Un expert

Tombé par hasard sur un numéro du Nouvel Observateur du mois d'avril 2000, je parcours une interviou de Gilles Kepel, qui venait de publier un livre sur le déclin de l'islamisme. Extraits au vol :

Chapeau de l'article :

"Et si le monde arabe, tout comme l'Iran, berceau du khomeinisme, était en train de se débarrasser de l'islamisme ? Si la sanglante épopée des "fous de Dieu", même en Afghanistan et en Algérie, vivait ses derniers instants ? C'est le pronostic que formule l'un des meilleurs spécialistes du monde musulman, Gilles Kepel, Il s'en explique avec Jean-Paul Mari."

G. Kepel : "La grande leçon de ces trente dernières années, c'est que les islamistes ne sont pas porteurs d'un idéal qui bouleverse le monde, ce sont des mouvements politiques comme les autres. [...] Aujourd'hui, l'idéologie islamiste n'est plus mobilisatrice."

N.O : L'islamisme aurait été, en quelque sorte, une étape vers la modernisation ?
G. Kepel : Il est le produit du passage du monde musulman à l'âge moderne. Et c'est sur son déclin dans les années 90 que se développe, aujourd'hui, l'aspiration à une forme de démocratie musulmane."

A. Adler a pris le relais. Dans son dernier livre, il se montre d'un optimisme qui confine à la béatitude (pénétrante analyse: Daesh étant le stade terminal de l'islamisme, après, ça ne pourra qu'aller mieux).

B. Stora, concernant l'évolution de l'islamisme en France, se dit quant à lui confiant dans l'efficacité, à moyen terme, "des processus de sécularisation à l'oeuvre au sein de la communauté musulmane".

Bref, on se fait du mouron pour par grand-chose.

(Il faudrait ajouter à cette liste de Nostradamus des temps modernes l'impavide Olivier Roy, qui fait montre depuis 20 ans d'une constance tout à fait désarmante: Al-Qaïda, les Talibans, Daesh et autres "groupes rebelles" sont autant d'épiphénomènes.)

C'est le pronostic que formule l'un des meilleurs spécialistes du monde musulman, Gilles Kepel,

Il ne faudrait jamais reparcourir les exercices de prospective des "meilleurs spécialistes" à la française, à moins d'être armé d'un sens de l'humour à toute épreuve : on en perdrait vite tout espoir pour le genre humain, toute confiance en la capacité du cerveau humain à développer une intelligence de ce qui l'entoure dans l'humilité qui devrait l'accompagner.

Si l'on me parle d'expert mondial ou de "meilleur spécialiste" de telle ou telle question qui fait débat, je sors mes boules Quiès, pour commencer, et je conseille à mes contemporains d'en faire autant : c'est le seul moyen de se donner quelques chances et quelques possibilités de percer le sens des choses et d'anticiper leur développement en puisant dans ses ressources propres et en usant de sa capacité de discernement. Aucune avancée dans cette voie n'est possible ni ne peut être envisagée si l'on ne commence par se boucher hermétiquement les oreilles aux "paroles d'experts". Ce principe est valable pour absolument tout ce qui s'écarte un tant soit peu des sciences dures.

Dans les restaurants underground d’Iran, du vin, du porc et un zeste de liberté :

[observers.france24.com]

Je pense que la plupart des clients sont ainsi : pas spécialement des rebelles dans l’âme, ils se fichent juste de ce qui est "halal "[autorisé par l’islam] ou "haram "[interdit par l’islam], et il semble que ce soit de plus en plus le cas au sein des plus jeunes générations d’Iraniens. Par exemple, l’autre jour, j’ai vu trois femmes à la même table : une grand-mère portait le tchador, sa fille portait un voile et la nièce de sa fille n’avait pas la tête couverte. C’est un exemple qui illustre bien comment les jeunes se détachent des convenances religieuses, et comment les plus âgés les laissent faire. Ça me donne de l’espoir pour le futur de l’Iran. Trente-cinq ans après la révolution islamique, il semble que les gens finissent par comprendre qu’on ne peut pas forcer ou juger les autres. Malheureusement, les autorités ne semblent pas encore l'avoir compris ...