sens même, et pour celà, il est mis en examen (nonobstant le fait qu'il soit juif).
Il est mis en examen parce qu'il a du bon sens.
Il n'est pas mis en examen parce qu'il est juif et qu'il a du bon sens.
entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem.
09 février 2015, 09:47   Re : Marceline Loridan-Ivens
Cela dit, il y avait beaucoup de déportés, de gens de tous bords, de toutes sortes, de toutes qualités, de tous talents... il dut y avoir même des déportés un peu bêtes, c'est inévitable, que l'expérience concentrationnaire n'aura pas obligatoirement aguerri intellectuellement...
Pavese avait exprimé la chose de façon un peu abrupte : « Les malheurs ne suffisent pas pour faire d'un con un homme intelligent. »
09 février 2015, 10:15   Re : Marceline Loridan-Ivens
Oui, bien sûr, et s'il y en eut d'admirables, il y en avait de méchants, il y avait des brutes, des peu scrupuleux, des voleurs devenus assassins de codétenus par le vol. Dans les camps qui furent seulement d'extermination (Chelmno, Treblinka, Sobibor, Belzec) cela ne faisait aucune différence, sauf quand, de temps en temps, on avait besoin de renouveler les esclaves de la mort, tous étaient égaux devant la mort. Mais à Auschwitz, parmi ceux qui avaient survécu au tri à l'arrivée, qui représentaient selon les nécessités du moment de zéro (comme pour la plupart des grands convois hongrois) à 50 % ou même un peu plus, personne parmi ceux-là n'a survécu plusieurs mois voire plusieurs années sans avoir en soi quelques qualités d'exception.
Est-ce vraiment utile de se demander si la dureté de l'expérience concentrationnaire aurait pu transformer le dernier des imbéciles en un homme plus intelligent? Un ancien déporté, qu'il soit idiot ou brillant, qui vous raconte une nuit à Auschwitz, qui partage avec vous ce Réel (Lacan), vous atteindra de la même manière.

Primo Lévi raconte très bien les réunions entre anciens déportés. Dans le cas de déportés originaires de mêmes localités, l'expérience du camp n'avait pas supprimé d'anciennes inimitiés. Derrière les barbelés, les âmes, soudainement, ne se mélangent pas. Mais la désolation, le chagrin, la "tristesse sans fin" (Hilberg) d'une histoire commune établissent après coup, et sur d'autres plans que ceux des seuls rapports humains, de nouvelles formes de fraternité.
09 février 2015, 12:04   Re : Marceline Loridan-Ivens
Il reste (en prolongement des interventions de Comolli et Meyer) que des plafonds, des murs mentaux paraissent avec le recul, infranchissables dans ce XXe siècle, qui semble avoir eu besoin de son lot de camps de la mort où qu'ils fussent et qui prenait ses idiots utiles absolument partout sans que leur expérience de la vie et de la mort fût du moindre poids, du moindre enseignement qui eût pu les préserver de jouer ce rôle. Une personne comme Mme Loridan-Ivens, armée d'une force d'âme et d'une lucidité hors du commun pour être sortie de là où tant d'autres périrent, n'y fit pas exception. Il faut y voir une sorte de fatalité : les meilleurs, qui vainquirent le pire, tombèrent néanmoins, les deux pieds joints, et en pionniers encore, dans le même piège atroce mais renouvelé à l'identique où les avaient tenus ceux qui, lorsqu'ils souffraient l'enfer, ne savaient pas et ne pouvaient pas savoir. L'histoire se plut à faire d'eux et avec quelle ironique cruauté les porte-parole d'un négationnisme copié-collé de celui-là même dont ils avaient été les victimes ! L'histoire vous réserve de ces vacheries dont elle a le secret et qui rendent le genre humain insignifiant sous le marteau qu'elle abat sur lui.

L'Archipel du Goulag de Soljenitsyne, paru en France (en tout cas dont la parution a bénéficié d'une énorme publicité) l'année de la mort de Mao et du procès de sa veuve et de ses mignons, tourna heureusement la page de cette malédiction. Soljenitsyne tourna la page du siècle.
09 février 2015, 12:49   Re : Marceline Loridan-Ivens
Après cette publication (1973), il y eut encore les camps ruraux des Khmers rouges, parmi les pires qui aient existé.
09 février 2015, 13:11   Re : Marceline Loridan-Ivens
Oui, Marcel, mais là, ça n'a pas marché : les évadés (boat-people) étaient trop nombreux et leurs récits portèrent, ébranlant le négationnisme vingtiémiste déjà fissuré par les livres de Soljenitsyne. En fait tout est arrivé un peu en même temps : Les Khmers Rouges prennent Phnom Penh en mai 1975, ce qui ouvre la période génocidaire du régime KR (exode forcé vers les campagnes, etc.). Mao meurt en septembre 1976, et le reniement de la Révolution culturelle commence aussitôt. Les réfugiés cambodgiens affluent en Europe et en Amérique, décrivant les atrocités, comparables et corrélables à celles des camps du Goulag décrits par Soljetnitsyne, et en France, c'est la mobilisation d'intellectuels anciennement sympathisants de la Chine maoïste (dont Glucksmann, Sartre, etc.) qui vont démarcher les autorités françaises dans un mouvement unitaire de dénonciation des politiques de purge et d'extermination menées par les Communistes d'Asie orientale. Le Vietnam envahit le Cambodge de Pol Pot fin décembre 1978 et met en lumière les horreurs du centre de torture et d'extermination de Tuol Sleng à Phnom Penh. En l'espace de quatre ou cinq ans, c'en est fini des camps de la mort vingtiémistes, ou du moins s'en est fini de l'aveuglement à leur sujet. Cette ère est définitivement close et les atrocités des KR en auront été à la fois le dernier révélateur et le chant du cygne, si l'on peut dire.
09 février 2015, 15:40   Re : Marceline Loridan-Ivens
C'est possible. Reste que le négationnisme se porte assez bien — et aussi, sous des formes diverses, une certaine nostalgie du communisme.
09 février 2015, 16:14   Re : Marceline Loridan-Ivens
« Un ancien déporté, qu'il soit idiot ou brillant, qui vous raconte une nuit à Auschwitz, qui partage avec vous ce Réel (Lacan), vous atteindra de la même manière »

Ici la question n'est pas, en effet, de l'intelligence, mais de la diversité des vécus et de leur caractère parcellaire. Les témoignages brossent un tableau extrêmement cohérent mais seuls les membres des Sonderkommandos ont vécu l'entière vérité de ce "Réel". Très peu ont survécu, quelques dizaines, pour l'essentiel des survivants parmi les révoltés évadés de Treblinka et de Sobibor, et un seul, Philip Müller, d'Auschwitz. Songez à Toivi Blatt, l'un de ces quelques survivants ; arrivé en Israël en 1958, il présenta le manuscrit de son livre From the ashes of Sobibor, à, je le cite, « un célèbre survivant d'Auschwitz pour avoir son avis. Trois semaines plus tard, les seuls mots qu'il dit furent : Vous avez une imagination extraordinaire. Je n'ai jamais entendu parler de Sobibor et certainement pas de Juifs s'étant révoltés là-bas. J'ai souvent été fouetté par les SS au camp de la mort de Sobibor, mais je n'avais jamais ressenti une douleur aussi aiguë que celle que m'infligèrent ces mots. » Il fallut attendre encore vingt ans pour que les témoignages et les recherches aboutissent à une connaissance plus précise de l'histoire de Sobibor (environ 250.000 Juifs exterminés au gaz d'échappement de moteur de char) et c'est alors que le livre de Blatt put être publié.
10 février 2015, 07:17   Re : Marceline Loridan-Ivens
» Mais à Auschwitz, parmi ceux qui avaient survécu au tri à l'arrivée, qui représentaient selon les nécessités du moment de zéro (comme pour la plupart des grands convois hongrois) à 50 % ou même un peu plus, personne parmi ceux-là n'a survécu plusieurs mois voire plusieurs années sans avoir en soi quelques qualités d'exception

Tout dépend, cher Marcel, de ce que vous entendez par "qualités d'exception" : je doute que la plupart, la très grande majorité des survivants, le soient dans un sens qui pourrait relever de la "grandeur d'âme et de la lucidité", comme dit Francis Marche : il est d'autre part indubitable que nombre d'êtres d'exception, selon des critères ayant cours dans notre monde encore relativement civilisé, ont très vite succombé ; Primo Levi lui-même doit sa survie à la chance, dit-il lui-même, et à la constitution d'un "Kommando de chimie" lui assurant des conditions de survie meilleures, ce qui le sauva in extremis alors qu'il était déjà presque un "musulman".
il y a, si vous sous souvenez, un chapitre de Si c'est un homme intitulé "Les élus et les damnés" où Levi brosse quelques portraits de rescapés types, dont un certain Elias, un colosse nain simple d'esprit figurant "le spécimen le plus approprié au mode de vie du camp" :
« On pourra maintenant se demander qui est l'homme Elias. Si c'est un fou, un être incompréhensible et extra-humain , échoué au Lager par hasard. Si en lui s'exprime un atavisme devenu étranger à notre monde moderne, mais mieux adapté aux conditions de vie élémentaires du camp. Ou si ce n'est pas plutôt un pur produit du camp, ce que nous sommes destinés à devenir si nous ne mourons pas au camp, et si le camp lui-même ne finit pas d'ici là.
Il y a du vrai dans les trois hypothèses. Elias a survécu à la destruction du dehors parce qu'il est physiquement indestructible ; il a résisté à l'anéantissement du dedans parce qu'il est fou. C'est donc avant tout un rescapé: le spécimen humain le plus approprié au mode de vie du camp.

Si Elias recouvre la liberté, il sera relégué en marge de la communauté humaine, dans une prison ou dans un asile d'aliénés. Mais ici, au Lager, il n'y a pas plus de criminels qu'il n'y a de fous: pas de criminels puisqu'il n'y a pas de loi morale à enfreindre; pas de fous puisque toutes nos actions sont déterminées et que chacune d'elles, en son temps et lieu, est sensiblement la seule possible.

Au Lager, Elias prospère et triomphe. C'est un bon travailleur et un bon organisateur, qualités qui le mettent à l'abri des sélections et lui assurent le respect de ses chefs et de ses camarades. Pour ceux qui n'ont pas en eux de solides ressources morales, pour ceux qui ne savent pas tirer de la conscience de soi la force de s'accrocher à la vie, pour ceux-là, l'unique voie de salut est celle qui conduit à Elias: à la démence, à la brutalité sournoise. Toutes les autres issues sont barrées. »

En un mot, je crois très discutable l'assertion selon laquelle ce soient "les meilleurs qui vainquirent le pire", mais au contraire, suis davantage enclin à penser que les plus aptes à y parvenir, ce sont précisément les pires. Il y a bien entendu des exceptions, mais elles doivent être, parmi les rescapés eux-mêmes, une infime minorité.
Et pour en revenir à Mme Loridens-Yvens, la sorte de bêtise propre à certaines errances idéologiques, appelons cela comme ça, ne me paraît pas du tout incompatible avec la possession des qualités, se situant bien en deçà à un tout autre niveau, presque physiologique et réflexe, requises pour la survie dans des conditions extrêmes.
10 février 2015, 10:22   Re : Marceline Loridan-Ivens
Voilà une vision des choses qui ne m'était pas apparue, Alain. Spine-chilling, much as the rest of it.

Les souvenirs de J.G. Ballard, ceux d'un enfant des camps de concentration de civils étrangers mis en place par les Japonais à Shanghaï pendant la 2eme guerre mondiale sont en cohérence avec ces pages de Primo Levi : l'enfant survit grâce à sa malice, sa brutalité, et un jeu finement négocié de parasitage des rations de nourriture de plusieurs adultes, dans une totale absence de scrupule. Les capacités de survie de l'enfant ou de l'adolescent sont supérieures à celles des adultes dans ce type de milieu extrême; ils ont plus de "ressources", qu'ils savent mettre en oeuvre avec plus de réactivité. Je crois me souvenir de certains pages de l'Archipel du Goulag, où l'auteur s'étend sur ce phénomène : les enfants des camps était un sel mis sur les plaies des prisonniers politiques par les maîtres des camps.
10 février 2015, 11:07   Re : Marceline Loridan-Ivens
Mais je suis parfaitement d'accord avec ça : "qualités d'exception" n'impliquent pas "grandeur d'âme et de la lucidité". J'ai du reste parlé "des brutes, des peu scrupuleux, des voleurs devenus assassins de codétenus par le vol". Mais la ruse, l'habileté, l'absence de scrupules ne sont pas tout : il y fallait surtout une exceptionnelle volonté de vivre ou, si l'on préfère, un instinct de survie exceptionnellement puissant. La grandeur d'âme ne condamnait pas forcément à mort, mais la grandeur d'âme seule menait droit au crématoire.
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