Le site du parti de l'In-nocence

Graffiti

Envoyé par Pierre Jean Comolli 
07 avril 2015, 10:28   Graffiti
J'ai traversé plusieurs villes françaises et européennes, petites, grandes et moyennes, ces dernières semaines. Le doute n'est plus permis: cette lèpre est désormais la première des nocences urbaines, le moyen le plus prodigieusement déprimant de défiguration paysagère. Même le bruit, même les lâchers de smalas voilées et barbées, même la saleté m'affectent moins que les graffitis. De toute évidence, les pouvoirs publics ont capitulé. Les karchers de dernière génération, les différents détergents, l'accumulation absurdement sisyphienne de couches de peinture sur des murs souillés 100 fois: plus rien n'y fait. Comme les oncologues buteront toujours sur la dernière cellule cancéreuse, les citoyens se heurteront toujours à la dernière bombe aérosol.

Maigre consolation, cette tribune au titre savoureux (je ne peux décemment pas me réjouir quand, 2 fois l'an, j'apprends dans la presse qu'un demeuré à capuche s'est fait écrabouiller par un train ou est tombé d'un toit d'immeuble):

Graffiti is ugly, stupid and threatening – there's more creativity in crochet
07 avril 2015, 11:58   Re : Graffiti
Le quartier de Psyri à Athènes (à côté de l'Agora, au pied du flanc nord de l'Acropole) en est entièrement couvert, c'est absolument honteux.
07 avril 2015, 12:12   Re : Graffiti
La vente des aérosols devrait être réglementée, comme celle des armes à feu (système de licence, etc.). Voilà une mesure assez simple à concevoir pour un mal de "vivre-ensemble" (la défiguration de tout l'espace urbain visible) que le pouvoir spectaculaire s'attache à nier, quand ce n'est pas son acharnement à vouloir nous en faire aimer les symptômes.
07 avril 2015, 14:35   La route est longue
Bah... Les graffiteurs auront beau faire, jamais au grand jamais ils n'arriveront en-dessous de la cheville des aménageurs du territoire, ni même à celle des planteurs de panneaux de la signalétique routière.
Utilisateur anonyme
07 avril 2015, 14:57   Re : Graffiti
Ce qu'il conviendrait de faire
[www.courrierinternational.com]
Citation
Thomas Rothomago
Bah... Les graffiteurs auront beau faire, jamais au grand jamais ils n'arriveront en-dessous de la cheville des aménageurs du territoire, ni même à celle des planteurs de panneaux de la signalétique routière.

Le résultat final est bien la somme des vandalismes et saccages de tous ces protagonistes, non? Je veux dire par là qu'il est devenu extrêmement difficile de hiérarchiser les responsabilités. Ce n'est quand même pas la faute aux concepteurs, sans cœur et sans cervelle, des PLU si de jeunes sadiques, encouragés frénétiquement par les services culturels à "s'exprimer", reviennent tartiner 100 fois le même mètre carré d'un bel immeuble haussmannien.
07 avril 2015, 18:45   Re : Graffiti
Citation
David Klein
Ce qu'il conviendrait de faire
[www.courrierinternational.com]

"Neuf mois et trois coups de canne de bambou sur le postérieur, à même la peau", précise Der Spiegel

Que c'est beau... Merci beaucoup, M. Klein!
08 avril 2015, 07:23   Re : Graffiti
D'accord avec Pierre Jean Comolli, les "graffiteurs" sont des déprédateurs et censément des spoliateurs qui procèdent littéralement par marquage de territoire en le souillant de leurs excrétions ; cette appropriation est d'autant plus brutale que la confiscation totalement arbitraire de la neutralité du domaine public est pratiquement ressentie comme une violation de la sphère privée.
08 avril 2015, 13:46   Re : Graffiti
"Graffiti is threatening". Qui dira l'extrême difficulté de traduire "threat" et "threatening" en français ? Le français "menaçant" est faux bien sûr. Mais que peut bien vouloir nous dire cette langue, l'anglais, quand elle nous parle de threat?
08 avril 2015, 15:08   Re : Graffiti
Pourquoi "menaçant" serait-il faux ?
L'anglais "threat" a la même racine que l'allemand "Drohung" et dans les deux cas il s'agit bien d'une menace, non ?
08 avril 2015, 16:58   Re : Graffiti
De quelle menace dans ce cas peut bien être porteur un graffiti sur un mur ?
08 avril 2015, 18:13   Re : Graffiti
commination

Les graffitis sont-ils comminatoires ?

 
08 avril 2015, 19:42   Re : Graffiti
Ce threat s'utilise aussi pour indiquer à quelqu'un, par exemple un homme, qu'il perçoit le féminisme comme "un threat", ou quoi que ce soit d'autre susceptible de le déstabiliser, comme on dit en français actuel. Est née, dans cette langue, une notion, le threat, qui est diffuse, dont le champ sémantique, s'il est circonscrit n'en est pas moins indicible dans le français : déstabiliser, remettre en question ("la promotion des femmes remet en question le pouvoir des hommes"), inquiéter, impressionner, etc sans que le terme français de menace, qui dans le français est menace DE quelque chose ne trouve à l'occuper pleinement. L'anglophone ne sait pas lui-même, le plus souvent, ce qu'il met dans ce threat : ces graffitis impressionnent, hurlent aux regards auxquels ils s'imposent, sont d'une force, d'une puissance qui sollicitent durement l'attention, mais à l'évidence, ne seraient-ce parce qu'ils sont, comme par principe, selon les règles de leur art, indéchiffrables, ils n'explicitent aucune menace.
09 avril 2015, 12:49   Re : Graffiti
L'effet qu'ils produisent est attentatoire, il constitue une offense. (Je brode sémantiquement à partir de la notion de menace/threat).
09 avril 2015, 18:12   Re : Graffiti
Francis a raison, voyez ces quelques exemples :

"What is threatening to become a problem" : ce qui risque de devenir un problème.

"Life-threatening" (pour une maladie ) : potentiellement mortelle.

"Working in threatening conditions" : travailler dans des conditions périlleuses.

Il y a toute une gamme à propos de ce mot assez vague.
Utilisateur anonyme
11 avril 2015, 17:01   Re : Graffiti
Vous avez dit comminatoires, menaçants, attentatoires.... mais non, les ''taggueurs'' et autres ''rappeurs'' sont les héritiers prodiges de Molière, nous expliquait déjà la Pensée Officielle....

[www.ina.fr]
12 avril 2015, 16:18   Re : Graffiti
» le threat, qui est diffuse, dont le champ sémantique, s'il est circonscrit n'en est pas moins indicible dans le français

Peut-être est-ce dicible, mais autrement : n'avez-vous pas mis le doigt sur la distinction saussurienne entre la "valeur" d'un signe et sa signification ? La signification est un élément du signe pris en lui-même ("contrepartie de l'image auditive à l'intérieur du signe"), alors que la valeur ajoute à cette "contrepartie" une détermination sémantique plus fine suscitée par la configuration des autres signes à l'intérieur d'une langue donnée, pratiquement par délimitation et découpage sémiologique propre à chaque langue considérée : un exemple couramment utilisé pour illustrer cela est le mot river par rapport au "fleuve" et à la "rivière" en français : un seul signe en anglais, river, en recouvre sémantiquement deux, "rivière" et fleuve", qui n'ont donc pas en français la même valeur...
12 avril 2015, 17:27   Re : Graffiti
Non, je ne le pense pas. La mono-désignation "river" en anglais est corrélable au paysage des îles britanniques où toutes les rivières, ou presque, aboutissent à la mer, sans se déverser, comme elles le font souvent sur le continent, dans une autre rivière ou un fleuve. Il y a diversité de signeS et non dualité intra-signifiante. Toutes les rivières des îles britanniques étant, de fait, des fleuves se jetant dans la mer, un seul terme les désigne. Tandis que sur le vieux continent, le type "rivière" (la Durance, la Saône, le Maine ou le Drac) étant représenté en nombre, deux signes sont nécessaires. Et réciproquement, l'immense profusion et diversité lexicographique de l'anglais couvrant le champ sémantique des petits cours d'eau (floss, brook, creek, etc.) conforme au monde naturel de ces îles très pluvieuses, dépasse de loin le nombre des termes du français pour les traduire tous bijectivement.

La question du threat est plus trouble car elle est affaire de pure sémantique; on la retrouve dans cette langue avec hazard ou, par exemple, le verbe to cope. Les champs sémantiques de ces termes ne se superposent à aucun autre dans le français, mais, qui plus est, et tout spécialement pour threat, il est non précisément borné en anglais même.

Tout ceci se complique encore si l'on considère que l'anglais ne répugne jamais à saisir tout ce qui se présente à lui (surtout en Amérique) qui ait l'aspect roman, et que donc menace existe aussi en anglais cf (Max the Menace).

Les catégories "saussuriennes" ne tiennent guère face à la complexité du réel linguistique et trans-linguistique. Elles sont vouées à éclater, comme tout le structuralisme qui s'en est revendiqué.

Il y a souvent la distinction, non saussurienne, sauf erreur, très opérante en anglais entre animé/inanimé s'agissant de l'agent; or elle n'intervient pas dans le cas de threat qui aurait pu s'appliquer à un agent inanimé (les graffitis) cependant que menace relèverait de la menace émanant d'un animé. En effet ce n'est pas le cas. Le trouble et le désordre, et même le mystère sont donc complets.

Comminatoire en Français qualifie une menace émanant toujours d'un animé (un orage ne peut être "comminatoire"), ce qui en restreint le champ sémantique par rapport à celui de threat polyvalent à cet égard.
13 avril 2015, 07:12   Re : Graffiti
Il me semble que le "système de signes" que constitue la langue pour Saussure ne considère aucunement la réalité extra-linguistique, et toute explication "géographique" de la constitution des unités de ce système n'est pas pertinente pour rendre compte du fonctionnement de celui-ci à un moment donné, en tant que langue déjà formée et prise comme un tout (la langue que nous apprenons et parlons est toujours un système déjà formé et pris comme un tout): que river soit historiquement ou diachroniquement corrélable à tout ce que vous voudrez, il n'en reste pas moins qu'au moment où le locuteur apprend à se servir des mots et les emploie, la distinction valeur/signification rend bien compte du fait que pris "absolument", en dehors de leur contexte linguistique propre, river et rivière ont bien la même signification "générique", à quoi s'ajoute cependant la nuance sémantique particulière propre à chaque langue du fait de la distribution différentielle des signes les uns par rapport aux autres à l'intérieur de celle-ci : de fait, lorsque vous comprenez précisément le sens de "rivière" et de "fleuve", vous ne pouvez le faire qu'en vertu de la différence de chacun de ces signes existant déjà l'un par rapport à l'autre, l'aire sémantique de l'un étant délimitée, pratiquement spatialement, par celle de l'autre.
Autrement dit, l'emplacement respectif des mots les uns par rapport aux autres existe d'abord, c'est tout ce que vous avez en tête, quand vous articulez votre phrase ; après, s'il vous chante, vous pourrez consulter une carte et vous intéresser aux reliefs du paysage ; le contraire serait trop laborieux et long.

En fait, dans cette optique, la signification n'est qu'une vue de l'esprit, alors qu'en réalité nous ne saisissons véritablement que des "valeurs", dans l'usage que nous faisons de la langue — un peu comme la sensation est une donnée beaucoup trop brute pour être réellement présente à l'esprit, en vérité nous n'avons affaire qu'à des "perceptions", c'est-à-dire un produit de la sensibilité déjà traité, mis en perspective, en rapport, catégorisé et rendu "signifiant" dans une trame préétablie et pré-découpée du monde que nous appelons "réel".
Soit dit en passant, la "pure sémantique", pour Saussure, cela n’existe pas, si je me souviens bien : le signe, avers et revers, son et sens, est pratiquement insécable, comme le noyau d'un atome, ou alors on fait tout sauter...
13 avril 2015, 07:55   Re : Graffiti
Comment la linguistique saussurienne analyse-t-elle threat dans son système ?

Le référent existe dans ce système, crois-je me souvenir, et dans le cas du terme anglais river, il est constitué de certaines réalités physiques discrètes -- au sens qu'un cours d'eau se jette soit dans la mer soit dans un autre cours d'eau -- du monde naturel où cette langue vit le jour, soit le système hydrographique des îles britanniques. Si ce simple fait suffit à faire "tout sauter" de ce système, alors pauvre système ...
13 avril 2015, 09:08   Re : Graffiti
Ce blog est unique et l'évolution des commentaires au sujet des graffitis, stupéfiante.
Et c'est ainsi que vingt commentaires plus loin on se demande "comment la linguistique saussurienne analyse-t-elle threat
dans son système."
Utilisateur anonyme
13 avril 2015, 10:12   Re : Graffiti
Citation
Serge Diot
Ce blog est unique et l'évolution des commentaires au sujet des graffitis, stupéfiante.
Et c'est ainsi que vingt commentaires plus loin on se demande "comment la linguistique saussurienne analyse-t-elle threat dans son système."


Absolument et merci- J'ai eu le même genre de réaction et je n'ai pas osé...J'ai attendu ''avec une ''certaine impatience'', l'évolution (possible) vers l'approche métapsychologique lacanienne et les liens éventuels ''syntomatiques'' (et non symptomatiques) entre Grafittis et Forclusion de Nom du père (!)
13 avril 2015, 10:52   Re : Graffiti
Citation
Victor Taminen
Absolument et merci

En bonne et due forme.

Vous ne seriez pas le Capitaine Crochet ?
13 avril 2015, 11:04   Re : Graffiti
» Le référent existe dans ce système, crois-je me souvenir

Pas moi : Saussure n'envisage, me semble-t-il, le signe qu'à l'intérieur du système de la langue, et il ne faut pas confondre chez lui le "signifié" avec le référent : le signe linguistique unit non pas un objet extra-linguistique (le référent) et un mot, mais est un "articulus" où une idée (un concept) se fixe dans un son, je me souviens avec émotion de cette formule.
Pour ce qui est de la description "synchronique" du fonctionnement de la langue, il n'a pas tort : pas besoin de soulever une pierre pour être capable d'utiliser le mot "pierre" à bon escient et savoir très bien de quoi il s'agit ; quand les pierres se font lourdes et les objets extérieurs sont carrément inexistants (ce qui n'empêche point que le signe, même en l'absence d'iceux, puisse avoir un sens), c'est un grand avantage...
15 avril 2015, 09:26   Re : Graffiti
Dans un louable effort d'éviter le vilain mot "tag", vous utilisez "graffiti" qui a une signification différente.
Le graffiti (même tendance mur de chiottes ) délivre un message, une insulte, une revendication, et a l'ambition de nous amuser. On y trouve parfois de l'esprit et de la profondeur.
"Sauvez un arbre, tuez un castor".
"Souffrir passe, avoir souffert ne passe pas." Trouvé sur les murs du carmel de Saint-Denis et attribué à Madame Louisie,
fille de Louis XV.
"Berthe de Grenelle aime Paulette de la Chapelle". Ecris dans le donjon de Clermont (Oise), prison de femmes de 1826 à 1903.
On est bien loin des affreuses bouses picturales qui enlaidissent nos villes.
15 avril 2015, 09:48   Re : Graffiti
On est bien loin des affreuses bouses picturales qui enlaidissent nos villes.

Si ce n'était que nos villes... Toute la muraille qui longe les autoroutes, par exemple, est souillée, gâchant la vue sur des kilomètres. L'entrée des villages, non plus, n'est pas épargnée: sitôt arrivé, sitôt accablé. Même d'antiques et magnifiques lavoirs sont pris pour cible.
29 avril 2015, 16:35   Re : Graffiti
"Je veux dire par là qu'il est devenu extrêmement difficile de hiérarchiser les responsabilités."

Voire. J'habite un village médiéval sans graffiti mais où je remarque la multiplication insidieuse des panneaux de signalisation routière et autres. Dernièrement, deux dos d'âne ont été installés, non pas à l'entrée du village, mais presque avant d'arriver sur la petite place (précisons qu'aucun piéton n'a jamais été renversé et que la configuration de la route empêche de rouler vite). En eux-mêmes, ces dos d'âne ne seraient rien mais il faut les signaler, pardi ! Alors on les couvre d'une belle peinture bien blanche pour former d'élégants "zébras", parfaitement en harmonie avec les vieilles pierres, et comme cela ne suffit pas, on plante un gracieux panneau bleu indiquant la présence d'un dos d'âne, panneau qui se découpe désormais sur la végétation sauvage et que j'ai tout loisir d'admirer depuis ma fenêtre qui, jusqu'alors ne donnait que sur la colline d'en face, vierge de toute construction (Dieu merci, c'est trop pentu et trop instable pour être constructible.) J'en suis bien désolé mais aucun graffiti ne m'a occasionné un tel déplaisir. A qui distribuer des coups de bâton ? De plus, encore quelques panneaux de signalisation routière de ce genre, c'est-à-dire parfaitement inutiles, et, comme par miracle, on verra les graffiti faire leur apparition. Les graffiteurs ne sont que les suiveurs dociles et illégaux des bousilleurs de paysage légaux qui les précèdent et donnent l'exemple de l'indifférence et du saccage. Hiérarchisation des responsabilités il y a : les enseignes commerciales, les panneaux, toute la signalétique obsessionnelle, absurde et superfétatoire (genre : un gros panneau sur une petite place qui vous explique que vous êtes dans un "lieu de rencontre") engendrent le graffiti.
Sensible à cet argument de la dénaturation de l'espace préalable à l'agression du graffiti je n'en retiens pas moins que dans certaines campagnes, petits vignobles, pinèdes, garrigues, se trouvent de minuscules mazets faits de vieilles murailles ocres et cézanniennes où figurent ces hideuses signatures noires émises par qui a à faire entendre de sa présence dans le paysage. Aucun panneau de communication publicitaire ou préfectorale dans les parages mais c'est ainsi : en pleine vallée des Baux-de-Provence, où paissent encore les troupeaux d'ovins, où se tiennent même encore des bergers à l'ancienne, les murets des champs sont marqués de ces graffitis, ces merdes narcissiques et occultes qu'a laissées là le tout venant de passage occupé à faire connaître au monde les traces de son transit, occupé à glorifier sa circulation.

On retrouvera logiquement les mêmes autographes sur les abords des gares de voyageurs à Marseille, la Ciotat, Toulon, qui après avoir signifié dans les champs et les campagnes des exploits d'égarement dans cet espace, signifieront dans ces noeuds ferroviaires l'exploit de l'embarquement sans frais : la petite crotte murale signalera la victoire opportuniste de la combine transportière gagnante.

Peut-on espérer qu'un arrêté préfectoral à défaut d'une loi impose bientôt à qui voudra acheter des aérosols de peinture de se faire connaître des autorités en déposant une copie de sa carte d'identité (comme dans les armureries), puisque ces objets ne servent qu'à cela: faire connaître son passage et signer sa présence ?
En effet, chacun a pu apercevoir, depuis la route, ces mazets à demi ruinés, envahis par le lierre et les tags, au milieu des vignes du Var, par exemple. Rappelons toutefois que ces modestes bâtisses, que je n'ai connues que livrées à l'abandon, ont d'abord servi de support, et cela pendant des décennies, au point qu'il en reste d'ineffables traces, à la publicité peinte à même les façades, chantant la gloire des Cinzano, Dubonnet, Hafa etc. Il est vrai que, dans ce cas, les propriétaires, je suppose, percevaient une poignée de figues de la part de ces marques pour leur laisser étaler leurs grosses lettres qui, aujourd'hui lessivées, vous ont je ne sais quel charme quand, par extraordinaire, on en distingue encore les contours.

Permettez-moi de ne pas en démordre. Objectivement, comme on disait dans le temps, les ravages de la signalétique sont infiniment plus visibles que tous les tags réunis. Il suffit pour s'en convaincre de confronter n'importe quelle image d'une rue ou d'une campagne jusqu'aux années soixante avec la même vue prise aujourd'hui : ce n'est pas l'absence de tags qui saute au yeux mais bien celle des panneaux de toute sorte.

Où l'on voit que l'objectivité ne pèse rien, mise en balance avec la subjectivité. Que des panneaux, des superpositions de panneaux officiels, répandus absolument partout bousillent sans pitié et sans remède (ni arrêté préfectoral, évidemment, ni espoir d'effacement, ni chimère pédagogique) des vues entières (places de ville, monuments ou paysages) soient en somme mieux acceptés (je ne me souviens pas, en effet, du moindre message indigné sur ce thème) qu'une enfilade de gri-gri le long d'un mur de voie ferrée où il n'y aurait, de toute façon, rien à voir, montre que c'est à l'intention "nocente" du tagueur qu'on réagit, sans doute légitimement, et non pas à sa réelle envergure de nuisance, tandis que les aménageurs, qui prétendent agir pour le bien public, pour de bonnes raisons, sont disculpés ou, du moins, ne méritent pas d'être promis à la bastonnade que je trouve, moi, qu'ils mériteraient avant tout le monde car ce sont eux qui donnent l'exemple du mépris total de la vue.
22 mai 2015, 23:41   Re : Graffiti
Votre subjectivité raisonnante l'emporte Thomas et je me range à vos vues.

C'est bien la mauvaise intention qui est horripilante plus que l'agression visuelle. Du reste il n'y a pas d'agression visuelle, rien que de l'agression d'intention.

L'intentionnalité chez Dubonnet ou l'agence Havas s'inscrivait dans la légitimité économique d'entretenir de l'activité et, pour ce qui est de la société civile de créer des emplois. Dans tout le Sud-est, tout est permis à qui "apporte des emplois". J'ai vu, non loin des Baux de Provence la plaine de la Crau qui fut longtemps un véritable petit désert Jordanien en pleines Bouches-du-Rhône se transformer peu à peu en zone industrielle avec Coca-Cola -- d'immenses entrepôts parallélépipédiques couleur d'aluminium cru -- et autres usines de conditionnement de produits de consommation, sans enseigne, non loin d'allées bordées de grands pins parasols qui jadis marquaient les grands domaines des bastides provençales. Oui, le paysage en est ravagé, bien autrement que par les tags des miséreux et des paumés qui passent par là. C'est vrai.

La subjectivité règne sur l'esthétique comme sur l'outrage qu'elle conditionne et définit. Qui voit d'un oeil neutre, ou d'un bon oeil le désastre qui ne s'affiche point en tant que tel mais qui promet du mieux ? Celui qui ne fait que passer, paradoxalement, du fait de son désengagement de tout "intérêt local", de toute implication dans les promesses faites à la collectivité locale par le massacreur de paysage qui agit au nom du réalisme économique ; celui qui ne fait que passer voit et compare les horreurs concurrentes hors de toute considération suggérée par la collectivité, hors l'intérêt, et sa subjectivité ne connaît que le sentiment esthétique dépouillé du filtre de l'intéressement et donc finalement, voilà ce sentiment esthétique devenu "objectif", aveugle aux intentions comme aux contraintes économiques ou prétendues telles; "L'activité" promet du mieux, tandis que le tag ne promet rien et ne fait que s'afficher, voilà ce qui le rend intolérable à qui porte sur ce tableau un regard habité par les lieux et l'histoire des populations, leurs espérances, comme c'est encore un peu mon cas.

Il n'y a que le voyageur, au fond, qui souffre vraiment. Les autres, qui sont dans le bain de l'intérêt, n'ont plus de regard pour ce qui est vraiment.
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