Le site du parti de l'In-nocence
Titre choc et analyse approfondie....

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Le 28 mai 1890, Jean Jaurès publiait dans La Dépêche du Midi un superbe éditorial qu'il titrait "Patrons français, soyez fiers de l'être". Dans cet hymne à tous ceux qui exercent la difficile fonction de direction dans l'art de produire, il dit à la fois son admiration et son intelligence profonde de leurs risques, de leurs difficultés et de leurs peines. Il fixait en même temps, on l'a trop oublié, la ligne générale de la social-démocratie internationale dès lors que celle-ci a abandonné l'idée de remplacer le capitalisme et sa brutalité mais aussi l'économie de marché par l'administration centralisée de l'économie plus ou moins appuyée sur l'appropriation collective des moyens de production et d'échange.
Assurant la liberté d'entreprendre, de produire et de commercer, l'économie de marché est à la fois le point d'ancrage et la garantie de la liberté tout court dans notre civilisation. Elle est vieille de plus de trois mille ans. Vieux, lui, d'à peine plus de deux cents ans, le capitalisme y a ajouté – par la machine et l'épargne collectivement utilisée – un système de production de masse inouï dont on n'a jamais inventé ni l'équivalent ni le substitut.
Dès la fondation du capitalisme, nombreux furent ceux qui remarquèrent qu'il avait d'autant plus besoin d'éthique qu'il avait moins besoin de règles. Les créateurs de la théorie économique qui l'encadrait étaient presque tous des moralistes : Adam Smith, David Ricardo, François Quesnay… Et l'un des plus rudes patrons industriels de la première moitié du XXesiècle, Henry Ford, estimait que la capacité du capitalisme à éviter les règles étatiques paralysantes était directement liée à sa capacité de s'imposer une éthique exigeante. Notamment, par exemple, le principe qu'un patron ne saurait se payer plus de quarante fois le salaire moyen de ses salariés. Cette règle fut respectée jusque vers les années 1990.
Il est utile de se souvenir de tout cela quand explose en France le scandale de l'UIMM, aggravé du scandale de l'indemnité de départ de Denis Gautier-Sauvagnac – vingt-six fois le salaire annuel d'un agrégé de l'université – et compliqué du refus de la fédération patronale de la métallurgie d'accepter la remise en ordre exigée par la présidente du Medef, Laurence Parisot. Cette très efficace et droite présidente de PME a bien compris que l'affaire était essentielle. A l'évidence, il y a du souci à se faire si le système devient illégitime et inacceptable. Mais il y a beaucoup plus. Cet incident survient à un moment où tous les pronostics de croissance économique sont révisés à la baisse, où une crise bancaire et financière fait rage, bref où il semble que nous entrions dans une récession mondiale.
L'ouverture de la crise se fait dans le secteur des prêts hypothécaires américains. Elle est le résultat d'une technique bancaire nouvelle consistant à prêter massivement de quoi devenir propriétaire de son logement à toute une population aux revenus moyens ou faibles, sans se soucier des possibilités de remboursement. L'espoir du gain pour les prêteurs n'est plus fondé sur le paiement des loyers, mais sur la valeur des maisons que l'on expropriera et revendra autant que nécessaire. Un million trois cent mille Américains ont été ainsi expropriés ces deux dernières années et trois millions d'autres sont menacés. L'effondrement du système traduit la résistance sociale à cette situation. La rapacité bancaire s'est là débarrassée de tout scrupule découlant du fait que ses victimes étaient des êtres humains. La cause majeure de la crise est clairement l'immoralité.
Deuxième élément. Les détenteurs de ces créances douteuses savaient fort bien que les titres dont ils s'étaient ainsi rendus propriétaires étaient frelatés. Plutôt que d'analyser, de provisionner et de soumettre le tout aux régulateurs nationaux ou aux agences de notation, ils ont préféré mélanger ces titres avec d'autres, moins incertains, pour revendre dans le monde entier de tels paquets de crédits, dont le mélange avec des crédits dérivés assurait l'opacité totale. C'est une deuxième immoralité massive, également liée à l'esprit de lucre. Et c'est ainsi que toutes les grandes banques de la planète ont vu leurs bilans infestés de créances incertaines dont le montant est imprévisible : on parle de centaines de milliards de dollars. Les banques se sont mises à se méfier les unes des autres, et donc ne se prêtent plus, ce qui est le mécanisme même de l'aggravation de la crise financière en même temps que de sa transmission à l'économie physique, réelle. Ainsi nous acheminons-nous vers une récession aux proportions incalculables.
Troisième élément. Tout cela n'aurait peut-être qu'une gravité limitée à la seule sphère financière si au même moment nous ne rencontrions pas les prodromes d'une crise économique. De 1945 à 1975, le capitalisme reconstruit d'après-guerre, parce que sérieusement régulé, a connu dans le monde développé une croissance régulière et rapide (5% par an), une absence complète de crises financières internationales et surtout le plein-emploi partout.
Depuis les années 1990, la croissance est molle, inférieure de plus de moitié aux scores de l'ère précédente, les crises financières régionales ou mondiales se multiplient, et le quart de toutes nos populations sont soit au chômage, soit en travail précaire, soit encore exclues du marché du travail et tout simplement pauvres.
La principale cause de ce drame planétaire est le réveil de l'actionnariat. Celui-ci, plutôt maltraité de 1945 à 1975, s'est réveillé et puissamment organisé en fonds de pension, fonds d'investissements et fonds d'arbitrage ou hedge funds. Il a pris souvent le pouvoir et toujours de fortes minorités dans toutes les grandes entreprises de la planète. Il a partout pressuré les revenus du travail pour assurer de meilleurs dividendes. En trente ans, la part des revenus directs et indirects du travail a perdu près de 10% dans le partage du PIB dans tous les pays développés au bénéfice du profit et non de l'impôt.
La stagnation des salaires réels, l'externalisation des tâches vers des PME sans syndicats et soumises à l'aléa des renouvellements de contrats, la multiplication des contrats précaires et bien sûr la multiplication des OPA, moyens de soumettre les directions à l'obligation de mettre en œuvre ces pratiques, sont les diverses formes de diffusion de ces politiques. La baisse des revenus salariaux dans le PIB est celle des revenus les plus disponibles pour la consommation, qui, faute de moteur, devient faible. C'est l'essentiel de nos classes moyennes supérieures, qui, via les placements boursiers, a mis ses espoirs dans le gain en capital et non plus dans le résultat du travail. Nouvelle immoralité.
Quatrième élément. Les générations d'aujourd'hui deviennent âpres au gain. On a appris il y a deux ans comment les grandes banques ne peuvent actuellement éviter de surpayer leurs traders : ils s'en vont en Asie. Jérôme Kerviel a même démontré comment on pouvait être désintéressé pour soi-même en servant, jusque dans la démesure, un système fou d'accaparement. Les indignités cumulées d'un Antoine Zacharias [ancien PDG de Vinci qui a perçu 13 millions d'indemnités] ou d'un Noël Forgeard [ex-président d'EADS parti avec une prime de 8,5 millions d'euros], ou celles de l'UIMM sont presque peu de chose comparées à ce qui se passe ailleurs. Siemens, Volkswagen et la Bundespost sont confondues de corruption ou de fraude fiscale. Le nombre de sociétés en délicatesse avec la justice pour cause de trucages comptables, de délits d'initiés ou d'abus variés devient inquiétant. Nombre d'entre elles sont poussées à ces délits par leurs propres cadres.
Pour moi, la cause est entendue : le capitalisme sombre sous l'immoralité. Nous sommes en train de découvrir qu'il risque techniquement d'y succomber. Tel est le contexte de l'affaire de l'UIMM. Ne sourions pas de ce combat sans merci interne à une catégorie de gens à laquelle nous n'appartenons pas : les riches. Le problème est que leur voracité menace le système lui-même dans lequel nous vivons. Le combat de Mme Parisot nous concerne donc tous : il ne s'agit pas seulement de redonner sa dignité à un système qui en a bien besoin, mais surtout de lui permettre de revenir à un fonctionnement efficace et régulier. Nous avons choisi la libre entreprise. Elle exige de bons patrons, respectables et intègres. Sans éthique forte, il n'y a plus de capitalisme. Il va probablement devenir nécessaire que la règle publique y pourvoie.

Michel Rocard est député socialiste européen et ancien premier ministre
Utilisateur anonyme
06 mars 2008, 16:35   Re : Tous derrière Laurence Parisot !, par Michel Rocard
"Sans éthique forte, il n'y a plus de capitalisme"

Un gentil naïf, ce Rocard.
Utilisateur anonyme
06 mars 2008, 17:41   Re : L'ennemi du genre humain
Il faudrait, pour être complet, évoquer aussi l'infinie moralité de tous les autres systêmes, comme le systême communiste, les systêmes de capitalisme autoritaire, notamment ceux structurés autour des associations patronales et ouvrières, comme en Italie sous Mussolini ou en Allemagne sous Hitler, les régimes pré-capitalistes, notamment esclavagistes. Ah oui vraiment le capitalisme libéral moderne est l'ennemi du genre humain !
Citation
Ah oui vraiment le capitalisme libéral moderne est l'ennemi du genre humain !

Le capitalisme n'est pas une personne ou une entité agissant par elle-même. Seuls les hommes agissent en bien ou en mal. Amen !
Pour Rocard l'économie non régulée par une éthique n'est plus du capitalisme mais le règne de truands.. C'est là toute l'originalité et la profondeur de sa pensée qui lie la nature de l'économie à l'éthique qui la fonde. Ceci ne me paraît nullement naïf mais conforme à la pensée des créateurs de la théorie économique auxquels justement il se référe au début de son texte.
« Tous derrière Laurence Parisot » : allez savoir pourquoi, l'image me laisse rêveur...
Monsieur Ostinato, c'est vous qui avez l'esprit tordu : je pensais bien évidemment à l'admirable Petit cheval de Paul Fort : Tous derrière et lui devant...
Hmm ... Madâme Ostinato, svp.
Utilisateur anonyme
06 mars 2008, 23:58   Re : Tous derrière Laurence Parisot !, par Michel Rocard
Naïf peut-être mais non dénué d'In-nocence.
Utilisateur anonyme
07 mars 2008, 00:40   Ethique et capitalisme.
"Pour Rocard l'économie non régulée par une éthique n'est plus du capitalisme mais le règne de truands.. C'est là toute l'originalité et la profondeur de sa pensée qui lie la nature de l'économie à l'éthique qui la fonde. Ceci ne me paraît nullement naïf mais conforme à la pensée des créateurs de la théorie économique auxquels justement il se référe au début de son texte"


Bien !, je pense au contraire que le capitaalisme ne peut trouver en lui-même aucune ressource pour formuler des arguments orientés vers une exigence de justice. Le capitalisme est en effet sans doute la seule, au moins la principale, forme historico-économique à être parfaitement détachée de la sphère morale au sens ou elle trouve sa finalité en elle-même (l'accumulation du capital comme but en soi), et non par référence, non seulement à un bien commun, mais même aux intérêts d'un être collectif tel que le peuple, ou l'Etat. La justification du capitalisme, ou son éthique, suppose donc des exigences tout à fait différentes de celles imposées par la recherche du profit.
Le capitalisme n'a donc pas d'éthique ("sa pensée qui lie la nature de l'économie à l'éthique qui la fonde" ?????) , mais on peut essayer, cependant, de de lui en rajouter une...
Utilisateur anonyme
07 mars 2008, 08:39   Re : Tous derrière Laurence Parisot !, par Michel Rocard
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Oups ! pardon, Madame...

Mais reconnaissez que votre pseudonyme induit le doute.
M. Rocard s'est fabriqué il y a trente ans ou plus l'image d'un homme politique intelligent, moderne, "compétent", oubliant l'idéologie, désireux de tenir compte des réalités, etc. Ce que révèle cette prise de position, c'est que cette image n'était qu'une image, encore plus trompeuse qu'une image de pub.

M. Rocard et son parti ont exercé le pouvoir pendant quinze ans : le pouvoir de faire la loi et le pouvoir de l'appliquer. Il ne tenait qu'à lui, sinon de "moraliser", du moins de rendre transparente et honnête la gestion des organisations syndicales. Il suffisait de les soumettre aux mêmes lois que les commerçants et les industriels, en les obligeant à présenter chaque année un bilan de leurs activités (recettes et dépenses) certifié par un commissaire aux comptes indépendant et à le déposer dans une chambre de commerce, où le public aurait pu en prendre connaissance. Mais obliger les camarades de la CGT ou de FO à rendre publics leurs comptes (le nombre de leurs cotisants, leurs recettes, leurs dépenses, etc.) eût été un crime de lèse majesté ! On en aurait appris de belles sur les moeurs du milieu.

Le programme socialiste de 1980 et l'application qui en a été faite de 1981 à 1983 peuvent être résumés ainsi : "guerre aux patrons (français) pour que la France soit éternellement socialiste". Jadis les bourgeois et les petits-bourgeois avaient la possibilité d'investir leur épargne dans des entreprises textiles, de cuir et peaux, de papeterie, de sidérurgie, de constructions métallurgiques, etc. Tout cela a disparu. Les lois "sociales" de 1981 ont mis à la charge des seuls entrepreneurs 85 ou 86 h pour chaque personne qu'ils employaient (semaine de 39 h, cinquième semaine de congés payés, 8 mai férié), sans compter l'augmentation des impôts de ces mêmes entreprises : ou bien ces entreprises de main d'oeuvre - bien françaises, toutes nationales - ont fermé, ou bien elles se sont installées à l'étranger. Mme Aubry et M. Jopsin, avec le soutien de M. Rocard, en imposant les 35 heures, ont fait porter plus de 180 heures annuelles (4 h x 47 semaines) par employé à la charge des seules entreprises de France. Mêmes lois, mêmes résultats : toutes les entreprises désertent la France. Dans ces conditions, les adresses de M. Jaurès aux "capitalistes français" sont de l'histoire ancienne et la leçon d'éthique de M. Rocard tient de la mauvaise plaisanterie.

Pendant trois ans, alors qu'il était premier ministre, M. Rocard a fait voter par les députés de son camp un budget en déficit de 600 milliards de francs environ, qui ne pouvait être équilibré que par un recours massif à l'emprunt. De fait, il a alimenté ce qu'il condamne aujourd'hui, alors qu'il n'est plus "aux affaires " : la spéculation financière, spéculation sur les OAT et autres obligations. En 25 ans, depuis 1981, l'Etat, les collectivités locales, la Sécurité sociale, ont accumulé plus de dettes que pendant les années de guerre : 1914-18 et 1939-45, se mettant à la merci des spéculateurs. Dans ces conditions, invoquer la "morale" ou "l'éthique", c'est de la même eau que d'exiger le respect dans un bordel de la fidélité conjugale ou celui des bonnes moeurs.
Utilisateur anonyme
08 mars 2008, 23:19   Re : Tous derrière Laurence Parisot !, par Michel Rocard
" Dans ces conditions, invoquer la "morale" ou "l'éthique", c'est de la même eau que d'exiger le respect dans un bordel de la fidélité conjugale ou celui des bonnes moeurs"

Oui, cher JGL. J'avais écrit que c'est "un gentil naïf", j'étais fort en deçà de la réalité...

Un gentil c..., peut-être ?
Utilisateur anonyme
09 mars 2008, 08:06   Re : Tous derrière Laurence Parisot !, par Michel Rocard
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Certes. De tous les hommes politiques des trente dernières années, M. Rocard est sans aucun doute un des plus honorables et des moins roués.
Il a pris position en faveur de Mme Parisot, qui est franche, honnête, sympathique, souriante, et qui, pour ces raisons, détonne dans le milieu des grands patrons habitués au secret, en particulier ceux de l'UIMM, qui continuent l'ancien Comité des Forges. Evidemment, tout le monde est du côté de Mme Parisot, puisque les media ont pris son parti.

Cela dit, s'en tenir à l'écume médiatique, c'est s'abuser sur les faits. L'affaire cache de vrais conflits et de profonds désaccords sur la France. Mme Parisot est la patronne de l'IFOP; elle vient du secteur tertiaire, celui des services, en particulier du secteur le plus friable, le moins tangible, le plus moderne, le plus médiatique aussi de ces services : celui qui étudie l'opinion ou qui la façonne. Elle affronte l'UIMM, syndicat un peu archaïque ou présenté ainsi, qui regroupe les patrons du secteur secondaire : industrie, bâtiment, métallurgie : Peugeot, Alsthom, l'ex-Framatome, l'ex-Arcelor, etc.
Le conflit oppose donc les représentants de l'industrie (parfois à l'agonie) à ceux des services (en pleine expansion). Ce sont les services qui ont gagné, anticipant sans doute de quelques années ce que sera l'économie de la France : de moins en moins d'industries et de plus en plus de services.

M. Rocard a eu en charge pendant trois ans le gouvernement de la France. S'il avait pour horizon le seul intérêt général, c'est-à-dire l'état réel de la France, il aurait sans doute évité de prendre parti de façon aussi caricaturale, et ridiculement morale dans des affaires où il n'y a pas de morale qui tienne, en faveur des services et contre l'industrie. Si l'industrie disparaît de notre pays, les écologistes s'en réjouiront sans doute; mais je n'ose imaginer ce que deviendront les millions de travailleurs déclassés ou même les finances publiques. Je ne donne pas cher non plus de l'avenir de l'IFOP, dont les recettes doivent venir de contrats passés avec les industriels.
Utilisateur anonyme
10 mars 2008, 11:12   Re : Tous derrière Laurence Parisot !, par Michel Rocard
(Message supprimé à la demande de son auteur)
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