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Comment Renaud Camus pourrait redresser son budget

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
13 juillet 2015, 11:44   Comment Renaud Camus pourrait redresser son budget
C'est tout simple, il suffisait d'y penser...




Socrate s’habille en Prada


Son bureau baigné de lumière, rue du faubourg Saint-Honoré à Paris, est meublé d’une confortable méridienne pour lui permettre de lire tranquillement. Adrien Barrot semble un cas unique. Ou plutôt Hermès, seul groupe de luxe qui ait, apparemment, engagé à plein temps un philosophe. Cet ancien élève de l’Ecole normale supérieure, agrégé de philosophie à 25 ans, qui, pendant une vingtaine d’années a enseigné au lycée français de Quito (Equateur), puis à des terminales en région parisienne et des étudiants de l’université Paris-Est Créteil, l’avoue : « Je n’ai jamais cherché à savoir si j’avais des confrères. »
Sa carte de visite mentionne seulement « conseiller direction création et image ». Il travaille presque chaque jour avec Pierre-Alexis Dumas, le directeur artistique d’Hermès, sur le thème de l’année en cours ou à venir, une singularité de cette maison de luxe. En 2015, il s’agit ni plus ni moins de « la flânerie ». Un thème cher à Rousseau, qui fut pourtant, contrairement à Voltaire, l’un des pires contempteurs du luxe au XVIIIe siècle.
Parmi ses autres activités, Adrien Barrot est responsable du magazine Le monde d’Hermès, tiré deux fois par an à près de 700 000 exemplaires. Le philosophe fournit aussi moult idées pour baptiser les objets, étape capitale de la commercialisation dans cette maison. « Mon objectif n’est en rien de convertir Hermès à la philosophie », assure-t-il. Ni surtout d’apporter un « supplément d’âme » – terme abominable à ses yeux qui signerait en réalité son absence. Il définit son rôle comme un moyen « de contribuer à la formulation du sens, à son articulation, à sa mise en perspective, à sa prise de conscience ».
Le philosophe d’Hermès a soutenu l’idée, soufflée par son confrère Eric Marty, grand spécialiste de Roland Barthes, de créer un foulard en cachemire pour le centenaire de la naissance de l’auteur des Fragments d’un discours amoureux, le 12 novembre 2015. Cet essai, publié en 1977, a été choisi comme source d’inspiration pour un châle masculin… Bigre ! Pour relever ce défi, le designer Philippe Apeloig a exclu d’emblée toute utilisation des mots ou des lettres, pour jouer sur la structure formelle très particulière de cet ouvrage. « J’ai désossé le livre, scanné chacune des pages pour utiliser leur typographie très originale », explique l’artiste. Une façon de profiter de la composition optique, proche du collage, de ces Fragments et un hommage à cet intellectuel français qui, l’un des premiers, s’est intéressé à la photographie et à la mode.

Marketing intellectuel

Après avoir débordé de son cadre initial de l’artisanat d’exception pour envahir l’art contemporain, le luxe s’attaque donc à d’autres sphères. Toujours pour tenter de séduire davantage de clients et de légitimer des prix exorbitants. « Pour les entreprises de luxe, avoir recours à un philosophe n’est-ce pas simplement inventer un nouveau marketing intellectuel ? », se demande ingénument Leon Wisznia, cofondateur avec Gilbert Glasman de CitéPhilo. Pionnier de l’introduction du concept de philosophie dans les entreprises, Alain Etchegoyen, décédé en 2007, considérait que chacune d’entre elles avait une âme. De Louis Vuitton à Guerlain (deux filiales de LVMH), en passant par Michelin et Usinor, il avait conseillé des dizaines de sociétés.
Si Hermès assume totalement l’embauche à plein temps d’un philosophe, les autres groupes restent infiniment plus discrets. Ils ont recours, sans le dire, à leurs services. Sophie Chassat, elle aussi normalienne et agrégée de philosophie, dirige depuis janvier un département spécialisé en philosophie au sein de l’agence de communication Angie. Auparavant, elle conseillait Louis Vuitton, Guerlain, le groupe Kering, la griffe de vêtements chics pour enfants Bonpoint ou encore Exemplaire – la marque de pulls en cachemire de Jean-Victor Meyers. Elle avait ainsi suggéré au petit-fils de Liliane Bettencourt de faire référence à la peinture de Pierre Soulages pour évoquer les pulls noirs de sa collection.
Depuis qu’elle a intégré Angie, elle a signé des piles d’accords de confidentialité l’engageant à ne jamais plus divulguer l’identité de ses clients dans le luxe. Les autres, tels Canal+ ou Total, n’imposent pas de telles clauses. Les grandes maisons ont toujours cultivé le secret : séduire des clients fortunés exige de ne pas faire sentir l’effort ni la technique, qui risqueraient d’altérer la grâce ou la magie de l’image qu’une marque met tant d’années à construire.
Vendre son âme au diable
Les interventions de Sophie Chassat, la seule à travailler autant pour le luxe, consistent à « définir ou valoriser des identités verbales des entreprises et des marques ». Ce qui revient, dit-elle dans un jargon peu philosophique, à « optimiser leur capital-langage ». A l’heure de la démultiplication des prises de parole, notamment sur les réseaux sociaux, cette élégante jeune femme donne trois conseils qui semblent tomber sous le sens : la consistance – avoir quelque chose à dire –, la singularité et l’incarnation.
Elle incite ses clients à bannir définitivement certains mots galvaudés comme « passion », « unique » ou encore « ADN ». Une façon de suggérer un effort de vocabulaire pour que les marques qui promettent de vendre des produits distinctifs « ne parlent pas comme tout le monde ». Elle aide donc des directeurs de la communication, des spécialistes du marketing, des PDG ou des membres de la direction à bien définir le sens de ce qu’ils veulent raconter. La force des philosophes dans l’entreprise est « d’éclairer, de mettre de l’ordre et donc de regarder les problèmes autrement, pour apporter des réponses originales ». « Parfois, les habitudes et la langue corporate sont tenaces. Aujourd’hui, plus personne ne croit aux contes de fées que racontent les groupes de luxe », affirme l’auteure de La barbe ne fait pas le philosophe (Plon, 2014).
Attachée à sa liberté d’esprit, Sophie Chassat considère que sa discipline permet de « tout dire, même ce qui peut fâcher ». C’est d’ailleurs ce que ses clients achètent. Son confrère Olivier Assouly, qui a dirigé l’ouvrage Le Luxe, essais sur la fabrique de l’ostentation (Editions IFM/Regard, 2011), est bien plus nuancé. « A partir du moment où l’on conseille une entreprise, on vend son âme au diable, on ne peut plus être indépendant », affirme-t-il. Cette activité revient, selon lui, à effectuer un « ménage » très bien rémunéré sans se soucier vraiment d’éthique.
Les philosophes sont souvent choisis sur leur réputation, pour leurs travaux. Gilles Lipovetsky, qui a publié De la légèreté (Grasset, 372 p., 19 euros), intervient depuis des années dans de nombreuses entreprises, tantôt comme philosophe tantôt comme sociologue pour décrypter une situation socio-culturelle ou analyser un produit. Chanel, Yves Saint Laurent, Hermès ou Lancôme ont tour à tour fait appel à ses services. « Un produit, même bien fini, ce n’est pas suffisant dans le luxe. Tous les autres aspects secondaires – le lieu de vente, l’architecture des magasins, la communication… – ne peuvent être négligés », souligne-t-il. Le philosophe considère que la bataille de la communication est « essentielle ».

« Une nouvelle utopie »

Et si cette séduction exercée par la philosophie venait de son « langage élitaire, plus châtié, plus élevé ; ce qui permet de monter en gamme » ? C’est en tous cas ce qu’assure Gilles Lipovetsky. Une initiative d’autant plus attirante pour les marques que ce langage abstrait « reste peu développé par la publicité », dit-il. Voilà justement ce que recherchent les griffes de luxe : « Re-créer de l’écart, utiliser un langage aristocratique, extrêmement abstrait, qui fait précisément partie du luxe de la pensée », résume-t-il.
Dans l’entreprise, la philosophie joue un rôle important pour « nourrir la réflexion, brasser des idées, mais n’a généralement pas vocation à être utilitaire », estime Gilles Lipovetsky. Les consultants classiques « pensent trop souvent par PowerPoint », critique-t-il, rappelant que « la pensée demande du temps et de la distance ».
« Faire appel à un philosophe, pour une entreprise, procède d’une volonté d’élargir le point de vue de salariés souvent très centrés sur leurs métiers », ajoute Yves Michaud. Une manière d’apporter « quelque chose de plus libre, plus fantaisiste, parfois plus fou ». L’auteur de l’essai Le Nouveau Luxe (Stock, 2013) estime que ces groupes recherchent alors l’invention « d’une nouvelle utopie ».
Les sociétés font aussi appel à des philosophes pour intervenir dans la formation interne des salariés. Luc Ferry, ancien ministre de l’éducation, assure n’y avoir jamais goûté. André Comte-Sponville a, en revanche, donné nombre de conférences, parfois dans des groupes de luxe, notamment pour leur présenter son ouvrage Le capitalisme est-il moral ? (Albin Michel, 2004). L’Institut français de la mode a aussi demandé à Raphaël Enthoven de présenter un exposé sur le thème « Avons-nous perdu l’usage et la maîtrise du temps ? » lors d’une de ses journées annuelles consacrées aux perspectives du secteur de l’habillement.
Aucun philosophe ne dévoile les largesses financières dont il bénéficie. Les groupes de luxe encore moins, mais chaque consultation est payée au minimum plusieurs milliers d’euros. De façon très soutenue, L’Oréal fait appel à leurs compétences : le numéro un mondial des cosmétiques a ainsi commandé à Georges Vigarello, codirecteur du Centre Edgar-Morin, et à Françoise Gaillard, philosophe et spécialiste de Flaubert, deux des textes d’une somme encyclopédique, 100 000 ans de beauté (Gallimard, 2009), réflexion pluridisciplinaire sur les questions des représentations du corps dans toutes les civilisations.
En pleine crise économique mondiale en 2008, Lancôme, une filiale du groupe, avait sollicité Vincent Cespedes – spécialiste des relations interpersonnelles, pour le lancement de son parfum La Vie est belle. « Nous lui avons demandé sa définition du bonheur pour une femme d’aujourd’hui », rapporte David Souffan, directeur général adjoint communication globale chez Lancôme international. En affirmant que « le bonheur choisi des femmes » était devenu « une option philosophique radicale, aux antipodes du bonheur espéré de leurs sœurs aînées et du bonheur ascétique de leurs mères », il avait « mis des mots sur des tendances, permis de confirmer, affiner, ou orienter nos intuitions », souligne David Souffan. L’entreprise avait eu parallèlement recours à des sémiologues, des anthropologues, des bureaux d’études. Cinq ans plus tard, Vincent Cespedes a publié chez Larousse une Magique étude du bonheur.
Le parfum dont les couleurs sont défendues par le sourire de l’actrice Julia Roberts est devenu, en moins de trois ans, numéro quatre des ventes au niveau mondial. Pour savoir s’il faut continuer sur cette lancée, il est sans doute temps de vérifier si le concept même du bonheur a changé.
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