Soi-mêmisme

Pour une fois je ne partage absolument pas les idées de Renaud Camus très clairement exposées dans son Journal et concernant le caractère méridionnal voire africain du soi-mêmisme.

J'avais plutôt fait le constat inverse : ce sont les Etats-unis et aussi les pays d'Europe du nord qui sont les porteurs du soi-mêmisme au nom justement de la liberté individuelle alors que le Maghreb, par exemple, n'est pas du tout soi-mêmiste. Le musulman doit suivre le droit fil de la religion obligatoire sinon il lui en cuira. Je ne peux pas imaginer un musulman soi-mêmiste.

Pus généralement le soi-mêmisme me semble impossible dans des sociétés qui rejettent justement l'autonomie de l'individu. Celui qui est tenu à tout un tas d'obligations vis à vis de sa parentèle de son clan et de sa clique ne peut pas être soi-mêmiste alors que celui qui appartient à une famille nucléaire d'Europe du nord peut l'être.

Si l'on assimile le soi-mêmisme à l’expression sans entraves de la pleine liberté sans égards pour l'autre, comme dans l'entrée d'hier du "Journal", on pourrait avancer peut-être que dans les sociétés primitives il y a une sorte de soi-mêmisme clanique (ou peut-être tribal) : ce que dit Philippe Changeur est vrai à l'intérieur du clan, ce qu'écrit Renaud Camus s'applique à l'attitude vis-à-vis de l'extérieur. Pour prendre un exemple concret, le vol est sévèrement puni et à peu près inexistant à l'intérieur du clan, licite et même encouragé à l'extérieur.

Autrement dit, le "soi" qui est ici imposé aux autres est un soi social, collectif, façons d'être de la bande, du groupe, du clan, de la communauté, qui s'expriment pleinement sans prendre le moins du monde en considération les mœurs locales auxquelles elles contreviennent.

Monsieur Meyer,

Pardonnez-moi d'insister mais je crois que Renaud Camus confond "Je m'en foutisme" qui est un comportement méridionnal au sens large et "soi-mêmisme" qui revient à se considérer comme la perle de l'univers en étant totalement autonome.

Le "Je m'en foutisme" du sud est souvent lié à un très grand souci de l'apparence vous verrez davantage de cravates à Séville ou Palerme qu'à Copenhague, à une grande importance des hiérarchies (la destruction des hiérarchies est une idée du nord pas du sud) et surtout à des sociétés en fait très conservatrices.

Dans un monde nord-africain le chien Le Coz derait réduit au silence en deux temps trois mouvements et il ne viendrait pas à l'idée de sa propriétaire d'imposer les nuisances de la bête à son groupe social, ses cousins ses voisins pratiquement tous cousins ou beaux-frères belles soeurs, en gros toute la smala.

Je suis insistant car l'idée me semble importante : la destruction des hiérarchies est une idée du nord, demandez pour voir aux musulmans algériens ce qu'ils pensent des noirs même musulmans vous serez édifiés. Le blanc du nord soi-mêmiste se place au centre d'un univers d'égaux où tout est égal à tout.

Je suis tout à fait d'accord avec Monsieur Changeur : "Venez comme vous êtes", "Surtout ne changez rien", "Be yourself", "Express yourself" etc. : tout cela irrigue la culture populaire américaine, de la millionaire de Floride faisant ses courses en jogging, à la jeune tatouée en passant par les millions d'adeptes de Tumblr et autres Instagram. Un Napolitain de 30 comme de 60 ans préférerait mourir que de faire son petit défilé vespéral "comme il est chez lui", et la pression du groupe, le regard de l'autre, la contrainte, la honte, toutes ces médiations chéries par Renaud Camus, l'obligent à passer plus de temps face à son miroir que Madonna ou Britney Spears lorsqu'elles vont acheter un "Latte" au Starbuck du coin. Je pense donc humblement qu'il ne faut pas confondre le soimêmisme avec les sociétés, les civilisations et les classes sociales où tel ou tel degré de nocence dans tel ou tel domaine est toléré, voire encouragé. L'Afrique hurleuse, la Chine cracheuse, sont l'expression d'un code et non pas celle d'une liberté accordée à chacun d'être lui-même.

Il m'étonnerait vraiment que Madonna ou Britney Spears ne se préoccupassent point de leur image, à vrai dire ; m'est avis plutôt que leur "naturel", ainsi que celui de toutes ces stars si bien "naturées" par une chirurgie esthétique désormais si systématique et obligatoire, se confond à tel point avec cette image qu'elles ne sont presque plus que le reflet dans le miroir, justement... Ce n'est donc pas le rapport toujours aussi contraignant à l'image qui a disparu, à mon avis, mais seulement ce que celle-ci commande qu'on reflète, selon d'intangibles mais toujours aussi réels et coercitifs modèles "formels" de l'air du temps...

Toujours est-il que je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas transposer le "soi-mêmisme" individuel à un niveau social ou collectif, d'autant que celui-ci rendrait bien mieux compte du comportement d'individus originaires de sociétés où l'autonomie individuelle est en effet bien moindre que celle qui se manifeste en Occident, individus qui ont donc le sans-gêne de leur race, parce qu'ils l'imposent sans la moindre gêne et considération d'autrui ; après tout, il est patent que l'"identité" n'est pas qu'individuelle, aussi le "soi" peut-il aussi bien être collectif...

La scène se passe dans un cinéma d'après-guerre, dans une ville au bord de la Méditerranée :

"Ordinairement, avant que les réjouissances ne commencent, le patron s'adresse à nous par le moyen d'un haut-parleur, ce qui change étonnamment sa voix. Il nous rappelle qu'il est formellement interdit de fumer dans la salle par ordre du préfet de police. On l'écoute en ricanant et en tirant de plus belle sur nos pipes et nos cigarettes. Nous nous considérons comme des hommes libres et nous le démontrons ainsi. Nous avons assez obéi, nous marquons un point."

Henri Calet Le tout sur le tout 1948

Je suis sensible à vos objections et ne manquerai pas d’essayer d’en nourrir ma réflexion. Aussi bien ne donnais-je mes vérités qu’avec précaution, comme imparfaitement vraies. Je n’ai jamais présenté le soi-mêmisme comme l’idée qu’on était la perle de l’univers. Au contraire, je le crois très égalitariste. S’il a une conviction, c’est que l’autre ne vaut pas mieux que lui. Il est avant-tout un sans-gêne. Or il me semble que, dans l‘ensemble, les peuples du Sud sont nettement plus sans-gêne que les peuples du Nord. Il est vrai que les Américains, qui parlent si volontiers si fort, viennent troubler cette observation. Mais ne rappelle-t-on pas éternellement que New York est à la latitude de Naples ?

individus qui ont donc le sans-gêne de leur race, parce qu'ils l'imposent sans la moindre gêne et considération d'autrui

///////////////////

Ce "sans-gêne de leur race" qui leur permet visiblement de s'imposer partout et en toutes circonstances serait donc, finalement, malheureusement pour nous, "un mouvement de bonne race" ("Il eut plus tard un autre mouvement de bonne race." Montherlant, "Les célibataires").

Citation
Philippe Changeur
J'avais plutôt fait le constat inverse : ce sont les Etats-unis et aussi les pays d'Europe du nord qui sont les porteurs du soi-mêmisme au nom justement de la liberté individuelle alors que le Maghreb, par exemple, n'est pas du tout soi-mêmiste. Le musulman doit suivre le droit fil de la religion obligatoire sinon il lui en cuira. Je ne peux pas imaginer un musulman soi-mêmiste.

Je viens de faire deux voyages aux Etats-Unis et j'ai été frappé par la politesse et la gentillesse des américains au volant et dans la rue : cette délicatesse et cette attention vis à vis des autres est-elle vraiment l'expression d'un soi-mêmisme ?

Quant au Maghreb, j'ai longtemps vécu au Maroc et je me rappelle que chaque fois que nous étions invités chez un ami marocain, nous avions droit à la présentation d'un album photos entièrement consacré à notre hôte vu et pris sous toutes les coutures.
Pour nous, c'était un sujet d'étonnement et de curiosité car il aurait été inconcevable de posséder un tel album de photos excepté si vous êtes un mannequin.

Monsieur Versini,

Je me suis sans doute mal expliqué. Quand je parle de soi-mêmisme je ne veux pas dire se mettre en avant je veux dire se juger plus haut que les normes et faire ce qu'on veut.

Si la norme au Maroc est de présenter à ses invités des photos de soi, le faire n'est pas du soi-mêmisme. Je me rappelle dans ma jeunesse les épouvantables après-midi d'automne où les invités devaient regarder les diapositives de vacances. Ce n'était pas du soi-mêmisme c'était l'usage.

Je suis par ailleurs tout à fait convaincu de la gentillesse de l'Américain de la rue, c'est dans sa culture comme la violence du musulman est dans la sienne. Je pense à cette minorité d'américains qui dictent les conduites et disent que le soi-mêmisme c'est bien.

Je crois aussi que le soi-mêmisme est plus le fruit pourri de l'Europe du nord que des Etats-unis.

Le soi-mêmisme peut être interprété comme le fruit de l'individualisme abouti, lui-même résultant de l'égalité, comme le montre très bien Tocqueville dans la seconde Démocratie en Amérique.