Le site du parti de l'In-nocence

Crépuscule des bibliothèques

Envoyé par Didier Goux 
Sachant que l'auteur ne le fera pas, je me permets de signaler aux aimables passants de ce forum, que le livre dont il a été question ici voilà quelques mois a finalement trouvé un éditeur et qu'il est, depuis une couple de semaines, disponible. Comme son titre annonce clairement son contenu, je n'ai pas besoin de préciser de quoi il est question. J'ajouterai simplement que le livre de M. Virgile Stark me paraît remarquable dans son expression, mais un peu déprimant par le sujet qu'il traite et les constats qu'il dresse. D'un autre côté, on s'y attendait un peu…
Merci beaucoup, M. Goux. Je vais me le procurer.

J'espère que l'auteur s'attarde sur les cas, emblématiques, des sites François-Mitterrand et St Pancras.
D'après mon souvenir, oui, il s'y attarde. Mais ma lecture remonte déjà à plusieurs mois…
M'étant procuré ma première liseuse hier et ayant acheté en ligne mon premier livre numérisé pour Kindle, je me suis avisé, en naïf, que les fichiers numériques du "livre" acheté et téléchargé étaient non cessibles, non transférables. Si je veux en faire don à quelqu'un je ne le peux, à la façon des logiciels de Microsoft : pour en faire cadeau, je dois repasser par le marchand et donc lui réacheter la chose. Si bien que la chose achetée que je ne peux ni donner ni aliéner n'est pas mon bien. Je n'en dispose point : je ne peux m'en séparer au profit d'un autre, comme je le ferai d'un livre imprimé. Je n'en suis pas propriétaire mais locataire à vie. Je n'ai rien acheté d'autre qu'un droit d'usage dématérialisé et incessible.

L'économie numérique exclut le don horizontal qui ne repasse pas par le rachat auprès du vendeur initial. Dans ce circuit qui exclut la libre disposition du bien, sa cession et son don, l'instance vendeuse demeure l'unique propriétaire détenteur de la nu-propriété du bien, et tout don suppose de repasser par lui.

Ce qui explique deux phénomèmes indissociables :

1/ La pharaonique accumulation capitalistique de Microsoft et des grands groupes de l'économie numérique;
2/ La philanthropie obsessionnelle du chef emblématique de cette économie, resté vivant (Steve Jobs étant mort)

En donnant des milliards à des causes taillées sur mesure, Bill Gates prend en charge, prend à son compte, opère par proxy le don générique et universel qu'il interdit à ses victimes. Ses sujets étant exclus du don, c'est lui, Bill Gates, qui s'en charge. La prise en charge de la réédition individuelle obligatoire et payante de ses produits s'accompagne naturellement -- elle s'accorde avec elle parfaitement -- de la prise en charge du don impossible entre les usagers loueurs ou usufruitiers de ses produits et de ses droits.

La totalité est là, elle est accomplie : Microsoft se réserve et concentre en ses mains tous les droits, y compris celui de donner à autrui, qu'il exerce avec le même gigantisme que la rétention marchande de ses biens.

Quand le don libre et direct, celui qui doit s'opèrer sans retour à l'instance marchande, n'est plus possible, la sujétion est totale. Le consommateur est sujet du nu-propriétaire marchand. Il y a là quelque chose de diabolique, en tout cas d'absolument anti-chrétien, l'acte de charité chrétienne étant un acte individuel et libre, qui doit échapper à tout proxy qui le négocierait pour le compte de tiers, comme le fait Bill Gates dont la philanthropie est indirectement mandée par ses sujets, ses fermiers numériques que nous sommes tous, ou presque.
Francis,

Vous soulevez un problème réel, l'impossibilité de donner un livre kindle une fois qu'on l'a lu.

En fait, cette question a été souvent abordée sur les forums, comme vous vous en doutez. Il y a une explication rationnelle, qui recueille un certain consensus.

Quand on font l'achat d'un livre imprimé, il n'est, physiquement, qu'en un seul exemplaire. Cela suppose qu'en le donnant on n'a plus l'exemplaire.

Si les fichiers Kindle étaient facilement reproductibles (ils sont reproductibles, mais c'est un peu difficile) on pourrait les donner mais en même temps les garder.

En fait, il reste toujours possible de prêter la liseuse, mais dans ce cas c'est toute la bibliothèque qu'on prête.
L'auteur ne pesant pas très lourd face à son éditeur, et n'ayant pas la notoriété de Kundera, n'a pas pu exiger l'interdiction de la vente de son livre sous forme d'e-book. C'est bien dommage, en plus d'être un peu ridicule.

Je remercie Didier Goux d'avoir signalé cette humble publication aux quelques lecteurs potentiels qui pourraient se trouver en ces lieux, et d'en avoir parlé sur son excellent journal électronique.
Mon cher Dolet, je crains de vous avoir desservi plutôt qu'autre chose, ma cote négative en ces lieux étant au plus haut. Néanmoins, le fait que vous soyez désormais un auteur des Belles Lettres devrait compenser mon influence négative, puisque chacun sait qu'il ne se publie, sous cette enseigne, que des livres essentiels et décisifs.
Jean-Marc,

"L'explication rationnelle qui recueille un certain consensus" est tautologique : le modèle d'économie numérique impose la non-aliénabilité du bien acheté. Personne qui voudrait donner l'e-book à un proche ne revendique d'en conserver copie et celui ou celle qui voudrait ainsi opérer un don sans retour et sans reste (sans conserver un clone de l'objet donné) comme il le fait d'un livre imprimé se trouve privé de ce choix. Cette privation de la capacité du propriétaire du bien à faire don de son bien n'est compensée par rien, par aucun "avantage" qui serait par exemple celui de conserver un clone du bien en dépit du don. Personne ne veut donner un copie de l'objet du don. Donner, c'est opérer une libre séparation d'avec le bien. Et c'est cela que l'économie numérique interdit.

La question de la sujétion : celui qui est privé d'accéder au statut de sujet donateur entre en sujétion, devient sujet d'un tiers qui opère librement, à sa guise, des dons qu'il présente et fait représenter au public comme compensatoire de son enrichissement démesuré. Dans le don philanthropique le riche se fait le délégué du pauvre qui ne peut donner, l'horreur de l'économie numérique est que le pauvre, comble de sujétion, outre la faiblesse de ses moyens et de sa capacité matérielle à donner, est frappé d'un interdit réglementé d'effectuer des dons, privilège que se réserve le propriétaire des outils de production. Le don du pauvre au pauvre est illégal et passible des tribunaux, quand bien même le pauvre aurait acheté de ses deniers l'objet du don !

Dans quel régime de servage a-t-on vu le serf frappé d'interdiction de donner ses hardes, sa masure à ses proches ? Cela n'a dû exister que dans les périodes les plus noires de l'histoire de l'humanité.
Qu'est-ce que c'est que cette histoire de "cote négative au plus haut" ?
Mon cher Meyer, j'invoque mon droit imprescriptible à la paranoïa !
Bien sûr, bien sûr, mais enfin tout de même, bornes et limites sont pulvérisées, là...
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter